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nous le demandons, quel motif eût pu les déterminer tous à favoriser ce changement? Quel avantage pouvaient-ils se promettre, tandis qu'ils étaient sous le couteau de la persécution, à soutenir et à pratiquer un nouveau dogme qui ne pouvait être qu'un sujet de triomphe pour les cérinthiens, les valentiniens, les marcionites, les ariens et autres ennemis de l'Église, et une occasion, pour les païens, de calomnier les chrétiens de la manière la plus atroce? Concluons donc que le mystère de la présence réelle n'a pu être inventé ni depuis la mort des apôtres, au cinquième siècle, ni du cinquième siècle au neuvième, ni du neuvième au temps de la Réforme. Donc, ce dogme a toujours été reçu dans l'Église; donc, il vient des apôtres et de Jésus-Christ; donc, encore une fois, on doit l'admettre, sous peine d'encourir les anathèmes de Notre-Seigneur : Celui qui ne croira pas, sera condamné · Qui non crediderit, condemnabitur.

SIV. Peut-on démontrer que la présence réelle de Jésus-Christ dans l'eucharistie soit impossible?

763. Il en est de la présence réelle comme de la trinité des personnes en Dieu, de l'incarnation du Verbe, de la prédestination, de la résurrection des corps, de l'éternité des peines; c'est un mystère, un mystère incompréhensible; il est inaccessible à nos sens, aux investigations de l'intelligence humaine. Ce serait donc évidemment s'écarter des règles de la sagesse, que d'examiner philosophiquement, ne prenant pour guide que la raison, si la présence réelle de Jésus-Christ dans l'eucharistie est possible ou non. Tel ou tel mystère existe-t-il? tel ou tel dogme est-il révélé? tel ou tel sacrement qui déroge au cours ordinaire de la nature, aux lois du monde physique, est-il d'institution divine? Voilà l'objet de notre examen; voilà quelle doit être l'étude du sage, du chrétien, du vrai philosophe. Or, nous l'avons prouvé, et par l'autorité de l'Église, sans laquelle c'en est fait de la foi chrétienne, et par les saintes Écritures, dont le sens que nous leur avons donné s'uccorde parfaitement avec les traditions apostoliques, et par l'enseignement des saints Pères, et par la croyance générale de tous les temps, le corps de Jésus-Christ est réellement présent dans le sacrement de l'eucharistie, en vertu de la puissance divine, qui l'emporte autant sur les conceptions de l'homme, quel que soit sor génie, que l'infini l'emporte sur le fini, le Créateur sur la créature. Donc, la présence réelle est possible. Il faudrait donc être Juif pour

demander comment Jésus-Christ, le Fils de Dieu, peut nous donner sa chair à manger.

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764. « Ce comment, disait saint Cyrille d'Alexandrie, est tout « à fait judaïque, et sera la cause du dernier supplice. Car ceux-là seront justement réputés coupables des crimes les plus graves, qui osent attaquer, par leur incrédulité, le suprême Créateur de a toutes choses, et qui, sur ce qu'il veut opérer, ont le front d'en chercher le comment. L'esprit brut et indocile rejette comme « extravagant tout ce qui est au-dessus de sa portée ; son ignorante « témérité le porte à un orgueil extrême.... Les Juifs devaient, sans « hésiter, recevoir les paroles du Sauveur, dont ils avaient admiré plusieurs fois la vertu toute divine, et cette puissance invincible a sur la nature, qu'il leur avait montrée lui-même par ses prodiges. Et les voilà qui profèrent encore sur Dieu cet insensé comment, comme s'ils ne sentaient pas que cette manière de parler est un blasphème, puisque dans Dieu réside le pouvoir « de faire tout ce qu'il veut.... Que si tu persistes, ô Juif, à proférer « ce comment, je te demanderai à mon tour, moi, comment la verge de Moyse fut changée en serpent, comment les eaux fu« rent changées en sang? Il convenait donc d'en croire à Jésus« Christ et d'ajouter foi à ses paroles, plutôt que de s'écrier si in« considérément, si témérairement Comment peut-il, celui-ci, ◄ nous donner sa chair à manger?... Pour nous, en recevant les « divins mystères, ayons une foi exempte de toute curiosité. Voilà • ce qu'il faut, et non point faire entendre de comment aux paroles « qui s'y disent (1). » Tel est le langage des Pères, lorsqu'ils parlent du mystère de l'eucharistie. « Pourquoi, dit saint Jean Chrysostome, vous efforcez-vous de sonder ce qui n'a point de fond? Pourquoi cherchez-vous à comprendre des choses incompréhensibles? Pourquoi voulez-vous pénétrer ce qui est impénétrable (2)? « Ne prétendons point juger les choses divines par la raison, ni les assujettir aux lois et aux nécessités de la nature. Croyons Dieu « en toutes choses, et ne le contredisons point, quoique ce qu'il « nous dit nous semble contraire à nos pensées et à nos yeux. Que l'autorité de sa parole soit plus forte sur nous que nos yeux et « nos pensées. Ainsi donc, puisque c'est sa parole qui nous dit, « Ceci est mon corps, soyons-en persuadés, croyons-le, et voyonsle avec les yeux de la foi (3). Celui qui est doué de l'œil de la foi,

