SUPPLÉMENT AU RÉPERTOIRE MÉTHODIQUE ET ALPHABÉTIQUE DE LÉGISLATION, DE DOCTRINE ET DE JURISPRUDENCE 1. Nous n'avons que peu de documents à ajouter à l'aperçu qui a été donné au Rép. no 8, des législations étrangères en matière de bornage. La plupart de ces législations ne font que reproduire à peu près textuellement l'art. 646 c. civ. En Belgique, dans le grand duché de Luxembourg et dans le canton de Genève, le code civil français est toujours en vigueur. Dans son avant-projet de réforme du code civil pour la Belgique, M. Laurent conserve les dispositions de l'art. 646, mais en les plaçant avec raison dans le chapitre consacré aux droits du propriétaire et non plus parmi les servitudes dérivant de la situation des lieux. Les art. 678 du code civil néerlandais, 441 du code civil du royaume d'Italie (reproduction de l'ancien art. 561 du code sarde), 596 du code civil du canton de Zurich, 487 du code civil du canton du Valais reproduisent textuellement la disposition de l'art. 646. Il en est de même des art. 435 du code civil et 7 du code rural du canton de Vaud; les art. 8 et suiv. de ce dernier code réglementent, en outre, la procédure à suivre pour arriver au bornage des propriétés; enfin l'art. 5 de la loi du 18 nov. 1863 rend le bornage obligatoire, lorsque la levée du plan d'une commune a été ordonnée. Les art. 238 du code du canton du Tessin et 471 du code du canton d'Argovie ne diffèrent que dans la forme de l'art. 646. On peut citer, en outre, comme présentant quelque intérêt les dispositions suivantes: l'art. 512 du code du canton de Fribourg, qui reproduit la première phrase de l'art. 646; l'art. 513, du même code, qui après avoir posé certaines règles sur la manière dont doit procéder le juge du bornage, ajoute: « les frais du bornage sont supportés SUPPL. AU RÉP, TOME II. dans la proportion de l'intérêt que chacun y a», et tranche ainsi une controverse qu'a fait naître la rédaction de l'art. 646 c. civ. (V. Rép. no 68, et infrà, no 29); l'art. 1er de la loi sur les délimitations, bornages, servitudes, etc., du canton de Saint-Gall est ainsi conçu: « Tout propriétaire d'un immeuble, que ce soit un fonds de terre ou un bâtiment, a le droit de demander sa délimitation exacte d'avec tout immeuble attenant, et le renouvellement des bornes et autres marques de limite devenues méconnaissahies; en cas de refus du voisin, il peut l'y faire contraindre par l'autorité. » Les art. 2 à 4 de la même loi règlent la procédure à suivre. 2. La matière du bornage a été traitée, depuis la publication du Répertoire d'une part, dans les traités généraux qui ont été publiés sur l'ensemble du droit civil (V. notamment: Demolombe, Cours de code civil, t. 11, ou Traité des servitudes, t. 1, nos 239 à 282; Demante, Cours analytique de code civil, t. 2, nos 500 à 502; Aubry et Rau, Cours de droit eistl français, 4e éd., t. 2, § 199; Laurent, Principes de droit civil, t. 7, nos 417 à 440; d'autre part, dans des monographies, telles que celles de M. Morin, Principes du bornage, 1860; Deschodt, Du bornage en droit romain et en droit français, 1874; Bugniet, Traité du bornage, de la revendication et du droit de rétention, 1877, etc. 3. - 1. NATURE DE L'ACTION. Nous avons rappelé (Rép. no 10, et vo Action possessoire, nos 719 et suiv.), que l'action en bornage, dont parle l'art. 6 de la loi du 25 mai 1838, est toujours une action pétitoire, même lorsqu'elle est de la compétence du juge de paix. Il ne faut pas la confondre avec f'action pour déplacement de bornes, que vise l'art. 3 c. pr. civ. (Rep. n° 1). Cette dernière action, purement possessoire, implique toujours l'idée d'un bornage préexistant. Quelques auteurs, il est vrai, semblent confondre les deux actions (V. notamment Bélime, Traité du droit de possession et des actions possessoires, p. 229). Mais la distinction doit être maintenue, et elle n'est pas sans intérêt pratique. En effet, l'action pour déplacement de bornes ne peut, comme toute action possessoire, être intentée devant le juge de paix que dans le délai d'un an établi par l'art. 3 c. pr. civ., tandis que l'exercice de l'action en bornage n'est assujetti à aucun délai (V. Civ. rej. 15 déc. 1885, aff. Peigné, D. P. 86. 