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I.

Luther. I fe

conftances re

cette divifion.

Contin. de

Fl. t. XXVI.

1. cxxix.n. 17. & fuiv.

AN. 1524.

ARTICLE V.

Progrès du Luthéranisme.

I.

LUTH UTHER profitoit de tout pour rendre fon parti plus Progrès de confidérable; & l'on vit bientôt fon héréfie répandue defépare de Car- puis la haute Saxe jufqu'au-delà de la mer Baltique. Cepenloltad. Cir dant la divifion augmentoit tous les jours entre lui & Carmarquables de loftad. Celui-ci fut obligé de fortir de Vittemberg au commencement de 1524, & de fe retirer à Orlemonde, ville de Thuringe, dépendante de l'électeur de Saxe, où il fut choifi miniftre par pour les magiftrats & par le peuple. Toute l'Allemagne étoit alors en feu. Carlostad, par fes fermons emportés, avoit excité de nouveaux troubles, & il fut accufé auprès de l'électeur de Saxe de favorifer la doctrine des Anabaptistes, nouvelle secte dont nous parlerons ailleurs. Les paysans avoient pris les armes contre leurs fouverains, & prétendoient, avec affez de fondement, fuivre en cela la doctrine de Luther. Les Anabaptistes se joignoient aux paysans, & Carlostad étoit dans de grandes liaisons avec les uns & les autres. L'électeur de Saxe envoya Luther à Orlemonde pour appaiser ces mouvemens. En paffant par Jene, il y prêcha vivement, à fon ordinaire, contre Carloftad, fans toutefois le nommer. Après le fermon, Carloftad qui y avoit affifté, alla trouver Luther au cabaret de l'Ourfe-noire où il logeoit, & lui en fit des reproches amers, jufqu'à lui dire que c'étoit lui qui étoit le véritable auteur de tous les troubles. Il ajouta qu'il ne pouvoit fouffrir l'opinion de Luther fur la préfence réelle que ce qu'il avoit enfeigné fur les facremens étoit plein de contradictions & d'impiétés, & qu'il étoit prêt de le prouver en public. Luther avec un air dédaigneux le défia d'écrire contre lui; & tirant de fa bourse un écu d'or, il le lui donna en disant : Tenez, écrivez contre moi le plus fortement que vous pour

rez. Carloftad le prit, & dit aux affiftans: Mes freres, voila le figne & le gage du pouvoir que je reçois contre le docteur Luther: je vous prie d'en être témoins. Ils fe toucherent enfuite dans la main, & fe promirent de fe faire bonne guerre. Luther but à la fanté de Carloftad, & au bel ouvrage qu'il alloit mettre au jour. Carloftad fit raison, & avala le verre plein: ainfi la guerre fut déclarée à la mode du pays le vingt-deuxieme d'Août 1524. L'adieu des combattans fut remarquable." Que ne puis-je te voir fur la roue, dit Carlostad à Luther! Puiffes-tu te rompre le col avant » que de fortir de la ville, répondit Luther!,, L'entrée n'avoit pas été moins agréable. Par les foins de Carloftad, Luther entrant dans Orlemonde, fut reçu à grands coups de pierres & couvert de boue. Voila le nouvel évangile voila les actes des nouveaux apôtres. Un cabaret fut le berceau du chef des Sacramentaires. Ces étranges circonftances se trouvent dans les œuvres mêmes de Luther, & font avouées par les auteurs proteftans.

"

II.

