Page images
PDF
EPUB

en avertiffant les maîtres, & en leur recommandant d'inftruire les jeunes gens dans la piété & dans la crainte de Dieu. On doit auffi recommander aux princes & aux magiftrats, de ne laiffer rien imprimer ni publier qui foit contre les bonnes mœurs. Les commiffaires avoient grande raison de ne point paffer sous filence un abus fi criant. Ils ne parlent que de livres contre les bonnes mœurs. S'ils faifoient leur mémoire aujourd'hui, ils ajoûteroient, contre la religion chrétienne, & contre Jefus-Chrift, que l'on blafphême impunément. Leur fiecle étoit bien malheureux; mais de pareils excès étoient réservés pour le nôtre. Les commiffaires parlent enfuite de la fimonie, de la trop grande facilité d'accorder des indulgences, & de quelques autres abus, qui comme les précédens regardoient particulierement l'Eglife de Rome. Après quoi ils fe plaignent de différens fcandales qu'il y avoit dans cette ville. On voit, difent-ils, des courtifanes & des femmes publiques fe promener hardiment dans les rues de Rome, montées fur des mules & accompagnées des gentilshommes des cardinaux, & fouvent même de quelques clercs. Ces femmes font des mieux logées, & occupent des palais magnifiques. En un mot, on n'a jamais vu une diffolution pareille à celle qui régne à Rome, qui devroit être le modéle de toutes les autres villes. Ils parlent enfuite des inimitiés & des divisions scandaleuses qu'il y avoit entre plufieurs familles. Ils fe plaignent de la négligence avec laquelle on adminiftre les hôpitaux, & du peu de foin que l'on a des pauvres. Les commiffaires finiffent leur mémoire par ces paroles qu'ils adreffent au pape : Vous vous êtes fait nommer Paul: nous efpérons qu'à l'exemple de faint Paul, vous ferez embrafé de zèle pour l'Eglife de Dieu.

Le zèle de Paul III. alla jufqu'à renvoyer au jugement du concile futur, l'importante affaire de la réformation, quoiqu'on lui en fit voir avec la derniere évidence le befoin actuel & urgent; & à renvoyer enfuite le concile lui-même auffi loin qu'il lui étoit poffible. Par fa bulle du mois d'Août 1538. il en avoit prorogé l'ouverture, comme il a déja été

III.
On remet las

réforme à un
autre temps.

IV.

convoqué à

s'y fait rien

ans.

dit, jusqu'à Pâque de l'année fuivante. Lorsque ce délai fut expiré, il dit qu'il vouloit abfolument terminer l'affaire qui regardoit le concile; & pour ne laiffer aucun doute fur fes difpofitions à cet égard, il tint un confiftoire où il la proposa avec vivacité. Les fentimens furent fort partagés. Quelques cardinaux vouloient qu'on ne parlât plus de concile, & que l'on révoquât tout ce qui avoit été fait jufqu'alors pour s'y préparer. D'autres un peu moins infenfibles à leur réputation & à celle du fouverain pontife, infifterent pour la tenue du concile. Mais fuivant les vûes ordinaires de la cour de Rome, qui craint toujours tout ce qui peut donner atteinte à fes prétentions, ils fe contenterent de parler en faveur de la convocation du concile, fans rien dire des moyens qu'il falloit prendre pour l'assembler au plutôt. Ils conclurent même qu'il falloit laiffer au pape le choix du temps & du lieu où on l'affembleroit, Leur avis fut fuivi; & en conféquence, le pape publia une bulle qui fufpendoit le concile déja convoqué, jufqu'au temps qu'il lui plairoit de le tenir, En voyant ce qui fe paffa dans ce confiftoire, & la bulle qui en fut le résultat, on feroit tenté de croire que ceux qui le compofoient, favorifoient fecrétement le progrès des nouvelles héréfies. Mais rien ne feroit plus faux & plus injufte qu'un pareil jugement. Il faut dire feulement, que la gloire de Dieu, l'intérêt de l'Eglife & le falut des Chrétiens, n'étoient pas ce qui touchoit le plus la cour de Rome,

