Page images
PDF
EPUB

Nous avions précédemment essayé ce travail, comme appendice à la description du trésor de la sainte Chapelle; mais ici nous le donnons d'une manière certaine, complète, parce que nous avons remonté aux sources 1, au lieu de suivre l'extrait fautif et incomplet de le Laboureur 2.

Déjà, au grand profit de l'histoire littéraire, l'inventaire, dressé par Gilles Mallet, de la librai

Nesle, le 15 juin 1416, laissant beaucoup de dettes; ses exécuteurs testamentaires confièrent le soin de subvenir aux frais de ses funérailles et de liquider sa succession à Jean le Bourne, contrôleur de sa maison. De là deux comptes détaillés fort curieux rendus par celui-ci : l'un des frais des funérailles du duc, déposé aux archives du Cher, perdu en partie dans l'incendie du 13 avril 1859, et l'autre de la liquidation de sa succession, connu sous le nom d'Inventaire du duc Jean, étant à la biblio. thèque de Sainte-Geneviève. On voit, par le premier de ces comptes, que les livres trouvés au château de Mehun ont été envoyés à Paris pour y être prisés.

1 Nous devons aussi beaucoup à M. P. Paris, toujours prêt à faire part, avec autant d'abandon que de courtoisie, des trésors de sa vaste érudition.

reur....

2 Histoire de Charles VII, en latin, par un auteur contemporain (le moine de Saint-Denis), traduite par Jean le LabouParis, 1663, 2 vol. in-fo, t. Ier, Introduction. Soixante-dix articles ont été omis par cet auteur, et, de même que MM. Van Praet et Barrois l'ont fait après lui, il a supprimé dans ceux par lui donnés de curieux détails.

rie du Louvre a été savamment annoté par Van Praet1; MM. Barrois et Peignot avaient de leur côté publié des documents utiles sur celles des enfants du roi Jean 2; enfin, M. le Roux de Lincy avait édité le catalogue de la librairie du château de Blois, en 1427 3. Nous tentons à notre tour d'apporter notre tribut à ces recherches, en donnant du corps et de la vie, par l'ordre méthodique, aux indications du compte de Jean le Bourne, et en les élucidant par des notes et quelques aperçus.

Effectivement, l'inventaire des livres, c'est comme l'inventaire des connaissances et des idées; rien ne faisait mieux apercevoir quels

1 Paris, 1836, 1 vol. in-8°.

2 Bibliothèque protypographique, ou Librairies des fils du Roi Jean (par Barrois). Paris, 1830, in-4°. Cet ouvrage contient, en abrégé, l'Inventaire de Gilles Mallet; le Catalogue de la librairie de Jean, duc de Berry, d'après le Laboureur, et divers Catalogues des livres des princes de la maison de Bourgogne; le tout sans notes et éclaircissements suffisants.

Catalogue d'une partie des livres composant la Bibliothèque des ducs de Bourgogne, par Peignot. Dijon, 1844, in-8°.

8 La Bibliothèque de Charles d'Orléans à son château de Blois. Paris, 1849, in-8°.

étaient à l'époque donnée le courant de celles-ci et la somme de celles-là. Ainsi, ce catalogue démontrait que déjà, sous Charles V, le moyen âge essayait à sortir de ses langes; que déjà l'aspiration de l'antiquité, le souffle de la renaissance se faisaient sentir. Et si les traducteurs aux gages de ce prince popularisaient par leurs travaux les chefs-d'œuvre de la Rome païenne ou chrétienne, en même temps ils apprenaient à penser et à écrire en français, en joûtant avec la belle langue latine. Ce fut le premier essai tenté pour asseoir notre langue nationale; on ne peut méconnaître qu'il fût heureux, quand on compare la phrase lourde et obscure de Christine de Pisan avec les récits naïfs et charmants de Froissart; et l'honneur doit en être reporté à Charles V et à ses laborieux translateurs, Raoul de Presles', Evrard de Coussy, Nicolas Oresme, Philippe de

1 Par mandement du 28 octobre 1371, Charles V ordonna à Raoul de Presles, pour l'utilité de lui, du royaume et de toute la chrétienté, de translater de latin en français le livre de la Cité de Dieu, et pour ce lui donna 400 livres par an jusqu'à la fin de l'ouvrage. (Inventaire de Gilles Mallet, par Van Praet, p. 43.)

Vitry, Jean de Vignay, Simon de Hesdin, Jean Corbichon, Jean Golein, Henry de Gauchy et Berchoir. Ces hommes furent comme les premiers architectes de notre langue; et si la petite partie de leurs travaux que l'imprimerie a recueillie n'a plus qu'un intérêt de curiosité, il serait injuste, parce que ceux auxquels ils ont frayé la voie ont fait mieux, de laisser tout à fait leurs noms dans l'oubli.

D'un autre côté, quoi de plus curieux que de constater, en replaçant méthodiquement sur ses rayons la librairie d'un des fils du roi Jean, ce que, dans ces temps malheureux, on lisait, on étudiait, non dans les cloîtres, mais dans le monde et à la cour des princes; de voir que l'histoire

1 Dès le XIIIe siècle, il existait à Amiens une bibliothèque d'environ deux cents volumes, dont Richard de Furnival ou Fournival, l'auteur du Bestiaire, avait dressé le catalogue méthodique sous le titre de Biblionomia. Ce jardin scientifique, suivant la métaphore de l'auteur, comprenait trois grands carrés distribués eux-mêmes en un certain nombre de planches : le carré philosophique, le carré des sciences lucratives, le carré théologique. Voy., à cet égard, la savante notice de M. P. Paris, Histoire littéraire de la France, t. XXIII, p. 301 et suiv.

réelle, sérieuse, déjà y prenait place à côté des prouesses fabuleuses des paladins, bien que caressant l'orgueil de leurs descendants; et d'y trouver Ovide à côté de Jean de Meung, de Gibert de Montreuil, de Guillaume de Guilleville et de Christine.

Enfin, cette prisée de livres en 1416, plus que toute autre chose, rendait frappante la révolution accomplie quarante ans plus tard par la découverte de l'imprimerie.

« PreviousContinue »