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auraient bientôt créé des ressources permanentes dans chaque localité. Mais à qui ces dons sont-ils destinés? en combien de parts les répartir? à quelle adresse envoyer chaque portion? Cette distribution, puisqu'il s'agit de pauvres honteux, ne peut être le secret de tout le monde ; mais le secret d'un seul, de celui qui, par état, est appelé aux investigations de la charité; de celui qui, avec l'aveu des fautes, reçoit la confidence de tous les malheurs; de celui dont la main droite ignore les bienfaits que l'autre main prodigue, du prêtre, en un mot. »

« Qu'il se forme donc des associations de bienfaisance pour secourir les pauvres honteux; que les dames de charité, que les sœurs de charité, surtout, mettent leur industrie à découvrir la misère qui se dissimule, et à la révéler au pasteur des âmes; car ce n'est qu'en lui que la confiance du pauvre honteux sera entière. Lui seul, lisant dans le cœur de ce pauvre, appréciera la mesure de ses besoins et la nature des occupations auxquelles il peut être employé. Lui seul, comme représentant la société des fidèles, pourra donner sans que le pauvre honteux soit tenté de refuser l'aumône. Qu'importe à la fierté du malheur ! le caractère sacré du prêtre répond de la discrétion. D'ailleurs, n'est-ce pas Dieu même qui le soulage par la main de son ministre? Ne sont-ce pas ses frères qui, se dépouillant pour le revêtir, ont député vers lui la seule personne par les yeux de laquelle ils consentent à voir? »>

<< Sans doute, chaque personne charitable peut aider, par des aumônes et des conseils, dans le secret de la charité, le pauvre honteux qu'elle a découvert; mais il est une foule de circonstances où l'intervention personnelle du bienfaiteur empêcherait d'accepter le bienfait. »

« C'est alors, comme nous le disions plus haut, que le chrétien doit s'effacer pour céder la place au prêtre. Son rôle sera toujours assez beau, si, grâce à sa généreusc charité, la bourse du ministre de Dieu peut répandre l'or

sans s'épuiser. Dans les villages, souvent, dans les grandes villes, toujours, le pauvre honteux n'ira frapper qu'à une porte, ou n'ouvrira la sienne qu'à un homme et cet homme, c'est le prêtre (1). »

Dans quelques villes, et notamment à Amsterdam, des associations spéciales de bienfaisance ont été formées en faveur des pauvres honteux. Le plus profond mystère couvre l'emploi des fonds dont elles disposent.

A Marseille, une institution fondée, en 1878, sous le nom d'œuvre de la grande miséricorde, et qui se continue par les soins de l'administration du bureau de bienfaisance, admet à ses secours les pauvres honteux, depuis la classe la plus élevée de la société jusqu'au capitaine marchand au long cours, que des malheurs ont réduits à la misère. Elle les distribue en argent, et par douzième, chaque mois. Les pauvres admis sont inscrits sur un registre secret, tenu sous clef par un des administrateurs, désigné et choisi à cet effet par ses collègues. Ces précautions sont dignes d'éloges; mais elles prouvent, plus fortement encore, combien, dans la distribution de ce genre de secours, le ministère de la religion est préférable à la philantropie la plus ingénieuse, et la plus délicate même, des hommes du monde.

Une association qui réunit toutes les conditions d'une charité mystérieuse, active et touchante s'est formée récemment à Paris, pour le soulagement des pauvres honteux, sous les auspices de quelques dames dévouées à l'exercice des bonnes œuvres. L'une d'elles, dont le nom illustre a reçu le nouvel éclat d'un noble succès littéraire (madame la princesse de Craon) a rédigé elle-même les réglemens de cette société avec une admirable prévoyance. Cette institution ne saurait manquer de devenir l'objet d'une généreuse émulation en France et en Europe (2).

(1) Moniteur des villes et des campagnes.

(2) Voir le chap. XVI du livre III, tome LI..

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CHAPITRE XXIII.

DES PRISONNIERS ET DES FORÇATS ET CONDAMNÉS

LIBÉRÉS.

Ah! préparez son cœur. Sur cette tête impie
Que la grâce divine épanche ses trésors!...
(Delille.)

Les êtres que la société a dû éloigner de son sein, et ceux qui, à l'expiration de leur peine, continuent à être pour elle un sujet d'alarmes et de mépris, sont bien moins dignes, sans doute, que les autres malheureux, de la pitié des hommes charitables. Mais l'infortune, quoique méritée, conserve toujours des droits à la commisération, parce qu'elle laisse constamment l'espérance du repentir. C'est d'ailleurs une si grande peine que la privation de la liberté! tant de circonstances peuvent avoir entraîné au crime un homme né pour la vertu! enfin, la justice des hommes n'est pas toujours infaillible, surtout dans des momens de troubles politiques. Toutes ces considérations motivent l'intérêt que la charité chrétienne apporte à adoucir le sort des détenus; mais c'est surtout l'amélioration morale des hommes frappés par les lois du pays qu'elle doit avoir en vue. Leur procurer des consolations religieuses, des instructions, des livres, du travail, serait

le digne objet d'une société charitable à établir partout où existe un lieu de détention. Quant à l'application d'un bon système pénitentiaire, il rentre naturellement dans les devoirs et dans les attributions du gouvernement et de la charité publique, et l'expérience peut aujourd'hui les aider à se prononcer (1).

