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Jacques-Bénigne BOSSUET naquit à Dijon, capitale de la Bourgogne, le 27 septembre de l'an 1627. Il fut baptisé le 29 du même mois, jour de la fête de saint Michel, dans la paroisse de Saint-Jean.

Il étoit fils de Bénigne Bossuet, seigneur d'Assu, avocat et conseil des états de Bourgoghe, et de Marque Mouchet.

Il y avoit déjà plus d'un siècle que la famille des Bossuet étoit établie à Dijon, et occupoit plusieurs charges dans le parlement, lorsque Jacques-Bénigne Bossuet vint au monde. Bénigne Bossuet son père avoit eu dessein d'être conseiller; mais il trouva des difficultés, parce que six de ses plus proches parents avoient pour lors des charges dans la compagnie. C'est ce qui lui fit prendre la résolution de quitter Dijon, pour aller s'établir à Metz avec Antoine Bretagne, qui avoit été nommé, l'an 1653, premier président du parlement. Bénigne Bossuet fut conseiller de ce nouveau parlement. Il avoit deux fils. Antoine Bossuet, l'aîné, prit le parti de la robe, fut maître des requêtes, et dans la suite intendant de Soissons. Jacques-Bénigne Bossuet, second fils de Bénigne, et celui dont nous écrivons la vie, n'avoit que six ans lorsque son père changea de domicile. Il resta avec son frère à Dijon, sous la direction de Claude Bossuet, leur oncle, et parrain de Jacques-Bénigne, qui fit faire à ses neveux leurs premières études au collége des jésuites de Dijon.

Jacques-Bénigne étoit né avec les plus heureuses dispositions, et elles étoient cultivées par son oncle, homme de lettres, qui prenoit le plus grand plaisir aux succès d'un neveu qui se livroit à l'étude avec la plus grande ardeur. Son père revenoit de temps en temps à Dijon, et à chaque voyage il étoit étonné des progrès de son fils.

On rapporte que, dans un de ses voyages, il mena un jour son fils avec luí dans son cabinet. Le jeune Bossuet ouvrit par hasard un livre : c'étoit une Bible latine. Il en lut avidement quelques pages, et demanda la permission de l'emporter. A cette époque, il étoit encore en seconde. C'étoit la première fois qu'il lisoit la Bible: son âme éprouva une émotion qu'elle n'avoit point encore ressentie. Tous les charmes de la poésie et de la littérature profane s'éclipsèrent à l'aspect de ces grandes images qui déjà transportoient et exaltoient son imagination. Bossuet aimoit à se rappeler, dans la suite de sa vie, cette première impression. Il en retraçoit le sentiment avec la même vivacité qu'il l'avoit éprouvé, lorsqu'aux jours de son enfance cette lueur divine étoit venue briller à son esprit et échauffer son âme. »

M. Papillon assure qu'il avoit ouï dire à Pierre du Mai, conseiller au parlement, qui avoit fait ses premières études avec Bossuet, que dès l'âge le plus

1 Cette Vie fut écrite par Burigny, de l'Académie des Inscriptions, soixante ans après la mort de Bossuet, sur les Mémoires manuscrits de Ledieu, qui, depuis, servirent à la composition de l'ouvrage de M. de Bausset. Ces deux auteurs ont puisé aux mêmes sources. Toutefois Burigny avoit trop négligé de citer le texte même de Ledieu, et c'est particulièrement sous ce rapport que l'on a modifié son ouvrage, en y introduisant tous les passages qu'il avoit seulement indiqués. On a rectifié quelques erreurs et quelques jugements de Burigny, mais en ayant soin de les signaler par des guillemets.

tendre il étoit si laborieux, qu'il ne perdoit jamais aucun moment ; et que ses camarades, par une allusion digne de leur âge, l'appeloient Bos suetus aratro1.

Il étudia jusqu'en rhétorique chez les jésuites de Dijon. Son amour pour le travail, la supériorité de son esprit, ses dispositions à la vertu, firent naître à son régent de rhétorique le dessein de l'acquérir à la société. Il en parla plusieurs fois au jeune Bossuet, qui fit part à son oncle de ses sollicitations. Mais Poncle lui conseilla de ne point prêter l'oreille aux promesses et aux exhortations du jésuite, et, de crainte que son neveu ne se laissât gagner, il engagea Bossuet le père à envoyer son fils à Paris, où les grands talents sont toujours plus à portée d'être mieux cultivés que dans la province.

Il vint à Paris l'an 1642, pour y étudier la philosophie. Le crédit de son père, et les espérances qu'il donnoit, lui avoient déjà procuré un canonicat de Metz, qui lui fut donné le 24 novembre 1640.

« Une circonstance singulière servit à fixer dans sa mémoire l'époque de son arrivée à Paris. Le jour même où il arrivoit, le cardinal de Richelieu mourant y faisoit son entrée au milieu d'un peuple silencieux et consterné. Dix-huit de ses gardes, la tête nue, le portoient dans une chambre construite en planches, couverte de damas, ayant à côté de lui un secrétaire assis auprès d'une table, et prêt à écrire sous sa dictée : il venoit de laisser à Lyon le jeune Cinq-Mars et le vertueux de Thou entre les mains du bourreau!

