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des moyens pour appaifer les troubles du royaume; que
pour lui, il ne defiroit rien plus ardemment que de rétablir
l'union entre ses sujets. Le chancelier ayant eu ordre d'ex-
pliquer plus amplement les intentions de fa majefté, dit qu'il
falloit régler ce qui regardoit la foi & la difcipline; que le
concile général étant toujours différé, on devoit apporter à
un mal auffi preffé un reméde plus prompt. Il exhorta les
évêques à traiter les Calvinistes avec douceur & modéra-
tion, & dit plufieurs chofes qui ne furent point agréables à
une partie de l'affemblée. Le cardinal de Tournon, arche-
vêque de Lyon, qui préfidoit comme le plus ancien des pré-
lats, lui demanda une copie de fon discours; mais le chan-
celier la refufa, & la reine ordonna à Théodore de Beze de
parler.

Auffi-tôt cet hérétique fe mit à genoux avec les autres
miniftres qui l'accompagnoient; & levant les mains & les
ieux au ciel, il fit une longue priere à Dieu, qu'il finit par
l'oraison dominicale. Il fe releva enfuite, adreffa la parole
au roi, & dit tout ce qu'il avoit pu inventer de plus favora-
ble, pour faire l'apologie de fa fecte. Il expofa les articles
de doctrine fur lesquels ils étoient d'accord avec les Catho-
liques, & ceux fur lefquels ils étoient divifés. Malgré toute
l'adreffe de cet orateur de profeffion, il tomba dans un grand
inconvénient. Ayant été accufé quelques jours auparavant
par le cardinal de Lorraine', en présence de la reine Cathe-
rine & de toute la cour, d'avoir écrit dans un de fes livres,
que Jesus-Chrift n'étoit pas plus dans la cène que dans la
boue >
non magis in cana quam in cano, il avoit rejetté
cette propofition comme impie & comme détestée de tout
le parti; & néanmoins il en avança une qui étoit équiva-
lente, dans le colloque même devant toute la France. Car
il dit dans la chaleur du difcours en parlant de la cène,
qu'eu égard au lieu & à la présence de Jefus-Chrift confidéré
felon fa nature humaine, fon corps étoit autant éloigné de
la cène que le ciel l'eft de la terre. A ces mots toute l'af-
femblée frémit. Les prélats & les docteurs frapperent des
mains en s'écriant, Il a blafphêmé. Et le cardinal de Tournon

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dit au roi, que les prélats n'étoient venus à ce colloque
qu'avec une extrême répugnance, & pour obéir à l'ordre
formel de sa majesté; prévoyant bien que les partisans de la
nouvelle religion diroient beaucoup de chofes injurieuses à
Dieu, & très-choquantes pour ceux qui ont de la foi. Il
exhorta le roi à perfévérer dans la religion de fes ancêtres,
& l'affura que c'étoit le refpect que les prélats avoient pour
fa préfence, qui les avoit empêchés de fe retirer fur le champ,
en entendant un fi grand nombre d'impiétés & de blaf-
phêmes.
même temps
de toutes parts,

Le murmure qui s'éleva en

fit voir combien on étoit frappé d'une nouveauté fi étrange. On fe reffouvenoit de l'horreur que Beze avoit témoignée pour la propofition qui difoit que Jefus-Chrift n'étoit pas plus dans la cêne que dans la boue, & on ne pouvoit pas comprendre comment il y revenoit fans que perfonne l'en prefsât. La reine ayant dit qu'avant de répondre à ce que Beze venoit d'avancer, il falloit lui laiffer achever fon difcours; cet hérétique continua de parler, & d'expofer avec tout l'artifice poffible les principes de fa fecte. Mais enfuite, étonné lui-même d'en avoir tant dit fur la cène, il fongea aux moyens de détruire l'impreffion fâcheuse qu'il avoit faite fur l'efprit de la reine en s'exprimant fi clairement. Quelque temps après, il lui écrivit qu'il étoit fâché d'avoir parlé devant leurs majeftés, comme il avoit fait dans le colloque; & il ne ceffa de fatiguer cette princeffe par les requêtes qu'il préfentoit, pour obtenir la liberté d'expliquer & de mieux développer, difoit-il, fa pensée. Mais il ne falloit pas tant de paroles pour expliquer ce que l'on croyoit. Auffi peut-on affurer que le chagrin de Beze n'étoit point de ne s'être pas affez expliqué, mais de l'avoir fait trop clairement; & d'avoir montré que ces grands mots de fubftance,& les autres dont les Réformés fe fervoient pour conferver quelque idée de réalité, n'étoient que des illufions. On fut à quoi s'en tenir, quand on vit dans fa lettre à la reine, qu'il proteftoit reconnoître que Jesus-Chrift étoit véritablement dans la cène ; que le fils de Dieu avoit inftitué