Erafme écrivit la même année au pape Clément VII. pour lui témoigner l'attachement inviolable qu'il avoit pour IEglife catholique, & la difpofition où il étoit de corriger dans Les Ecrits tout ce qu'on y trouveroit de répréhensible. En finissant sa lettre, il exhorte le pape à appaiser les troubles caufés par les guerres & & par la nouvelle héréfie.,, Vous y réuffirez, lui dit il, fi vous êtes également favorable à tous les princes, & fi vous changez les chofes qui peuvent être changées fans faire tort à la religion.„, Ce conseil étoit bien fage. Erafme reçut peu de temps après une lettre de Melanchton, qui fe plaignoit de quelques fectateurs de Luther, & s'efforçoit de gagner celui à qui il écrivoit. Erafme répondit à Melanchton, qu'il avoit raison de se plaindre de plufieurs qui abufoient du nom de l'évangile. Je ne veux point, ajoute-t-il, juger des motifs de Luther, ni vous obliger à changer de fentimens ; mais j'aurois fouhaité qu'ayant

II. Lettre d'Eraf me au pape

Ciément VII.
Mélanchton.

Ibid. n. 27.

& fun.

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un esprit propre aux lettres, vous vous y fuffiez entiérement
attaché, fans vous mêler de cette querelle de religion. On
voit ici un homme tout occupé de belles-lettres, & qui cou-
vre sous le beau nom de modération, une espece d'indiffé-
rence que la vérité condamnoit, & que les horribles excès
de Luther rendoient inexcufable. Néanmoins à la fin de la
même lettre, Erasme difoit nettement que plufieurs chofes
le choquoient dans la doctrine & la conduite de Luther:
que cet homme en outrant tout, & fe portant aux dernieres
extrémités, ne difpofoit point les évêques & les princes à
embraffer la réforme. L'évangile de Jesus-Christ, ajoutoit-
il, a rendu les hommes meilleurs: mais le prétendu nouvel
évangile ne fait que les
corrompre.

y

Melanchton avoit mandé à Erafme qu'il ne trouvoit pas mauvais qu'il écrivît fur le libre arbitre contre Luther, peutêtre parce qu'il favoit que ce favant homme devoit écrire fur cette matiere. En effet, follicité par fes amis, il composa un traité qu'il intitula: Conférence fur le libre arbitre. Il attaque l'erreur de Luther fans toucher à fa perfonne. Il prouve par l'écriture fainte, que l'homme a été créé libre; que par le péché d'Adam fon efprit & fa volonté ont été corrompus; qu'il a besoin de la grace pour être délivré de cet état; & que, quoique fa liberté ait été très-dangereusement bleffée par le péché du premier homme, elle n'a pas néanmoins été entiérement détruite. Il combat l'erreur de ceux qui difent que la volonté eft purement paffive, que le libre arbitre est un nom en l'air, & que tout ce que l'homme fait, il le fait par néceffité. Il répond enfuite à tout ce qu'avoit allégué Luther pour établir fon erreur contre le libre arbitre.

Luther parut mépriser ce traité, tant qu'il ne fut qu'en latin; parce que les grands ni le peuple n'entendoient point cette langue. Mais dès qu'Emfer & Cochlée l'eurent traduit en allemand, il entreprit de le réfuter. Il le fit deux ans après avec tant d'emportement, que Mélanchton fon cher difciple, ne put s'empêcher de dire: Plût à Dieu que Luther gardât le filence! J'espérois que l'âge le rendroit plus modéré,

&

& je vois qu'il devient de jour en jour plus violent. Les difcours outrageux de Luther n'étoient pas ce qu'il y avoit de plus révoltant dans ce qu'il écrivit contre Erafme. La doctrine en étoit horrible; puifqu'il prétendoit non-feulement que le libre arbitre étoit anéanti dans l'homme depuis fa chûte,mais qu'il avouoit la conféquence naturelle & affreufe que Dieu faifoit en nous le mal comme le bien, & étoit auteur de tous les crimes. Erafme répliqua à l'écrit de Luther par un ouvrage affez gros, où prefque tout eft perfonnel, & ne contient rien de nouveau fur le fond de la doctrine.

III.

