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III.

Erafme attaLuther fur le

que l'erreur de

libre arbitre. Ibid. n. 30. & 1. cxxx. n. 30. & 31.

un efprit propre aux lettres, vous vous y fuffiez entiérement attaché, fans vous mêler de cette querelle de religion. On voit ici un homme tout occupé de belles-lettres, & qui couvre fous le beau nom de modération, une espece d'indifférence que la vérité condamnoit, & que les horribles excès de Luther rendoient inexcufable. Néanmoins à la fin de la même lettre, Erafme difoit nettement que plufieurs choses le choquoient dans la doctrine & la conduite de Luther: que cet homme en outrant tout, & fe portant aux dernieres extrémités, ne difpofoit point les évêques & les princes à embraffer la réforme. L'évangile de Jefus-Chrift, ajoutoitil, a rendu les hommes meilleurs: mais le prétendu nouvel évangile ne fait que les corrompre.

Mélanchton avoit mandé à Erafme qu'il ne trouvoit pas mauvais qu'il écrivît fur le libre arbitre contre Luther, peutêtre parce qu'il favoit que ce favant homme devoit écrire fur cette matiere. En effet, follicité par fes amis, il compofa un traité qu'il intitula: Conférence fur le libre arbitre. Il y attaque l'erreur de Luther fans toucher à fa perfonne. Il prouve par l'écriture fainte, que l'homme a été créé libre; que par le péché d'Adam fon efprit & fa volonté ont été corrompus; qu'il a befoin de la grace pour être délivré de cet état; & que, quoique fa liberté ait été très-dangereusement bleffée par le péché du premier homme, elle n'a pas néanmoins été entiérement détruite. Il combat l'erreur de ceux qui difent que la volonté eft purement paffive, que le libre arbitre eft un nom en l'air, & que tout ce que l'homme fait, il le fait par néceffité. Il répond enfuite à tout ce qu'avoit allégué Luther pour établir fon erreur contre le libre arbitre.

Luther parut mépriser ce traité, tant qu'il ne fut qu'en latin; parce que les grands ni le peuple n'entendoient point Ibid. n. 32. cette langue. Mais dès qu'Emfer & Cochlée l'eurent traduit &fuix.

IV. Réponse de Luther,

en allemand, il entreprit de le réfuter. Il le fit deux ans après avec tant d'emportement, que Mélanchton fon cher difciple, ne put s'empêcher de dire: Plût à Dieu que Luther gardât le filence! J'espérois que l'âge le rendroit plus modéré,

&

& je vois qu'il devient de jour en jour plus violent. Les difcours outrageux de Luther n'étoient pas ce qu'il y avoit de plus révoltant dans ce qu'il écrivit contre Erafme. La doctrine en étoit horrible; puifqu'il prétendoit non-seulement que le libre arbitre étoit anéanti dans l'homme depuis fa chûte, mais qu'il avouoit la conféquence naturelle & affreufe que Dieu faifoit en nous le mal comme le bien, & étoit auteur de tous les crimes. Erasme répliqua à l'écrit de Luther par un ouvrage affez gros, où prefque tout eft perfonnel, & ne contient rien de nouveau fur le fond de la doctrine.

III.

Pendant qu'Erafme écrivoit contre la nouvelle hérésie, Oecolampade qui avoit eu des liaisons avec lui, eut le malheur de se laisser entraîner dans les erreurs de Zuingle, qui forma une secte à part, différente de celle de Luther. Nous renvoyons à un autre article ce qui regarde ces deux fectaires, afin de ne point interrompre l'hiftoire du Luthéranifme. Il eft vifible que l'unique moyen d'en arrêter le progrès, & de remédier aux maux fans nombre qui en étoient la suite, étoit d'assembler au plutôt un concile général, comme les Allemands ne ceffoient de le demandér. Mais ce reméde, fi néceffaire à l'Eglife, ne s'accordoit pas avec la politique de la cour de Rome, & le pape Clément VII. ne voulut pas l'employer. Il craignoit de n'y être pas affez le maître; & lorsqu'il étoit cardinal, il difoit qu'un concile n'étoit utile que quand on n'y traitoit point de l'autorité du pape, & qu'il étoit pernicieux, dès qu'on venoit à remuer cette question. On juge aifément qu'il n'avoit pas changé de fentiment en montant fur le fiége de Rome. Palavicin luimême (Jéfuite) convient, que ce pape appréhendoit qu'on n'y réveillât la queftion incommode de la fupériorité du concile au-deffus du pape. Les cardinaux avoient auffi leurs raifons pour s'opposer à la tenue d'un concile œcuménique. Ils favoient qu'on y auroit traité de la réformation des mœurs, & c'étoit ce qu'ils craignoient le plus. Ainfi au lieu Tome VIII. S