1. 367). 4. L'enlèvement ou le déplacement volontaire de bornes peut donner lieu, non sculement à une action possessoire, mais encore, suivant les cas, à une poursuite correctionnelle 1 (art. 389 et 456 c. pén.) (V. Dommage-destruction-dégradation; Rép. cod. vo, nos 297, 301 et suiv.). par 5. On a indiqué au Rép. no 12, les différences qui existent entre l'action en bornage et l'action en revendication, et déterminé les caractères généraux de l'une et de l'autre. Cette distinction est fort importante. Dans l'action en bornage, en effet, le demandeur est seulement tenu de prouver que la contenance respective des terrains contigus est, comparée aux titres réciproquement produits, en déficit chez lui et en excédent chez le voisin. Cette preuve une fois faite, il n'a plus rien à prouver, et l'excédent de contenance possédé par le défendeur doit lui être restitué. Vainement le défendeur répondrait-il que sa possession crée en sa faveur une présomption de propriété, qui ne peut être combattue que par une preuve susceptible de la détruire, c'est-à-dire des titres ou des faits émanés de lui ou de ses auteurs. Ce moyen de défense n'est point admissible dans les actions en bornage. Il doit, au contraire, triompher dans l'action en revendication. L'action en revendication, en effet, a pour objet, non pas un déficit de contenance sans assiette déterminée, mais un corps certain, une portion d'héritage rigoureusement circonscrite. Il ne suffit plus que le demandeur procède par comparaison des titres du défendeur et des siens, puis par rapprochement de ces titres avec les terrains limitrophes. Il faut que sa propriété soit prouvée d'une manière spéciale et directe, et, dès lors, que la preuve en soit puisée dans des documents opposables au défendeur et de nature à lier ce dernier. C'est alors, mais alors seulement, que les titres du demandeur, s'ils ne sont pas émanés du défendeur ou de ses auteurs, sont dénués de toute force probante, et que la possession assure à ce défendeur le bénéfice d'une présomption de propriété qu'aucune preuve contraire ne lui a fait perdre. Ainsi les différences entre les deux actions sont les suivantes: 1° dans l'action en bornage, la fixation des limites peut être faite contrairement à la possession actuelle des parties, même à l'aide de- documents ou signes matériels qui seraient insuffisants pour faire réussir contre le possesseur une revendication de propriété; 2° il n'est pas nécessaire, en matière de bornage, pour que les titres produits par l'une des parties fassent preuve en sa faveur, qu'ils émanent de celui à qui on les oppose ou de ses auteurs; il en est autrement, en matière de revendication, sauf cependant dans le cas où il s'agit de titres antérieurs au commencenient de la possession invoquée par le défendeur (Req. 22 tai 1865, aff. Commune de Lalley, D. P. 65. 1. 473). 