I I,

Il fe paffa près de trois ans, fans qu'il fût queftion de Le concile eft concile. L'empereur & les princes catholiques de l'empire Trente. Il ne defiroient toujours & avec raison qu'il se tînt en Allemagne; pendant deux & le pape, ou n'en vouloit point du tout, ou exigeoit qu'il fe tînt en Italie, afin d'y être le maître. Vers le commencement de l'année 1542. il fit dire par fon légat, dans une diete qui fe tenoit à Spire, qu'il étoit résolu d'affifter en perfonne au concile, & qu'ainfi il n'y avoit pas d'apparence qu'on pût le tenir en Allemagne, parce que fon grand âge

Cont. de Fl

t. XXVIII. 1. cxl. n. 31.

& fuiv.

AN 1542.

&

& fes infirmités ne lui permettoient pas de fe tranfporter fi lon: Qu'il lui paroiffoit plus convenable de choisir Mantoue ou Plaisance, ou Bologne, ou Ferrare, ou même, si on fi l'aimoit mieux, la ville de Trente, qui étoit voifine de l'Allemagne. Ferdinand, roi des Romains, qui préfidoit à la diete, & les princes catholiques, répondirent que puifqu'il n'y avoit pas moyen d'obtenir quelque ville d'Allemagne, comme Ratisbonne ou Cologne, ils acceptoient celle de Trente. C'est à quoi le pape ne s'attendoit pas. Cependant comme il n'y avoit plus moyen de reculer, il publia le 22. de Mai la bulle d'indiction pour le premier de Novembre de la même année. Il nomma enfuite trois légats pour y préfider en fon nom; favoir, les cardinaux Paul Parifio, Jean Moron & Raynaud Polus. Le premier étoit habile canonifte: le fecond entendoit parfaitement la politique & les négociations: le troisieme étoit Anglois; & le pape, en le nommant, vouloit montrer que l'Angleterre avoit part au concile, quoique fon roi fe fût féparé de l'église romaine. Le pape leur expédia le bref de leur légation, avec ordre quand ils feroient arrivés à Trente, d'amufer adroitement les prélats & les ambassadeurs qui viendroient au concile', fans rien faire qu'ils n'euffent reçu leurs inftructions, qu'il enverroit lorfqu'il feroit temps. Auffi-tôt que l'empereur qui étoit à Madrid, eut appris la députation des légats, il donna ordre à Jacques de Mendoza, qui étoit alors fon ambassadeur à Venile, à Nicolas Grandvelle & à l'Evêque d'Arras fon fils, de se rendre à Trente en qualité de fes ambassadeurs, avec quelques évêques du royaume de Naples. Il favoit bien que dans un temps où il étoit en guerre avec la France, on ne feroit rien à Trente de fort important pour la religion; mais il vouloit empêcher qu'il ne s'y fit rien à fon propre préjudice. Le pape envoya auffi à Trente quelques évêques d'Italie, qui firent le voyage très-lentement. Les Impériaux s'y étant trouvés au temps marqué, préfenterent aux légats les lettres de l'empereur, & demanderent avec de vives inftances l'ouverture du concile. Les légats l'ayant refusée, fous prétexte qu'il y avoit à Trente Tome VIII.

Ii

V.

Le pape convoque de nou veau le concile. Ses prépa ratifs.

Ibid. 1. cxl.
AN. 1544.

n. 40. & fuiv.

AN. 1545.

trop peu d'évêques, Grandvelle répliqua que l'on pouvoit du moins, en attendant, travailler à la réformation. Les légats renvoyerent la décision au pape, qui leur manda de se retirer, parce qu'il remettoit le concile à un autre temps. Ils avoient été fept mois entiers à Trente : & telle fut l'iffue de cette premiere affemblée.