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d'un concile, on fe contenta d'une fimple affemblée de car-
dinaux, dont les décisions ne pouvoient avoir une fort
grande autorité, quand même, ce qui n'étoit pas à beau-
coup près, elles auroient d'ailleurs renfermé les vrais remédes
aux maux de l'Eglife. On y ordonnoit au légat qui étoit en
Allemagne, de répondre fur la demande du concile, que le
pape étoit tout difpofé à le convoquer, mais qu'il ne le pou-
voit faire tant que les princes Chrétiens feroient en guerre.
C'étoit-là le prétexte; mais la vraie raison, nous l'avons dite
plus haut.

que

Ib. 1. cxxx. &fuiv. AN. 1525.

Quelle impreffion une pareille réponse devoit-elle faire fur les Allemands, qui favoient que Clément VII. avoit beaucoup de part à cette guerre, & que c'étoit même lui qui l'avoit excitée, comme l'empereur le lui reprocha quelque temps après? Au fujet des griefs dont on fe plaignoit en Allemagne, le légat étoit chargé de faire valoir la prétendue réforme ordonnée par le dernier concile de Latran, & de faire au nom du pape de belles promeffes pour l'avenir, (lefquelles n'eurent point d'exécution.) C'est ainsi la cour de Rome venoit au fecours de l'Eglife d'Allemagne, ravagée par l'héréfie, le schifme & les guerres civiles. Ce2.7.& pendant le mal augmentoit tous les jours. Frédéric, électeur de Saxe, qui, quoique protecteur de Luther, gardoit encore quelques mefures, mourut le cinquieme de Mai 1525. âgé de foixante-deux ans, & eut pour fucceffeur Jean fon frere, qui fe déclara ouvertement pour la doctrine de ce novateur. La ville de Strafbourg l'avoit embraffée, & les magiftrats foutenoient contre l'évêque, les eccléfiaftiques qui s'étoient mariés, & les prédicateurs du Luthéranifme. A Francfort fur le Mein, le peuple s'étant soulevé, chaffa les deux doyens des principales églifes, & pilla le monafte re des Dominicains. Les féditieux dépoferent enfuite les magistrats, firent un nouveau fénat, compofé de vingt-quatre perfonnes tirées de la populace, & firent des loix pour régler le gouvernement. Il y eut de femblables féditions à Maïence & à Cologne: mais elles n'y eurent pas de fuite; au lieu qu'à Francfort le Luthéranisme prévalut, même après que la révolte

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fut appaifée. Enfin, à l'exception des pays héréditaires de la maifon d'Autriche, où l'on à toujours confervé l'ancienne & l'unique vraie religion, l'héréfie trouva des prédicateurs & des fectateurs dans presque tous les états de l'empire.

IV.