6. Cette distinction entre les actions en bornage et en revendication a été nettement exposée par MM. Aubry et Rau, t. 2, p. 221. Ces auteurs, après avoir rappelé que dans l'action en bornage, judicium duplex, chacune des parties doit faire la preuve de son droit, ajoutent : « Il n'en serait plus de même si, sous forme d'action en bornage, le demandeur réclamait comme lui appartenant d'après son titre, une parcelle de terrain certaine et déterminée, possédée par le défendeur; dans ce cas, la demande eût-elle en même temps pour objet la plantation de pierres-bornes, constituerait en réalité une revendication dans laquelle le demandeur serait seul tenu de faire preuve de son droit >>. Plusieurs arrêts ont formellement sanctionné cette théorie. C'est ainsi qu'il a été décidé: 1o que l'action en délaissement d'une parcelle de terrain certaine et déterminée par sa situation, sa forme et sa contenance, constitue, même quand elle est formée par un propriétaire contre son voisin, à l'effet d'arriver au bornage de leurs propriétés contiguës, une action en revendication, et non une simple action en bornage (Civ. cass. 27 nov. 1865, aff. Rougemont, D. P. 66. 1. 97; Req. 27 nov. 1865, aff. Lévêque, D. P. 66. 1. 102) ;... — 2° Que, de même, l'action en bornage accompagnée d'une demande d'arpentage tendant au déplacement de bornes anciennes amiablement posées entre deux héritages, et dont quelques-unes subsistent encore, a le caractère d'une action en revendica (1) (Immer C. Hartmann.) - Jugement du tribunal civil de Colmar : «Attendu que la rivière la Fecht ne faisant que traverser son pré, Widemann n'avait droit qu'à l'usage de ses eaux, conformément à l'art. 644 c. civ. et non à la propriété du lit de la rivière, qui ne lui a pas été et ne pouvait lui être concédée, puisque, d'après une jurisprudence aujourd'hui bien établie, ellé tion, de la compétence des tribunaux civils; qu'en conséquence, le juge de paix, saisi de cette action, doit fixer l'emplacement des bornes qui ont disparu, d'après la position actuelle de celles encore existantes, sans ordonner cet arpentage préalable, qui ne peut être demandé que par voie d'action en revendication; qu'enfin la demande en revendication ne soulèverait pas une simple question préjudicielle de nature à faire seulement surseoir à l'abornement, mais constituerait une demande principale qui devrait être directement portée devant les tribunaux compétents (Req. 11 août 1851, aff. Haudecœur, D. P. 51. 1. 206) ;... 3o Que, au contraire, l'action tendant à ce qu'il soit procédé par experts et à l'aide de titres, de signes matériels et de tous autres documents, à la recherche et à la fixation des limites respectives de propriétés contiguës, appartenant, par exemple, à deux sections de communes, constitue une action en plantation de bornes, et non une action en revendication; que, par suite, chacune des parties est, dans cette action, réputée tout à la fois demanderesse et défenderesse, et tenue, dès lors, de faire preuve de son droit de propriété sur les terrains litigieux, sans pouvoir se soustraire à cette obligation en excipant de sa possession (Req. 29 juill. 1856, aff. Section de Marzenay, D. P. 56. 1. 411);... 4° Qu'une action en bornage ne se transforme pas en action en revendication par cette circonstance que les parties ne sont point tombées d'accord sur la ligne divisoire à établir, ni par cette autre que le juge a dû, sur la provocation des parties, rechercher qui avait la possession actuelle d'une haie et d'une bande de terrain, alors que le débat s'est uniquement établi sur la possession annale, sans qu'aucune des parties ait invoqué un titre spécial d'acquisition ni la prescription (Civ. cass. 14 juin 1876, aff. Marguerite, D. P. 76. 1. 324); 5o Que la restitution d'une portion de terrain peut, lorsqu'elle est poursuivie par voie d'action en bornage, et non par voie de revendication, être ordonnée d'après l'examen des titres des parties, même non communs entre elles, rapprochés de l'état ou de la configuration des héritages limitrophes spécialement, si la comparaison des titres des parties avec la contenance des héritages respectifs, constate un déficit dans le terrain du demandeur, et un excédant dans celui du défendeur, sans que ce dernier puisse objecter que le titre produit par le demandeur pour justifier le déficit allégué ne lui est pas opposable comme n'émanant ni de lui, ni de ses auteurs (Req. 2 avr. 1850, aff. Bellot, D. P. 50. 