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en Bourgogne en 1519, d'une famille noble & fort riche. Un de fes oncles, Nicolas de Beze, confeiller au parlement de Paris, le fit venir auprès de lui & prit foin de fon éducation. Il l'envoya à l'âge de dix ans à Orléans, pour être inftruit par Wolmar, Allemand, qui avoit beaucoup de talens pour former la jeuneffe. Le jeune Beze y pafla fept ans, & fit de grands progrès dans les belles-lettres; mais il prit en même temps du goût pour la nouvelle doctrine, dont fon maître étoit infecté. Sa principale occupa tion étoit de lire les auteurs Grecs & Latins & de faire des vers. Il étoit fort aimé des gens de lettres, à caufe de fon efprit & de fa politeffe. Après avoir fait fon droit à Orléans, & reçu le bonnet de Docteur à l'âge de vingt ans, il fuivit le penchant qu'il avoit pour la poëfie, & compofa des pieces de vers latins, qui lui acquirent la qualité de bon poëte. Elles font écrites avec délicateffe ; mais il y en a de fi révoltantes par leur obfcénité, qu'elles feroient rougir un fage Païen. En 1539 il vint à Paris, où fon oncle étoit mort depuis quelques années. Il fut quelque temps indécis fur le parti qu'il prendroit par rapport à la religion; mais fon cfprit & fes amis le perdirent. Il renonça à la foi de fes peres; & en 1548. il fe retira à Genève auprès de Calvin, avec Jean Crifpin fon ami, le même qui a écrit le Martyrologe des Proteftans. L'année fuivante 1549. les habitans de Lauzane prierent Beze d'enseigner chez eux les lettres grecques; ce qu'il fit avec beaucoup de réputation pendant neuf ans. Ce fut alors qu'il travailla à la traduction en vers des Pleaumes de David, que Marot n'avoit pû achever. Il alloit à Genève pendant les vacances, pour y conférer avec Calvin, qui ne ceffoit de l'exhorter à confacrer fes talens au fervice de l'Eglife. On fait ce que fignifie un pareil langage dans la bouche de ce féducteur. Nous aurons occafion de parler encore plus d'une fois de Théodore de Beze. Cette même année Calvin eut à Zurich une conférence avec Bullinger qui avoit fuccédé à Zuingle. Après bien des difputes, dont l'euchariftie étoit l'objet, Calvin déclara qu'il n'avoit point d'autre sentiment que celui des Zuingliens. En confé

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quence l'union entre Zurich & Genève devint plus forte qu'auparavant ; & elle fubfifte encore aujourd'hui.

XVII.

I

Deux ans après, les Sacramentaires d'Allemagne perdirent un de leurs principaux docteurs en la perfonne de Martin Bucer, miniftre à Strasbourg. Cranmer alors archevêque de Cantorbéri l'avoit fait venir en Angleterre, pour travailler à y établir la religion proteftante, avec Pierre Martyr & Bernardin Ochin, général des Capucins, apoftat, qui avoient auffi été appellés pour commencer la réforme. Bucer mourut à Cantorbéri au commencement de l'an 1551, âgé de foixante-un ans. Il fut enterré fort honorablement; & plufieurs favans firent des épitaphes à fa louange. Mais quelques années après, fous le régne de Marie, fon corps fut déterré & brûlê. En 1560. la reine Elifabeth ayant rétabli les erreurs des Calviniftes en Angleterre, fit relever son tombeau & réhabiliter fa mémoire. Il gémiffoit, quelques jours avant fa mort, fur le déplorable état de l'Allemagne, & difoit qu'il étoit bien à craindre que les efforts de tant de gens de bien qui defiroient la réformation de l'Eglife, n'euffent point de fuccès. Il avoit raifon. Des réformateurs diaboliques comme lui & fes femblables, mettoient le comble aux maux de l'Eglife, bien loin d'y apporter du reméde. Il a écrit un très-grand nombre d'ouvrages; & il n'y en a point parmi les Proteftans, qui ait été plus occupé des affaires de la réforme. Il eut plus de ménagement que Calvin pour l'ordre épifcopal; & il approuva la conduite des Anglois, qui le conferverent malgré l'oppofition de plufieurs de leur nation. Il y avoit encore d'autres articles fur lefquels ces deux héréfiarques n'étoient point d'accord. Bucer reprochoit à Calvin de ne juger que felon qu'il aimoit ou qu'il haïffoit, & de n'aimer & ne haïr que felon fa fantaisie. Calvin ne laiffa pas d'être fort fenfible à fa mort; parce qu'il la regardoit comme une perte confidérable pour le parti de la réforme.

