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« Dix années de paix à peine interrompues pouvaient nous faire espérer que le gouvernement tournerait, enfin, ses regards vers la prospérité intérieure du royaume ; qu'il concevrait que la base la plus solide de la richesse publique et de la puissance de l'état, est cet art qui occupe les bras des neuf-dixièmes de la population; qui crée, à lui seul, des valeurs dix fois plus considérables que toutes les autres branches d'industrie réunies; qui couvre toute la surface du royaume d'une vaste manufacture dans laquelle se créent les produits qui servent à alimenter toutes les classes de citoyens, à les vêtir, à leur fournir toutes les commodités de la vie, et qui produit, en outre, une masse énorme d'objets destinés à alimenter notre commerce avec les autres nations. >>

« Cependant les choses en sont encore à peu près au même point où elles étaient il y a quarante ans, et l'industrie agricole, toujours entravée par des dispositions législatives qui arrêtent les développemens qu'elle s'efforce de prendre, se traîne péniblement dans cette lutte qui prépare souvent pour elle une carrière de dégoûts et de revers (1). »

Ces plaintes amères ne sont malheureusement que trop fondées; mais il faut, pour être juste, faire la part des circonstances au milieu desquelles s'est trouvé le gouverne

ment.

Aux préoccupations d'une politique toute guerrière sous l'empire ont succédé, chez les hommes d'état de la restauration, celles d'une lutte parlementaire toujours animée, souvent violente, et qui, ne se bornant pas à la tribune législative, n'a donné ni relâche ni repos au gouvernement. Il s'agissait de fonder le système représentatif, de satisfaire aux exigences du moment, de cicatriser de vives et sanglantes blessures. Ces soins devaient nécessairement absorber les momens des ministres, dont l'instabilité, d'ailleurs, ne leur (1) Annales de Roville. Troisième livraison.

permettait pas d'embrasser des travaux d'une longue portée. Aussi nous n'accusons pas leurs intentions. Mais il est néanmoins permis de déplorer, avec M. de Dombasle, que quinze années de paix n'aient pas permis d'entreprendre et de terminer la révision des lois les plus précieuses aux intérêts positifs et journaliers de la plus grande partie des citoyens, et que la France ait perdu, par ce retard, l'accroissement de prospérité et de richesse qui pouvait lui être procuré par une législation sagement améliorée.

Une loi imparfaite sur les chemins vicinaux, un code forestier qui n'a pas reçu l'approbation universelle tels sont à peu près les seuls tributs payés à l'agriculture par les assemblées législatives de la restauration (1).

Celles qui lui ont succédé seront-elles plus habiles ou plus heureuses? La révolution de Juillet opérée, dit-on, pour satisfaire les vœux du pays et garantir toutes les libertés publiques, tiendra-t-elle mieux ses promesses envers l'agriculture? Il serait difficile de l'espérer, si l'on jugeait de l'avenir par l'expérience de trois années révolues. Toutefois nous ne voulons pas cesser d'être équitables. Nous avons apprécié les embarras et les obstacles de la restauration; nous ne méconnaîtrons pas ceux, non moins grands, de la situation actuelle. Mais si les améliorations désirées se trouvaient encore long-temps ajournées, on aurait le droit de se demander: A quoi bon changer, si l'on ne devait pas obtenir mieux?

Quoi qu'il en soit, nous allons examiner, en ce qui concerne la législation rurale, ce qui a été fait jusqu'à ce jour et ce qu'il nous paraît désirable d'obtenir pour satisfaire aux besoins les plus pressans de l'agriculture du royaume.

Avant 1789, le principal obstacle au développement de l'agriculture était, sans contredit, une organisation sociale d'après laquelle une partie des propriétés ne pouvait ni se

(1) On ne saurait sans injustice oublier les dégrèvemens d'impôts accordés à la propriété foncière sous le ministère de M. le comte de Villèle, l'un de nos plus habiles hommes d'état.

diviser, ni s'aliéner, tandis qu'une autre partie se trouvait entre les mains d'usufruitiers peu intéressés à des améliorations obtenues tardivement, et par des avances de fonds plus ou moins considérables, et qu'enfin, le reste des terres supportait exclusivement le fardeau des corvées, des dimes, des droits féodaux et d'autres charges onéreuses.

La suppression des substitutions et des fiefs, l'abolition du régime de main-morte (1), celle des corvées, des droits féodaux et de la dime, et la participation égale de toutes les propriétés aux charges publiques, furent donc, en résultat, un bienfait réel pour l'agriculture.

