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de Jean de Bretagne, & fupplia le roi de conferver, à l'exemple de fes auguftes prédéceffeurs, les priviléges de l'ordre eccléfiaftique, & de ne pas fuivre le confeil de ceux qui voudroient lui faire étendre la main fur le fanctuaire. Et comme on avoit propofé de ne laiffer au clergé féculier & régulier, que ce qu'il falloit pour la fimple fubfiftance, le clergé, pour prévenir le mauvais effet de ces demandes, offrit de lui-même au roi quatre décimes chaque année pendant fix ans ; & montra qu'il n'étoit pas moins porté que les autres ordres du royaume, à contribuer au foulagement de l'état & au payement de fes dettes.

ment que

X I;

Cependant la reine ayant appris que le pape Pie IV. étoit fort allarmé de la convocation du colloque de Poiffi, qui étoit fixé au quatrieme de Septembre, lui en écrivit par le confeil de [Jean de ] Montluc, évêque de Valence; mais fa lettre étoit infiniment plus propre à augmenter les inquiétudes du pape qu'à les diminuer. Elle portoit entre autres chofes, qu'il falloit adminiftrer les facremens auffi fimpledans les premiers fiecles, retrancher les exorcifmes du baptême, rétablir la communion fous les deux efpèces, chanter publiquement les pfeaumes en langue vulgaire, abolir la fête du faint Sacrement comme nouvelle & inutile. Le pape fut furpris avec raifon d'une pareille lettre; & voulant du moins arrêter les mauvaises réfolutions qu'elle lui donnoit lieu de craindre qu'on ne prît dans le colloque de Poiffi, il nomma pour y affifter en qualité de fon légat, le cardinal [Hippolyte ] d'Eft, frere du duc de Ferrare, En même temps il renouvella fes efforts pour hâter le rétablis fement du concile, dont il fentoit plus que jamais la néceffité. Le cardinal de Ferrare qui étoit envoyé au colloque de Poiffi, joignoit à une grande adreffe à manier les affaires, beaucoup d'autorité fur l'efprit des François. Il eut bien des infultes à effuyer de la part des Proteftans; mais il fut fe faire refpecter de la plûpart de ceux qui ne l'aimoient pas. Tome VIII.

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XXIX. Ouverture du colloque de Poiffi.

11. 1. & fuiy.

Le colloque de Poiffi étoit déja commencé, lorfqu'il arriva en France; mais on n'y avoit encore rien déterminé fur les affaires de la religion.

Lorfque cette affemblée commença, il ne s'y trouva que les cardinaux de Bourbon, de Tournon, de Châtillon, de Lorraine, d'Armagnac, & de Guife, avec quatre évêques, Ibid. 1. clvij. dont le nombre augmenta enfuite jufqu'à quarante. Mais on y vit beaucoup de favans théologiens; douze ou treize miniftres de la nouvelle réforme, avec vingt-deux députés de leurs églifes. C'étoient les plus habiles d'entre les Proteftans. On n'y fit point venir Calvin, foit qu'on craignît d'expofer à la haine publique le chef d'un parti fi odieux; foit que lui-même crût qu'il lui étoit plus honorable d'envoyer fes difciples, & de conduire fecretement de Genève où il dominoit, ceux qui affistoient au colloque. Il est vrai auffi qu'à cause de la foibleffe de fa fanté, & de la violence de fon humeur emportée, il étoit moins propre à se foutenir dans une conférence, que Théodore de Beze, d'une constitution plus robuste, & plus maître de lui-même. Ce fut donc Beze qui parut le plus, ou plutôt, qui parut feul dans cette affemblée. Calvin lui envoyoit fes inftructions, & Beze lui rendoit compte de tout, comme il paroît par leurs lettres réciproques. La reine avoit eu foin de faire escorter les miniftres proteftans, pour les garantir de la fureur du peuple. On vouloit engager cette princeffe à les exclure de l'affemblée, ou du moins à empêcher qu'ils ne débitaffent leurs erreurs devant le jeune roi; mais cette repréfentation fut fans effet. On avoit choifi pour le lieu de l'affemblée, le monaftere des religieufes de S. Dominique. Le roi y assista avec toute fa cour. Il fut placé dans l'enclos du baluftre qu'on avoit dreffé dans le réfectoire des religieufes. Les docteurs catholiques fe rangerent derriere les évêques, fur des fiéges bas qui leur avoient été préparés. Mais les miniftres ne furent point affis, quoiqu'ils l'euffent demandé, & on leur permit feulement de parler debout & hors de l'enceinte. Lorfque chacun eut pris fa place, le roi que l'on avoit inftruit, dit que le but de cette affemblée étoit de chercher

