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XVIII.

Ce féducteur avoit une fi grande autorité à Genève, que perfonne n'ofoit le contredire ni lui réfifter; parce qu'on étoit affuré de ne le pas faire impunément. Il ne pouvoit fouffrir que l'on pensât autrement que lui ; & tandis qu'il prêchoit par-tout qu'il ne falloit point écouter l'Eglife catholique ni lui obéir, il exigeoit de ceux qu'il avoit féduits, une foumiffion aveugle à tout ce qu'il jugeoit à propos de décider. Il ne falloit être hérétique que comme lui; & il poursuivoit fans relâche quiconque enfeignoit des erreurs différentes des fiennes, ou y en ajoutoit de nouvelles. Dans le temps qu'il condamnoit le plus fortement la févérité avec laquelle on traitoit en France les partisans de fa fecte, il faifoit brûler à Genève Michel Servet pour avoir enfeigné des erreurs contre le myftere de la Trinité. Pendant qu'il étoit lui-même accufé & convaincu de faire Dieu auteur du péché, il faifoit emprisonner & bannir Bolfec, fous prétexte qu'il étoit Pélagien. Cette tyrannie qu'il exerçoit à Genève & aux environs, lui attira beaucoup d'ennemis & bien des traverfes. Mais il ne rabattit rien de fa dureté & de fa hauteur. Il étoit enivré du progrès que fa malheureuse fecte faifoit de tous côtés, & fur-tout en France. Il fe flatta pendant quelque temps de la voir s'étendre jufqu'en Amérique, dans la nouvelle France; & le parti y envoya une troupe de Calviniftes pour exécuter ce grand deffein : mais heureusement ce fut fans fuccès. Enfin après avoir employé près de quarante ans à faire une guerre cruelle à l'Eglife & à lui enlever ses enfans, & avoir fervi d'instrument à la justice de Dieu pour punir l'ingratitude & les prévarications de fon peuple, Calvin alla recevoir la jufte punition réservée à ceux qui font chargés d'un ministère fi funefte. Il mourut à Genève le vingt-feptieme de Mai 1564. dans la cinquante-feptieme (z) année de fon âge.

()[Le continuateur de M. Fleury dit, cinquante-fixieme: l'un & l'autre cependant ont mis la naissance de Calvin en 1509. & le continuateur la met au 10 Juil

let. Cela fuppofe, Calvin étoit encore dans
fa cinquante-cinquieme année lorsqu'il
mourut, ]

XXXIX.

Mort de Calvin. Ses ouvrages. Son

caractere. Sa

vanité.

Cont. de Fl. t. XXXIV.

l.

clxviij. n. 104.6 164.

& 105. AN.

riations.

Les commentaires qu'il a faits fur l'écriture fainte, font la plus confidérable partie de fes ouvrages. L'apocalypse eft le feul livre fur lequel il n'a point travaillé. Nous avons parlé de fon Institution chrétienne, de fon traité dé la cêne, Hi. des va de ses catéchifmes: il a encore compofé plufieurs autres ouvrages. On l'a toujours regardé comme le fecond chef de la prétendue réforme. Genève qu'il gouverna, ne fur guères moins fameufe que Wittemberg, où le nouvel évangile avoit pris naiffance. On voit dans une lettre qu'il écrivit à Mélanchton, combien il étoit enivré de cette gloire. Je me reconnois, dit-il, fort au-deffous de vous: mais néanmoins je n'ignore pas à quel dégré d'élévation Dieu m'a fait arriver. Il ne pouvoit fupprimer la joie qu'il reffentoit de fe voir expofé aux ieux de toute l'Europe comme fur un grand théâtre, de s'y être fait un nom par fon éloquence, & d'avoir acquis une autorité prefque fouveraine dans un puiffant parti. C'étoit pour lui un charme bien flatteur ; & c'est celui qui a produit tous les héréfiarques. C'eft ce plaifir fi doux qui lui fait dire dans fa réponse à Baudouin, fon grand adverfaire: Il me reproche que je n'ai point d'enfans, & que Dieu m'a ôté un fils qu'il m'avoit donné. Falloit-il me faire ce reproche, à moi, qui ai tant de milliers d'enfans dans toute la Chrétienté? Toute la France, ajoute-t-il, connoît la pureté de ma foi, ma patience, ma vigilance, ma modé, ration, & mes travaux continuels pour le fervice de l'Eglife. J'en ai donné des preuves illuftres dès ma premiere jeuneffe. Il louoit quelquefois ce qu'il appelloit le faint orgueil & la magnanimité de Luther. Mais pour éviter le ridicule où tomba Luther, il fe piquoit de paroître modefte. Il se vantoit même de ne rien craindre tant que l'oftentation. Nous venons de rapporter des des preuves de fa modeftie. Il faut néanmoins avouer qu'il y a de la différence entre Luther & Calvin, quand ils fe donnent des louanges. Luther s'abandonnoit à fon humeur impétueufe, fans jamais prendre aucun foin de se modérer, & fe louoit jufqu'à fe rendre la risée de fes lecteurs, Mais Calvin maniqit plus délicatement l'encens qu'il fe donnoit, & faifoit tous les efforts pour joindre à