XVIII.

Ce féducteur avoit une fi grande autorité à Genève, que perfonne n'ofoit le contredire ni lui réfifter; parce qu'on étoit affuré de ne le pas faire impunément. Il ne pouvoit fouffrir que l'on pensât autrement que lui; & tandis qu'il prêchoit par-tout qu'il ne falloit point écouter l'Eglife catholique ni lui obéir, il exigeoit de ceux qu'il avoit féduits, une foumiffion aveugle à tout ce qu'il jugeoit à propos de décider. Il ne falloit être hérétique que comme lui; & il poursuivoit fans relâche quiconque enfeignoit des erreurs différentes des fiennes, ou y en ajoutoit de nouvelles. Dans le temps qu'il condamnoit le plus fortement la févérité avec laquelle on traitoit en France les partisans de fa fecte, il faifoit brûler à Genève Michel Servet pour avoir enfeigné des erreurs contre le myftere de la Trinité. Pendant qu'il étoit lui-même accufé & convaincu de faire Dieu auteur du péché, il faifoit emprisonner & bannir Bolsec, fous prétexte qu'il étoit Pélagien. Cette tyrannie qu'il exerçoit à Genève & aux environs, lui attira beaucoup d'ennemis & bien des traverfes. Mais il ne rabattit rien de fa dureté & de fa hauteur. Il étoit enivré du progrès que fa malheureuse fecte faifoit de tous côtés, & fur-tout en France. Il se flatta pendant quelque temps de la voir s'étendre jufqu'en Amérique, dans la nouvelle France; & le parti y envoya une troupe de Calviniftes pour exécuter ce grand deflein: mais heureusement ce fut fans fuccès. Enfin après avoir employé près de quarante ans à faire une guerre cruelle à l'Eglife & à lui enlever fes enfans, & avoir fervi d'inftrument à la justice de Dieu pour punir l'ingratitude & les prévarications de fon peuple, Calvin alla recevoir la jufte punition réfervée à ceux qui font chargés d'un ministère fi funefte. Il mourut à Genève le vingt-feptieme de Mai 1564. dans la cinquante-feptieme (z) année de fon âge.

(z) [Le continuateur de M. Fleury dit, cinquante-fixieme: l'un & l'autre cependant ont mis la naiffance de Calvin en 1509. & le continuateur la met au 10 Juil

let. Cela fuppofe, Calvin étoit encore dans
fa cinquante-cinquieme année lorsqu'il
mourut, ]

Mort de Calvin. Ses ouvrages. Son caractere. Sa vanité.

XXXIX.

Cont. de Fl. t. XXXIV.

l. clxvij. n.

104. & 105. AN. 1564,

riations.

