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1878 (2126 avant l'ère chrétienne), habitait cette ville. Soit que les Chaldéens, par des circonstances qui nous sont restées inconnues, eussent, mieux que les Brahmanes et les Mages, conservé le trésor des vérités primordiales que Dieu révéla au premier homme; soit, et cette seconde supposition me paraît la plus vraisemblable', qu'un contact immédiat avec le peuple de Dieu leur eût permis de recouvrer bientôt la portion de ce trésor qu'ils avaient perdue: toujours est-il certain que les traditions s'accordent à proclamer les Chaldéens le peuple de l'antiquité le plus versé, parmi les nations païennes, dans la connaissance de la théologie, de l'astronomie, et, par conséquent, de toutes les autres sciences que les anciens comprenaient sous la dénomination générale de théologie, la science par excellence, la science universelle. Cette supériorité non contestée aux Chaldéens nous explique l'immense influence qu'ils exercèrent sur tous les peuples de l'Asie occidentale. Nous les voyons surtout puissants à Babylone et à Ninive; là ils sont les ministres et les gardiens d'une religion qu'ils y avaient apportée, et qui, à son origine, dut avoir une grande analogie avec celle des Israélites; car on lit, dans le premier livre des Machabées, que les peuples païens recherchaient des copies du Livre de la loi pour en tirer les images de leurs divinités : Et expanderunt (Juda et fratres ejus) Libros legis, de quibus scrutabantur Gentes similitudinem simulachrorum suorum. Or, par Gentes, il faut certainement entendre ici les Phéniciens, les Syriens, les Assyriens, les Perses, les Arabes même, qui tous avaient reçu des Chaldéens d'Assyrie les dogmes fondamentaux de leurs systèmes religieux.

C'est à ces mêmes Chaldéens que les traditions recueillies par les Pères de l'Église attribuaient l'institution des mystères ; et ces traditions sont amplement confirmées par le témoignage des monuments religieux découverts sur le sol de la Babylonie, de l'Assyrie, de la Phénicie et de la Perse. Cette institution civilisa non-seulement les peuples païens de l'Asie occidentale, mais aussi les Grecs, à l'époque très-reculée où nous voyons apparaître dans les annales de la Grèce ces personnages illustres qui

1. A l'appui de cette supposition, on peut citer surtout l'étonnante conformité qui règne entre le récit du déluge tel qu'il se lit dans la Genèse, et le récit du même événement tel qu'on le trouve dans les fragments du Chaldéen Bérose, qui nous ont été conservés par Eusèbe. (Chronic., pars 1.)

2. Ch. 1, v. 48.

3. Voy. Nicétas, Schol. in Oration. Gregor. Nazianz.

Les brillantes découvertes récemment faites, non loin des ruines de Ninive, par M. P.-E. Botta et par M. H.-A. Layard, comme aussi une nouvelle exploration des monuments de l'ancienne Perse, ont heureusement, monsieur, ramené l'attention des érudits vers l'étude des antiquités figurées de l'Asie occidentale, et montré que le passage classique d'Hérodote 1 sur l'origine de la religion des Perses doit, ainsi que je l'ai fait dès l'année 1825, être pris dans toute son extension; c'est-à-dire qu'il faut admettre que les Perses, en recevant des Chaldéens d'Assyrie le culte de Mithra, reçurent nécessairement les types des emblèmes divins et des figures symboliques qu'on observe à Persépolis, à Nakhschi-Roustem, à Bi-Sutoun et ailleurs.

Ce préambule, que probablement vous trouverez trop long, m'a paru indispensable pour faire comprendre à vos lecteurs, monsieur, comment, en comparant entre eux les fragments qui nous restent des livres sacrés des Chaldéens d'Assyrie, des Phéniciens et des Perses, et les monuments de l'art que nous ont légués les divers peuples qui habitaient autrefois l'Asie occidentale, j'ai pu parvenir à retrouver la trace des principaux dogmes religieux de ces peuples.

L'exposition rapide que je vais faire de ces dogmes s'applique nominativement aux Perses. Elle se rapporte à l'époque où, abjurant une antique religion qui, très-analogue à celle dont les Védas, chez les Indiens, sont la fidèle expression, les premiers rois Achéménides se convertirent au système théogonique et cosmogonique que leur apportait, sous le titre de Zend-Avesta, Zoroastre, l'élève des Chaldéens d'Assyrie. J'ai donné la préférence aux Perses, parce que, d'une part, je considère la doctrine de Zoroastre comme un retour au système primitif de ses maîtres, système qui fut profondément altéré par les Assyriens. Ceux-ci non-seulement y introduisirent le culte d'une divinité féminine, mais transportèrent à cette divinité la prééminence que les Chaldéens attribuaient exclusivement à un dieu mâle ou androgyne. D'autre part, il m'est permis de voir, dans la prédilection de l'Écriture sainte pour les Perses, la preuve que je suis fondé à présenter leur système comme un témoin irrécu

1. I, 131.

2. Voyez la traduction française que mon savant confrère, M. Langlois, publie sous le titre de Rig-Véda ou Livre des Hymnes (1er et II volumes, Paris, 1848 et 1849, in-8°). C'est le premier des trois livres sacrés, écrits en sanscrit, qui sont e très-ancien fondement de la civilisation religieuse de l'Inde.

sable des conformités ou des analogies qui existaient entre les doctrines religieuses des Perses et celles des Juifs et des Chrétiens; et, par conséquent, comme une œuvre destinée à propager certaines idées par lesquelles la divine Providence semble avoir voulu disposer les esprits à recevoir les vérités sublimes qui, à un jour marqué, devaient être révélées par le Christ, et scellées de son sang sur la terre d'Orient. J'ai cru enfin, monsieur, entrer plus particulièrement dans vos vues, en vous offrant le moyen de compléter et même de rectifier, sur quelques points importants, les renseignements que, pour les précédentes éditions de vos Études philosophiques sur le Christianisme, vous avez tirés des Mémoires académiques d'Anquetil du Perron. Ce savant a rendu son nom immortel, en faisant connaître à l'Europe les livres sacrés des Perses; mais il lui a manqué pour l'intelligence du système théogonique et cosmogonique de Zoroastre, le secours puissant que fournit l'étude des monuments de l'art.