1. 155. V. aussi sous ce dernier arrêt, le rapport de M. le conseiller Mesnard, qui détermine avec beaucoup de précision la distinction que nous avons établie. Conf. Metz, 8 déc. 1857, aff. Lefebvre, D. P. 60. 2. 42 ; Req. 4 mars 1872, aff. Peyret, D. P. 74. 1. 23; Dissertation de M. Brésillion sous les arrêts précités du 27 nov. 1865). 7. - II. CONDITIONS DE L'ACTION EN BORNAGE. Comme on l'a établi au Rép. no 14, la première condition de l'exercice de l'action en bornage, c'est qu'il s'agisse de fonds ruraux. Nous avons toutefois ajouté que les jardins et les fonds de terre dépendant des bâtiments peuvent donner lieu à l'action en bornage, bien qu'ils soient dans l'intérieur des villes, lorsque la limite est incertaine. MM. Aubry et Rau, t. 2, p. 222, vont plus loin: ils déclarent l'action en bornage recevable « non seulement lorsque les héritages contigus consistent tous deux en fonds de terre, mais encore lorsque l'un d'eux est surbâti » (V. en ce sens : Civ. cass. 4 mars 1879, aff. Beccue, D. P. 79. 1. 183). « L'action en bornage, dit cet arrêt, ne cesse de pouvoir s'exercer que lorsqu'il s'agit de bâtiments qui se touchent. » ... 8. La seconde condition pour que l'action en bornage puisse être intentée, c'est qu'il y ait contiguïté entre les héritages. Aussi ne saurait-il y avoir lieu à bornage entre héritages séparés par un cours d'eau naturel, même non navigable ni flottable, le lit de ce cours d'eau devant être considéré comme res nullius (Rép. nos 15 et suiv.). Un arrêt (Req. 6 nov. 1866) (1) a formellement consacré ce prin est res nullius et n'appartient à personne; Attendu que par la vente notariée du 26 mars 1862, le demandeur a acquis de Widemann, l'auteur commun, 22 ares 50 centiares « de pré et eau », mais sans garantie; qu'en lui vendant l'eau seulement, on ne lui a pas vendu le lit de la rivière, puisque le vendeur n'en était pas devenu propriétaire en 1849 et n'aurait pu ainsi transmettre plus BORNE. cipe (V. conf. Pardessus, Servitudes, t. 1, no 118; Bourguignat, Droit rural appliqué, no 141; Demolombe, t. 11, n° 266; Aubry et Rau, t. 2, p. 222). 9. Cependant, comme on l'a déjà fait observer (Rép. nos 17 et 44, et v° Servitudes, n° 364), le défaut de contiguïté n'est pas un obstacle absolu à ce que des propriétaires puissent être mis en cause dans un bornage provoqué entre voisins contigus. Ainsi, lorsque, sur l'action en bornage, il ressort de l'examen des titres que les parties n'ont pas leur contenance respective, la mise en cause d'un autre voisin non contigu peut être demandée, de sorte que, par suite de recours successifs, la délimitation peut s'étendre à tous les tènements dont dépendent les propriétés à borner (Trib. Dijon, 25 juill. 1832 et Douai, 11 nov. 1842, Rép. v° Servitudes, no 364)... Et cette mise en cause peut avoir lieu sans qu'elle ait été provisoirement ordonnée par le tribunal (Req. 20 juin 1855, aff. Petit, D. P. 56. 1. 312). En conséquence, les propriétaires ainsi mis en cause ne peuvent pas se refuser à figurer dans l'instance, sous prétexte qu'il n'y aurait pas contiguïté entre leurs terrains et celui du demandeur en bornage, surtout quand le voisin immédiat du propriétaire qui résiste à l'appel en cause consent au bornage de sa propriété (Req. 9 nov. 1857, aff. Marquis, D. P. 58. 1. 