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CHAPITRE II.

DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DES SECOURS PUBLICS.

Il paraît éminemment logique et raisonnable que les ministres d'une religion fondée sur la charité aient une grande part dans l'administration de cette charité.

LES publicistes de l'école anglaise ont souvent reproché aux gouvernemens leur intervention dans les relations des citoyens, dans la direction de l'industrie et dans la plupart des affaires que l'intérêt personnel peut suffisamment administrer. Ils ont même attaqué, comme une erreur d'économie politique, sa coopération aux secours publics; ils veulent que chaque individu fasse lui-même sa propre destinée, ou que du moins l'esprit d'association se charge, dans la généralité des besoins sociaux, de suppléer à l'action de l'administration publique.

Nous l'avouons; quelques succès que l'application de ces principes ait pu produire en Angleterre, dans les spéculations matérielles d'industrie, nous ne pouvons penser qu'elle eût des résultats favorables en France pour les objets qui appartiennent à l'ordre moral, religieux ou politique. L'exemple de l'Angleterre elle-même, sous ce rapport, nous détournerait de conseiller un pareil système, lors bien même que nos habitudes et nos mœurs

permettraient de l'adopter. L'action du gouvernement nous paraît, au contraire, indispensable pour donner à l'organisation des secours publics une forme complète et régulière, un centre commun de lumières, d'efforts et de puissance dont les rayons puissent s'étendre jusqu'aux extrémités les plus reculées du royaume.

Ce n'est pas que nous prétendions que l'état, ou le gouvernement en son nom doive se charger directement de pourvoir à tous les besoins des pauvres. Ce serait, en quelque sorte, consacrer le droit légal de l'indigent à l'assistance nationale, et demander l'établissement d'une taxe pour les pauvres, mesure dont nous avons exposé les graves inconvéniens; ce serait, enfin, faire disparaître la charité volontaire, et telle n'est pas assurément notre intention. Mais nous pensons que le gouvernement doit prendre officiellement la haute et noble mission de veiller à l'amélioration du sort des classes indigentes, en réunissant, comme un faisceau, les efforts de la charité individuelle et de la charité publique, en les excitant, en les dirigeant vers un but commun, en faisant servir son autorité et les moyens nombreux dont il dispose, à seconder et favoriser l'esprit de charité, et enfin en faisant coordonner la législation avec le système des secours publics.

En ce moment, la direction centrale des secours publics forme seulement un bureau du ministère des travaux publics; elle se borne à l'administration des hospices, des bureaux de charité, des enfans trouvés, des maisons d'aliénés, des monts-de-piété et de quelques autres établissemens spéciaux.

Dans les départemens, cette partie d'administration est confiée à un bureau de préfecture.

Les administrations charitables et les conseils supérieurs de charité n'exercent leurs attributions que dans une circonscription et dans des limites étroites.

Tout ce qui concerne l'amélioration du sort des

pauvres,

autres que ceux placés dans les maisons de charité, est à peu près abandonné aux soins des administrations charitables locales qui agissent selon leurs lumières, leurs inspirations et les ressources dont elles peuvent disposer. Les bureaux de bienfaisance des petites communes n'existent guère que de nom.

Le gouvernement ignore le nombre et la situation des indigens dans les différentes provinces de la France. Il ne connait pas même le véritable nombre des mendians vagabonds.

Le clergé est à peu près étranger à la direction et à l'administration des secours publics. Chose étrange! Les ministres d'une religion fondée sur la charité sont à peine tolérés dans les réunions où se règlent le mode et l'application des secours charitables.

Sans doute beaucoup de bien, un bien infini s'opère chaque jour; mais à quoi est-il dû, si ce n'est au zèle et aux lumières de quelques hommes animés d'un ardent esprit de charité chrétienne? nulle part, en ce qui concerne la charité, on ne trouve l'institution forte et générale qui doit communiquer à tout le mouvement, la vie et les lumières.

