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gré les oppofitions du greffier. Quelques jours après, Zuingle cut un fonge qu'il rapporte lui-même dans le dernier ouvrage dont nous venons de parler. Il dit que s'imaginant difputer encore avec le greffier de Zurich, qui le preffoit vivement fur la clarté de ces paroles Ceci eft mon Corps, il vit paroître tout d'un coup un fantôme blanc ou noir, (car il n'étoit pas certain de la couleur,) qui lui dit ces mots: Lâche, que ne réponds-tu ce qui eft dans l'Exode: L'agneau eft la Pâque, pour dire qu'il en eft le figne? Zuingle prit ce fonge pour une vraie révélation,& s'appuyant fur une preuve fi merveilleuse, il foutint que ces mots, Ceci eft mon Corps, fignifioient, Ceci est la figure de mon Corps. Comment ce docte perfonnage ne favoit-il pas que cette expreffion, l'agneau eft la pâque ou le paffage, eft un hébraïfme affez commun, où le mot de facrifice eft fous-entendu ? L'écriture s'explique elle-même un peu plus bas, en difant, que l'agneau eft la victime du paffage. Une telle ignorance n'est point pardonnable à un homme qui vouloit faire la loi à toute l'Eglife.

III.

par

Rouet, hift. t. 1. p. 86.

des var. in 4.

se

V I. Ecolampade

joint à Zuingle. Caractere veaux réfor

de ces nou

Contin. de

Ce nouvel apôtre fut bientôt puiffamment secondé un autre féducteur, plus favant & plus modéré que lui. C'est Oecolampade,que nous nous fommesjufqu'à préfent contentés de nommer. Il étoit né en 1482. & étant encore jeune, il fut appellé à Bâle pour prêcher dans la principale églife. mateurs En 1515. il écrivit à Erafme avec autant d'efprit que de po- Fl. t. XXVI, liteffe. On voit dans fes lettres de grands fentimens de piété. 1. cxxix.n. 31. Il avoit coutume d'écrire au pied de fon crucifix, & il ne pouvoit s'empêcher de parler des délices pures qu'il goûtoit dans le faint exercice de la priere. En 1520, il fe fit moine dans le monaftere de faint Laurent, près d'Ausbourg. Mais il quitta bientôt cette retraite pour aller à Bâle, où il fut fait curé. Il fe laissa ensuite féduire par les nouveaux réformateurs, & fe lia particuliérement avec Zuingle, dont il tâcha d'appuyer les erreurs. Il fut choifi pour premier miniftre de l'Eglise prétendue réformée de Bâle. Erasme nous

VII. Progrès des

Sacramentai res. Pourquoi

il a été fi ra

pide.

apprend qu'auffi-tôt que fon ami Oecolampade se fut séparé de l'Eglife, il ne le reconnoiffoit plus ; que tous fes fentimens de piété disparurent; & qu'au lieu de la candeur qu'il avoit toujours trouvée en lui, il n'y remarqua plus que diffi, mulation & artifices. Il eft bon de le remarquer. La vraie piété, qui n'eft autre chofe que la charité, ne fe transporte point hors de l'Eglife. Les chefs de la nouvelle réforme avoient à la vérité de l'efprit, & n'étoient pas fans littérature; mais auffi ils étoient hardis, téméraires dans leurs décifions, & enflés de leur vain favoir. Ils aimoient les opinions extraordinaires & particulieres, croyant par là s'élever, non-feulement au-dessus des hommes de leur fiécle, mais encore de ceux de la plus fainte antiquité. Si Zuingle dans fa véhémence parut être un autre Luther, on peut dire qu'Oecolampade par fa politeffe fembloit être un autre Mélanchton; auffi étoit-il fon ami particulier.