31-32). La doctrine s'est prononcée, sur ce point, dans le même sens que la jurisprudence. « Nous ne voyons pas, dit M. Demolombe, t. 11, no 267, que le texte de l'art. 646 fasse obstacle à ce que les arrière-voisins soient assignés en même temps, lorsque le demandeur soutient que le bornage qu'il provoque ne peut être fait que contradictoirement avec eux; ce mode d'agir a l'avantage d'éviter beaucoup de retards et de frais, et ne présente pas, d'ailleurs, d'inconvénient, puisque le demandeur devrait bien entendu payer les frais de la procédure, si elle était reconnue frustratoire »> (Conf. Toullier, Droit civil français, t. 3, no 178; Curasson, Traité des actions possessoires et du bornage, no 50; Millet, Traité du bornage, 2o éd., p. 150; Vaudoré, Droit rural, t. 1, p. 264), MM, Aubry et Rau, t, 2, p. 222, vont plus loin; ils décident que la mise en cause des arrière-voisins peut même être prononcée d'office par le juge (V. en ce sens ; J. Deschodt, p. 142). 10. Les propriétés contiguës doivent, en outre, appartenir à des propriétaires différents (Rép. n° 17). Cette troisième condition ne donne lieu à aucune observation nouvelle. 11. Il faut ajouter que les deux fonds doivent dépendre, soit du domaine des particuliers, soit du domaine public ou privé de l'Etat, des départements ou des communes. Aussi a-t-il été jugé que l'action en bornage d'un cours d'eau non navigable ni flottable, intentée par un particulier à l'effet de déterminer la portion de ce cours d'eau qui serait devenue la propriété privée du demandeur et celle qui serait restée res nullius, ne peut être intentée contre le préfet, l'Etat n'ayant sur ce genre de cours d'eau que des droits de police et de surveillance non susceptibles de bornage (Metz, 11 août 1868, aff. Billotte, D. P. 69. 2. 53, et sur pourvoi, Req. 26 mai 1869, D. P. 69. 1. 320). de droits qu'il n'en avait lui-même; qu'ainsi son action en revendication de la propriété du lit de la rivière est inadmissible; Attendu qu'aux termes de l'art. 646 c. nap. le propriétaire ne peut obliger son voisin au bornage que pour leurs propriétés qui sont contiguës; que par contrat notarié du 3 nov. 1851, antérieur à celui du 26 mars 1862 précité, le défendeur a acquis de Widemann, l'auteur commun, un pré de 8 ares 30 centiares, ayant pour confront la rivière qui, n'appartenant à personne privativement, le sépare de l'héritage du demandeur; que les propriétés des parties n'étant pas contiguës, ce dernier est sans qualité et par suite non recevable en son action en délimitation et en bornage. »> - Appel par le sieur Immer, qui, subsidiairement, demande à prouver que le lit de la Fecht était imposé et porté à la cote foncière des riverains, et qui, à l'appui de son allégation, produit des extraits de la matrice cadastrale; mais le 18 janv. 1865, arrêt de la cour de Colmar qui « adoptant les motifs des premiers juges, et sans s'arrêter aux conclusions subsidiaires, lesquelles sont rejetées comme irrelevantes et sans objet, confirme, etc. » Pourvoi en cassation de la part du sieur Immer, pour fausse application des art. 644 et 714 c. nap. et violation des art. 546 et 646 même code, en ce que l'arrêt attaqué lui a dénié la propriété des cours d'eau bordant son héritage, sous prétexte qu'un cours d'eau de cette sorte est res nullius, alors qu'il 12. On a vu au Rép. no 18, que l'action en bornage peut être intentée alors même qu'il n'existe aucune contestation sur les limites des propriétés contiguës, et dans le seul but de faire établir des bornes. La doctrine que nous avons exposée sur ce point a été confirmée par un arrêt de la cour de cassation, aux termes duquel le juge de paix ne peut se déclarer incompétent sous le prétexte que les propriétaires seraient d'accord sur la délimitation de leurs propriétés respectives (Civ. cass. 4 mars 1879, aff. Beccue, D. P. 79. 1. 