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(Voyez Planche 44.)

Le 20 août 1843, en parcourant les rues d'Argos pour rechercher les monuments antiques, figurés ou écrits, qui pouvaient avoir échappé aux investigations de mes devanciers, j'eus le bonheur de découvrir, non loin du lieu où messieurs les artistes de la commission de Morée ont copié le beau bas-relief qu'ils ont publié à leur retour (1), et dans lequel j'ai cru reconnaître la poétesse Télésilla (2), un objet d'art de même nature, mais peut-être plus important encore. C'est une plaque oblongue de 0,41 sur 0,22, en calcaire grisâtre, veiné de quartz, renfermant dans un encadrement trèssimple une figure de femme debout et en marche, la tête nue, les cheveux relevés presque droit sur le sommet de la tête. Cette femme est vêtue d'une tunique longue sans manches qui retombe en plis droits jusque sur les pieds et que recouvre un peplus. Sur son dos est un carquois fermé dans sa main gauche, un arc; et dans la droite, une torche allumée qu'elle tient légèrement inclinée vers le sol. Les pieds sont trop vaguement indiqués pour qu'on puisse distinguer de quelle espèce est sa chaussure; tout autorise à croire cependant, si l'on en juge par l'épaisseur des semelles, que ce sont des cothurnés. Dans la partie supérieure du champ on lit, répartie à gauche et à droite de la tête, l'inscription suivante en beaux caractères :

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L'explication de ce monument ne présente point de difficultés. L'arc et le carquois sont les attributs distinctifs de Diane; c'est donc cette divinité que nous avons sous les yeux. Mais ce n'est point Diane chasseresse, c'est Diane sous son aspect le plus religieux, Diane, sœur d'Apollon, remplissant avec lui le principal rôle qui lui

(1) Expédition scientifique de Morée, ARCHITECture et Sculpture, t. II, pl. 61, fig. 1.

(2) Ouvrage cité, t. II, p. 71 et p. 77 du tirage à part in-8.

soit échu en partage, celui de dieu vengeur (1) et de dieu sauveur (2). Voilà pourquoi elle n'est pas vêtue de court, mais couverte de la tunique talaire et du peplus, comme la représentent plusieurs statues (3), bas-reliefs (4), médailles (5), et vases peints, dont le sens religieux ne saurait être contesté (6).

Ce n'est pas tout au flambeau que la déesse tient dans la main droite, nous reconnaissons Diane poopópos (7) ou пuppópos (8), c'est-à-dire Hécate ou la Lune (9). Sans doute, quand elle se présente comme telle, elle a déposé son arc et son carquois; elle porte un flambeau de chaque main (10), et mérite alors le surnom d'aupinupos que lui donne Sophocle (11); mais s'il est rare de la voir ἀμφίπυρος comme ici revêtue d'un double caractère : ce n'est cependant pas un fait absolument sans exemple même sur des monuments d'une antiquité respectable. Je me bornerai à citer le candélabre de la villa Albani (12), où elle porte l'arc et le carquois sur l'épaule et tient une longue torche dans la main droite, tandis que de la gauche elle

(1) A côté d'Apollon qui immole les fils de Niobé, Homère nous montre Diane perçant les filles de ses flèches (Il. w' 605 et suiv.) Voyez encore Elite des Monuments céramographiques, t. II, p. 29, note 4. C'est par assimilation au nom et aux surnoms de son frère, qu'elle reçoit ceux d'Añóλλovoz (Callimaque, H. à Diane, v. 125), d'ioxézıpa, de tošopópos, de luxɛíz, etc.

(2) Comparez à Apollon crap, Artémis reipa, surnom qu'elle portait à Pages en Mégaride, à Boes en Laconie, etc., etc., et qui lui est attribué sur une médaille d'or de Syracuse, où elle est représentée ayant derrière elle le carquois fermé et une lyre, tandis que sur l'autre face on voit la tête d'Apollon laurée et dans le champ å droite une cithare. Specimen of ancient coins, pl. 16.

(3) Museo Pio-Clementino, t. I, tav. 30, et t. II, tav: 48; Bekker, Augusteum, pl. II, pl. 45, Museo Borbonico, t. II, tav. 8, Winckelmann, Hist. des arts du dessin, t. I, p. 182, etc.

(4) Voyez Millin, Galerie mythologique, pl. VII, no 25, XXXV, 117, les planches qui accompagnent la traduction de la Symbolique de Creutzer, pl. LXV, fig. 250 f. et l'explication de ces planches, p. 123 et suiv.

(5) Choix de médailles grecques, publiées par M. le duc de Luynes, pl. VI, no 12. Zanetti, Antiche statue della libreria di San Marco, t. II, pl. IX. Thes. morell. imper. roman. Numi Augusti ex auro, tab. XI, no 33. Thesaur. morell. famil. roman. Claudia, tab. II, n° 1. Museum San-Clementinum, tab. 33, n° 355. Spanheim sur Callimaque, p. 169, etc.

(6) Les plus beaux exemples se trouvent réunis dans l'Élite des Monuments ceramographiques, t. II, 8, 10, 11, 12, 18, 24, 25, 26, 36 et suiv.

(7) Callim. H. à Diane, v. 11, 116 et 204 et Spanheim sur ces passages. On sait que Diane était adorée sous ce nom à Messène. Voy. Paus., liv. IV, ch. 31. (8) Sophocle, OEd. R. v. 201 et suiv, éd. de Wunder. Trachin. v. 214. (9) Voyez Jacobi, Dictionnaire de Mythologie gr. et lat, p. 138.

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(10) Voyez la médaille publiée par Spanheim sur Callimaque, H.à D. v. 11: Elite des Monum. céram., pl. 65, etc.

(11) Trachin. v. 214.