toutes

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toutes les belles qualités qu'il s'attribuoit finement, celle de
la modération.

XIX.

per

Quelle idée n'avoit-il pas de lui-même, lorfqu'il élevoit fi haut fa frugalité, fes continuels travaux, fa conftance dans les périls, fon application infatigable à étendre le régne de Jefus-Chrift, fa conduite irréprochable, fa vie férieufe & toujours occupée à contempler les chofes céleftes? Ce n'estlà qu'une petite partie des louanges que Calvin se donne. Tout ce que les emportemens de Luther ont tiré de fa bouche, n'approche pas de ce que Calvin dit froidement de lui-même. Rien ne le flattoit davantage que la gloire de bien écrire ; & Veftphale Luthérien l'ayant appellé déclamateur : Il a beau faire, répondit Calvin, jamais il ne le fuadera à perfonne. Tout le monde fait combien je fais preffer un argument, & avec quelle précision j'ai le talent d'écrire. Luther ne s'étoit jamais donné une pareille louange. Quoiqu'il fût un des plus véhémens orateurs de fon fiecle, bien loin de fe piquer jamais d'éloquence, il aimoit à dire qu'il étoit un pauvre moine élevé dans l'obscurité, & qui ne favoit pas difcourir. Mais Calvin, blessé sur ce point, ne peut fe contenir, & il faut qu'il dise aux dépens de la modeftie qu'il affectoit quelquefois, que perfonne ne raisonne avec plus de force que lui, & n'écrit avec plus de précifion. peut lui donner, puifqu'il le veut, la gloire d'avoir bien écrit, on peut même le mettre à cet égard au-deffus de Luther. Car quoique celui-ci eût quelque chofe de plus original & de plus vif; Calvin, inférieur par le génie, fembloit l'avoir emporté par l'étude. Luther triomphoit de vive voix ;. mais la plume de Calvin étoit plus correcte, fur-tout en latin: & fon ftile qui étoit plus trifte, étoit auffi plus fuivi & plus châtié. Ils excelloient l'un & l'autre à parler la langue de leur pays : l'un & l'autre étoient d'une véhémence extraordinaire: l'un & l'autre par leurs talens fe font fait un grand nombre de difciples & d'admirateurs : l'un & l'autre enflés de ce fuccès, ont cru pouvoir s'élever au-deffus des Tome VIII.

On

Hh

X L. Parallele de

Calvin avec

Luther.
Hift. des va-

riations.

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faints peres: l'un & l'autre n'ont pu fouffrir qu'on les contredît, & leur éloquence n'a été en rien auffi féconde qu'en injures.

X X.

XLI.

Injures atro

pas

>

adverfaires.

te faints

Infolence avec
laquelle iltrai
peres. Com-
bien il eft éton-
reil réforma
duire tant de
Catholiques.

nant qu'un pa

teur ait pu fe

va

riations.