183). « Il ne faut pas, en effet, ajoute cet arrêt, confondre la délimitation, qui ne sert qu'à indiquer la ligne sur laquelle doivent être placées les bornes, avec le bornage, qui a pour objet de constater d'une manière immuable cette délimitation. >> Mais, ainsi qu'on l'a établi (Rép. ibid.), l'existence de bornes sur la limite des deux fonds rend non recevable l'action en bornage. Il a été jugé, d'ailleurs, conformément à la jurisprudence rapportée au Rép. n° 19, que l'existence de haies, barrières ou constructions formant clôture, ne met pas obstacle à l'action en bornage, du moment que les clôtures dont il s'agit n'ont pas été établies contradictoirement entre les intéressés, et ne présentent pas les caractères de bornes usitées (Arrêt précité du 4 mars 1879. V. aussi dans le même sens : Bruxelles, 13 août 1855, aff. Leroy C. Veuve Dugniolle, Pasicrisie belge, 1856. 2. 29). § 3. 13. L'action en bornage peut être intentée, avons-nous dit (Rép. no 22), par tous ceux qui ont un droit réel sur la chose, notamment par le propriétaire. Ajoutons qu'il a été jugé que l'action en bornage est recevable, quoique le demandeur ne justifie pas actuellement de sa propriété. Cette action peut être formée dans la vue d'obtenir ultérieurement le délaissement du terrain usurpé: il n'est pas nécessaire de la faire précéder de l'action en délaissement (Montpellier, 4 janv. 1842, Rép. v° Servitudes, no 374). - Par qui et contre qui peut être intentée l'action en bornage (Rép. ǹos 22 à 25). 14. Au nombre des personnes qui peuvent intenter l'action en bornage, nous avons cité l'usufruitier (Rép. n° 23). Celui-ci, d'après l'opinion que nous avons adoptée, n'a pas seulement, comme l'ont soutenu quelques auteurs, le droit de contraindre le propriétaire à fixer les limites du fonds sujet à usufruit; il a la faculté d'exercer luimême directement l'action en bornage, sauf au voisin assigné à mettre en cause, s'il le juge à propos, le nu-propriétaire, auquel ne serait pas opposable le bornage opéré sans son concours (V. en ce sens, outre les auteurs cités au Rép. no 23-20: Demolombe, t. 11, no 256; Aubry et Rau, t. 2, p. 223; Deschodt, p. 151. V. aussi Rép. vo Úsufruit, no 781). En ce qui concerne :... le nu-propriétaire, V. Rép. ibid., et vis Forêts, no 240; Usufruit, no 781;... l'usager, l'emphyteote, le copropriétaire par indivis, V. Rép. ibid., et vo Servitudes, n° 362, 15. Quant au mari, la question de savoir s'il a qualité pour n'y avait là qu'une présomption légale qui devait céder devant la intenter l'action en bornage, au nom de la femme, a, comme on l'a vu au Rép. no 362, été diversement résolue, et elle continue à diviser les auteurs. La doctrine qui refuse, d'une façon générale, au mari le droit d'introduire seul l'action en bornage a été adoptée par MM. Millet, Traité du bornage, p. 134; Vaudoré, Droit rural, t. 1, p. 37; Deschodt, p. 161 et suiv. M. Demolombe, t. 11, nos 260 et suiv., reconnaît au mari le pouvoir d'intenter l'action en bornage toutes les fois qu'il ne s'élève aucune contestation sur la propriété ou sur les titres qui l'établissent: en d'autres termes, lorsque d'après la loi du 25 mai 1838, art. 6, no 2, le juge de paix est compétent pour connaître de l'action, le mari peut l'intenter au nom de sa femme; dans le cas contraire, il est sans qualité pour agir seul (Conf. Rép. v° Servitudes, no 363). MM. Aubry et Rau, t. 2, p. 224, adoptent un système intermédiaire. Ils rejettent la distinction fondée sur la compétence du juge de paix, et proposent la suivante : les limites entre les deux immeubles sont-elles parfaitement certaines et reconnues, et l'action ne tend-elle, par conséquent, qu'à la plantation de pierres-bornes? En ce cas l'exercice de l'action en bornage est un simple acte d'administration et de conservation; cette action peut donc être intentée par le mari comme