Nous avons vu dans l'article précédent, que Carloftad parmi les Sacramentaires étoit le premier qui avoit nié la préfence réelle. Comme il étoit fort ignorant, il fit peu de progrès; mais les écrits de Zuingle accréditerent fort ce nouveau dogme. Oecolampade perfectionna cette œuvre de féduction, & il fit tant d'impreffion par fon érudition & fon éloquence, qu'il y avoit, dit Erafme, de quoi féduire, s'il étoit poffible, les élus même. Dieu les mettoit à cette épreuve mais fes promeffes & fa vérité foutenoient la fimplicité de la foi de l'Eglife contre les raisonnemens humains. Carlosad répandoit de temps en temps de petits écrits pleins d'ignorance contre la présence réelle. Quelque méprifables qu'ils fuflent, de l'aveu de tout le monde, le peuple épris de la nouveauté, ne laiffoit pas de les goûter. Cet extravagant fe réconcilioit quelquefois avec Luther, & enfuite fe déclaroit fon ennemi. Il ne ceffa de brouiller toute fa vie ; & les Suiffes qui le reçurent chez eux plufieurs fois, ne purent jamais venir à bout de calmer cet efprit turbulent. Lorfque le fens figuré eut acquis pour défenfeurs deux hommes tels que Zuingle & Occolampade; Bucer & Capiton, qui gouvernoient les prétendus réformés de Straf

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pour

bourg, s'attacherent à cette interprétation, & tous ceux
qui prirent ce parti furent, comme nous l'avons dit, appel-
lés Sacramentaires. Il n'eft point étonnant qu'un fentiment
fi favorable au fens humain, eût tant de vogue. Zuingle
difoit pofitivement qu'il n'y avoit point de miracle dans
l'Euchariftie, ni rien d'incompréhenfible; que le pain rom-
pu nous représente le Corps immolé, & le vin le Sang ré-
pandu; que Jefus-Chrift, en inftituant ces fignes facrés,
leur avoit donné le nom de la chofe ; que ce n'étoit
tant point un fimple fpectacle, ni des fignes tout-à-fait nuds;
que la mémoire du corps immolé & du fang répandu, fou-
tenoit notre ame; qu'à l'occafion de ce fouvenir, le Saint-
Efprit fcelloit dans les cœurs la rémiffion des péchés, & que
c'étoit-là tout le mystère. Il faut avouer que la raison hu-
maine s'accommodoit fort de cette explication, & qu'elle
n'avoit aucun facrifice à faire en la recevant. Mais c'étoit
cette clarté là même qui démasquoit la nouveauté. Car tous
les Chrétiens de tous les fiecles avoient regardé l'Eucharif
tie comme un myftere très-profond, & inacceffible à la
raifon humaine. On devoit donc dire anathême à des hom-
mes téméraires & orgueilleux, qui prétendoient l'expliquer
clairement, & fans y laiffer de myftere : comme on devroit
le dire à quiconque fe vanteroit d'expliquer clairement les
autres mysteres de la religion, la Trinité, l'Incarnation, la
Prédestination & la Grace, &c.

I V.

VIII.

Les Sacra

mentaires ou Zuingliens attaqués & confondus par Lu

Luther fut indigné de voir non-feulement des particu liers, mais des Eglifes entieres de la nouvelle réforme fe foulever contre lui. Mais il n'en rabattit rien de fa fierté. On en peut juger par ces paroles : J'ai le Pape en tête ; j'ai à dos les Sacramentaires & les Anabaptiftes; mais je marcherai ther. feul contre tous; je les défierai au combat ; je les foulerai aux pieds. Je puis dire fans vanité, ajoûte cet infolent écrivain, que depuis mille ans, perfonne n'a mieux expliqué ni mieux entendu que moi les écritures. Il traita d'abord Oeco

Boffuet,hift.

lampade avec affez de douceur; mais il s'emporta d'une maniere terrible contre Zuingle, parce que celui-ci donnoit atteinte à fon autorité, en fe glorifiant d'avoir prêché le premier la réforme dans la Suiffe. Luther en écrivit fortement à ceux de Strasbourg. Comment fe taire, difoit-il dans fa lettre, en voyant ces gens (les Sacramentaires ou Zuingliens) troubler nos Eglifes & attaquer notre autorité ? II concluoit, en déclarant qu'eux ou lui étoient des ministres de Satan. Il ne faut pas s'étonner, dit un habile Luthérien, fi un homme de la magnanimité de Luther écrivoit ainsi à ceux de Strasbourg. La douceur de la gloire eft fi flatteuse, que ceux qui méprisent toutes choses ne peuvent la facrifier. Au contraire plus on a le courage élevé, plus on desire les louanges. Un tel aveu eft remarquable. Quoi ! des hommes qui fe vantent de rétablir l'évangile dans fa pureté, en ignorent la premiere leçon, qui eft l'humilité! De telles maximes les décelent, & font voir à quelle école ils ont été inftruits.