des moyens pour appaifer les troubles du royaume; que pour lui, il ne defiroit rien plus ardemment que de rétablir l'union entre ses sujets. Le chancelier ayant eu ordre d'expliquer plus amplement les intentions de fa majefté, dit qu'il falloit régler ce qui regardoit la foi & la difcipline; que le concile général étant toujours différé, on devoit apporter à un mal auffi preffé un reméde plus prompt. Il exhorta les évêques à traiter les Calviniftes avec douceur & modération, & dit plufieurs chofes qui ne furent point agréables à une partie de l'affemblée. Le cardinal de Tournon, archevêque de Lyon, qui préfidoit comme le plus ancien des prélats, lui demanda une copie de fon difcours; mais le chancelier la refusa, & la reine ordonna à Théodore de Beze de parler.

Auffi-tôt cet hérétique fe mit à genoux avec les autres miniftres qui l'accompagnoient; & levant les mains & les ieux au ciel, il fit une longue priere à Dieu, qu'il finit par l'oraison dominicale. Il fe releva enfuite, adreffa la parole au roi, & dit tout ce qu'il avoit pu inventer de plus favorable, pour faire l'apologie de fa fecte. Il expofa les articles de doctrine fur lefquels ils étoient d'accord avec les Catholiques, & ceux fur lefquels ils étoient divifés. Malgré toute l'adreffe de cet orateur de profeffion, il tomba dans un grand inconvénient. Ayant été accufé quelques jours auparavant par le cardinal de Lorraine', en présence de la reine Catherine & de toute la cour, d'avoir écrit dans un de ses livres, que Jesus-Chrift n'étoit pas plus dans la cène que dans la boue, non magis in cana quàm in cano, il avoit rejetté cette propofition comme impie & comme détestée de tout le parti; & néanmoins il en avança une qui étoit équivalente, dans le colloque même devant toute la France. Car il dit dans la chaleur du difcours en parlant de la cène, qu'eu égard au lieu & à la présence de Jefus-Chrift confidéré felon fa nature humaine, fon corps étoit autant éloigné de la cène que le ciel l'eft de la terre. A ces mots toute l'af femblée frémit. Les prélats & les docteurs frapperent des mains en s'écriant, Il a blafphêmé, Et le cardinal de Tournon

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XXXI.

Beze eft lui d'en avoir tant

même étonné

dit fur la cène.

Ibid. n. 8.

& 9.

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dit au roi, que les prélats n'étoient venus à ce colloque qu'avec une extrême répugnance, & pour obéir à l'ordre formel de fa majefté; prévoyant bien que les partifans de la nouvelle religion diroient beaucoup de chofes injurieufes à Dieu, & très-choquantes pour ceux qui ont de la foi. Il exhorta le roi à perfévérer dans la religion de fes ancêtres; & l'affura que c'étoit le refpect que les prélats avoient pour fa préfence, qui les avoit empêchés de fe retirer fur le champ, en entendant un fi grand nombre d'impiétés & de blafphêmes.

