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Parmi les congrégations hospitalières, les dames de Saint-Vincent-de-Paule, de Saint-Charles, de la Sagesse et deux ou trois autres instituts principaux, nous paraîtraient suffire à tous les besoins des hôpitaux et des hospices; mais il faudrait, par des secours et des encouragemens convenables, les mettre à même d'augmenter leurs noviciats et de fournir des sujets à toutes les paroisses qui en seraient dépourvues. Le gouvernement devrait établir en principe que chaque établissement hospitalier, dépendant de l'administration, serait exclusivement confié à des sœurs de l'un des instituts généraux ci-dessus désignés.

Pour l'enseignement des pauvres, les frères de la Doctrine chrétienne peuvent suffire à toutes les écoles gratuites de garçons, dans les villes au-dessus de 5,000 habitans, ou dont les revenus permettent la dépense qu'exige un établisement de frères qui ne peuvent être moins de trois. Dans les autres communes, des instituteurs religieux isolés, formés dans des maisons normales, créés par les soins des évêques dans chaque diocèse, atteindraient utilement le même but. Les questions relatives aux meilleures méthodes à employer, seraient naturellement du ressort du conseil de la grande-aumônerie. Il n'est point douteux que l'on ne parvînt à s'entendre sur ce point, lorsqu'on aurait pu en dégager l'esprit de parti, et appeler, s'il y avait lieu, l'intervention de l'autorité religieuse suprême pour lever des scrupules respectables ou modifier des statuts obligatoires.

Quant aux écoles gratuites de filles, elles ne peuvent être mieux confiées qu'aux soins des religieuses dévouées à la fois aux établissemens hospitaliers et de l'enseignement charitable, ou de celles qui s'occupent exclusivement de ce dernier objet. Il existe à cet égard un grand nombre d'instituts, tous recommandables, parmi lesquels nous distinguerons les dames de la Doctrine chrétienne et de la

Providence. Aucune institution ne saurait offrir plus d'économie, de garantie et d'utilité ; car les religieuses dévouées aux écoles chrétiennes, peuvent se placer isolément, avec le traitement le plus modique, et s'emploient en outre à toutes les œuvres de la charité et de la religion.

Comme la préférence à accorder aux institutions religieuses de charité hospitalière ou d'enseignement est incontestable sous les rapports religieux et économiques, il serait nécessaire que l'autorité publique décidât que, dans un délai déterminé, tous les établissemens hospitaliers, toutes les écoles gratuites de garçons et de filles pauvres seraient exclusivement confiés à ces institutions, et que les villes et les communes, soit au moyen de souscriptions, de quêtes, de dons volontaires, ou à défaut par les ressources des communes, des hôpitaux, ou enfin par une contribution extraordinaire, fussent obligées de pourvoir les hôpitaux, les hospices et les écoles de sujets nécessaires, en se conformant aux statuts des diverses congrégations désignées.

Nous ne doutons pas que la volonté du gouvernement, formellement exprimée à cet égard, ne fût complétement accomplie, et même sans occasioner des dépenses considérables aux communes et aux hospices, car parmi ces derniers il en est peu qui fussent dans le cas de solliciter à cet égard des secours pécuniaires ou des avances. Il ne faudrait à tous que liberté, sécurité et encouragement permanent.

Les instituteurs et les institutrices laïques ne seraient point repoussés par ces mesures. Ils continueraient à tenir leurs écoles pour les enfans des personnes riches ou aisées qui leur accorderaient leur confiance. Les communes pourraient les encourager et les aider, si les ressources le permettaient; mais celles-ci seraient, en premier ordre, affectées aux écoles charitables. Si des enfans aisés sui

vaient les classes de ces écoles, ils paieraient une rétribution perçue par le receveur municipal, et qui diminuerait d'autant la dépense des écoles gratuites.

Des associations religieuses et charitables, libres, se formeraient promptement, sans doute, à la voix des évêques et sur les directions données par la grandeaumônerie, pour servir d'auxiliaires aux divers ministres officiels de la charité. Nous indiquerons plus tard à quels objets spéciaux elles pourraient s'appliquer. Ces institutions ne demanderaient au gouvernement que protection et liberté. De son côté, le gouvernement aurait le droit d'exiger la garantie qu'elles n'auraient aucun but politique, qu'elles ne prendraient aucun engagement contraire aux lois. Il semble que les statuts devraient être approuvés par les évêques, sauf la sanction de la grande-aumônerie, après l'avis du conseil supérieur de charité.