les

Pendant que les Sacramentaires faifoient chaque jour des variat.. de nouveaux progrès, Luther confirmoit la foi de la préfence réelle par de puiffantes raisons. L'écriture & la tradition le foutenoient dans cette caufe. Il prouvoit qu'en donnant un fens figuré aux paroles de Notre Seigneur, qui font fi fimples & fi précises, fous prétexte qu'il y a en d'autres endroits des expreffions figurées, c'étoit ouvrir une porte રે ceux qui voudroient réduire à des figures toute l'écriture & tous les mysteres de notre falut; qu'il falloit avoir pour l'Eucharistie la même foumiffion que nous avons pour autres myfteres, ne nous arrêtant ni à la raison humaine, ni à la nature, mais à Jesus-Christ & à fa parole; qu'il étoit vifible que Jefus-Chrift en employant des expreffions fi fortes, avoit eu intention de nous communiquer fes dons en nous donnant sa perfonne; que le fouvenir de fa mort qu'il nous recommandoit, n'excluoit point fa présence, mais nous obligeoit feulement à prendre ce corps & ce fang comme une victime immolée pour nous; que cette victime nous devenoit propre par cette manducation. Il infiftoit fur

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les paroles énergiques de faint Paul, qui condamnoit si févérement ceux qui fe rendoient coupables du corps & du fang du Sauveur. On voit bien, ajoûtoit-il, que l'apôtre par les expreffions qu'il emploie, condamne ces impies, comme ayant outragé Jesus-Chrift, non pas en fes dons, mais immédiatement en fa perfonne. Luther détruifoit avec une extrême force les objections qu'on oppofoit à ces céleftes vérités. Quand on ofoit lui demander pourquoi Jefus-Christ auroit ainfi voulu faire manger fa chair & boire son sang, il demandoit à fon tour à ces orgueilleux, pourquoi le Verbe s'étoit fait chair? Le genre humain ne pouvoit-il être délivré que par ce moyen? Savent-ils tous les fecrets de Dieu, pour dire qu'il n'avoit que cette voie de fauver les hommes ? Qui font-ils pour faire la loi à leur créateur, & lui prefcrire les moyens par lesquels il juge à propos de leur appliquer fa grace?

Que fi enfin on opposoit les raisons humaines: comment un corps peut fe trouver en tant de lieux; comment un corps humain peut être tout entier dans un fi petit espace? Luther mettoit en poudre tous ces vains raifonnemens, en demandant comment Dieu confervoit fon unité dans la Trinité des Perfonnes? Comment il avoit créé de rien le ciel & la terre ? Comment il avoit fait naître Jesus-Christ d'une vierge? Comment il l'avoit livré à la mort, & comment il reffusciteroit tous les fideles au dernier jour ? Que prétend, ajoûtoit-il, la raison humaine, quand elle forme contre Dieu de pareilles difficultés, qu'il détruit d'un feul fouffle? Ces difcoureurs prétendent que tous les miracles de Jesus-Christ font fenfibles. Mais qui leur a dit que JefusChrist a réfolu de n'en point faire d'autres ? Lorfqu'il a été conçu du Saint-Efprit dans le fein d'une vierge, à qui ce miracle a-t-il été fenfible ? Quand la divinité a habité corporellement en Jefus-Chrift, qui l'a vû, ou qui l'a compris? Mais qui le voit à la droite de fon pere, d'où il exerce fa puiffance fur tout l'univers? Eft-ce donc-là ce qui oblige les Zuingliens à tordre, à mettre en piéces, & à crucifier les paroles de leur maître ? Nous ne comprenons pas, difent-ils 2 Tome VIII.

Cc

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