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prématurément leurs forces. Le léger surcroît de dépense qu'ils peuvent occasioner à leurs parens sera bientôt compensé par le travail et la santé. D'ailleurs, rien n'empêcherait qu'à côté des écoles chrétiennes on plaçât une école d'apprentissage et d'industrie où les enfans recevraient les élémens d'une profession ou d'un métier. C'est une proposition qui sera développée dans le cours de cet ouvrage.

La dépense de premier établissement des écoles ne serait jamais excessive; celle d'entretien serait très modérée : la charité religieuse y participerait généreusement. La question de la dépense ne saurait donc arrêter.

Nous ne voyons donc aucune objection grave et sérieuse. Mais le parti prêtre, l'envahissement, l'esprit de domination du clergé ! Nous l'avouons, nous n'avons pas le courage de réfuter de tels argumens. Après la révolution de Juillet, en présence de la liberté de la presse, de la tribune publique, des mœurs actuelles, redouter ce qu'on appelle le parti prêtre et l'invasion du sacerdoce dans les affaires publiques au sujet des pères de SaintYon et des hospitalières, serait par trop absurde ou pusillanime. On ne saurait même comment le qualifier lorsqu'il s'agit du sort des enfans des pauvres. Le fond de la pensée serait-il d'enlever à la religion toute influence morale, de lui ravir toute participation à la charité, ou, pour mieux dire, de la bannir de la France? Nous ne prôterons pas de tels désirs à nos adversaires; mais s'ils osaient les exprimer, nous n'aurions plus besoin de chercher à prouver la nécessité de notre système. Leurs paroles seraient la plus éloquente démonstration des dangers que nous voulons prévenir et de l'efficacité des remèdes que nous proposons.

CHAPITRE V.

DES INSTITUTIONS CHARITABLES PUBLIQUES POUR LES INDIGENS HORS D'ÉTAT DE TRAVAILLER.

Tous les êtres qui ne peuvent obéir à la loi du travail doivent être protégés par la charité.

Nous avons exposé déjà des argumens que l'école économique anglaise a cru devoir faire valoir contre les institutions de charité en géneral, et particulièrement contre celles qui peuvent encourager des mariages imprévoyans et enlever aux pauvres la pensée et le besoin de faire des épargnes pour les maladies et la vieillesse. « Une sorte de scepticisme systématique, dit M. le baron Degérando, semble s'élever depuis quelques années sur les premiers principes qui jusqu'alors avaient présidé à la création et à la direction des établissemens de charité. L'école formée par les écrits de Malthus a particulièrement élevé des doutes sur l'utilité de ce genre d'établissemens. Elle s'est trouvée conduite, par les conséquences du célèbre principe de la population, à indiquer à la pauvreté d'autres causes et d'autres remèdes que ceux qui semblaient géné– ralement reconnus. »>

« Quoique la base fondamentale de ce système ait été combattue avec avantage par d'excellens esprits, le sys

tème lui-même continue à faire effort pour s'étendre et s'accréditer. Il a des partisans fort distingués en Angleterre ; il a cherché à en acquérir en France. On se demande si la charité telle qu'elle s'exerçait jusqu'à ce jour, ne va pas contre ce but; si, en s'étudiant à soulager le malheur, elle n'accroît pas infiniment le nombre de ceux qui le subissent. On entend quelquefois reléguer avec dédain, parmi les rêves philantropiques, le régime de secours qui avait paru le plus sage et le plus salutaire. Cette question est d'une immense gravité, et si ces doutes spéculatifs s'étendaient à la pratique, ils ne tendraient à rien moins qu'à faire fermer tous les asiles ouverts à l'indigence. En attendant, ils peuvent glacer le zèle et jeter l'incertitude dans les

mesures. >>

On doit reconnaître que si la charité publique assurait, à tous les ouvriers indistinctement, des asiles où les malades et les vieillards indigens seraient admis avec facilité et en totalité, l'excitation à la prudence et à l'épargne serait sensiblement affaiblie et détruite même chez les ouvriers les plus moraux. On a vu des exemples de ces résultats dans quelques villes où ces institutions étaient extrêmement multipliées, mais, à la vérité, administrées avec peu de discernement. Là, beaucoup d'ouvriers, accoutumés à regarder les hospices comme leur demeure future et infaillible, répondaient aux conseils de la raison et de la prévoyance : « Nous n'avons pas besoin d'épargner pendant notre jeunesse; les toits bleus ( ils désignaient ainsi les hospices couverts en ardoises), les toits bleus nous recevront quand nous serons vieux. »

Cette perspective produisait en outre un effet moral bien plus funeste, car elle semblait dégager les enfans de l'obligation de nourrir leurs parens dans leurs vieux jours, et détruisait ainsi un des devoirs les plus sacrés imposés à l'homme par la religion et par la nature.