Les associations philantropiques seraient approuvées par le préfet, sauf la sanction de la grande-aumônerie et l'avis du conseil supérieur. Il serait à désirer de les voir se multiplier, se propager, s'appliquer à perfectionner les applications de la charité chrétienne. Nous indiquerons dans quel cas elles pourraient être plus spécialement utiles. Nous ne doutons pas que, réunies dans un but commun, le soulagement et l'amélioration physique et morale des classes indigentes, elles ne devinssent, non les rivales, mais les émules et les sœurs des associations religieuses. La religion et la charité chrétienne s'efforceraient sans doute de les attirer à elles; mais ce serait par un attrait plein de douceur et d'affection. Nous concevons même l'espérance que, de cet ensemble de vues et de direction, pourrait naître enfin l'alliance si désirable de la charité et de la philantropie, l'union de la vertu religieuse et de la science humaine, de l'aumône et du travail, l'accord des deux grandes lois sociales, enfin, le complément de la mission de la charité. La distance qui sépare la véritable

philantropie de la vertu chrétienne n'est pas en effet impossible à franchir. L'esprit de bienfaisance est bien voisin de la morale: la morale conduit sûrement à l'esprit religieux. Or, le sentiment religieux, profond et éclairé, doit nécessairement aboutir au christianisme.

Viennent enfin les associations d'artistes, d'ouvriers ou de personnes exerçant des professions communes ou analogues, et qui veulent s'assister mutuellement en cas de nécessité. Elles peuvent, sans contredit, avoir de grands avantages sociaux et particuliers. On en trouve un grand nombre en Angleterre, où elles produisent d'excellens résultats. Jadis elles existaient en France, mais avec une juridiction et des priviléges qui sont aujourd'hui hors de nos mœurs politiques. On pourrait les autoriser, on devrait encourager même leur formation sur des bases nouvelles, et avec les garanties convenables. C'est un objet que nous examinerons en nous occupant de la révision des lois relatives aux ouvriers.

En demandant une préférence exclusive, en faveur des institutions religieuses de charité hospitalière ou d'enseignement, pour les établissemens publics charitables, nous devons prévoir les objections de l'esprit philosophique moderne. Nos réponses seront précises, et, nous l'espérons, satisfaisantes.

Nous n'avons plus à craindre les déclamations de l'école voltairienne sur le célibat des ordres religieux, et les dangers qui peuvent en résulter pour la population et les bonnes mœurs. Si l'expérience a prouvé incontestablement que la population a plutôt besoin d'entraves que d'encouragement, elle a prouvé non moins hautement combien est pure, inaltérable et au-dessus de tout soupçon, la moralité des êtres qui se sont jusqu'à ce jour dévoués au soulagement des pauvres et des malheureux. Le nom révéré des sœurs hospitalières et des frères de la Doctrine chrétienne défie la malveillance la plus audacieuse.

Que reste-t-il donc à redouter ou à prévoir ? Désintéressement complet, dévouement absolu à des fonctions pénibles, nulle préoccupation de soins de famille, d'ambition et d'avenir, uniformité d'enseignement, perpétuité de l'institution, économie rigoureuse, inaltérabilité de principes et de morale, et cependant possibilité de progrès en méthodes et en lumières, tels sont les admirables avantages qu'offrent les instituts religieux charitables.

Craindrait-on l'influence de maîtres religieux sur leurs élèves et sur leurs parens? Mais cette influence ne saurait être que celle de la vertu. Loin de la redouter, il faudrait la bénir. Quant aux sœurs hospitalières, il nous semble qu'on est parfaitement d'accord pour reconnaître l'utilité de leurs services, et pour n'apercevoir aucun inconvénient dans leur institution. La crainte d'une influence politique serait ici une préoccupation dérisoire. Les sœurs de la charité et les frères des écoles chrétiennes n'ont certes pas l'ambition de s'élever à d'autres pensées qu'à accomplir leurs modestes et touchans devoirs. Leur royaume n'est pas de ce monde; ils ont renoncé à celui-ci.

Si l'on objecte que les méthodes nouvelles d'enseignement sont plus promptes, plus rapides, plus économiques, nous répondrons d'abord que rien d'invincible ne s'oppose à ce que les instituts religieux n'adoptent, avec l'agrément de leurs supérieurs ou de l'autorité suprême religieuse, les procédés que l'expérience doit engager à préférer; ensuite, que trois années suffisent pour compléter l'enseignement primaire donné par les instituts religieux, et que l'expérience démontre combien il est funeste d'envoyer aux travaux industriels les enfans qui n'ont pas une constitution suffisamment développée. Or, cette constitution n'est guère obtenue qu'à l'âge où ils ont terminé leur éducation dans les écoles chrétiennes. Ainsi cette prétendue lenteur d'enseignement est un avantage. Les enfans y gagnent de savoir mieux ce qu'ils ont appris, et de ne pas être exposés à user

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