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cet égard l'économie politique, on pourrait décider qu'aucun ouvrier pauvre et malade, et qu'aucune femme en couche, ne seraient admis dans un hôpital qu'autant qu'ils ne pourraient être traités avantageusement à domicile, et que l'ouvrier se serait d'avance soumis à placer dans une caisse de prévoyance la portion de salaire jugée susceptible d'être économisée. L'hôpital pourrait, s'il y avait lieu, se faire rembourser tout ou partie de la dépense sur les fonds placés dans la caisse d'épargnes; il faudrait, de plus, établir en principe qu'aucun indigent, homme ou femme, né serait admis dans un établissement public, s'il était convaincu d'avoir formé une union illégitime.

La question de l'utilité des hospices pour les infirmes estropiés ou impotens, est moins susceptible de controverse; il n'est pas à craindre que le désir d'être entretenu dans une maison de charité pousse un indigent à se priver d'aucune des facultés qu'il a reçues de la nature. De tels accidens sont des malheurs imprévus pour le soulagement desquels la charité a été surtout créée par l'auteur de l'univers. Les infortunés qui en sont frappés peuvent, il est vrai, être soignés dans leurs familles toutes les fois que cela est possible; il est moral et juste de l'exiger, sauf à indemniser, par des secours à domicile suffisans, la famille qui est affligée d'une telle charge; mais combien d'impotens et d'infirmes sont privés de parens, ou dont les parens ne peuvent leur donner des soins que réclame leur état! Il faut donc aussi, pour cette classe de malheureux, des asiles spéciaux.

La morale exige que les enfans soignent leurs parens dans leur vieillesse : la charité publique ne saurait, à cet égard, avoir un principe différent. Toutefois, on voit beaucoup de vieillards indigens dénués de famille et de soutiens, quelquefois même sans asile, et qu'on ne peut placer dans des familles étrangères. Ceux-là doivent nécessairement encore être accueillis dans des hospices.

Pour concilier sur ce point la charité avec l'économie, on pourrait décider, 1o qu'aucun vieillard indigent ayant des enfans ou petits-enfans ne serait admis dans aucune maison de charité; 2o que, si l'indigence notoire des enfans ne leur permettait pas de supporter la charge de l'entretien du vieillard, il leur serait accordé des secours convenables; 3o que les vieillards sans soutiens naturels, et qui auraient placé des épargnes dans la caisse de prévoyance (en cas de suffisance habituelle de sataire), pourraient seuls être placés dans les hospices publics. Les ministres de la charité seraient, dans cette circonstance, comme dans toutes les autres, juges des exceptions particulières à faire aux règles générales.

Quant aux enfans, ils ne sont admis dans les maisons de charité que comme orphelins ou enfans trouvés. Nous parlerons ailleurs de ces derniers.

Relativement aux soins à donner aux orphelins, l'économie politique ne peut être en opposition avec la charité chrétienne. Aucune classe d'infortunés n'est en effet plus digne de pitié, et les secours qu'on leur accorde sont exempts de toute conséquence fâcheuse. La religion, la justice, l'humanité réclament pour eux une tutelle et un asile où ils puissent recevoir la nourriture physique et l'éducation morale. Les hospices, pendant l'enfance de ces malheureux, semblent réunir à leur égard tous les avantages charitables et économiques. Nous examinerons dans un chapitre spécial le régime préférable à adopter.

Les aveugles, les sourds-muets et les aliénés indigens forment une classe de malheureux dont l'existence infortunée ne justifie que trop bien les institutions spéciales dont elle est l'objet. L'analyse économique n'a produit, à leur égard, aucune objection précise. Nous ne nous arrêterons donc pas sur la nécessité des institutions consacrées à ces tristes victimes de la rigueur du sort.

En nous résumant sur ces différentes questions, nous

pensons qu'on doit considérer comme établissemens indispensables à des populations manufacturières et agglomérées, tous ceux qui ont pour objet le soulagement des pauvres habituellement ou momentanément hors d'état de travailler, et d'être entretenus et soignés par leurs familles, sauf à exiger l'obligation de l'épargne pour ceux qui reçoivent un salaire suffisant pendant leur aptitude au travail.