Mais pour que de semblables résultats fussent réelle

ment à craindre, il faut supposer nécessairement et préalablement l'existence simultanée de deux circonstances habituelles. D'une part, que les hospices fussent en état de récevoir tous les malades et les vieillards indigens; de l'autre, que les ouvriers eussent un salaire suffisant pour pouvoir en consacrer une partie à l'épargne journalière. Or, ces circonstances n'existent plus aujourd'hui.

Dans les villes les mieux pourvues d'établissemens charitables, il est impossible d'y recevoir tous les malades et les vieillards pauvres de la classe ouvrière. On est obligé d'en refuser et d'en ajourner le plus grand nombre. Plusieurs n'y sont admis qu'après de longs délais et pour ainsi dire à la fin de leur carrière.

D'un autre côté, il n'est que trop certain que l'insuffisance des salaires est la cause la plus générale de la misère des ouvriers, et oppose un obstacle insurmontable à l'épargne accumulée. La cupidité, l'égoïsme, le système anglais d'industrie, le défaut de charité, enfin, sont de véritables causes de la misère générale, bien plus funestes encore que l'imprévoyance des ouvriers.

Dans cette situation, il est incontestable que les indigens seraient exposés à périr de misère, s'ils n'étaient pas secourus pendant leur maladie ; car, pour des ouvriers, une maladie est un double malheur, puisqu'en affaiblissant leurs forces et détruisant quelquefois pour toujours leur santé, elle les prive momentanément de leur travail personnel, et en outre, de celui de leurs femmes ou de celui de leurs enfans appelés à le soigner.

Les mêmes considérations peuvent s'appliquer aux femmes en couche, qui se trouvent dans un véritable état de maladie, aggravé par l'obligation de nourrir et de soigner leurs enfans. L'école anglaise s'oppose toutefois à ce que les secours publics s'étendent à cette situation particulière, parce qu'ils ont l'inconvénient, à ses yeux, d'exciter aux mariages imprévoyans, d'arrêter l'effet de la con

trainte morale, et par conséquent de favoriser abusivement le principe de la population.

Mais dans cette question, la charité semble devoir l'emporter dans la balance. Or, la charité ne peut jamais sacrifier à des éventualités éloignées le soulagement d'une nécessité immédiate et urgente, telle que la conservation d'une mère et de son nouveau-né. Un excès de population est sans doute un grand malheur pour la société ; mais le refus de secours dans une circonstance semblable, serait une grave infraction aux lois de la religion et de la charité chrétienne; entre ces deux extrêmes, il n'est par permis d'hésiter. La loi d'humanité est au-dessus de la loi économique. Nous pensons donc que l'on ne peut refuser à une femme en couche indigente, pas plus qu'à un ouvrier pauvre et malade, des secours publics pendant son état d'impuissance au travail.

Si le principe de l'obligation d'assister un ouvrier à la fois pauvre et malade est reconnu, l'utilité et la nécessité des hôpitaux des malades se trouve également démontrée. Il est des maladies légères qui peuvent facilement se traiter à domicile: les dispensaires et les visites des médecins des pauvres suffisent pour remplir cet objet ; mais les maladies graves et longues, celles qui exigent des soins multipliés et constans, ne peuvent être soignées convenablement que dans les hôpitaux. L'économie que produisent la préparation en grand des remèdes et des alimens, l'emploi commun à un grand nombre de malades, des mêmes soins de surveillance, de chauffage et de propreté, etc., est d'ailleurs une considération qui ne saurait être négligée, sans parler de l'avantage qui résulte pour la famille de l'ouvrier malade de ne pas interrompre son industrie journalière.

Il faut donc nécessairement, dans les populations considérables, des hôpitaux de malades.

Pour obvier à tous les inconvéniens que redouterait à

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