Mais l'aggrégation successive de diverses provinces à la France avait introduit daus le royaume une multitude de jurisprudences particulières. D'un autre côté, l'ancien système d'agriculture avait fait naître des besoins, créé des droits, consacré des coutumes, établi des rapports qu'il fallait apprécier avant de les remplacer par une législation uniforme et régulière. Mais ce travail immense touchait aux intérêts de la multitude. Si l'on avait pu, sans crainte, imposer à la noblesse et au clergé les sacrifices que ces deux ordres subirent sans se plaindre, il n'en pouvait être de même à l'égard des autres classes de la population dont on voulait se ménager l'affection et l'appui.

On comprend dès lors que les travaux de l'assemblée constituante, pour donner un code rural à la France, durent être nécessairement timides et fort incomplets. Néanmoins on leur doit la promulgation des grands principes de droit commun, consacrés depuis par nos codes, et la mission confiée aux législatures à venir, d'améliorer, par des lois et des réglemens, tout ce qui ne lui avait pas été permis d'embrasser et d'approfondir. La loi du 28 septembre-6 octobre 1791, est un monument imparfait, sans doute, mais

(1) On sent bien qu'il ne sagit pas ici de la forme et des conséquences de cette abolition qui ne pouvait se justifier que par une indemnité équivalente accordée au clergé.

qui attestera toujours les lumières et les intentions de ses

auteurs.

L'assemblée législative se montra plus jalouse de propager le nombre des amis de la révolution nouvelle, que d'exécuter les plans sages et habiles de l'assemblée constituante. Les lois rendues pour le partage des terrains communaux, pour la vente des terres, vignes et prés appartenant aux émigrés (lois du 14 août, 28 août, 14 septembre 1792) eurent évidemment pour objet de multiplier les petits propriétaires et de les attacher au nouvel ordre de choses.

et

La convention nationale ne pouvait que marcher violemment dans le même but. Certes sa mission sanglante n'était pas de nature à s'arrêter à des intérêts de paix et de justice. Elle ne s'occupa donc que de l'exécution des lois relatives à la vente des biens des émigrés et au partage des biens communaux.

La législation de 1791 traversa cette époque d'anarchie, non sans être plus d'une fois violée et méconnue, mais du moins sans être abrogée formellement dans aucune de ses parties.

Ce ne fut qu'en 1802 que le gouvernement consulaire, songeant à donner à la France une jurisprudence uniforme, ordonna la révision du code rural en même temps que des autres parties de la législation générale. A cet effet, il fit adresser à tous les fonctionnaires publics une série de questions relatives à la meilleure législation applicable aux biens ruraux. Quelques années après, une commission spéciale, formée auprès du ministère de l'intérieur (1), rédigea le projet de code rural en 280 articles, ainsi qu'une conférence générale des lois et réglemens ruraux, antérieurement au Code civil.

D'après le compte qui fut rendu de ce travail au gou

(1) Cette commission fut d'abord composée de MM. Coulomb, Just. de la Tourette, Huzard, Tessier, Cels et le comte de Tournon. M. Cels étant mort, fut remplacé par M. de Divonne.

vernement, il intervint, le 19 mai 1808, un décret impérial portant, entre autres dispositions, que « le projet de code rural serait imprimé et envoyé à des commissions consultatives formées dans chaque ressort de cour d'appel, pour avoir leur avis motivé sur le projet présenté, et sur les additions qu'elles croiraient utiles d'y faire, soit comme dispositions générales, soit comme applicables seulement à quelques localités, ou comme devant réserver les usages locaux. >>

Les observations faites sur ce projet, par les commissions consultatives des cours d'appel de l'ancienne France, de la Belgique, du Piémont, de la Toscane, du pays de Gênes et de celui de Liége, furent recueillies et imprimées à la suite du projet de code lui-même, en deux volumes in-40 (de l'imprimerie Impériale), en 1810 et 1811. Plus tard on recueillit les avis des commissions consultatives, formées dans la Hollande, les villes Anséatiques, les états Romains et le Valais.

Un membre du corps législatif (M. de Verneilh de Puyraseau), ancien préfet de la Corrèze et du Montblanc, fut chargé de rédiger un nouveau projet de révision dans le sens le plus généralement indiqué par les commissions ou par les principes de chaque matière, en le coordonnant avec les codes déjà promulgués. Son travail fut imprimé au commencement de la restauration, en juillet 1814.

Le nouveau projet de code présenté par cet administrateur expérimenté, offre un ensemble de dispositions qui ne semble rien laisser à désirer et qui remplit les nombreuses lacunes du projet primitif, entre autres ce qui concerne les baux à ferme dont il n'avait point été question dans le premier travail.

La commission, chargée de présenter le projet du code rural, s'était attachée à maintenir le propriétaire dans toute l'indépendance et la liberté de jouissance compatible avec l'intérêt général, et au principe que l'on n'a droit d'exiger

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