administrateur des biens de sa femme. Les limites des héritages sont-elles, au contraire, incertaines et contestées, et l'action a-t-elle, par suite, pour objet principal de les faire fixer? La demande tendant à obtenir un règlement définitif de l'étendue et de l'assiette des droits de propriété des parties, son exercice, alors même que ni les titres ni la propriété ne sont contestés, ne peut être considérée comme un simple acte d'administration et ne saurait, par conséquent, compéter au mari agissant au nom de la femme, à moins qu'il ne s'agisse de biens dotaux. Les mêmes auteurs (ibid., note 15) font, d'ailleurs, observer que si le mari est, dans certains cas, sans qualité pour intenter l'action en bornage au nom de sa femme, il peut toujours l'intenter, son nom personnel, pour les biens de sa femme dont il a l'usufruit. en 16. Les différents systèmes qui ont été proposés quant à l'exercice, par le mari, de l'action en bornage, ont été reproduits par les mêmes auteurs à l'égard du mineur émancipé et du tuteur du mineur non émancipé ou de l'interdit. Dans le cas où, selon ces auteurs, le mari peut agir au nom de sa femme, le tuteur peut intenter l'action sans autorisation du conseil de famille, et le mineur émancipé sans l'assistance de son curateur. Dans les autres cas, le tuteur doit obtenir l'autorisation du conseil de famille et le mineur émancipé se faire assister de son curateur.- Un arrêt a, il est vrai, posé en principe, d'une façon générale, que l'opération ayant pour objet de reconnaître et fixer définitivement les limites entre. la propriété d'un mineur et celle d'un tiers, constitue un acte de pure administration pour lequel l'autorisation du conseil de famille n'est pas nécessaire (Rouen, 2 juill. 1881, aff. Wallet, D. P. 84. 1. 61). Mais cette solution nous paraît trop absolue. C'est aller trop loin, croyons-nous, que prétendre que le tuteur peut toujours intenter au nom de son pupille l'action en bornage, même lorsqu'une question de propriété est soulevée. Nous devons noter aussi que M. Demofombe, t. 11, no 261, qui à l'égard du tuteur maintient la distinction qu'il a établie relativement au mari, ne persévère pas dans sa doctrine en ce qui concerne le mineur émancipé, et refuse à celui-ci le pouvoir d'intenter l'action en bornage, alors même que ni les titres ni la propriété ne sont contestés. 17. Comme on l'a dit au Rép. n° 23, les préfets ont qualité pour intenter l'action en bornage en ce qui concerne les biens dépendant du domaine de l'Etat; ils n'ont jamais besoin d'aucune autorisation à cet effet. Ils représentent de même le département, lorsqu'il s'agit d'intenter cette action; mais ils ne peuvent agir qu'en vertu d'une décision du conseil général ou, en cas d'urgence, de la commission départementale. Ils peuvent défendre à cette action sur le simple avis conforme de la commission départementale (art. 46, n° 15, et 54, L. 10 août 1871). 18. Le maire ne peut ester en justice, au nom de la commune, dans une action en bornage, qu'après avoir été habilité à cet effet par une délibération du conseil municipal et une autorisation du conseil de préfecture (art. 90, no 8, et 121, L. 5 avr. 1884). Les maires, comme présidents des commissions administratives des hôpitaux, hospices et bureaux de bienfaisance, peuvent intenter l'action en bornage, au nom de ces établissements, en vertu des délibérations desdites commissions et de l'autorisation du conseil de préfecture, donnée après avis du comité consultatif de l'arrondissement (Arrêté 7 mess. an 11; L. 21 mai 1873, et 5 août 1879; Circ. min. int. 22 mai 1828). Enfin l'action en bornage ne peut être intentée au nom des fabriques que par leurs trésoriers, munis d'une délibération du conseil de fabrique et d'une autorisation du conseil de préfecture (art. 77 et 79, Décr. 30 déc. 1809). § 4. Devant quelle juridiction doit être portée l'action en bornage (Rép. nos 26 à 29). 