» Peu de temps après, Bossuet vit le même cardinal exposé, sur son lit de mort, aux regards de ce même peuple que son retour avoit saisi d'étonnement et d'effroi. Il voulut aussi assister à la pompe funèbre de ce ministre si redouté. Déjà son âme aimoit à se recueillir dans les hautes pensées de la religion et de la mort. »

Ce fut au collège de Navarre qu'il étudia la philosophie. Le grand-maître de ce collége étoit le fameux Nicolas Cornet, si connu dans l'histoire des contestations auxquelles donna naissance le livre de Jansénius. Il avoit été jésuite : il les aimoit fort, et étoit attaché à leur doctrine. C'est lui qui, étant syndic de Sorbonne, dénonça, le 1er juillet 1649, à la faculté de théologie, les cinq fameuses propositions.

Il connut bientôt le mérite du jeune Bossuet. Il voulut prendre soin de la conduite et des études d'un sujet qui promettoit de faire honneur à son siècle. Bossuet a conservé toute sa vie une très-grande reconnoissance des bons offices que lui avoit rendus le grand-maître de Navarre. Il en parle avec cette satisfaction qui part du sentiment, dans l'oraison funèbre qu'il en fit l'an 1663. Il assure qu'il a trouvé dans ce personnage, avec tant d'autres qualités, un trésor inestimable de sages conseils, de bonne foi, de sincérité, d'amitié constante et inviolable. Il ajoute : « Puis-je lui refuser quelques fruits d'un » esprit qu'il a cultivé avec une bonté paternelle, ou lui dénier quelque part » dans mes discours, après qu'il en a été si souvent le censeur et l'arbitre? » Les études de l'abbé Bossuet ne se bornèrent point à la philosophie du collége. Il apprit le grec, et s'y rendit très-habile. Il lut tous les historiens grecs et latins, les orateurs, les poëtes; et avec une si grande attention qu'il en avoit retenu par cœur les endroits les plus brillants. Il les récitoit encore dans un âge plus avancé, quand les occasions s'en présentoient.

1 Bibliothèque des Auteurs de Bourgogne, page 62. Note 2.

Il étoit admirateur de la sublimité d'Homère, de la douceur de Virgile, de la force de Démosthène dans ses Philippiques, et de la majesté de Cicéron. On prétend que l'oraison Pro Ligario étoit celle dont il étudioit le plus l'éloquence.

Ces études n'empêchoient point l'abbé Bossuet de donner une grande partie de son temps à la lecture de l'Ecriture sainte, suivant le conseil de M. Cornet. Il ne fut jamais tenté d'étudier les mathématiques, non qu'il ne les crût utiles en elles-mêmes, mais parce qu'il étoit persuadé qu'un ecclésiastique pouvoit mieux employer son temps, que de le passer en des spéculations sèches qui n'avoient aucun rapport à la religion.

La philosophie de Descartes lui plut beaucoup; et M. Huet, ennemi déclaré du nouveau système, rapporte qu'ils eurent à ce sujet des contestations trèsvives, mais dont les violences ne dépassèrent jamais les bornes de l'honnêteté1. Bossuet soutint sa première thèse de philosophie sur la fin de l'année 1643. I la dédia à M. Cospean, pour lors évêque de Lisieux. C'étoit un prélat fort considéré à la cour. Il étoit prédicateur ordinaire de la reine-mère Anne d'Autriche: son mérite avoit été la cause de son élévation. Le duc d'Epernon ayant beaucoup oui parler de son éloquence, alla l'entendre au collège de Lisieux, où cet homme modeste bornoit ses talents à l'instruction de la jeunesse. Il en fut étonné : il en parla avec admiration à la cour. On voulut l'y voir : les dames pieuses le prirent pour leur directeur; et bientôt après il fut fait évêque d'Aire, ensuite de Nantes, d'où il passa à Lisieux.

L'abbé Bossuet brilla dans la thèse qu'il soutint. Il y avoit un grand nombre de prélats qui furent extrêmement contents du répondant.

