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II.

Vœux ardens de toute la Chrétienté

Four la réfor

de Latran.

yariations.

& que fi la barque où Jesus-Chrift repofe peut être en grand péril & violemment agitée, elle ne fauroit jamais être fubmergée. Nous réunirons dans cet article, comme dans un grand tableau, fuivant notre méthode ordinaire, tous les principaux traits propres à nous donner une idée jufte des biens & des maux de l'Eglife, & par conféquent à nous faire connoître fon état pendant la durée du feizieme fiecle.

I I.

Le lecteur a fans doute remarqué la réunion & le concert des grands hommes & des faints qui ont vécu dans le cours du fiecle précédent, pour peindre & déplorer les malheurs mation. Pein de l'Eglife. Tout le monde confeffoit qu'elle avoit befoin ture des maux d'être réformée dans fon chef & dans fes membres. Cette de l'Eglife faire dans le concile parole, dit M. Boffuet, étoit à la bouche non-feulement Hiftoire des des docteurs particuliers, mais encore des conciles, foit provinciaux, foit œcuméniques. On fait, ajoûte ce favant prélat, ce qui arriva dans le concile de Bâle, où la réformation fut malheureusement éludée. Ce cri général dont toute l'Eglife avoit retenti dans le quinzieme ficcle, continua dans le feizieme, fans que rien fût capable de l'étouffer. On fe rappelle avec quelle force on parla de la néceffité Tone VIII. d'une férieufe réforme, dans un difcours prononcé à l'ouverture du cinquieme (a) concile de Latran. Dans la fixieme feffion, un évêque ne s'exprima pas moins librement fur le trifte état auquel l'Eglife étoit réduite. Il appliqua à l'Eglife, depuis fi long-temps couverte d'opprobres, ces paroles de Lam. I. 6. Jérémie : Tout ce que la fille de Sion avoit de beau, lui a été enlevé: fes ennemis font entrés dans fon fanctuaire. Eft-ce-là cette Jerufalem, dit ce prélat en plein concile, cette ville d'une beauté fi parfaite, qui faifoit la joie & les délices de toute la terre? Eft-ce-là cette fille de Sion, que nos peres ont confervée fans tache par l'effusion de leur fang, &

art. ij. n. 6.

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(a) [Expreffion ultramontaine qui échape ici à l'auteur: car ne reconnoiffant pas ce concile pour œcuménique, il n'auroit pas dû l'appeller cinquieme: mais nous ne you lons rien changer dans fon texte. 1

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qu'ils ont travaillé à embellir par leur pénitence, leurs prie-
res & leurs larmes? Dans la dixieme feffion l'archevêque de
Patras parla ainfi: " Dieu ne peut pas fouffrir plus long-
temps les abus, les vices & les iniquités qui regnent dans
» toute l'Eglife, de peur qu'une corruption fi générale ne
faffe blafphémer contre fa majefté, & qu'on ne lui repro-
,, che de négliger ce qui fe pafle ici-bas. Car, mes révé-
rends peres, il
y a dans notre fiecle une multitude de
perfonnes, qui bien loin de s'attacher à conferver le bien
qui fubfiftoit avant eux, ne travaillent qu'à renverser la
loi divine, & qu'à établir fur les ruines de cette loi pure
& fans tache qui convertit les ames, des maximes cor-
„ rompues, qui ne font propres qu'à les pervertir. Hélas!
,, que vois-je dans l'avenir? Peut-il y avoir un temps plus
malheureux celui où nous vivons ? De quelque côté
qu'on fe tourne, on ne voit qu'iniquités. Depuis le plus
petit jufqu'au plus grand, chacun a corrompu la voie. Les
faints apôtres faifoient des miracles, & nous des abomi-
nations: ils acquéroient l'eftime & l'affection de tout le
monde par leurs vertus ; & nous la haine & l'indignation
de l'univers par nos déréglemens. Malheur à ceux qui
» gouvernent mal le peuple chrétien, & qui ne songeant
qu'à leurs propres intérêts, négligent le falut des ames;
& qui non-feulement ne défendent pas le troupeau contre
les loups raviffans, mais qui laiffent combler par leur né-
gligence les petits ruiffeaux où les brebis pouvoient en-
core fe défaltérer.,,

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que

III. Deux fortes

d'efprits demandent la ré

formation.