Cet ordre de secours nous semble en même temps indiquer la limite où doit s'arrêter l'intervention directe de la charité légale et administrative; il embrasse les hôpitaux de malades, les hospices de vieillards, d'infirmes, d'enfans orphelins ou abandonnés, d'aveugles, de sourdsmuets, d'aliénés. Cette classe de pauvres forme, à proprement parler, la portion souffrante de l'indigence, cellequi a réellement droit à l'assistance nationale. La charité publique ne peut s'égarer en cherchant à la soulager. Ainsi, le devoir de venir au secours de ceux que la Providence a privés des moyens d'exister par le travail, se concilie avec la prudence; il ne s'agit que de le compléter par quelques améliorations d'ordre et d'économie. Quant aux autres genres d'infortune, c'est à la charité privée à y pourvoir elle-même ; le gouvernement n'a plus à intervenir que par l'influence des lois et de quelques institutions sur l'enseignement des classes pauvres, la mendicité, l'hygiène publique, l'organisation des secours publics, l'industrie et l'agriculture.

CHAPITRE VI.

DES INSTITUTIONS RELATIVES AUX INDIGENS MALADES.

Grâce à ces soins pieux, sans terreur, sans remord,
L'agonie en ses bras plus doucement s'achève;
L'heureux convalescent sur son lit se relève,

Et revient, échappé aux horreurs du trépas!

D'un pied tremblant encor former ses premiers pas.

(DELILLE.)

LES hôpitaux des malades, avons-nous dit, sont indispensables au sein des populations ouvrières agglomérées; il est nécessaire qu'ils soient constamment en rapport avec le taux moyen et habituel du nombre des pauvres malades, et susceptibles même de s'accroître pour des cas d'épidémies et d'accidens imprévus. Mais, à côté des établissemens destinés à recueillir les malades qui seraient chèrement et difficilement traités dans leur domicile, doivent être placés les moyens de prévenir les maladies dès leur origine, ou d'empêcher qu'elles ne deviennent longues et sérieuses. Les dispensaires, dont jouissent plusieurs grandes villes, ont cet avantage, et celui d'aider par conséquent les ouvriers à ne s'abstenir que rarement de la grande loi du travail.

A Paris, ils ont pour résultats que la mortalité des pauvres ouvriers traités chez eux n'est que de un sur trente

guéris, tandis que, dans les hôpitaux, elle est de un sur huit, et cependant les hôpitaux de la capitale sont aujourd'hui les mieux tenus de l'Europe (1).

La dépense, pour les dispensaires, s'élève à 30 fr. par an pour un malade. Le taux de la journée, dans les hôpitaux est de 1 fr. 50 c.. La proportion est de un à vingt-deux.

L'établissement des dispensaires devrait donc marcher partout d'accord avec celui des hôpitaux de malades. A défaut de dispensaires, l'administration des hôpitaux pourrait établir une organisation de secours à administrer à domicile aux malades. Des lits portatifs, des couvertures, etc., pourraient être prêtés à ces derniers; on leur enverrait les médicamens nécessaires, et, s'il le fallait, des gardes de charité. Alors, avant qu'aucun pauvre malade ne fût transporté à l'hôpital, le visiteur et le médecin des pauvres s'assureraient s'il peut être convenablement soigné à domicile au moyen des secours du dispensaire. Par-là, on habituerait les familles à ces soins qui fortifient l'affection mutuelle et excitent à l'ordre et à la prévoyance. Pour mieux en démontrer les effets, nul ouvrier ne serait admis dans un hôpital ni au secours du dispensaire, s'il ne s'était soumis, selon ses facultés, aux institutions de prévoyance et d'épargnes établies dans la ville de sa résidence.

Le choix des médecins et des chirurgiens attachés aux établissemens de charité est d'une haute importance. Leur mission est grave et élevée. Nous devons reconnaître qu'en général ils savent s'en rendre dignes: la plupart de ceux que nous avons connus sont au-dessus de tous les éloges. Les sœurs hospitalières ont droit à un hommage, non seulement de confiance, mais d'admiration. Chaque établis

(1) A Paris, les hôpitaux et les hospices renferment 17,000 lits dont 4,673 pour les malades.

La dépense des hôpitaux et hospices de Paris s'est élevée, en 1826, à 9,642,591 fr. Les revenus à la même époque, étaient de 10,819,684 fr.

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