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guerres éclataient entre elles, la religion s'interposait, et parvenait souvent à les éteindre; elles n'avaient, d'ailleurs, plus pour objet l'envahissement, la conquête et l'extermination. Des droits contestés pouvaient seuls en fournir l'occasion et le prétexte. Les guerres lointaines ne s'adressaient qu'à la barbarie, et prenaient leur source dans un sentiment de piété et de justice que la philosophie elle-même · n'a pu condamner. La marche de la raison, le développement des lumières, l'esprit de charité auraient infailliblement amené par degrés la suppression des anciens abus et des réformes successives en faveur des classes inférieures, dont l'existence était toujours, néanmoins, garantie et protégée.

Tout à coup l'unité religieuse est rompue par des esprits audacieux et impatiens du frein que la religion catholique imposait à leurs passions et à leurs vues ambitieuses. Des guerres cruelles s'allument; l'Europe est ébranlée. Dans un royaume entraîné par le torrent des idées nouvelles, on voit disparaître le sentiment religieux, l'esprit de charité, et toutes les institutions qu'il avait fondées. La cupidité envahit les biens consacrés à la charité et à la religion par des siècles de piété et de bienfaisance; la misère s'accroît avec une rapidité effrayante; on est obligé d'imposer des aumônes volontaires, et plus tard une taxe spéciale forcée; on espère, à l'aide de l'industrie, suppléer à l'absence de l'esprit de charité, et ouvrir aux peuples des sources inépuisables de prospérité et de bonheur. Le travail agricole est placé au second rang. En même temps, on voit surgir une philosophie, qui, s'appuyant sur le sensualisme, annonce aux hommes que leur destinée véritable les appelle à toutes les jouissances physiques, parce qu'elle est exclusivement bornée à leur passage sur la terre. L'égoïsme, l'avidité s'emparent de tous les cœurs. Aux guerres de religion succèdent les guerres de commerce.

Les richesses s'augmentent, mais se concentrent dans un petit nombre de familles. La population, excitée par une industrie manufacturière indéfinie, s'accroît rapidement; des théories d'économie politique se formulent en science pour diriger le mouvement donné à la civilisation nouvelle, et multiplier le travail manufacturier en excitant de nouveaux besoins. Pendant quelques années, de grands succès encouragent la nation, excitent la jalousie des peuples voisins, et leur font adopter les doctrines qui avaient produit tant de merveilles. Une fièvre universelle d'industrie se répand comme une vaste contagion ; la concurrence encombre tous les marchés de la terre: la production dépasse toutes les limites de la consommation; elle ne peut se soutenir que par le bas prix des salaires et par des procédés de plus en plus économiques. Le royaume cité comme le modèle de la civilisation était arrivé à l'apogée de la richesse et de la puissance; il s'aperçoit alors qu'un abîme immense est creusé dans son sein! La population ouvrière, démesurément augmentée, sans travail ou sans salaire suffisant, est livrée à la plus affreuse misère : le vide de l'esprit religieux se fait sentir amèrement; les crimes se multiplient dans une effrayante proportion; le colosse aux pieds d'argile est ébranlé, et l'Europe va assister peut-être à sa chute prochaine.

Les nations qui avaient laissé s'introduire les mêmes théories philosophiques et économiques, voient naître dans leur sein des révolutions sanglantes, et sont menacées à leur tour d'un excédant de population qui, dépour– vue d'aliment moral, demande à grands cris des jouissances matérielles.

Toutefois, comme ce n'est plus désormais à la charité et aux vices des institutions religieuses que l'on peut attribuer la misère publique, on s'en prend au principe de la population elle-même, et tous les effets de l'économie po

litique vont être dirigés contre son développement. On repousse même la charité, si elle contribue à conserver et à multiplier la race humaine.

Tel est l'exemple donné par l'Angleterre ; tel est celui que commence à suivre une partie de la France, et que nous trouvons encore chez les peuples où le système anglais a reçu son application. Partout on remarque qu'à mesure que l'esprit de religion et de charité, et les bonnes mœurs, se sont séparés de l'esprit d'industrie, le sort des classes inférieures s'est aggravé et a exigé des mesures inhumaines. L'histoire des variations de la législation relative aux pauvres, aux mendians et aux autres infortunés, atteste l'antique influence des vertus religieuses sur les destinées de la population misérable et le déplorable effet de leur abandon.