Il existe à Paris des conseils supérieurs pour l'agriculture, le commerce, les haras, etc., et des comités pour les principales branches d'administration. Toutes les notabilités du royaume sont appelées à leur fournir un tribut de talens, d'expérience et d'autorité. Cependant l'amélioration du sort des pauvres est reléguée, avec une sorte de dédain, dans un modeste bureau, le dernier de l'une des divisions du ministère des travaux publics. Serait-elle donc placée au dernier rang des affaires publiques?

Un tel abandon explique suffisamment combien la science administrative de la charité est encore peu avancée, pourquoi les efforts sont isolés, les résultats imparfaits, les améliorations sans progrès; pourquoi enfin la charité in

dividuelle ne prête pas complétement sa confiance et son appui à l'administration.

Il nous semble cependant que sous les rapports les plus importans de la morale, de la justice et de la politique, l'amélioration du sort des pauvres ne saurait être placée trop haut dans la hiérarchie de l'administration publique. A nos yeux ce ne serait pas trop, même, du patronage le plus élevé dans l'état. Nous voudrions donc que ce patronage présentât à la fois l'image de la religion et de la monarchie, présidant de concert au soulagement de l'indigence, accomplissant ensemble leur principale et plus touchante mission, et répandant de leurs mains réunies, sur les pauvres, des bienfaits qui seraient payés par la reconnaissance et par l'amour.

Ainsi, nous instituerions à Paris un conseil supérieur de charité, sous la protection de l'héritier présomptif de la couronne ou du premier prince du sang royal; le conseil serait placé dans les attributions du ministre des cultes, et sous la présidence d'un membre de l'épiscopat, avec le titre de grand-aumônier de France. Il serait composé de tous les hommes connus par leur esprit de charité, leurs lumières et leur expérience. Des membres correspondans, avec droit d'inspection des établissemens charitables, seraient nommés dans toutes les parties du royaume. Un administrateur spécial, sous le titre de directeur général de la grande-aumônerie de France, serait chargé de l'administration des établissemens de charité, de la correspondance et des rapports à soumettre au conseil. Le conseil serait autorisé à correspondre avec les divers ministres, les préfets et les évêques, les procureurs généraux, les recteurs d'académie, etc. Il ferait publier périodiquement un bulletin de ses travaux et de ses recherches qui deviendraient les annales de la charité universelle. Toutes les fonctions exercées pour l'administration de la charité publique seraient gratuites; les em

ployés nécessaires à la tenue des écritures recevraient seuls un traitement.

Un conseil, correspondant au conseil supérieur, serait institué dans chaque département et dans chaque arrondissement. La présidence des conseils de département serait accordée à l'évêque ou à son délégué.

La nomination des membres résidans et correspondans du conseil supérieur de charité serait faite par le roi. Pour la première fois, les membres du conseil supérieur seraient nommés sur la présentation du ministre de l'intérieur. La présentation en appartiendrait ensuite au grand-aumônier, Les membres des conseils de département et d'arrondissement seraient nommés par le grand-aumônier de France sur la présentation des évêques (1).

Les préfets, les sous-préfets et les maires conserveraient leurs attributions en ce qui concerne l'administration des établissemens charitables; ils correspondraient à cet effet avec le directeur général de la grande-aumônerie. Les membres des conseils de charité de département et d'arrondissement auraient droit d'inspection et de visite dans les établissemens hospitaliers. Chaque conseil se réunirait au moins une fois par mois. Un comité permanent d'administration et de correspondance serait choisi dans son sein pour l'expédition des affaires courantes. Les recteurs d'académie, les présidens des cours et tribunaux, les procureurs généraux, les procureurs du roi, les curés et les supérieurs de congrégations hospitalières des deux sexes, les pasteurs des différens cultes et les médecins des hôpitaux et des indigens, seraient également membres ou correspondans des conseils de charité. Un architecte serait attaché à chaque conseil. Les préfets, sous-préfets et maires assisteraient, lorsqu'ils jugeraient convenable, aux séances

(1) On pourrait accorder aux membres des divers conseils de charité quelques distinctions honorifiques, propres à fortifier le respect dû à leur ministère de dévouement.

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