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Pendant qu'Erafme écrivoit contre la nouvelle héréfie Oecolampade qui avoit eu des liaisons avec lui, eut le malheur de fe laiffer entraîner dans les erreurs de Zuingle, qui forma une secte à part, différente de celle de Luther. Nous renvoyons à un autre article ce qui regarde ces deux fectaires, afin de ne point interrompre l'hiftoire du Luthéranifme. Il eft vifible que l'unique moyen d'en arrêter le progrès, & de remédier aux maux fans nombre qui en étoient la fuite, étoit d'affembler au plutôt un concile général, comme les Allemands ne ceffoient de le demandér. Mais ce reméde, fi néceffaire à l'Eglife, ne s'accordoit pas avec la politique de la cour de Rome, & le pape Clément VII. ne voulut pas l'employer. Il craignoit de n'y être pas affez le maître; & lorfqu'il étoit cardinal, il difoit qu'un concile n'étoit utile que quand on n'y traitoit point de l'autorité du pape, & qu'il étoit pernicieux, dès qu'on venoit à remuer cette question. On juge aifément qu'il n'avoit pas changé de fentiment en montant fur le fiége de Rome. Palavicin luimême (Jésuite) convient, que ce pape appréhendoit qu'on n'y réveillât la queftion incommode de la fupériorité du concile au-deffus du pape. Les cardinaux avoient auffi leurs raisons pour s'oppofer à la tenue d'un concile œcuménique. Ils favoient qu'on y auroit traité de la réformation des mœurs, & c'étoit ce qu'ils craignoient le plus. Ainfi au lieu Tome VIII.

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V. L'erreur s'é

tend & s'affermit de plus en plus. Comen la mot ment la cour de Rome fe

conduifoit pour arrêter ce progrès.

Ib. 1. cxxix. n. 31. & 32,

Ib. 1. cxxx.

AN. 1525.

d'un concile, on fe contenta d'une fimple affemblée de cardinaux, dont les décifions ne pouvoient avoir une fort grande autorité, quand même, ce qui n'étoit pas à beaucoup près, elles auroient d'ailleurs renfermé les vrais remédes aux maux de l'Eglife. On y ordonnoit au légat qui étoit en Allemagne, de répondre fur la demande du concile, que le pape étoit tout difpofé à le convoquer, mais qu'il ne le pouvoit faire tant que les princes Chrétiens feroient en guerre. C'étoit-là le prétexte; mais la vraie raison, nous l'avons dite plus haut.

la

Quelle impreffion une pareille réponse devoit-elle faire fur les Allemands, qui fâvoient que Clément VII. avoit beaucoup de part à cette guerre, & que c'étoit même lui qui l'avoit excitée, comme l'empereur le lui reprocha quelque temps après? Au fujet des griefs dont on fe plaignoit en Allemagne, le légat étoit chargé de faire valoir la prétendue réforme ordonnée par le dernier concile de Latran, & de faire au nom du pape de belles promeffes pour l'avenir, (lefquelles n'eurent point d'exécution.) C'est ainsi que cour de Rome venoit au fecours de l'Eglife d'Allemagne, ravagée par l'hérésie, le fchifme & les guerres civiles. Ce2.7.& pendant le mal augmentoit tous les jours. Frédéric, électeur de Saxe, qui, quoique protecteur de Luther, gardoit encore quelques mefures, mourut le cinquieme de Mai 1525. âgé de foixante-deux ans, & eut pour fucceffeur Jean fon frere, qui fe déclara ouvertement pour la doctrine de ce novateur. La ville de Strafbourg l'avoit embraffée, & les magiftrats foutenoient contre l'évêque, les eccléfiaftiques qui s'étoient mariés, & les prédicateurs du Luthéranifme. A Francfort fur le Mein, le peuple s'étant foulevé, chaffa les deux doyens des principales églifes, & pilla le monaftere des Dominicains. Les féditieux dépoferent enfuite les magistrats, firent un nouveau fénat, compofé de vingt-quatre perfonnes tirées de la populace, & firent des loix pour régler le gouvernement. Il y eut de femblables féditions à Maïence & à Cologne: mais elles n'y eurent pas de fuite; au lieu qu'à Francfort le Luthéranifme prévalut, même après que la révolte

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