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vous vous-même, et ne faites cas de vous-même qu'à cause que vous êtes consacré à Dieu. Tirez de là tout votre prix, attendez de là tout ce que vous espérez de sainteté. O le grand don! que vous avez à offrir à Dieu le corps et le sang de Jésus Christ, que tous les jours vous pouvez offrir à Dieu en sacrifice. C'est ce don qui sanclifie l'autel et le temple, et ceux qui s'offrent dans le temple. (BOSSUET.)

12. Malheur à vous, Scribes et Pharisiens hypocrites! qui payez la dime de la menthe, après avoir abandonné les points les plus importants de la loi, la justice, la miséricorde et la foi. — Par quelle erreur de l'esprit humain arrive-t-il qu'on observe la loi en partie, et qu'on ne l'observe pas tout entière, qu'on en observe les petites choses, comme de payer la dîme des plus vils herbages, et qu'on omet les plus grandes la justice, la miséricorde, la bonne foi. Dans cel air d'exactitude qu'on se donne, en étendant ses soins jusqu'aux moindres observances, il y a une ostentation insupportable. Mais il faut encore remarquer ici quelque chose de plus intime. On observe volontiers dans la loi ce qui ne coûte rien à la nature, où les passions ne souffrent point de violence, on le sacrifie aisément à Dieu. On ne veut pas avoir à se reprocher à soi-même qu'on est un impie ; on s'acquitte envers Dieu par de petites choses, et on se flalte d'avoir satisfait. Mais la lumière éternelle vous foudroie: il fallait s'attacher à ces grandes choses, mais sans omettre les moindres. Il ne faut pas s'y attacher comme aux principales, ni les mépriser non plus à cause qu'elles sont petites. Voyez ce que Jésus estime : la justice, la miséricorde, la bonne foi. (BOSSUET.)

12. Ces choses, il fallait les accomplir, et ne pas omettre les autres. - Ce n'est pas l'hérésie scule qui a prétendu borner tout culte à l'intérieur, et regarder toutes les pratiques sensibles comme des superstitions populaires ou des dévotions inutiles. On peut dire que cette orgueilleuse erreur a régné de tous temps dans le monde. Nous entendons dire tous les jours que la véritable piété est dans le cœur; qu'on peut être juste, sincère, humain, généreux, sans lever l'étendard, sans courir à toutes les dévotions; et que les devoirs du christianisme sont plus spirituels, plus sublimes, plus dignes de la raison, que tout ce détail de pratiques religieuses auxquelles on assujettit les simples. Vous dites, homme du monde, que l'essentiel de la dévotion est dans le cœur, ce que je vous accorde volontiers; et vous ajoutez que tous

ces dehors sont inutiles; mais répondez-moi : en bannissant cet extérieur que vous croyez si inutile, êtes-vous du moins fidèles à cet essentiel dans lequel vous vous retranchez? En méprisant tout ce que vous croyez de surcroît dans la religion, accomplissez-vous du moins tout ce dont la loi de Dieu vous fait un devoir indispensable? En croyant qu'il suffit de donner le cœur à Dieu, le lui donnez-vous du moins, tandis que les dehors sont encore au monde? J'en appelle ici à votre conscience. Glorifiez-vous Dieu dans votre corps, et ne le faites-vous pas servir à des passions injustes? Remplissez-vous vos devoirs de père, d'époux, de maître, d'homme public, de chrétien? N'avez-vous rien à vous reprocher sur l'usage de vos biens, sur les fonctions de vos charges, sur la nature de vos affaires, sur le bon ordre de vos familles? Porlez-vous un cœur libre de toute haine, de toute jalousie, de toute animosité envers vos frères? leur innocence, leur réputation, leur fortune ne perd-elle jamais rien par vos intrigues ou par vos discours? Préférez-vous Dieu à tout, à vos intérêts, à votre fortune, à vos plaisirs, à vos penchants? Vous renoncez-vous sans cesse vous-mêmies? Vivez-vous de la foi? Comptez-vous pour rien tout ce qui passe? Regardez-vous le monde comme l'ennemi de Dieu ? Gémissez-vous sur l'égarement de vos mœurs passées? Portez-vous un cœur pénitent, humilié, brisé, sous un extérieur encore mondain? Avez-vous horreur de la seule apparence du mal? en fuyez-vous les occasions? en cherchezvous les remèdes? Voilà cet essentiel que vous nous vantez tant; y êtes-vous fidèles? Non : il n'est que les âmes livrées au monde et à ses amusements qui nous redisent sans cesse qu'il suffit de donner le cœur à Dieu, et que c'est là l'essentiel. (MASSILLON.)