Ceux qui ont rougi de celles que l'arrogance de Luces dont Cal- ther lui a fait écrire ne feront moins étonnés des vin accable fes excès de Calvin. Ses adverfaires ne font jamais que des fripons, des fols, des méchans, des ivrognes, des furieux, des enragés, des bêtes, des taureaux, des ânes, des chiens des pourceaux; & à chaque page le beau ftyle de Calvin eft fouillé de toutes ces groffiéretés. Catholiques & Luthériens, perfonne n'eft épargné. L'école de Veftphale, felon lui, eft une puante étable à pourceaux. S'il dit fouvent que le diable poffede les papiftes, il répéte auffi cent & cent fois qu'il a fafciné les Luthériens. Au milieu de ces injures, il vante encore fa douceur. Il remplit un livre de tout ce qu'il y a de plus atroce, & il croit en être quitte en difant que quand il a écrit ces injures, il étoit fi tranquille & fi exempt de fiel, qu'il eft étonné d'avoir dit des chofes fi dures fans la moindre amertume. Il veut pourtant bien avouer qu'il en avoit dit plus qu'il ne vouloit, & que le remede qu'il a appliqué au mal étoit un peu trop violent. Mais après ce modefte aveu il s'emporte plus qu'il n'avoit fait; & après avoir dit à fon adverfaire: M'entends-tu, chien? m'entendstu bien, phrénétique ? m'entends-tu bien, grosse bête ? il ajoûte, qu'il eft bien-aise que les injures qu'on lui dit, demeurent de fa part fans aucune réponse. Auprès de cette violence de Calvin, Luther étoit la douceur même. Il n'y a perfonne qui n'aimât mieux effuyer la colere impétueufe de fun, que la profonde malignité de l'autre, qui fe vante d'être de fang froid,lorfqu'il répand le plus de fiel & d'amertume dans fes discours. Tous deux, après avoir attaqué les hommes, ont ouvert leur bouche infolente contre le ciel, en méprifant ouvertement l'autorité des faints peres. Chacun fait combien de fois Calvin s'eft mocqué de leurs décisions, & avec quelle audace il a donné le nom d'écoliers, à ces

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hommes merveilleux dont tous les fiecles ont admiré &
admireront les lumieres & la fainteté. A juger de la préten-
due réforme par le caractere & le génie de fes chefs, ne
paroît-elle pas vifiblement une œuvre diabolique? Quel pro-
dige de féduction, qu'une pareille œuvre ait pû enlever à
f'Eglife un fi grand nombre de ses enfans!

ARTICLE VII.

Concile de Trente depuis fes préparatifs jufqu'à fa
tranflation à Bologne.

I.

DES
que l'héréfie de Luther commença à fe répandre,
tout le monde fentit la néceffité d'affembler au plutôt un
concile général, foit pour en arrêter le progrès, foit pour
corriger les abus, qui en étoient l'occafion & le prétexte.
On ne ceffoit en Allemagne de le demander; & l'empereur
Charles V. le follicita lui-même avec beaucoup d'inftances.
La cour de Rome feule s'y oppofoit, parce qu'elle ne crai-
gnoit rien tant que la réforme. Elle laiffa croître le mal
pendant plus de quinze ans, fans vouloir jamais consentir
que l'on employât l'unique remede que l'on pouvoit y ap-
porter. Enfin le pape Paul III. voyant que le feu gagnoit de
tous côtés, & menaçoit l'Europe entiere, crut qu'il n'y
avoit plus moyen de différer la convocation du concile.
Nous avons vû les démarches qu'il fit à ce fujet. Nous avons
auffi parlé du defir qu'il paroiffoit avoir de réformer la cour
de Rome avant la tenue du concile, & du peu de fuccès
des mesures qu'il prit pour y parvenir. Mais nous n'avons
rien dit des abus qui étoient expofés dans le mémoire des
commiffaires nommés par le pape pour travailler à cette
grande affaire. Il eft naturel d'en rapporter ici les princi-
paux articles, afin de donner quelqu'idée des maux aux-
quels le concile avoit à remédier; & de faire voir qu'il n'étoit
pas moins néceffaire pour réformer l'Eglife dans fon chef &

1. Vœux de

toute la Chré convocation tienté pour la d'un concile moire des commiffaires

général. Mé

nommés par le pape pour fai

re connoitre

les abus à ré

former,

Art. V. n. 35.& fuiv.

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