Le murmure qui s'éleva en même temps de toutes parts, fit voir combien on étoit frappé d'une nouveauté fi étrange. On fe reffouvenoit de l'horreur que Beze avoit témoignée pour la propofition qui difoit que Jesus-Chrift n'étoit pas plus dans la cêne que dans la boue, & on ne pouvoit pas comprendre comment il y revenoit fans que perfonne l'en pressât. La reine ayant dit qu'avant de répondre à ce que Beze venoit d'avancer, il falloit lui laiffer achever son difcours; cet hérétique continua de parler, & d'expofer avec tout l'artifice poffible les principes de fa fecte. Mais ensuite, étonné lui-même d'en avoir tant dit fur la cène, il songea aux moyens de détruire l'impreffion fâcheuse qu'il avoit faite fur l'efprit de la reine en s'exprimant fi clairement. Quelque temps après, il lui écrivit qu'il étoit fâché d'avoir parlé devant leurs majeftés, comme il avoit fait dans le colloque ; & il ne ceffa de fatiguer cette princeffe par les requêtes qu'il préfentoit, pour obtenir la liberté d'expliquer Hift. des va- & de mieux développer, difoit-il, fa pensée. Mais il ne‍falloit pas tant de paroles pour expliquer ce que l'on croyoit. peut-on affurer que le chagrin de Beze n'étoit point de ne s'être pas affez expliqué, mais de l'avoir fait trop clairement; & d'avoir montré que ces grands mots de fubftance,& les autres dont les Réformés fe fervoient pour conferver quelque idée de réalité, n'étoient que des illufions. On fut à quoi s'en tenir, quand on vit dans fa lettre à la reine, qu'il proteftoit reconnoître que Jefus - Christ étoit véritablement dans la cène ; que le fils de Dieu avoit inftitué

riations.

Auffi

ce vénérable mystere, afin que nous devinffions de plus en plus participans de la substance de fon vrai corps & de fon vrai fang.

XII

XXXII. Difcours folide du cardi

ne

"Cont. de Fl.

tome XXXII. clvij. n. 10.

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& 11.

Le cardinal de Lorraine répondit à Beze par un long & très-folide discours, qu'il divifa en deux parties. Dans la premiere, il traita la matiere de l'Eglife; & dans la feconde, nal de Lorraicelle de l'euchariftie. On se réduifit proprement à ces deux points de doctrine au colloque de Poiffi, & on avoit raifon d'y rappeller toute la controverfe. L'article de l'Eglife étoit regardé par les Catholiques, comme un principe général, qui renverfoit par le fondement toutes les églifes nouvelles; & parmi les articles particuliers fur lesquels on difputoit, aucun ne paroiffòit plus effentiel que celui de la cène. Le cardinal de Lorraine au commencement de fon discours, parla de l'obéiffance que l'on doit au roi, & dit que le roi étoit membre & non pas chef de l'Eglife; que fon devoir étoit de la défendre ; qu'à l'égard des chofes qui concernoient la doctrine, il devoit être foumis à l'Eglife & à ses ministres. Il prouva que l'Eglife jugeoit fouverainement les controverfes de la religion; que l'écriture ne s'interprétant pas elle-même, il falloit un juge vivant & parlant, qui par fon autorité abfolue, décidât quels font les livres de l'écriture fainte & quel eft fon vrai fens ; que l'Eglise n'est feulement compofée d'élus, mais que dans l'aire du Seigneur, la paille eft mêlée avec le bon grain. Il s'étendit enfuite fur l'infaillibilité de l'Eglife. Dans la feconde partie il parla de la cène, & expofa la doctrine catholique d'une maniere auffi claire & auffi précise, que les Proteftans expofoient pour l'ordinaire la leur d'une maniere obfcure & enveloppée. Tous les autres prélats applaudirent à cet ex-. cellent discours, & protefterent qu'ils vouloient vivre & mourir dans la foi que le cardinal de Lorraine venoit d'expliquer. Ils fupplierent le roi & la reine d'y perfévérer & de la défendre, & dirent que fi ceux qui avoient abandonné cette précieufe doctrine, refufoient de la foufcrire, on ne

pas

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