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& fes infirmités ne lui permettoient pas de fe tranfporter fi loin: Qu'il lui paroiffoit plus convenable de choisir Mantouc ou Plaisance, ou Bologne, ou Ferrare, ou même, fi on l'aimoit mieux, la ville de Trente, qui étoit voifine de l'Allemagne. Ferdinand, roi des Romains, qui présidoit à la diete, & les princes catholiques, répondirent que puifqu'il n'y avoit pas moyen d'obtenir quelque ville d'Allemagne, comme Ratisbonne ou Cologne, ils acceptoient celle de Trente. C'eft à quoi le pape ne s'attendoit pas. Cependant comme il n'y avoit plus moyen de reculer, il publia le 22. de Mai la bulle d'indiction pour le premier de Novembre de la même année. Il nomma enfuite trois légats pour y préfider en fon nom; favoir, les cardinaux Paul Parifio, Jean Moron & Raynaud Polus. Le premier étoit habile canonifte: le fecond entendoit parfaitement la politique & les négociations: le troifieme étoit Anglois ; & le pape, en le nommant, vouloit montrer que l'Angleterre avoit part au concile, quoique fon roi fe fût féparé de l'églife romaine. Le pape leur expédia le bref de leur légation, avec ordre, quand ils feroient arrivés à Trente, d'amufer adroitement les prélats & les ambassadeurs qui viendroient au concile fans rien faire qu'ils n'euffent reçu leurs inftructions, qu'il enverroit lorfqu'il feroit temps. Auffi-tôt que l'empereur qui étoit à Madrid, eut appris la députation des légats, il donna Ordre à Jacques de Mendoza, qui étoit alors fon ambassadeur à Venife, à Nicolas Grandvelle & à l'Evêque d'Arras fon fils, de fe rendre à Trente en qualité de fes ambassadeurs, avec quelques évêques du royaume de Naples. Il favoit bien que dans un temps où il étoit en guerre avec la France, on ne feroit rien à Trente de fort important pour la religion; mais il vouloit empêcher qu'il ne s'y fit rien à fon propre préjudice. Le pape envoya auffi à Trente quelques évêques d'Italie, qui firent le voyage très-lentement. Les Impériaux s'y étant trouvés au temps marqué, préfenterent aux légats les lettres de l'empereur, & demanderent avec de vives inftances l'ouverture du concile. Les légats l'ayant refufée, fous prétexte qu'il y avoit à Trente Tome VIII. Ii

V.

Le pape convoque de nou veau le conci

le. Ses prépa ratifs.

Ibid. 1. cxlj. n. 40. & fuiv. AN. 1544.

AN. 1545.

trop peu d'évêques, Grandvelle répliqua que l'on pouvoit du moins, en attendant, travailler à la réformation. Les légats renvoyerent la décision au pape, qui leur manda de se retirer, parce qu'il remettoit le concile à un autre temps. Ils avoient été fept mois entiers à Trente : & telle fut l'iffue de cette premiere affemblée.

Deux ans après, la paix fut conclue entre l'empereur & le roi de France. Un des articles de cette paix étoit, que chacun contribueroit à conferver l'ancienne religion, & prieroit le pape d'affembler au plutôt le concile. Paul III. crut devoir prévenir les inftances de ces princes, de peur qu'on ne dît qu'il avoit été forcé de le convoquer. Il publia donc le dix-neuvieme de Novembre 1544. une bulle qui indiquoit de nouveau le concile à Trente, pour le quinzieme de Mars de l'année suivante. Il nomma quelques mois après pour légats, les cardinaux [Jean-Marie ] del Monté, évêque de Paleftrine, Marcel Cervin, prêtre du titre de Sainte-Croix, & [ Raynaud ] Polus, diacre du titre de SainteMarie in Cofmedin. Le pape leur affocia trois évêques, Thomas Campége, évêque de Feltri, neveu du cardinal de ce nom, Thomas de Saint-Felix, évêque de Cave dans le royaume de Naples, & [ Cornélio ] Muffi, cordelier, évêque de Bitonte dans la Pouille. Ces légats partirent de Rome auffitôt qu'ils eurent été nommés, & arriverent à Trente au commencement du mois de Mars 1545. Ils reçurent bientôt après la bulle de leur légation, dans laquelle le pape leur donnoit des pouvoirs fans bornes. On leur avoit dit à Rome, avant leur départ, que l'on mettroit dans cette bulle, qu'ils ne procéderoient qu'avec le confentement du concile; mais ils repréfenterent que c'étoit trop refferrer leurs pouvoirs, & demanderent qu'on ôtât cette condition, ce qui leur fut accordé. Les cardinaux del Monté & de Sainte-Croix (b) firent leur entrée publique dans la ville de Trente, accompagnés feulement du cardinal Madruce, qui en étoit évê