13. Guides aveugles ! un moucheron, vous l'écartez minutieusement; et un chameau, vous l'avalez. - Que le monde est plein de ces fausses piétés! Ils ne voudraient pas qu'il manquât un Ave Maria à leur chapelet. Mais les rapines, mais les médisances, mais les jalousies, ils les avalent comme de l'eau; scrupuleux dans les petites obligations, larges sans mesure dans les autres. C'est encore la même chose que ce qui est dit plus haut: Ils étendent des parchemins où ils écrivaient des sentences de la loi de Dieu conformément au précepte du Deutéronome. Soit que ce fût une espèce d'allégorie, ou une obligation effective, ils voulaient bien avoir ces sentences roulantes et mouvantes devant les yeux, mais ils ne se souciaient pas d'en avoir l'amour dans le cœur. Il était commandé aux Israélites, pour se distinguer des autres

peuples, d'avoir des franges au bord de leurs robes qu'ils nouaient avec des rubans violets. Ce qui leur était un signal, qu'ils devaient être attentifs à la loi de Dieu, et ne laisser pas errer leurs yeux et leurs pensées dans les choses qu'elle défendait. Les Pharisiens se faisaient de grandes franges, où ils dilataient ces bords de leurs robes, comme gens bien attentifs à la loi de Dieu, qui attendaient ce qui était destiné à en rappeler la mémoire. C'est tout ce que Dieu en aura une vaine parade, une ostentation, une exactitude apparente aux petits préceptes aisés, d'ailleurs un mépris manifeste des grands et un cœur livré aux rapines et à l'avarice. Prenez garde dans les religions. Un voile, l'habit de l'ordre, les jeûnes de règle. Mais que veut dire ce voile? Pourquoi est-il mis sur la tête? comme l'enseigne de la pudeur et de la retraite. C'est à quoi il fallait penser et ne mépriser pas les petites choses qui sont en effet la couverture et la défense des grandes; mais aussi ne pas s'imaginer que Dieu se paie de cette écorce et de ces grimaces. (Bossuet.)

15-16. Pharisien aveugle, nettoie le dedans de ta coupe. — Malheur à vous, parce que vous ressemblez à des sépulcres blanchis. Car la pureté vient du dedans et se doit répandre de là sur le dehors. Autrement, malgré ton hypocrisie, l'infection du dedans se produira par quelque endroit. Ta vie se démentira, ton ambition cachée sera découverte, et avec l'infamie de ton ambition, celle de ton hypocrisie attirera la haine du genre humain. Quelle affreuse idée d'un hypocrite! C'est un vieux sépulcre, tout s'y démentait; on l'a reblanchi et il paraît beau au-dehors; il peut même paraître magnifique. Mais qu'y a-t-il au-dedans? Infection, pourriture, des ossements de morts dont l'attouchement était une impureté selon la loi. Tel est un hypocrite, il a la mort dans le sein; que sera-ce, et où se cachera-t-il lorsque Dieu révélera le secret des cœurs; et qu'on verra ces choses honteuses qui se passaient dans le secret et qu'on a honte de prononcer? (BOSSUET.)

18-19-20. Malheur à vous qui bâtissez des tombeaux aux prophètes et qui diles: Si nous eussions été aux jours de nos pères.... Ainsi vous rendez vous-mêmes témoignage. Voici le comble de l'hypocrisie. Des actions de piété pour donner couleur au crime: Vous bâtissez les sépulcres des prophètes et ornez les monuments des justes. Qu'il est aisé de les honorer après leur mort, pour acquérir la liberté de les persécuter vivants! Ils ne vous disent plus mot et vous pouvez les honorer

sans qu'il en coûte à vos passions. On fait aisément les actes de piété qui ne donnent point de peine. On parera un autel, on y placera les reliques, tout y sera propre et orné; on bâtira des églises et des monastères; les actions de piété éclatantes, loin de rebuter, on s'en fait honneur. Venons à la pratique de la piété et à la mortification des sens, on n'y veut pas entendre. Les Juifs étaient prêts à faire mourir le prophète par excellence et ses apôtres, et ils disaient: Si nous eussions été du temps de nos pères, nous n'eussions pas persécuté les prophètes. Vous êtes leurs vrais enfants, puisque vous voulez faire comme eux et vous voulez avoir tout ensemble, et la gloire de détester le crime, et le plaisir de vous satisfaire en le commettant. Mais vous ne trompez pas Dieu. Au lieu de recevoir les vaines excuses que vous semblez vouloir faire aux prophètes, il vous punira de tous les crimes que vous avez imités; à commencer par celui de Caïn, dont vous avez imité la jalousie sanguinaire. Le moyen de désavouer vos pères, est de cesser de les imiter. Que si vous les imitez, les tombeaux que vous érigez aux prophètes, serviront plutôt de monument pour conserver la mémoire des crimes de vos ancêtres, que de moyen de les éviter. C'est pourquoi il y a dans saint Luc: Vous témoignez assez que vous consentez à ce qu'ont fait vos pères, puisque vous bâtissez des tombeaux aux prophètes qu'ils ont tués. Car en bâtissant leurs sépulcres pendant que dans votre cœur vous désirez d'en faire autant aux prophètes que vous avez parmi vous, vous montrez bien que cet extérieur de piété ne tend qu'à couvrir vos noirs desseins, et à les exécuter plus sûrement en les cachant. (BOSSUET.)

