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Le but de la société de bienfaisance n'a été entrepris dans aucune vue de spéculation lucrative. Elle n'a pas besoin de bénéfices directs et immédiats. Elle ne songe point à s'enrichir. Elle a compté sans doute sur la rentrée successive de ses avances de fonds; mais il lui suffira de pouvoir rembourser les emprunts aux délais prescrits. Elle a eu la noble pensée de parvenir à diminuer les causes du paupérisme, par l'extension de l'agriculture nationale. Mais elle cherche surtout à tirer de la misère et de l'abjection le plus grand nombre possible d'infortunés; et, n'eût-elle obtenu que ce résultat, elle serait déjà bien amplement récompensée.

Au surplus, une association qui n'avait pas un seul pouce de terre en propriété il y a douze ans, et qui en possède des milliers d'hectares, qui dispose d'un capital de 5 millions de florins (10,800,000 fr.) dont les intérêts se paient et l'amortissement s'opère avec la plus rigoureuse exactitude, et qui jouit enfin de la confiance publique à ce point que ses effets sont aussi avantageusement cotés à la bourse, que ceux de l'état lui-même; une telle association, disons-nous, ne peut craindre de voir échouer ses généreux efforts.

Au 1 juillet 1830, les colonies de bienfaisance renfermaient plus de 8,500 individus qui y jouissaient d'une existence honnête et assurée, et étaient heureux relativement, du moins, à lcur condition passée. Les colons travaillaient collectivement des portions de terre détachées de la colonie, pour former un fonds de réserve destiné à secourir les familles malades ou victimes de malheurs involontaires. La mendicité était à la veille de disparaître du royaume par des moyens doux et humains. Tous les ans, un grand nombre de colons (dont beaucoup jadis mendians), après avoir satisfait à leurs obligations envers la société, sont émancipés, paient leurs 50 florins (108 fr.) de fermage, et ne sont plus en rien à la charge de la société de bienfaisance. Il n'est pas douteux qu'on arrive à ce point avec la presque totalité des ménages actuels. L'état et les hospices ont économisé 50 p. 100 dans l'entretien des enfans trouvés. La charité publique et particulière peuvent soutenir vingt indigens pour la même somme qu'exigeait autrefois l'entretien de quatre orphelins; et au bout de seize ans, les bienfaits répandus à cette époque sur un certain nombre de pauvres se continueront à perpétuité, d'eux-mêmes et sans aucun nouveau sacrifice.

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De tels résultats dispensent de toute autre apologie et ne peuvent manquer d'exciter au plus haut degré l'attention et l'intérêt de tous les hommes qui en Europe et surtout en France, se sont occupés des moyens d'éteindre la mendicité et d'améliorer le sort des classes indigentes.

CHAPITRE VII.

EXTRAIT D'UN VOYAGE FAIT EN 1829 AUX COLONIES AGRICOLES D'INDIGENS DU ROYAUME DES PAYS-BAS.

Ainsi vous assurez, bienfaiteur du village,
Des secours au vieillard, des leçons au jeune âge.
(DELILLE.)

LE spectacle journalier de la misère qui accable la classe ouvrière dans les villes manufacturières, même les plus opulentes, affligeait depuis long-temps mes regards et préoccupait mes pensées. Le désir ardent d'y apporter quelque remède m'avait fait prendre le plus vif intérêt aux diverses publications dont l'établissement des colonies agricoles d'indigens, fondées en Hollande et en Belgique, avaient été l'objet depuis plusieurs années. J'avais lu tous les mémoires qui avaient paru sur ces belles institutions qui semblaient destinées à former une ère nouvelle dans les annales de la bienfaisance; et rêvant, pour notre belle patrie, l'imitation d'un aussi noble exemple, j'avais présenté au gouvernement quelques vues sur les avantages et les moyens de créer en France de semblables établissemens. Mais ce tribut ne pouvait satisfaire complétement mon cœur : j'étais impatient de m'assurer par moi-même s'il n'y avait pas quelque exagération dans les rapports des administrateurs des colonies néerlandaises, dans l'amour

propre des écrivains nationaux ou dans les récits de voyageurs philantropes.

Des devoirs impérieux ne me permirent d'entreprendre ce pélerinage philantropique que vers le 20 juillet 1829. Accompagné de madame de V......, non moins empressée que moi de visiter les nouvelles institutions de bienfaisance du royaume des Pays-Bas, je me rendis de Lille à Amsterdam par Gand, Anvers, Rotterdam et La Haye.

Je ne donnerai pas ici le récit de mon voyage dans ce pays si curieux, et où éclatent à chaque pas les merveilles de l'industrie humaine je ne ferais que répéter ce qu'une multitude de voyageurs ont parfaitement décrit. Je me bornerai donc à ce qui concerne mon itinéraire vers les colonies agricoles.