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(b) [ Le cardinal Polus n'étoit pas encore arrivé: il vint plus tard que les autres. parce qu'il voulut éviter les embuches que Henri VIII. roi d'Angleterre, auroit pu lui tendre. ]

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que. Ils accorderent des indulgences à ceux qui vifiteroient la cathédrale le jour qu'on ouvriroit le concile : c'étoit l'églife qu'ils avoient choifie pour le lieu des féances. Les autres légats (c) fe rendirent à Trente quelques jours après. L'ambaffadeur de l'empereur & celui de Ferdinand, roi des Romains, y arriverent enfuite. Le premier, vers la fin de Mars; & le fecond, au commencement d'Avril. On tint quinze jours après une congrégation, où on régla quelques cérémonies qui devoient être obfervées dans le concile. Enfuite plus de fix mois s'écoulerent, fans que l'on pût lever les obftacles qui furvenoient tous les jours. Enfin le dernier d'Octobre, le pape envoya à fes légats une bulle qui portoit, que puifqu'on n'avoit pu commencer le concile le quatriéme Dimanche de Carême, Latare, on ne manquât pas d'en faire l'ouverture le treizieme de Décembre, troifiéme Dimanche de l'Ayent, dont la meffe commence par le mot Gaudete, qui marque la joie que doivent reffentir les prélats arrivés à Trente, & toute la chrétienté, d'une fi heureuse nouvelle.

III.

V I. Ouverture du

concile. Pre-
micre Teflion.

13 Décembre
1545.
Cont. de Fl.

tome XXIX.
cxlij. n. 1.

1.

suiv.

Quand on vit que ce jour approchoit, on ordonna pour la veille un jeûne général dans toute la ville, & l'on fit ce même jour une proceffion, à laquelle affifterent les ordres religieux avec le clergé. Dès qu'elle fut finie, on s'assembla en congrégation pour régler ce qui fe feroit dans la premiere feffion, qui fut indiquée pour le lendemain. Le jour de cette feffion le pape publia à Rome un Jubilé, afin d'en- & gager tous les chrétiens à prier Dieu pour les peres affemblés à Trente. Il ordonna trois jours de jeûne, des proceffions publiques, & accorda des Indulgences à ceux qui approcheroient des facremens avec les difpofitions requifes. Enfin le treiziéme de Décembre, les trois légats, accompagnés de quatre archevêques & de vingt-deux évêques, allerent à l'église de la Trinité, où s'étant tous revêtus de leurs

(c) [Ou plutôt les autres députés, c'eft-à-dire, les trois évêques nommés pour accompagner les légats. ]