On ne tenoit prefque aucune affemblée, où l'on ne parlât de la néceffité de la réformation. Les papes eux-mêmes dans leurs bulles & dans les inftructions qu'ils donnoient à leurs nonces s'élevoient fortement contre les abus, & avouoient qu'il falloit abfolument y remédier. Les auteurs eccléfiaftiques & les prédicateurs les plus célebres parloient fans ceffe des maux de l'Eglife, & ne fe laffoient point d'en faire les plus tristes peintures. Mais, dit le grand Boffuet, Hift. des vaparmi ceux qui étoient touchés de l'état de l'Eglife & qui demandoient la réforme, il y avoit deux fortes d'efprits,

riations.

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pour

Les uns vraiment pacifiques, déploroient les maux fans aigreur, en propofoient avec refpe&t les remedes, dont aussi ils fupportoient patiemment les délais. Bien loin de vouloir procurer la réformation par la rupture, ils regardoient au contraire la rupture comme le comble de tous les maux. Au milieu des abus qui étoient la matiere de leurs larmes, ils admiroient la divine providence, qui favoit, felon les promeffes de Dieu, conferver la foi de l'Eglife. Si on sembloit leur refufer la réformation des mœurs; fans s'aigrir & fans s'emporter, ils s'eftimoient affez heureux de ce que rien ne les empêchoit de la faire parfaitement en eux-mêmes. C'étoient-là les forts de l'Eglife, dont nulle tentation ne pouvoit ébranler la foi, ni diminuer l'amour l'unité. Mais il y avoit auffi des efprits fuperbes, pleins de chagrin & d'aigreur, qui frappés des défordres qu'ils voyoient régner dans l'Eglife, & principalement parmi les miniftres, ne croyoient pas que les promeffes de fon éternelle durée pusfent fubfifter parmi ces abus. Ces hommes aveugles & orgueilleux, fuccomboient à la tentation qui porte à haïr la chaire en haine de ceux qui y préfident : & comme fi la malice des hommes pouvoit anéantir l'œuvre de Dieu, l'averfion qu'ils avoient conçue pour les pafteurs, leur faifoit haïr en même temps, & la doctrine qu'ils enfeignoient, & l'autorité qu'ils avoient reçue de Dieu pour enfeigner. Tels étoient Viclef & Jean Hus, qui avoient frayé le chemin aux malheureux réformateurs, qui mirent en feu toute l'Eglife pendant le cours du feizieme fiecle. Avant que de confidérer ce terrible événement, il eft à propos de voir l'état où étoit l'Eglise, lorsque Luther lui livra la premiere attaque.

Le

I I I.

pape Alexandre VI. qui couvrit l'Eglife d'opprobres par fes déréglemens scandaleux, étant mort en 1503. on fit dans le conclave qui fe tint pour l'élection de fon fucceffeur, un aveu public du befoin qu'avoit l'Eglife d'être réformée. Tous les cardinaux jurerent qu'on affembleroit