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(1) Liv. IV, sur saint Jean, c. VI. mélie xxu sur saint Jean.

(2) Homélie vi, sur saint Jean.

(3) 110

« dit saint Éphrem, aperçoit Dieu dans une clarté intuitive; et, « d'une foi pleine et assurée, il mange le corps sacré et boit le sang « de l'agneau sans tache, sans se livrer, sur cette sainte et divine

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doctrine, à des recherches curieuses.... Pourquoi vouloir péné« trer ce qui est impénétrable? Si vous sondez avec curiosité, vous « ne méritez plus le nom de fidèle, mais celui de téméraire. Soyez - donc innocent et docile. Participez au corps immaculé et au sang du Seigneur avec une foi très-pleine, assuré que vous mangez l'agneau tout entier. Car les mystères du Christ sont un feu « immortel: gardez-vous de les scruter avec témérité, de peur « qu'en y participant vous n'en soyez consumé.... Pour moi, ne pouvant saisir par la pensée les mystères du Christ, je n'ose m'a«vancer plus loin, ni essayer d'atteindre à la hauteur de ces mys« teres profonds et sacrés; et si j'en voulais parler audacieusement, « je ne les comprendrais pas davantage. Je ne serais qu'un téméraire, un insensé, battant l'air de mes vains et inutiles efforts; ⚫ car l'air échappe à toute prise par sa rareté et sa ténuité : et ces saints, ces adorables, ces redoutables mystères, outre-passent « toutes les forces de mon génie (1). •

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ARTICLE IV.

Si dans l'eucharistie la substance du pain et du vin est changée au corps et au sang de Jésus-Christ.

765. Il est de foi que, dans le sacrement de l'eucharistie, la substance du pain et du vin est changée au corps et au sang de Jésus-Christ, de sorte qu'après la consécration il ne reste du pain et du vin que les espèces ou apparences, qui frappent nos sens comme avant la célébration des saints mystères. Voici la décision du concile de Trente : « Si quelqu'un dit que, dans le très-saint « sacrement de l'eucharistie, la substance du pain et du vin reste • conjointement avec le corps et le sang de Notre-Seigneur JésusChrist, et nie cette admirable et singulière conversion de toute « la substance du pain au corps, et de toute la substance du vin au asang de Jésus-Christ, ne restant seulement que les espèces du pain et du vin; laquelle conversion l'Église catholique appelle du ⚫ nom très-propre de transsubstantiation; qu'il soit anathème (2). »

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(1) Sermon contre la curiosité à sonder la nature de Dieu. — (2) Si quis dixe rit, in sacrosancto eucharistiæ sacramento remanere substantiam panis et vini una cum corpore et sanguine Domini nostri Jesu Christi, negaveritque mirabi

IT.

32.

Ce décret est dirigé contre ceux des protestants qui, tout en admettant la présence réelle, prétendent que la substance du pain et du vin n'est point détruite, mais que Jésus-Christ est, dans l'encharistie, ou par impanation, comme le pensait Osiandre, c'est-àdire par l'union réelle ou hypostatique du corps de Notre-Seigneur avec le pain; ou par consubstantiation, comme le veulent généralement les luthériens, qui soutiennent que le corps de JésusChrist est présent avec la substance, ou sous la substance, ou dans la substance du pain. Ces deux systèmes ont été condamnés par le dernier concile général, dont le jugement est d'ailleurs conforme à l'Écriture sainte et à la tradition.