21. Remplissez la mesure de vos pères. On mérite le supplice de ceux qu'on imite; Dieu n'impute pas seulement le péché des pères aux enfants, mais encore celui de Caïn quand on en suit la trace. Et il y aura parmi les méchants qui se seront imités les uns les autres une société de supplices; comme parmi les bons qui auront vécu en unité d'esprit, une société de récompenses. Jésus-Christ a prédit un supplice affreux aux Juifs, et en effet le monde n'en avait jamais vu de semblable. Tout viendra fondre, ajoute Notre-Seigneur, sur cette génération. Le temps approchait et ceux qui étaient vivants le pourraient voir. Appliquons-nous à nous-mêmes ce que nous venons de voir. Chacun persécute le juste lorsqu'on le traverse, lorsqu'on en médit, lorsqu'on le tourmente en cent façons. Et on dit en lisant la vie des saints, où l'on voit la persécution des justes: Je ne ferais pas comme cela, et on le fait, et on ne s'en aperçoit pas, et on attire sur soi la

peine de ceux qui ont persécuté les gens de bien. Tout est écrit devant moi, dit le Seigneur dans Isaïe, je ne m'en tairai pas, je vous rendrai la juste punition de vos péchés. Je mettrai dans votre sein vos péchés et ensemble les péchés de vos pères, et je mettrai dans leur sein à pleine mesure leur ancien ouvrage. (BOSSUET.)

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26. Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme la poule rassemble ses petits sous ses ailes ? et tu ne l'as point voulu! Comme il a pleuré Jérusalem! Avec quelle tendresse il a présenté ses ailes maternelles à ses enfants qui voulaient périr! Une poule, c'est la plus tendre de toutes les mères. Elle voudrait reprendre ses petits, non pas sous ses ailes, mais dans son sein, s'il se pouvait. Digne d'être le symbole de la miséricorde divine! Je trouve trois lamentations de notre Sauveur sur Jérusalem, dont celles de Jérémie n'égaleront jamais la tendresse. A son entrée: Ha! si tu savais au moins en ce jour qui t'est encore donné, ce qui peut t'apporter la paix! Ici: Jérusalem, Jérusalem! Allant au calvaire: Filles de Jérusalem, pleurez sur vous-mêmes. Heureuses les stériles, heureuses les entrailles qui n'ont point porté d'enfant ! et les mamelles qui n'en ont point allaité! O malheureuse Jérusalem! ô âmes appelées et rebelles! que vous avez été amèrement pleurées! Revenez donc aux cris empressés de cette mère charitable, ses ailes vous sont encore ouvertes. Ha! pourquoi voulez-vous périr, maison d'Israël? Vous ne me verrez point, jusqu'à ce que vous disiez: Bienheureux celui qui vient au nom du Seigneur. Ces dernières paroles depuis ces mots : Jérusalem, Jérusalem, ont déjà été dites avant l'entrée du Sauveur. Et alors il voulait dire qu'on ne le reverrait plus jusqu'au jour de cette entrée. Ici l'entrée était faite, et il veut dire qu'il s'en allait jusqu'au dernier jugement, qui n'arriverait pas que les Juifs ne fussent retournés à lui et ne le reconnussent pour le Christ. Le Sauveur a achevé ce qu'il voulait. Il a établi l'autorité de la chaire de Moïse, il a fait voir les abus, il a expliqué le châtiment, il n'a pas tenu à sa bonté qu'ils ne l'aient écouté, et ils ont voulu périr. O quel regret pour ces malheureux! O quelle augmentation de leur supplice! Apprenons à louer la miséricorde divine dans les jugements les plus rigoureux, car ils ont toujours été précédés par les plus grandes miséricordes. Combien de fois ai-je voulu ! Ce n'est pas une fois que vous m'avez appelé, ô la plus tendre de toutes les mères, et je n'ai pas écouté votre voix. (BossUET.)

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