(12) Zoega; Bassiril. T. II, tav. :00.

relève un des plis de son double peplus (1). J'ajouterai qu'il me paraît très-vraisemblable que dans le principe la Diane de Dresde, celle du Museo Pio-Clementino et même celle du Museo Borbonico, offraient ce double attribut.

Parmi les lieux où le culte de Diane était en vigueur, Argos tient un rang distingué. Ce culte y datait de loin, car la déesse y était adorée sous l'une des formes les plus anciennes que les Grecs aient données à leurs divinités, celle d'une colonne en bois (2). On y voyait encore sa statue réunie à celle de Jupiter et de Minerve sur un édifice en bronze, situé non loin du temple de Latone, sa mère, et que l'on regardait comme le tombeau de Tantale (3). Elle y avait, sous le nom d'Ilithye, un temple qu'on voyait dans le voisinage de celui des Dioscures et qui lui avait été élevé par Hélène (4). Un second, un peu plus loin, lui était consacré sous le nom d'Hécate, et trois statues célèbres y reproduisaient son image. Une d'elles en marbre, était l'ouvrage de Scopas, et des deux autres, placées vis-à-vis, l'une était de Polyclète et l'autre de son frère Naucydès (5). Enfin, les Argiens honoraient Diane Pheræa, ainsi que les Athéniens et les Sicyoniens ; ils assuraient que la statue qui la représentait avait été apportée de Phères en Thessalie (6); or, suivant toute vraisemblance, elle était en bois, comme celle à laquelle les Sicyoniens attribuaient une même origine (7), ce qui serait une preuve de haute antiquité. Ainsi, Diane était adorée à Argos sous ses trois aspects différents; nous ne devons donc pas être surpris que sur un bas relief votif, provenant de cette ville, elle réunisse deux de ces caractères, et se présente à nous comme πυρφόρος et comme αλεξίκακος οι σώτειρα (8).

Il ne nous reste plus qu'à fixer l'âge de ce monument, qui n'est certes pas un des moins intéressants parmi ceux que j'ai recueillis durant mon voyage. L'inscription qui l'accompagne peut nous fournir quelque lumière dans cette recherche.

A en juger par la forme des caractères, cette inscription ne peut (1) Voyez encore Elite des Mon. céram., pl. 8, la médaille de la famille Claudia, citée plus haut où Diane est représentée l'arc et le carquois sur l'épaule et tenant un flambeau long de chaque main; la médaille du Museum San-Clemenlinum où Diane tient de la droite une flèche et de la gauche un flambeau. Millin, Galerie mythol., pl. II, fig. 32, et XXV, 78, etc.

(2) Paus. liv. II, 19, § 6.

(3) Paus. liv. II, ch. 22, § 2 et 4.

(4) Ibid., § 7.

(5) Ibid., § 8.

(6) Ibid., ch. 23, § 5.

(7) Ibid., ch. 10, § 6.

(8) C'est ce qu'indique surtout le carquois fermé.

être de beaucoup postérieure à l'Olympiade LXXXIV, aux environs de laquelle M. Bockh (1), et d'après lui M. Franz (2), placent avec beaucoup de vraisemblance, une inscription métrique provenant du Péloponnèse, dans laquelle on remarque déjà l'emploi des voyelles longues H et . Je crois devoir la donner ici en caractères courants, d'après la restitution qu'en a publiée M. Bockh, parce qu'en la comparant avec celle qui nous occupe, il ne sera pas impossible d'en déterminer exactement la provenance restée fort incertaine jusqu'à ce jour, et d'enrichir par là l'histoire de l'art d'un document assez curieux.

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Αρτεμι, σοὶ τόδ' ἄγαλμ' ἱερῇσ ̓ ὠδῖ[σιν ἀμοιβηὺ]
Ασφαλίω μήτηρ Φέρσις, [Ερ]ω θ[υ]γάτηρ.

Τῷ Παρίῳ ποίημα Κ[ολώτεω, οὗ ν]άε φεύγων.

Artémis (Ilithye), cette statue t'a été consacrée par Phersis, mère d'Asphalius, fille d'Eros, en reconnaissance du secours que tu lui as prété dans les saintes donleurs de l'enfantement (3).

Le Parien Colotes a fait cette statue ici, où il habitait pendant son exil.

Chose digne d'être citée, le lambda, sur notre monument, conserve cette forine archaïque, qui, comme on l'a déjà remarqué, paraît avoir être particulière à Argos (4). Il est à présumer que cette forme tout à fait locale eut plus de peine à disparaître que celle des autres lettres de l'alphabet archaïque, et il n'est pas surprenant de la retrouver ici unie aux caractères plus récents qui ont prédominé en Grèce jusque vers le commencement du second siècle avant notre ère. Quant à l'inscription métrique que je viens de reproduire, comme elle n'offre pas un caractère d'exactitude tel qu'on doive s'y fier sans examen; comme elle me paraît au contraire avoir été confiée à une main inhabile, je suis très-disposé, après l'avoir bien observée, à croire que sur l'original le lambda affecte aussi la forme argienne. En effet cette lettre ne s'y rencontre que deux fois et figurée de deux manières différentes. La première, le dessinateur l'a repré

(1) Corpus inscr. gr., no 66.

(2) Voyez sur le sens de ce monument Bockh; l.c.; Welcker, Sylloge epigr. gr., n' 120, et Franz, 1. c.

(3) Elementa Epigraphices græcæ, no 51, p. 122.

(4) Voyez Corpusinscr. gr., n° 14, 17, 18, 166. Voyez aussi Franz, Elem Epig. gr., p. 44 et no 28 et 50. L'inscription inédite que je publie ici fournit une nouvelle preuve à l'appui de l'opinion émise par M. Bockh sur l'origine du no 166.

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