COLONIES AGRICOLES DES PROVINCES SEPTENTRIONALES DE LA HOLLANDE.

Par l'effet d'un empressement bien naturel, je voulus prendre la voie la plus prompte pour arriver à Frederick'sOord. On me conseilla de m'embarquer sur le Zuydersée, et je louai à cet effet la chambre dite des voyageurs, sur un boortman, navire destiné à la traversée d'Amsterdam à Zwol. Nous partîmes le soir par un vent très favorable, et qui semblait nous promettre d'être rendus le lendemain matin de bonne heure. Mais le temps changea pendant la nuit; la mer devint très agitée et les vents tout-à-fait contraires il fallut demeurer ainsi durant trente-six heures dans la situation la plus incommode qui se puisse imaginer: nous parvînmes enfin à débarquer dans le petit port de Zwortsluis, où se trouva une voiture qui nous conduisit à Stenwych. Vers les midi, nous étions arrivés à l'auberge des Champs de Frédérick, située à l'entrée de la colonie numéro 1, et attenant à l'habitation du directeur des colonies.

COLONIES DE FREDERICK'S-OORD.

Après quelques momens de repos, notre premier soin fut de parcourir les diverses colonies dont se composent les établissemens de Frederick's-Oord.

Il serait difficile d'exprimer le sentiment de bonheur et de vive admiration dont nos cœurs étaient pénétrés dans tout le cours de cette promenade qui se prolongea pendant sept heures. Le ciel était d'une douceur et d'une sérénité ravissantes. Nous suivions constamment des routes magnifiques bordées d'arbres jeunes et vigoureux, trouvant de distance en distance, à droite et à gauche, des maisons de cultivateurs neuves et d'une construction solide, dont la simplicité n'exclut pas une sorte d'élégance. Chacune d'elles est bâtie en brique rouge. Les volets des fenêtres sont peints en couleur brune, le châssis des vitres en gris; la couverture est en chaume; les soubassemens, jusqu'à une hauteur de trois pieds, sont blanchis à la chaux : chaque habitation est ornée d'un potager émaillé de fleurs, qui presque toujours fait face à l'allée ou, plutôt, à l'immense rue du village agricole. Aux ailes et sur le derrière de la maison, s'étendent les cinq hectares de terre affectés à chaque ménage : là, de belles cultures variées en pommes de terre, blé, seigle, choux et betteraves, et des arbres fruitiers déjà forts et élevés, attestaient les efforts d'une industrie active et intelligente, et rappelaient le souvenir des admirables fermes de la Belgique et de la Flandre.

Plusieurs maisons, récemment bâties, n'avaient pas encore reçu d'habitans, et attendaient leur ménage de colons ; d'autres, en petit nombre, avaient été abandonnées par des families que l'exemple et les leçons n'avaient pu ramener encore à l'habitude de l'ordre et du travail; autour d'elles on n'apercevait plus ni jardins, ni fleurs, ni culture. On reconnaissait aussi quelques fermes exploitées

par des colons venus des villes et peu exercés à l'agriculture, à la langueur de la végétation et à la tenue négligée des terres. Mais, en général, l'ensemble était satisfaisant, et ces légères lacunes même ne prouvaient que davantage le pouvoir et l'influence du travail intelligent.

Nous entrâmes dans un grand nombre des maisons habitées. Presque partout nous retrouvions cet ordre admirable et ces soins de tous les instans qui distinguent les ménagères hollandaises. La vacherie garnie de deux vaches, la laiterie, les meubles, le linge, tout resplendissait de propreté. Des enfans au teint vermeil, des mères rayonnant de santé et de contentement, des hommes robustes proprement mis, et dont la physionomie respirait une satisfaction habituelle, animaient ces paisibles de

meures.

Nous sourîmes, quelquefois, à l'expression de la coquetterie naïve de plus d'une de ces bonnes ménagères qui, en nous montrant son armoire à linge et quelques vases de porcelaine du Japon, se hâtait de nous apprendre que ces objets étaient sa propriété personnelle et n'avaient pas été fournis par la société de bienfaisance. Cette pudeur d'une misère reconnaissante, mais qui n'ose avouer l'excès du dénûment d'où elle avait été tirée, nous parut touchante et d'un heureux augure; car elle annonçait le retour à un sentiment de dignité trop souvent éteint par la misère elle-même.

Nous visitâmes la maison d'école, celle du sous-directeur et des inspecteurs, l'édifice que l'on se propose de consacrer au culte religieux dans la colonie numéro 3, dite de Williams-Oord (champs de Guillaume) et la maison de travail. Je remarquai que, dans ce dernier bâtiment, les ateliers étaient fort étroits. L'escalier est d'une rapidité dangereuse et choquante: les sexes n'y étaient point encore séparés.

L'enseignement mutuel est adopté dans l'école. On

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