Il y avoit long-temps que Luther defiroit de se marier, & il n'avoit été arrêté que par la crainte de l'électeur Fré-, déric, qui ne pouvoit fouffrir ces mariages de prêtres & de religieux. Dès qu'il fut mort, le prétendu réformateur ne fongea qu'à fatisfaire au plutôt fon infâme paffion. Il épousa publiquement, le treizieme de Juin (1), une jeune religieufe nommée Catherine de Bore, fille de qualité & d'une beauté rare, qui étoit du nombre de celles qu'il avoit fait fortir de leur monaftere deux ans auparavant. Il avoit alors quarantecinq ans, & la religieufe vingt-fix. Tout le monde, fans en excepter même les amis de Luther, fut furpris de voir cet homme, qu'on donnoit à tout l'univers comme le restaurateur de la pureté de l'évangile & le réformateur du genre humain, faire paroître dans un âge déja assez avancé une fi grande foibleffe. Voici ce qu'en écrivit Melanchton à Camérarius dans une lettre en grec. " Luther, dit-il, a épousé la » Bore, fans en dire mot à fes amis. Ayant prié à fouper » Poméranus, (c'étoit le nom du pafteur,) un peintre, » avocat, on fit les cérémonies accoutumées. On fera étonné » de voir que dans un temps fi malheureux, & où les gens » de bien ont tant à fouffrir, Luther n'ait pas eu le courage de compatir à leurs maux, & ait même laiffé affoiblir fa réputation, lorfque l'Allemagne avoit le plus befoin de fon autorité & de fa prudence. Au refte, continue le pauvre Mélanchton, quoique ce genre de vie foit bas & commun,

& un

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il est néanmoins faint & honorable.,, Cherchant enfuite à fe confoler avec fon ami, d'un événement fi trifte & fi embaraffant pour eux : "Peut-être, dit-il, y a-t-il ici quelque

1

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(2) [Le continuateur de M. Fleury dit vers la fin du mois de Juin: à la marge on lit le 11.]

VI.

Mariage de

amis même en rougiffent. Ibid. n. 24.

fuiv.

&

"

»

391

chose de mystérieux & de divin que nous ignorons. Nous
» avons des marques certaines de la piété de Luther. Il est
bon qu'il nous arrive quelque chofe d'humiliant, puisqu'il
„, y a tant de péril à être élevé. Après tout, les plus grands
faints de l'antiquité ont fait des fautes. Enfin il faut s'atta-
cher à la parole de Dieu pour elle-même, & non pour le
mérite de ceux qui la prêchent ; & il n'y auroit rien de
» plus injufte, que de blâmer la doctrine à cause des fautes
où tombent les docteurs.,, La maxime eft bonne fans doute,
dit M. de Meaux, mais il ne falloit donc pas tant insister sur
les défauts perfonnels du clergé catholique, ni fe tant ap-
puyer fur Luther, que l'on voyoit fi foible, quoiqu'il fût
d'ailleurs fi audacieux; ni enfin nous tant vanter la réfor-
mation comme un ouvrage merveilleux de la main de Dieu,
puifque le principal inftrument de cette œuvre incompa-
rable, étoit un homme non feulement fi vulgaire, mais en-
core fi emporté. Le mariage de Luther étoit une chose fi
horrible & fi criante, que dans les commencemens il en fut
lui-même honteux & troublé. Mais il fe raffura bientôt, &
non-feulement il fit l'apologie de fon action à la face de toute
la terre ; mais il eut même l'infolence de se proposer en cela
pour modéle aux moines & aux eccléfiaftiques.

Erafme jugeoit bien autrement de ces mariages scanda-
leux des nouveaux réformateurs. On a beau dire, écrivoit-il
au fujet de celui d'Oecolampade, que le Luthéranisme eft
une chofe tragique: pour moi je fuis perfuadé que rien n'est
plus comique; car le dénouement de la piéce eft toujours
quelque mariage, & tout finit en fe mariant comme dans
les comédies. Et prenant ailleurs un ton férieux : J'admire,
dit-il, ces prétendus réformateurs qui prennent la qualité
d'apôtres, & qui ne manquent point de renoncer à la pro-
feffion folemnelle du célibat, pour prendre des femmes; au
lieu que les vrais apôtres de Jesus-Chrift, afin de n'être oc-
cupés que de Dieu & de l'évangile, quittoient leurs femmes
pour embraffer le célibat.

VII.

foit Erafine de

Ce que pen ces mariages. Ibid. n. 27.

AN. 1526.

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