habits pontificaux, ils marcherent en proceffion jufqu'à l'és glife cathédrale de faint Vigile. Les ordres religieux marchoient les premiers; après eux le clergé féculier; enfuite les évêques, archevêques, & enfin les légats, fuivis des ambaffadeurs du roi des Romains. Mendoza, ambaffadeur de l'empereur, étoit malade à Venise ; & ceux du roi de France, après s'être rendus à Trente, avoient été rappellés à cause du trop grand retardement du concile. Le cardinal del Monté, premier des légats, célébra dans la cathédrale une meffe du Saint-Efprit, après laquelle Muffi ou de Muys, évêque de Bitonte, fit un difcours qui ne fut point approu vé, quoique ce prélat paffât pour éloquent. Il fit voir d'abord la néceffité du concile. Enfuite relevant les avantages que l'Eglife avoit tirés de ceux qu'on avoit tenus autrefois, il dit que c'étoit dans ces faintes affemblées qu'elle avoit dreflé les fymboles, condamné les héréfies, réformé les mœurs, réuni les nations chrétiennes. Nous ne rapporterons pas d'autres prétendus avantages fur lefquels il infifta, fuivant les préjugés de la cour de Rome. Il fit une longue digreffion à la louange du pape,& une autre un peu plus courte pour l'empereur. Il s'étendit fur le mérite des légats, dont il fit un éloge affez ridicule. Adreffant enfuite la parole aux prélats & aux docteurs, il leur dit que le concile étant ouvert, ils devoient s'y renfermer comme dans le cheval de Troye. Il conjura les bois & les forêts d'inviter tous les hommes à fe foumettre au concile, de peur que que l'on ne dit que la lumiere du pape étant venue dans le monde, les hommes avoient mieux aimé les ténebres que la lumiere. Ouvrir les portes du concile, s'écria-t-il, c'eft ouvrir les portes du ciel, d'où doit defcendre l'eau vive pour remplir l'univers de la fcience du Seigneur. Il exhorta les peres à ouvrir leurs cœurs pour la recevoir, ajoutant que s'ils ne la recevoient pas, le Saint-Efprit ne laifferoit pas de leur ouvrir la bouche, comme il ouvrit celle de Balaam & de Caïphe, pour empêcher l'Eglife de tomber dans l'erreur. Il y avoit dans ce difcours plufieurs autres traits qui montroient beaucoup d'ignorance & un fort mauvais goût. Tout le monde en fut mécontent,

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& on le regarda comme une miférable déclamation, indigne de la gravité d'un évêque, & d'une affemblée fi respectable. Après qu'il eut été prononcé, les légats firent lire une exhortation affez longue, fur la maniere dont on devoit se conduire dans le concile. Ils difent d'abord qu'exerçant la fonction de présidens & de légats du faint fiége dans ce concile, ils fe croyoient obligés d'exhorter les peres à contribuer autant qu'ils le pourroient à la gloire de Dieu & à l'utilité de l'Eglife. Ils expofent enfuite les motifs qui ont porté le pape à affembler le concile, & les réduisent à trois; l'extirpation des héréfies, le rétabliffement de la difcipline ecclésiastique & la réformation des mœurs. Confidérons, continuent les légats, quels font les maux qui affligent aujourd'hui l'Eglife; examinons leur origine, & nous ferons obligés de reconnoître que nous en fommes la principale cause. Ši nous ne fommes pas les auteurs de l'héréfie, n'y avonsnous pas contribué par notre négligence à enfeigner la bonne doctrine? A l'égard de la corruption des mœurs, il n'eft pas néceffaire d'en parler, parce que perfonne n'ignore que le clergé & les pafteurs étoient corrompus & corrupteurs. Que chacun reconnoiffe donc ses péchés & s'efforce d'appaiser la colere de Dieu, puifque fans cela ils invoqueront en vain le Saint-Efprit, en vain ils commenceront le concile. Ils finiffent en exhortant les peres à éviter toute difpute, & à n'avoir en vûe que la gloire de Dieu, dont les ieux étoient ouverts fur eux, de même que ceux des Anges & de toute l'Eglife. On trouva cette exhortation des légats telle qu'elle devoit être, modeste, folide, édifiante, & elle fut généralement applaudie.

Enfuite tous les peres fe mirent à genoux, & firent une priere tout bas, ce qui s'obferva dans toutes les feffions. Puis le préfident, ou le premier des légats, dit à haute voix une oraifon qui commence par ces paroles, Adfumus, Domine Sancte Spiritus. Cette priere étant finie, on chanta les litanies; le diacre lut un endroit de l'évangile qui convenoit aux circonftances; & après que l'on eut chanté le Veni Creator, les peres s'affirent felon leur rang. Le préfi

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