XXXI.

même étonné d'en avoir tant Ibid, n. 8.

dit fur la cène.

& 9.

Hift. des variations.

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ce vénérable myftere, afin que nous devinffions de plus en
plus participans de la fubftance de fon vrai corps & de fon
vrai fang.

XII.

XXXII. Difcours folide du cardi

ne.

Le cardinal de Lorraine répondit à Beze par un long & très-folide discours, qu'il divifa en deux parties. Dans la premiere, il traita la matiere de l'Eglife; & dans la feconde, nal de Lorraicelle de l'euchariftie. On se réduifit proprement à ces deux points de doctrine au colloque de Poiffi, & on avoit raifon d'y rappeller toute la controverfe. L'article de l'Eglife étoit regardé par les Catholiques, comme un principe général, qui renverfoit par le fondement toutes les églifes nouvelles; & parmi les articles particuliers fur lefquels on difputoit, aucun ne paroiffoit plus effentiel que celui de la cène. Le cardinal de Lorraine au commencement de fon difcours, parla de l'obéiffance que l'on doit au roi, & dit que le roi étoit membre & non pas chef de l'Eglife; que fon devoir étoit de la défendre ; qu'à l'égard des chofes qui concernoient la doctrine, il devoit être foumis à l'Eglife & à ses miniftres. Il prouva que l'Eglife jugeoit fouverainement les controverfes de la religion; que l'écriture ne s'interprétant pas elle-même, il falloit un juge vivant & parlant, qui par fon autorité abfolue, décidât quels font les livres de l'écriture fainte & quel eft fon vrai fens; que l'Eglife n'eft pas feulement compofée d'élus, mais que dans l'aire du Seigneur, la paille eft mêlée avec le bon grain. Il s'étendit enfuite fur l'infaillibilité de l'Eglife. Dans la feconde partie il parla de la cène, & expofa la doctrine catholique d'une maniere auffi claire & auffi précise, que les Proteftans expofoient pour l'ordinaire la leur d'une maniere obfcure & enveloppée. Tous les autres prélats applaudirent à cet excellent difcours, & protefterent qu'ils vouloient vivre & mourir dans la foi que le cardinal de Lorraine venoit d'expliquer. Ils fupplierent le roi & la reine d'y perfévérer & de la défendre, & dirent que fi ceux qui avoient abandonné cette précieuse doctrine, refufoient de la foufcrire, on ne

"Cont. de Fl.

tome XXXII.
clvij. n. 10.

1.
& 11.