(1) Nous croyons devoir placer ici l'extrait suivant de l'ouvrage publié sur le système pénitentiaire des Etats-Unis, par MM. de Beaumont et de Tocqueville.

<«< On reconnaissait, aux Etats-Unis, deux systèmes parfaitement distincts: le système d'Auburn et celui de Philadelphie. »

<< Singzing, dans l'état de New-York; Wethersfield, dans le Connecticut; Boston, dans le Massachusets; Baltimore, dans le Maryland, se sont formés par le système d'Auburn. »

« Le Kentucki, le Tennissée, le Maine et le Vermont se sont aussi formés sur le même système; mais cette innovation est toute récente. »

« Les deux systèmes, contraires entre eux sur des points importans, ont cependant une base commune sans laquelle il n'y a point de système pénitentiaire possible; c'est l'isolement des détenus. >>

« M. de Lafayette a toujours combattu le châtiment de la solitude. « Cette peine, dit-il, ne corrige point le coupable. J'ai passé dans l'isolement plusieurs années, à Oltmutz, où j'étais détenu pour avoir fait une révolution, et, dans ma prison, je ne rêvais que révolutions nouvelles. >>

<< Cependant la communication des hommes entre eux rend impossible leur réforme morale et devient même pour eux la source inévitable d'une affreuse corruption. Cette observation est devenue, aux Etats-Unis, une vérité populaire, et tous les publicistes sont d'accord sur la nécessité de séparer les criminels. »

« On a cru pouvoir se borner à établir dans la prison un certain nombre de classifications. Mais, après avoir essayé de ce moyen, on en a reconnu l'impuissance. Il y a des peines pareilles et des crimes appelés du même nom, mais il n'y a pas deux moralités qui soient semblables; et toutes les fois que des condamnés sont mis ensemble, il existe nécessairement une influence funeste des uns sur les autres, parce que, dans l'association des méchans, ce n'est pas le moins coupable qui agit sur le criminel, mais le plus dépravé qui a action sur celui qui l'est le moins. »

<< Il faut donc, dans l'impossibilité de classer les détenus, en venir à la séparation de tous. »

« La solitude est une peine sévère, mais un tel châtiment est mérité par le coupable. Mais, pour éviter que l'isolement absolu n'influe trop fortement sur son existence, on introduit le travail dans la prison. Loin d'être une

Les condamnés qui ont subi leur peine, et qui rentrent dans le monde, doivent peut-être, à certains égards, exciter davantage la sollicitude de la charité volontaire.

aggravation de peine, il est pour le détenu un véritable bienfait. Le travail réprime l'oisiveté qui l'a conduit au crime, il allège la charge dispendieuse pour la société de la détention du criminel. »

« Les prisons d'Auburn, de Singzing, de Wethersfield, de Boston, de Philadelphie reposent sur ces deux principes réunis, le travail et l'isolement l'un est inefficace sans l'autre. >>

« Dans l'ancienne prison d'Auburn, on a essayé l'isolement sans le travail, et les détenus qui ne sont pas devenus fous, ou morts désespérés, ne sont rentrés dans la société que pour y commettre de nouveaux crimes. A Baltimore, on essaie, en ce moment, le système du travail sans l'isolement, et cet essai ne paraît pas heureux. »

<< Tout en admettant la moitié du principe, on repousse l'autre. Le pénitentiaire de cette ville contient un nombre de cellules égal à celui des détenus qui y sont renfermés pendant la nuit; mais, pendant le jour, ils communiquent ensemble. Assurément, la séparation de la nuit est la plus importante, mais elle ne suffit pas. Les rapports que les criminels ont entre eux sont nécessairement corrupteurs, et ces rapports doivent être évités, si l'on veut préserver les détenus de toute contagion mortelle. »

« Bien pénétrés de cette vérité, les fondateurs du nouveau pénitencier de Philadelphie ont voulu que chaque prisonnier fût renfermé dans une cellule particulière, le jour comme la nuit. Les prisonniers sont dans l'impossibilité matérielle de communiquer ensemble. Nulle part aussi la nécessité du travail n'est plus absolue. On n'y impose pas le travail; on accorde la faveur de travailler. »

« Les fondateurs d'Auburn reconnaissent la nécessité de séparer les prisonniers, d'empêcher entre eux toute communication et de les soumettre au travail ; mais les détenus ne sont renfermés dans leurs prisons solitaires que pendant la nuit. Durant le jour, ils travaillent ensemble dans des ateliers communs, mais ils sont assujettis au silence le plus rigoureux. En raison de ce silence, cette réunion n'offre aucun inconvénient et présente beaucoup d'avantages, Elle a le mérite d'accoutumer les détenus à l'obéissance; le détenu a le mérite d'obéir et il acquiert les habitudes de sociabilité. »

<< Point de tontine, point de récompenses de bonne conduite, point de travaux improductifs.- Difficulté du travail dans les ateliers isolés de Philadelphie. Absence de tout pécule, excepté à Baltimore.-Aucune machine. – On n'enseigne que des métiers utiles et capables de faire vivre le détenu rendu à la société, etc. — - Les femmes soumises également à la loi de sience, succès obtenu à Wethersfield, etc. »

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« Le système d'Auburn a pour auxiliaire les châtimens corporels. A

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