766. Premièrement, ce jugement est fondé sur l'Écriture sainte. De l'aveu de nos adversaires, les paroles de Notre-Seigneur. Ceci est mon corps, ceci est mon sang, expriment clairement la présence réelle. Or, cela posé, nous faisons le raisonnement suivant: Ou le corps de Jésus-Christ est présent dans l'eucharistie par impanation; ou il y est présent par consubstantiation; ou il y est présent par transsubstantiation. Il n'y est point présent par impanation: ce système est si absurde, qu'il ne trouve plus de partisans parmi les protestants. On ne peut dire non plus qu'il y soit présent par consubstantiation, qu'il s'y trouve conjointement avec la substance du pain, de quelque manière qu'on l'explique; car Jésus-Christ n'a pas dit: Ici. dans ce pain, sous ce pain, avec ce pain, est mon corps, ¿ci, dans ce vin, sous ce vin, avec ce vin, est mon sang; mais bien, Ceci est mon corps, ceci est mon sang : c'est-a-dire, Ceci que je tiens en mains devient, par la vertr de mes paroles, et est véritablement mon corps et mon sang, convertit, se change, se transsubstantie en mon corps et en mon sang. Ces paroles ne sont pas susceptibles d'un autre sens. Le pronom ceci ne peut se rendre par l'adverbe ici, à moins que la chose qui se voit ne soit destinée par sa nature à en contenir une autre, ou que ceux à qui l'on parle ne soient prévenus du sens qu'on lui donne. D'après l'usage on peut bien dire, en montrant un vase qui contient des liquides, ceci est du vin; ce qui répond à cette proposition : ici est du vin ; personne ne s'y méprend. Mais le pain et le vin ne sont point destinés, de leur nature, à contenir le corps et

lem illam et singularem conversionem totius substantiæ panis in corpus, et lotius substantiæ vini in sanguinem, manentibus duntaxat speciebus panis et vini; quam quidem conversionem catholica Ecclesia aptissime transsubstantiationem appellat; anathema sit. Sess. xi, can. 11. - Voyez aussi le ch. iv de la même session

le sang de Jésus-Christ; et Jésus-Christ n'a point averti ses disciples que le pain et le vin contenaient son corps et son sang. On ne peut donc admettre la consubstantiation. Donc il faut reconnaître que le corps et le sang de Jésus-Christ sont présents dans le sacrement de l'eucharistie par transsubstantiation, ou, ce qui revient au même, que la substance du pain est changée au corps, et la substance du vin est changée au sang de Jésus-Christ. Et c'est dans ce sens que l'Église a toujours entendu ces paroles de

l'institution de l'eucharistie.

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767. Secondement, les Pères ont enseigné la transsubstantiation, comme on le voit par les auteurs des neuf premiers siècles, que nous avons cités dans l'article précédent. Suivant saint Ignace d'Antioche, l'eucharistie, ou ce qui est dans l'eucharistie, est la chair de Jésus-Christ: il ne dit pas que l'eucharistie est la chair de Jésus-Christ avec le pain, ou le pain avec la chair de JésusChrist. Saint Justin dit positivement que la nourriture eucharistique, étant sanctifiée par la prière et l'action de grâces du Verbe, est la chair et le sang de Jésus. Tertullien: Le Seigneur a fait le pain son propre corps, en disant: Ceci est mon corps. Origène : Les dons offerts dans l'eucharistie sont faits, devenus le corps de Jésus-Christ. Saint Cyrille de Jérusalem : « Aux noces de Cana, - Jésus-Christ a changé de l'eau en vin, et nous estimerons qu'il « n'est pas assez digne pour nous faire croire, sur sa parole, qu'il ait changé du vin en son sang! Encore que les sens nous rapportent que cela n'est pas, la foi doit nous persuader que cela « est. Ne jugez donc pas de cette vérité par le goût, mais par la foi. Ce qui paraît du pain à nos yeux n'est pas du pain, quoique le goût le juge tel, mais le corps de Jésus-Christ. Ce qui paraît du vin à nos yeux n'est pas du vin, quoique le goût le prenne pour du vin, mais le sang du Christ. » Saint Grégoire de Nysse: Le pain sanctifié par la parole de Dieu est changé au corps de Jésus-Christ. La nature des choses qui paraissent dans le sacrement « est transélémentée au corps de Jésus-Christ. » Ce mot transélémentée répond parfaitement au mot transsubstantiée. Saint Ambroise prouve le mystère de la présence réelle par la puissance de Dieu, disant que celui qui a pu de rien faire ce qui n'existait pas, peut changer la nature des choses qui existent. Il ajoute que le pain est du pain avant la consécration, mais qu'il devient, par la consécration même, la chair de Jésus-Christ. Saint Jean Chrysostome: «On doit, au sujet du mystère de l'eucharistie, s'en rapporter ‹ à la parole de Dieu, encore que ce qu'il nous dit paraisse con

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