dans deux ans un concile général, pour rétablir la difci- maux de l'Eglipline de l'Eglife, remédier à la corruption des mœurs qui fe, au lieu d'y étoit devenue générale, & réformer tous les abus de la cour de Rome. Cette loi fi authentique ordonnoit encore, que le concile général fe tiendroit de trois en trois ans, pour affermir le grand ouvrage de la réformation. Qui auroit cru qu'après un tel engagement, dont on prenoit toute l'Eglife & Dieu même à témoin, on se mît fi peu en peine de le remplir, & qu'on fe fît un jeu de violer un ferment fi folemnel? Jules II. qui vint à bout par fes intrigues de fe faire élever fur le faint fiége, forma bien d'autres deffeins, que celui d'affembler un concile général pour la réformation. Il étoit beaucoup plus de fon goût d'affembler des armées & de fe mettre lui-même à leur tête, afin de s'illuftrer par des expéditions militaires. Tous fes foins eurent pour objet de mettre l'Italie en feu, pour fatisfaire fon ambition & fon reffentiment. Il avoit le malheureux talent d'allumer le flambeau de la difcorde entre les princes chrétiens ; & il ne s'attachoit aux uns ou aux autres, qu'autant qu'il les trouvoit propres à le faire réuflir dans fes orgueilleux projets. Toute la conduite de ce pape guerrier répondit à la maniere indigne dont il étoit monté fur le faint fiége. Quand le fuccès de fes armes temporelles n'étoit point affez prompt, il leur joignoit auffitôt les armes fpirituelles, mettant en interdit toute une ville & tout un pays, & prodiguant les fentences d'excommunication. Il fouloit aux pieds les appels les plus canoniques; & en condamnant celui qu'avoit interjetté la république de Venife, il s'efforça de réprouver à jamais dans tous les états catholiques, ce moyen fi légitime & autorifé de tout temps dans l'Eglife. Le luxe & la débauche qui régnoient parmi les Vénitiens, & qui étoient l'effet de leurs grandes richesses, avoient allumé la colere de Dieu contre ce peuple. Il étoit jufte qu'il fût puni d'une maniere éclatante & proportionnée à fes iniquités: mais quelle humiliation pour le pape d'être employé à un tel ministere! D'ailleurs Jules II. fongeoit bien moins à répri

V.

On tente en

du pape. Ses

vues criminel

les dans la convocation du

concile de La

tran,

mer les défordres des Vénitiens, qu'à s'emparer de leurs richeffes & de leur puiffance temporelle.

Après s'être fervi des Allemands & des François pour écrafer cette puiflante république, il ne travailla qu'à appéfantir fon joug, & qu'à jouir de la fatisfaction qu'il avoit de la voir fous fes pieds. Il paya enfuite d'ingratitude les princes dont les armes avoient fi fort augmenté fa puiffance, & tourna en particulier contre Louis XII. tous les avantages qu'il en avoit reçus. Il excommunia ce prince, mit tout fon royaume en interdit, & le donna au premier qui pourroit s'en emparer. Il fe livra même à cet excès, de traiter cruellement des perfonnes de diftinction, qui n'avoient d'autre crime que de le porter à la paix. C'est ainsi que Jules II. travailloit à la réformation. Mais l'empereur & le roi de France fongerent aux moyens de faire cefler tant de scandales. La nation Germanique expofa à la face de toute la terre fes divers griefs contre la cour de Rome. Le clergé de France fit fentir en même-temps la néceffité de prendre des moyens efficaces pour fecourir l'Eglife. Tout ce que l'on entreprenoit d'utile pour l'exécution de ce deffein, mettoit le pape en fureur; & il trouvoit toujours dans fon artificieuse politique & dans fa duplicité, des reffources contre tous les bons projets de Louis XII. & de Maximilien.

Plufieurs cardinaux entrerent enfin dans les vûes de ces vain de répri- princes, pour remédier aux divers fcandales que ce pape ne mer les excès ceffoit de donner. Mais le peu de fuccès qu'eut le concile de Pife, fit fentir combien les maux de l'Eglife étoient augmentés depuis le concile de Conftance. Elle avoit eu alors affez de force pour obliger Jean XXIII. d'abdiquer le pontificat: mais dans le temps dont nous parlons, tous les efforts de l'empereur & du roi de France, & le zèle de plufieurs cardinaux & d'un grand nombre de prélats, ne purent réprimer les excès de Jules II. Cet événement fervit à ren dre la cour de Rome plus fiere, & apprit malheureusement aux papes à ne plus craindre les conciles. Jules II. fachant que Louis XII, avoit eu le plus de zèle pour la convocation

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