Deux ans après, la paix fut conclue entre l'empereur & le roi de France. Un des articles de cette paix étoit, que chacun contribueroit à conferver l'ancienne religion, & prieroit le pape d'affembler au plutôt le concile. Paul III. crut devoir prévenir les inftances de ces princes, de peur qu'on ne dît qu'il avoit été forcé de le convoquer. Il publia donc le dix-neuvieme de Novembre 1544. une bulle qui indiquoit de nouveau le concile à Trente, pour le quinzieme de Mars de l'année fuivante. Il nomma quelques mois après pour légats, les cardinaux [ Jean-Marie ] del Monté, évêque de Paleftrine, Marcel Cervin, prêtre du titre de Sainte-Croix, & [ Raynaud ] Polus, diacre du titre de SainteMarie in Cofmedin. Le pape leur affocia trois évêques, Thomas Campége, évêque de Feltri, neveu du cardinal de ce nom, Thomas de Saint-Felix, évêque de Cave dans le royaume de Naples, & [ Cornélio ] Muffi, cordelier, évêque de Bitonte dans la Pouille. Ces légats partirent de Rome auffitôt qu'ils eurent été nommés, & arriverent à Trente au commencement du mois de Mars 1545. Ils reçurent bientôt après la bulle de leur légation, dans laquelle le pape leur donnoit des pouvoirs fans bornes. On leur avoit dit à Rome, avant leur départ, que l'on mettroit dans cette bulle, qu'ils ne procéderoient qu'avec le confentement du concile; mais ils représenterent que c'étoit trop refferrer leurs pouvoirs, & demanderent qu'on ôtât cette condition, ce qui leur fut accordé. Les cardinaux del Monté & de Sainte-Croix (b); firent leur entrée publique dans la ville de Trente, accompagnés feulement du cardinal Madruce, qui en étoit évê

(b) [Le cardinal Polus n'étoit pas encore arrivé: il vint plus tard que les autres parce qu'il voulut éviter les embuches que Henri VIII. roi d'Angleterre, auroit pu lai tendre. ]

que. Ils accorderent des indulgences à ceux qui vifiteroient la cathédrale le jour qu'on ouvriroit le concile : c'étoit l'églife qu'ils avoient choifie pour le lieu des féances. Les autres légats (c) fe rendirent à Trente quelques jours après. L'ambaffadeur de l'empereur & celui de Ferdinand, roi des Romains, y arriverent enfuite. Le premier, vers la fin de Mars; & le fecond, au commencement d'Avril. On tint quinze jours après une congrégation, où on régla quelques cérémonies qui devoient être obfervées dans le concile. Enfuite plus de fix mois s'écoulerent, fans que l'on pût lever les obftacles qui furvenoient tous les jours. Enfin le dernier d'Octobre, le pape envoya à fes légats une bulle qui portoit, que puifqu'on n'avoit pu commencer le concile le quatrieme Dimanche de Carême, Latare, on ne manquât pas d'en faire l'ouverture le treizieme de Décembre, troifiéme Dimanche de l'Ayent, dont la meffe commence par le mot Gaudete, qui marque la joie que doivent reffentir les prélats arrivés à Trente, & toute la chrétienté, d'une si heureuse nouvelle.

III.

Quand on vit que ce jour approchoit, on ordonna pour la veille un jeûne général dans toute la ville, & l'on fit ce même jour une proceffion, à laquelle affifterent les ordres religieux avec le clergé. Dès qu'elle fut finie, on s'affembla en congrégation pour régler ce qui fe feroit dans la premiere feffion, qui fut indiquée pour le lendemain. Le jour de cette feffion le pape publia à Rome un Jubilé, afin d'engager tous les chrétiens à prier Dieu pour les peres affemblés à Trente. Il ordonna trois jours de jeûne, des proceffions publiques, & accorda des Indulgences à ceux qui approcheroient des facremens avec les difpofitions requifes. Enfin le treiziéme de Décembre, les trois légats, accompagnés de quatre archevêques & de vingt-deux évêques, allerent à l'église de la Trinité, où s'étant tous revêtus de leurs

(c) [Ou plutôt les autres députés, c'est-à-dire, les trois évêques nommés pour accompagner les légats. ]

[merged small][ocr errors][merged small][merged small]
« PreviousContinue »