Zoroastre, répudiant le culte impie et licencieux des divinités féminines adorées chez les Babyloniens, les Ninivites, les Syriens, les Phéniciens, les Phrygiens, sous les noms de Mylitta, de Reine des Cieux (Méleket-aschschamaim), Aschtaroth ou Astarté, Dercéto, Atergatis, Rhéa ou Cybèle, etc., ne reconnaît que des dieux mâles ou androgynes : il reconnaît un dieu suprême, invisible, incompréhensible, sans commencement ni fin, et il le nomme Zarvána akarana (Zarouân), c'est-à-dire le Tempssans-bornes ou l'Éternel. De ce dieu suprême sont émanées deux divinités mâles : l'une bonne, c'est Ormuzd; l'autre mauvaise, c'est Ahriman. Le nom zend d'Ormuzd est Ahura-mazdão, qui signifie l'être vivant, très-savant 2. Ce dieu est aussi appelé Cpento mainyus, le Saint intelligent, par opposition à Ahriman, dont le nom zend, Angró Mainyus, signifie le Méchant intelligent, et non l'être caché dans le crime, comme le croyait Anquetil. D'Ormuzd est né le dieu Mithra, et d'Ahriman le dieu

1. C'est le Cronus, Kpóvog ou Xpóvos des Chaldéens, dont le nom signifiait aussi le temps, et qui est désigné, dans la vision de Daniel, par les mots Antiquus dierum. Les Oracula chaldaica l'appellent Kρóvos áπépavτos, et nous donnent ainsi, en grec, une traduction littérale du zend Zarvána akarana, le Tempssans-bornes.

2. Voy. M. Eug. Burnouf, Comment. sur le Yaçna, t. I, Ire partie, p. 70-82. 3. Ibid., p. 88 et suiv.

4. Mithra n'est point simplement le chef des Izeds, comme on l'a cru longtemps

Mithra-Daroudj, l'ennemi personnel de Mithra, comme Ahriman, la couleuvre à deux pieds, le serpent infernal, est l'ennemi personnel d'Ormuzd. Cet antagonisme, qu'on a appelé les deux principes, se poursuit; et, dans le Zend-Avesta 1, nous trouvons opposé à l'homme pieux, juste et pur, qui est l'incarnation de Mithra, un Mithra-Daroudj-homme, impie, méchant et impur, qui est l'incarnation de Mitha-Daroudj ou du péché.

Zarouân, Ormuzd et Mithra composent une triade divine, qui représente la pensée, la parole et l'action, et aussi les trois modes de temps; le temps-saus-bornes ou la sempiternité, le temps-limité, qui est la durée assignée à l'existence du monde créé, et le temps-périodique, qui se compose de la durée du mouvement du soleil et de la lune. Mais non-seulement les trois personnes de cette triade ne se confondent pas en un seul dieu, mais la seconde et la troisième, Ormuzd et Mithra, ne sont pas éternelles leur durée est limitée à celle du monde, qui est exprimée par un cycle symbolique de douze millénaires. A l'expiration de ce cycle, c'est-à-dire lorsque la dualité devra rentrer dans l'unité, Ormuzd et Mithra, Ahriman et Mithra-Daroudj, ainsi que tout ce que renferme le monde créé, s'absorberont dans le sein de Zarouân ou de l'Éternel 2.

Sur les monuments figurés des Perses leur triade divine est représentée par un emblème très-ingénieusement composé, d'autant plus digne d'une mention particulière, qu'il va nous rappeler le langage symbolique de la Bible, et que nous ne possédons pas le chapitre où Zoroastre traitait de la triade. C'est un grand cercle ou une couronne, dont le centre est occupé par la moitié supérieure d'une figure humaine, implantée sur le corps et les ailes d'une colombe 3. Le cercle ou la couronne", symbole avec Anquetil. Dès l'année 1826, j'ai avancé qu'il était un des trois dieux des Perses; et mon opinion sur ce point s'est trouvée justifiée par le témoignage d'une inscription gravée en caractères cunéiformes sur les murs de Persépolis, au temps d'Artaxerxès. Après le nom d'Ormuzd, on y lit ces mots zends: Mathra baga, c'est-à-dire Mithra dieu. Voy. M. Lassen, Ueber die Keilinschriften der ersten und zweiten Gattung, p. 181; Bonn, 1845, in-8°.

1. T. I, 2e partie, p. 196, no 1; p. 287, no 1; t. II, p. 205, 211, 224. 2. Zend-Avesta, t. 1, 2o partie, p. 28 et 82 (note 10); t. II, p. 223 et ailleurs. Voyez Mém. de l'Acad. des inscript., nouvelle série, t. XIV, 2° partie, p. 68-175.

3. Voy. mes Recherches sur Mithra, pl. II, no 18 et 32; et pl. III, no 1-3. 4. Rappelons-nous que le dieu des Chaldéens, entre autres noms, portait celui de Cronus, Kpóvos, identique avec Xpóvos, qui est le nom de Saturne chez les Grecs, et qui signifie le temps; et remarquons l'origine commune des mots co

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