Bientôt après on parla de lui dans Paris comme d'un prodige. Il en fut question à l'hôtel de Rambouillet, ce célèbre rendez-vous de presque tous les gens d'esprit de ce temps-là. Le marquis de Montausier offrit à la marquise de Rambouillet de lui faire faire connoissance avec ce jeune abbé, en qui il vantoit un talent très-singulier. Il assuroit qu'en l'enfermant dans une chambre sans lui donner de livres, et en lui marquant tel sujet de sermon que l'on voudroit, il en feroit un sur-le-champ qu'il réciteroit, et dont l'on seroit content. La marquise de Rambouillet eut de la peine à croire une chose si extraordinaire : elle souhaita d'en avoir la preuve. Le jeune abbé fut amené à l'hôtel de Rambouillet. En quelques heures de temps il fit le sermon sur le sujet qui lui avoit été prescrit, et il le prononça ensuite en présence d'une grande assemblée qui avoit été convoquée pour être témoin d'une merveille si extraordinaire. Le célèbre Voiture, qui étoit un des auditeurs, dit, à cette occasion, qu'il n'avoit jamais oui prêcher ni si tôt ni si tard. Il étoit onze heures du soir lorsque Bossuet faisoit ce sermon singulier, et il avoit alors seize ans. L'évêque de Lisieux, qui connoissoit déjà l'abbé Bossuet, ayant ouï parler de cette facilité merveilleuse de composer, voulut en être témoin. Il assembla deux évêques de ses amis: on envoya chercher le jeune abbé, qui étonna ses auditeurs. M. de Lisieux, après avoir donné quelques avis au jeune prédicateur, souhaita qu'il voulût répéter ce même sermon en présence de la reine-mère. Il lui recommanda en même temps de continuer de faire de bonnes études, parce qu'il est impossible de prêcher utilement, si l'on

Commentar,, pag. 388. Amicæ quidem ac acres tamen habitæ fuerant inter nos concer

tationes.

n'est bon théologien, et si l'on ne sait point parfaitement la morale. La présentation à la reine-mère n'eut pas lieu, parce que dans ce même temps M. Cospean eut ordre de se retirer dans son diocèse. Ce prélat étoit flamand. Avant cet exil, il avoit procuré à l'abbé Bossuet la connoissance de l'abbé de Rancé, depuis si célèbre sous le nom de l'abbé de la Trappe. Ils vécurent dans la plus grande liaison, surtout depuis que l'abbé de Rancé, revenu de ses dissipations, se prépara à donner à l'Eglise l'édifiant spectacle de la plus parfaite pénitence que l'on eût vue depuis les premiers anachorètes.

Sa retraite à la Trappe ne fit qu'augmenter son union avec Bossuet, qui y fit plusieurs voyages pour y voir son ami, et pour ranimer sa propre piété par un si grand exemple.

L'abbé de Rancé étant mort en 1700, les religieux de la Trappe, qui savoient jusqu'où alloit la vénération de Bossuet pour leur saint père, le prièrent d'en vouloir bien faire la Vie. Il n'en étoit pas éloigné : il chargea même M. de SaintAndré de lui chercher des mémoires. Il en fit aussi quelques-uns, dont M. Marsollier a eu connoissance, et dont il cite ces paroles1 : « Lorsque l'abbé ➜ de la Trappe commençoit à établir sa réforme, je fis trois ou quatre voyages → à son abbaye avec le père de Mouchy de l'Oratoire, pour y faire des retraites. → Nous allions en secret entendre les exhortations qu'il faisoit à ses religieux > au chapitre, après primes. Elles étoient si vives, si fortes et si touchantes, que nous ne pouvions retenir nos larmes. Tous ces religieux en sortoient » avec une nouvelle ferveur, et des sentiments d'une componction si extraor dinaire, que rien ne leur paroissoit impossible. »

Tandis que Bossuet se contentoit de recueillir quelques mémoires sur l'abbé de la Trappe, M. Marsollier en entreprit la Vie, à la sollicitation de Jacques II, Toi d'Angleterre, qui l'avoit beaucoup connu, et qui étoit rempli de la plus grande estime et du plus profond respect pour ce saint abbé. Bossuet pour Jors se borna à revoir une autre Vie qu'en avoit faite dom Pierre Le Nain, religieux de la Trappe, frère de M. de Tillemont.

Mais pour revenir aux premiers temps de Bossuet, il continuoit ses études au collège de Navarre avec les plus grands succès. Après avoir fini sa philoso-phie, il alla en théologie. M. Cornet fut si édifié de sa piété et si content de ses progrès, que, pour l'attacher à la maison de Navarre, il le fit recevoir de cette maison avant qu'il eût fait sa tentative, ce qui étoit contre la règle.

Il soutint cette thèse le 25 janvier 1648. Elle étoit dédiée au grand prince de Condé, que les victoires qu'il venoit de remporter à la tête des armées de France avoient rendu le plus célèbre général de l'Europe. Il vint à cet acte, suivi d'un nombreux cortége. Le jeune bachelier y brilla : « et la discussion fut très-bien soutenue. Elle intéressa si vivement le prince, que, frappé de l'éloquence de Bossuet, il fut tenté d'attaquer un jouteur si habile, et de lui disputer les lauriers même de la théologie. On sait que ce prince avoit fait des études fortes, graves et sérieuses, et qu'il ne pouvoit obtenir aucune grâce de son père, sans lui présenter sa demande dans une lettre écrite en latin, et d'un style assez élégant pour attester ses progrès.

» Bossuet se souvenoit avec plaisir de cette circonstance de sa vie, où il s'étoit trouvé pour la première fois en présence du grand Condé. Ce fut là

1 Chap. XIV du III livre de la Vie de l'abbé de la Trappe.

Gouget, tom. I. de la Bibliothèque ecclésiastique du dix-huitième siècle.

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