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devoit plus les écouter, mais plutôt les chaffer du royaume.
Beze pria néanmoins la reine de lui permettre de répon-
dre fur le champ au difcours étudié du cardinal de Lor-
raine; mais le roi remit la féance à un autre jour. Comme
on tiroit l'affaire en longueur, les miniftres firent des instan-
ces pour
pour obtenir que l'on continuât la conférence. On dif-
féra de les écouter, parceque leur requête contenoit des
expreffions injurieufes au pape & aux évêques. Enfin le
vingt-quatrieme de Septembre ils furent mandés, & fe pré-
fenterent au nombre de douze devant la reine, le roi de
Navarre, & d'autres feigneurs. Le roi & le cardinal de
Tournon ne s'y trouverent point. Beze commença à parler,
& choifit la queftion de l'Eglife, dont il expofa, felon fes
idées, la nature, les caracteres & l'autorité. A peine fut-il
entré en matiere, que le cardinal de Lorraine l'interrompit,
pour lui demander quelle étoit fa miffion. Il répondit qu'il
avoit été élu par le peuple, confirmé par le magiftrat civil,
& envoyé miniftre de Dieu. Le docteur Defpenfe lui de-
manda qui lui avoit impofé les mains. Beze dit qu'il n'avoit
point été établi miniftre par cette voie : & continuant fon
discours, il fit confifter l'Eglise dans l'affemblée des élus;
& donna pour les marques auxquelles on devoit la recon-
noître, la prédication de la pure parole de Dieu, la pure
administration des facremens, la fucceffion de la doctrine
& des perfonnes, ajoutant que cette fucceffion avoit été
fouvent interrompue. Defpenfe dit qu'il étoit étonnant que
les Proteftans fe fuflent ingérés dans le miniftere, n'ayant
ni autorité ni vocation, & ne pouvant nommer perfonne
qui leur eût impofé les mains. Comme Beze avoit diftingué
dans fon difcours deux fortes de vocations, l'une ordinaire,
l'autre extraordinaire, Defpenfe dit qu'il étoit évident que
les miniftres proteftans n'avoient pas été établis par une
vocation ordinaire. Or, ajouta-t-il, les miracles font nécef-
faires pour une vocation extraordinaire, & les Proteftans
n'en produifent aucun: donc ils ne font entrés dans la mai-
fon de Dieu ni par la voie ordinaire, ni par la voie extraor
dinaire. Beze répliqua que l'impofition des mains n'étoit

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pas néceffaire pour la vocation légitime; que l'effentiel
étoit l'élection & l'information fur la doctrine & les mœurs;
qu'ils n'avoient eu garde de recevoir l'impofition des mains
des ordinaires, dont ils déteftoient les déréglemens & les
fuperftitions, & qu'il ne falloit point toujours des miracles
pour une vocation extraordinaire.

XXXIV. Les Protef tans préfentent leur profeffion bei Comtoient peu ferchés.

de foi.

mement atta

riations.

tome XXXII.

l.

fuiv.

Après que Beze eut parlé autant qu'il voulut, les miniftres présenterent publiquement leur confeffion de foi au nom de toutes leurs églifes. Elle avoit été dreffée dans leur premier fynodę tenu à Paris fous le régne d'Henri II. Mais les miniftres jugerent à propos d'y faire plufieurs additions. C'eft ce qui doit paroître fort furprenant: car ils avoient fans doute fait tous leurs efforts pour bien expliquer leur Hit. des va doctrine dans cette confeffion de foi, & ils auroient dû Cont. de Fl. demeurer attachés à un acte fi authentique. Mais par rap- clvij. n. 15. port à la cène, ils donnerent une profeffion de foi nouvelle, où l'on trouve de grandes phrafes, des expreffions empoulées, & de longs difcours qui ne fignifient rien. Après cette expofition fort ample, ils ajouterent encore une nouvelle explication; & tous leurs longs & ennuyeux difcours se réduifoient au fond, à dire que les fignes du corps & du fang reçus avec foi, nous uniffent par cette foi infpirée deDieu, au corps & au fang qui font au ciel. Cette feule phrase auroit fuffi, s'ils euffent voulu parler nettement. Mais ils ne ceffoient de répéter que nous jouiffons substantiellement du corps vraiment & réellement préfent, & employoient d'autres termes femblables, qui ne donnoient que des idées confufes. La confufion augmentoit encore par les chofes qu'ils ajoutoient, enforte qu'une partie de leur discours renversoit l'autre. Pourquoi, difoient les Catholiques, tant prêcher la fubftance de la chair & du fang réellement reçue, dès que tout fe réduit à la figure? Pierre Martyr, Florentin, un des plus favans miniftres qui fût dans cette assemblée, étoit d'avis qu'on cefsât de tant rafiner, & qu'on employât des termes propres. Pour lui, il y alloit de meilleure foi & s'énonçoit en parfait Zuinglien.

Lorfque les prélats eurent vû comment les miniftres

&

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