Peut-être l'importance du travail, comme élément de civilisation, n'avait-elle pas été suffisamment comprise aux époques où dominait la charité chrétienne. Cette importance, il est vrai, ne pouvait se révéler que lentement, puisqu'elle est relative à l'étendue des besoins de la population, et suppose d'ailleurs une société avancée ; mais il n'est pas douteux qu'elle n'eût été plus tard appréciée par la charité, dont l'application, nécessairement susceptible de perfectionnement et de progrès, se serait mise en rapport avec ces besoins. Aujourd'hui, elle n'est plus un mystère : l'impérieuse nécessité de l'alliance des deux grandes lois sociales s'est complétement et subitement manifestée à la suite du long divorce qui s'était opéré entre elles. Pour guérir les maux qu'il a produits, il faut désormais ne plus séparer ces lois, et les appliquer à tout ce qui s'entreprendra pour soulager la misère publique.

Convaincus que c'est uniquement de ces principes qu'il est indispensable de partir pour établir en France un système complet de secours en faveur des indigens, nous

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les prendrons pour guide dans l'examen, auquel nous allons nous livrer, des réformes dont les institutions charitables, les secours publics et la législation qui les régit sont susceptibles.

Les diverses causes de la misère publique peuvent se résumer ainsi :

De la part des pauvres,

1o L'impuissance, le défaut ou le refus de travail; 2o L'immoralité, l'ignorance, l'imprévoyance, l'absence du sentiment religieux.

De la part des riches,

10 L'absence de l'esprit de charité, l'égoïsme, la cupidité, le monopole des terres, des capitaux et de l'industrie ;

20 L'accroissement excessif de l'industrie manufacturière;

30 L'abandon de l'agriculture et de l'industrie nationale.

De la part des gouvernemens,

1o Les vices ou les imperfections des institutions publiques charitables et de la législation sur les indigens et les mendians;

20 L'abandon des principes de religion ou de charité, ou la négligence à les introduire dans l'enseignement, la politique, les mœurs et les institutions;

5o Le défaut de protection suffisante accordée à l'agriculture, à l'industrie nationale et au commerce intérieur. Enfin, de la part de la charité elle-même, ou plutôt des personnes animées de son esprit,

1o La préférence donnée à l'aumône manuelle sur le travail et sur les nombreux moyens de secours que la charité peut offrir aux indigens;

2o L'habitude, respectable sans doute, mais cependant vicieuse, de se borner plutôt à soulager immédiatement la misère qu'aux moyens de la prévenir ;

30 Le défaut d'ensemble, de concours, d'association générale dans la pratique de la charité;

4o Le retard ou la négligence à s'emparer, en faveur du soulagement des pauvres, des découvertes et du perfectionnement introduit dans les sciences d'économie politique et domestique, dans les institutions d'enseignement, de bienfaisance et de philantropie.

Cette classification nous offre naturellement l'ordre que doivent suivre notre examen et nos recherches.

Nous nous occuperons donc, en premier lieu, des améliorations à apporter dans les institutions relatives aux diverses classes d'indigens, à l'effet de les coordonner avec un système général de secours également propre à soulager et à prévenir la misère publique.

Nous indiquerons ensuite quelles sont les modifications qu'il serait convenable d'apporter à la législation pour la mettre en harmonie avec le système des secours publics. Enfin, nous présenterons, dans la dernière partie de notre ouvrage, les considérations qui placent l'agriculture au premier rang des élémens les plus puissans du nouveau système des secours publics. Nous ne nous dissimulons pas, sans doute, les difficultés que va offrir un si vaste examen. Nous espérons toutefois que, soutenus par notre conviction, par d'importantes autorités et par l'amour ardent du bien, que, dégagés de préjugés et guidés par la vérité religieuse, il nous sera donné du moins d'offrir quelques vues utiles que le temps se chargera de faire fructifier.

Dans toutes les questions qui vont se présenter à nous, nous rapprocherons les divers systèmes économiques et philantropiques des principes de la charité religieuse : nous nous efforcerons de les concilier, de les accorder, en donnant toutefois à la charité la grande part qui leur revient dans un sujet qu'elle doit nécessairement dominer.

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