19. Comme on l'a vu au Rép. no 26, c'est au juge de paix qu'il appartient de connaître de l'action en bornage. Mais ce magistrat cesse d'être compétent lorsqu'il y a contestation sur la propriété l'application de cette règle soulève des difficultés qui seront examinées infrà, vo Compétence civile des juges de paix. 20. On a rappelé (Rép. n° 28), le principe d'après lequel c'est à l'Administration qu'il appartient de statuer sur les délimitations de territoire entre communes voisines. Mais il faut observer que ce droit de l'Administration ne concerne que la délimitation administrative des communes ou sections de communes, c'est-à-dire la fixation des limites de ces circonscriptions, qu'il importe de déterminer dans l'intérêt de l'administration communale. Il en est autrement des questions de propriété qui peuvent s'agiter entre communes ou sections de communes limitrophes, sur les limites respectives de leurs biens. Ces difficultés sont de la compétence exclusive des tribunaux civils. La délimitation administrative ne peut, par conséquent, jamais être un préalable nécessaire à la solution des questions de propriété ainsi portées devant l'autorité judiciaire (Req. 29 juill. 1856, aff. Section de Marzenay, D. P. 56. 1. 411). 21. Quant à la délimitation des fonds dépendant du domaine public, elle appartient toujours à l'autorité administrative (Cons. d'Et. 31 mars 1847, aff. Balias de Soubran, D. P. 48. 3. 4; Lyon, 26 mai 1847, aff. Combalot, D. P. 47. 4. 90; Lyon, 10 janv. 1849, aff. Combalot, D. P. 49. 2. 148; Req. 23 mai 1849, aff. Préfet du Rhône, D. P. 50. 1. 313; Orléans, 28 févr. 1850, aff. Poulain, D. P. 50. 2. 65; Trib. confl. 3 avr. 1850, aff. Deherrypon, D. P. 50. 3. 49; Cons. d'Et. 18 juin 1860, aff. Commune de Mers, D. P. 61. 3. 49; 19 juill. 1860, aff. Reyneau, ibid.; Cons. d'Et. 2 août 1860, aff. Mazeline, D. P. 61. 3. 58; Cons. d'Et. 1er juin 1861, aff. Ratier, D. P. 61. 3. 59; Cons. d'Et. 12 juill. 1866, aff. Follin, D. P. 67. 3. 33; Trib. confl. 11 janv. 1873, aff. de Paris-Labrosse, et 1er mars 1873, aff. Guillié, D. P. 73. 3. 65 et suiv.; Pardessus, t. 1, no 118; Demolombe, Servitudes, t. 1, no 263; Aubry et Rau, Droit civil français, t. 2, § 199, p. 224. V. Compétence administrative;-Rép. eod. vo, nos 143 et suiv.). Il en serait, toutefois, autrement si l'Etat n'était pas en cause; entre parties privées, en effet, les tribunaux ordinaires sont toujours compétents pour apprécier si tel ou tel terrain fait ou non partie du domaine public (Cons. d'Et. 26 juin 1852, aff. David, D. P. 52. 3. 45; 2 déc. 1853, aff. Département de la Charente, D. P. 54. 3. 42; Civ. rej. 4 août 1858, aff. Ville de Caen, D. P. 59. 1. 30; 25 janv. 1859, aff. Fabrique de Bolbec, D. P. 59. 1.86; Req. 11 avr. 1860, aff. Mosselmann, D. P. 60. 1. 273; arrêts précités des 18 juin et 19 juill. 1860) (V. Compétence administrative). 22. Sur la délimitation des terrains militaires et la fixation des zones du rayon de défense, V. L. 7 avr. 1851 (D. P. 51. 4. 129), Décr. 16 août 1853 (D. P. 53. 4. 227), et vo Organisation militaire. Sur le bornage des chemins vicinaux, V. L. 21 mai 1836, art. 15; L. 10 août 1871, art. 44 et 86 (D. P. 71. 4. 224 et 131), et vo Voirie. Sur la délimitation des chemins ruraux, V. L. 20 août 1881 (D. P. 82. 4. 1), et vo Voirie. Sur la délimitation des rivages de la mer, V. Décr. 21 févr. 1852 (D. P. 52. 4. 67), et vis Domaine public; Eaux; Organisation maritime. Sur la délimitation des cours d'eau navigables et flottables, V. Eaux; Voirie par eau. Sur le bornage des bois et forêts soumis au régime forestier, V. Forêts. |