Les commentaires qu'il a faits fur l'écriture fainte, font la plus confidérable partie de fes ouvrages. L'apocalypfe eft le feul livre fur lequel il n'a point travaillé. Nous avons parlé de fon Institution chrétienne, de fon traité dé la cêne, Hi. des va de fes catéchifmes: il a encore composé plufieurs autres ouvrages. On l'a toujours regardé comme le fecond chef de la prétendue réforme. Genève qu'il gouverna, ne fuc guères moins fameufe que Wittemberg, où le nouvel évangile avoit pris naissance. On voit dans une lettre qu'il écrivit à Mélanchton, combien il étoit enivré de cette gloire. Je me reconnois, dit-il, fort au-deffous de vous: mais néanmoins je n'ignore pas à quel dégré d'élévation Dieu m'a fait arriver. Il ne pouvoit fupprimer la joie qu'il reffentoit de se voir expofé aux ieux de toute l'Europe comme fur un grand théâtre, de s'y être fait un nom par fon éloquence, & d'avoir acquis une autorité prefque fouveraine dans un puissant parti. C'étoit pour lui un charme bien flatteur; & c'est celui qui a produit tous les héréfiarques. C'eft ce plaifir fi doux qui lui fait dire dans fa réponse à Baudouin, fon grand adverfaire: Il me reproche que je n'ai point d'enfans, & que Dieu m'a ôté un fils qu'il m'avoit donné. Falloit-il me faire ce reproche, à moi, qui ai tant de milliers d'enfans dans toute la Chrétienté? Toute la France, ajoute-t-il, connoît la pureté de ma foi, ma patience, ma vigilance, ma modé, ration, & mes travaux continuels pour le fervice de l'Eglife. J'en ai donné des preuves illuftres dès ma premiere jeuneffe. Il louoit quelquefois ce qu'il appelloit le faint orgueil & la magnanimité de Luther. Mais pour éviter le ridicule où tomba Luther, il fe piquoit de paroître modefte. Il se vantoit même de ne rien craindre tant que l'oftentation. Nous venons de rapporter des preuves de fa modeftie. Il faut néanmoins avouer qu'il y a de la différence entre Luther & Calvin, quand ils fe donnent des louanges. Luther s'abandonnoit à fon humeur impétueufe, fans jamais prendre aucun foin de se modérer, & fe louoit jufqu'à fe rendre la risée de fes lecteurs, Mais Calvin manioit plus délicatement l'encens qu'il fe donnoit, & faifoit tous fes efforts pour joindre à

toutes

toutes les belles qualités qu'il s'attribuoit finement, celle de la modération.

XIX.

per

Quelle idée n'avoit-il pas de lui-même, lorfqu'il élevoit fi kaut fa frugalité, fes continuels travaux, fa conftance dans les périls, fon application infatigable à étendre le régne de Jefus-Chrift, fa conduite irréprochable, fa vie férieufe & toujours occupée à contempler les choses célestes? Ce n'estlà qu'une petite partie des louanges que Calvin se donne. Tout ce que les emportemens de Luther ont tiré de sa bouche, n'approche pas de ce que Calvin dit froidement de lui-même. Rien ne le flattoit davantage que la gloire de bien écrire ; & Vestphale Luthérien l'ayant appellé déclamateur: Il a beau faire, répondit Calvin, jamais il ne le fuadera à perfonne. Tout le monde fait combien je fais preffer un argument, & avec quelle précision j'ai le talent d'écrire. Luther ne s'étoit jamais donné une pareille louange. Quoiqu'il fût un des plus véhémens orateurs de fon fiecle, bien loin de fe piquer jamais d'éloquence, il aimoit à dire qu'il étoit un pauvre moine élevé dans l'obfcurité, & qui ne favoit pas discourir. Mais Calvin, bleffé fur ce point, ne peut fe conterfir, & il faut qu'il dise aux dépens de la modeftie qu'il affectoit quelquefois, que perfonne ne raifonne avec plus de force que lui, & n'écrit avec plus de précifion. On peut lui donner, puifqu'il le veut, la gloire d'avoir bien écrit; on peut même le mettre à cet égard au-deffus de Luther. Car quoique celui-ci eût quelque chofe de plus original & de plus vif; Calvin, inférieur par le génie, fembloit l'avoir emporté par l'étude. Luther triomphoit de vive voix ;. mais la plume de Calvin étoit plus correcte, fur-tout en latin: & fon ftile qui étoit plus trifte, étoit auffi plus fuivi & plus châtié. Ils excelloient l'un & l'autre à parler la langue de leur pays : l'un & l'autre étoient d'une véhémence extraordinaire : l'un & l'autre par leurs talens se font fait un grand nombre de difciples & d'admirateurs : l'un & l'autre enflés de ce fuccès, ont cru pouvoir s'élever au-deffus des Tome VIII. Hh

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