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Les uns vraiment pacifiques, déploroient les maux fans aigreur, en propofoient avec refpect les remedes, dont auffi ils fupportoient patiemment les délais. Bien loin de vouloir procurer la réformation par la rupture, ils regardoient au contraire la rupture comme le comble de tous les maux. Au milieu des abus qui étoient la matiere de leurs larmes, ils admiroient la divine providence, qui favoit, felon les promeffes de Dieu, conferver la foi de l'Eglife. Si on sembloit leur refuser la réformation des mœurs; fans s'aigrir & fans s'emporter, ils s'eftimoient affez heureux de ce que rien ne les empêchoit de la faire parfaitement en eux-mêmes. C'étoient-là les forts de l'Eglife, dont nulle tentation ne pouvoit ébranler la foi, ni diminuer l'amour pour l'unité. Mais il y avoit auffi des efprits fuperbes, pleins de chagrin & d'aigreur, qui frappés des défordres qu'ils voyoient régner dans l'Eglife, & principalement parmi fes miniftres, ne croyoient pas que les promeffes de fon éternelle durée puffent fubfifter parmi ces abus. Ces hommes aveugles & orgueilleux, fuccomboient à la tentation qui porte à haïr la chaire en haine de ceux qui y préfident: & comme fi la malice des hommes pouvoit anéantir l'œuvre de Dieu, l'averfion qu'ils avoient conçue pour les pafteurs, leur faifoit haïr en même temps, & la doctrine qu'ils enfeignoient, & l'autorité qu'ils avoient reçue de Dieu pour enfeigner. Tels étoient Viclef & Jean Hus, qui avoient frayé le chemin aux malheureux réformateurs, qui mirent en feu toute l'Eglife pendant le cours du feizieme fiecle. Avant que de confidérer ce terrible événement, il eft à propos de voir l'état où étoit l'Eglife, lorfque Luther lui livra la premiere attaque.

I I I.

Le

pape

Alexandre VI. qui couvrit l'Eglife d'opprobres par fes déréglemens fcandaleux, étant mort en 1503. on fit dans le conclave qui fe tint pour l'élection de fon fucceffeur, un aveu public du befoin qu'avoit l'Eglife d'être pape Jules II. réformée. Tous les cardinaux jurerent qu'on affembleroit

ment à travail mation. Le

ler à la réfor

les

augmente

IV.

On s'engage folemnelle

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remédier.

dans deux ans un concile général, pour rétablir la difci- maux de l'Egli-
pline de l'Eglife, remédier à la corruption des mœurs qui fe, au lieu d'y
étoit devenue générale, & réformer tous les abus de la cour
de Rome. Cette loi fi authentique ordonnoit encore, que
le concile général fe tiendroit de trois en trois ans, pour
affermir le grand ouvrage de la réformation. Qui auroit cru
qu'après un tel engagement, dont on prenoit toute l'Eglife
& Dieu même à témoin, on se mît fi peu en peine de le
remplir, & qu'on fe fît un jeu de violer un ferment fi fo
lemnel? Jules II. qui vint à bout par fes intrigues de fe faire
élever fur le faint fiége, forma bien d'autres deffeins, que
celui d'assembler un concile général pour la réformation.
Il étoit beaucoup plus de fon goût d'affembler des armées
& de fe mettre lui-même à leur tête, afin de s'illuftrer par
des expéditions militaires. Tous fes foins eurent pour objet
de mettre l'Italie en feu, pour fatisfaire fon ambition & fon
reffentiment. Il avoit le malheureux talent d'allumer le
flambeau de la difcorde entre les princes chrétiens; & il ne
s'attachoit aux uns ou aux autres, qu'autant qu'il les trou-
voit propres à le faire réuflir dans fes orgueilleux projets.
Toute la conduite de ce pape guerrier répondit à la ma-
niere indigne dont il étoit monté fur le faint fiége. Quand
le fuccès de fes armes temporelles n'étoit point affez prompt,
il leur joignoit auffitôt les armes fpirituelles, mettant en
interdit toute une ville & tout un pays, & prodiguant les
fentences d'excommunication. Il fouloit aux pieds les ap-
pels les plus canoniques; & en condamnant celui qu'avoit
interjetté la république de Venife, il s'efforça de réprouver
à jamais dans tous les états catholiques, ce moyen fi légi-
time & autorifé de tout temps dans l'Eglife. Le luxe & la
débauche qui régnoient parmi les Vénitiens, & qui étoient
l'effet de leurs grandes richeffes, avoient allumé la colere
de Dieu contre ce peuple. Il étoit jufte qu'il fût puni d'une
maniere éclatante & proportionnée à fes iniquités: mais
quelle humiliation pour le pape
d'être employé à un tel
miniftere! D'ailleurs Jules II. fongeoit bien moins à répri-

V.
On tente en

vain de répri-
mer les excès
du pape. Ses
vites criminel

les dans la convocation du

concile de La

tran,

mer les défordres des Vénitiens, qu'à s'emparer de leurs richeffes & de leur puiffance temporelle.

Après s'être fervi des Allemands & des François pour écrafer cette puiffante république, il ne travailla qu'à appéfantir fon joug, & qu'à jouir de la fatisfaction qu'il avoit de la voir fous fes pieds. Il paya enfuite d'ingratitude les princes dont les armes avoient fi fort augmenté fa puissance, & tourna en particulier contre Louis XII. tous les avantages qu'il en avoit reçus. Il excommunia ce prince, mit tout fon royaume en interdit, & le donna au premier qui pourroit s'en emparer. Il fe livra même à cet excès, de traiter cruellement des perfonnes de distinction, qui n'avoient d'autre crime que de le porter à la paix. C'est ainfi que Jules II. travailloit à la réformation. Mais l'empereur & le roi de France fongerent aux moyens de faire ceffer tant de scandales. La nation Germanique expofa à la face de toute la terre fes divers griefs contre la cour de Rome. Le clergé de France fit fentir en même-temps la néceffité de prendre des moyens efficaces pour fecourir l'Eglife. Tout ce que l'on entrepre noit d'utile pour l'exécution de ce deffein, mettoit le pape en fureur; & il trouvoit toujours dans fon artificieuse politique & dans fa duplicité, des reffources contre tous les bons projets de Louis XII. & de Maximilien.

Plufieurs cardinaux entrerent enfin dans les vûes de ces

princes, pour remédier aux divers fcandales que ce pape ne ceffoit de donner. Mais le peu de fuccès qu'eut le concile de Pife, fit fentir combien les maux de l'Eglife étoient augmentés depuis le concile de Conftance. Elle avoit eu alors affez de force pour obliger Jean XXIII. d'abdiquer le pontificat: mais dans le temps dont nous parlons, tous les efforts de l'empereur & du roi de France, & le zèle de plufieurs cardinaux & d'un grand nombre de prélats, ne purent réprimer les excès de Jules II. Cet événement fervit à rendre la cour de Rome plus fiere, & apprit malheureusement aux papes à ne plus craindre les conciles. Jules II. fachant que Louis XII, avoit eu le plus de zèle pour la convocation

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de celui de Pife, mit fon royaume en interdit, & difpenfa fes.fujets du ferment de fidélité. Et comme fi une telle entreprise ne fuffifoit point encore pour fatisfaire fon reffentiment, il s'appliqua à foulever toute l'Europe contre la France. Il mit le roi dans la néceffité de porter fes armes en Italie, & fe rendit coupable devant Dieu des défordres & des profanations qui furent la fuite des conquêtes de ce prince. Ces humiliations ne le rendirent que plus intraitable: il en vint à cet excès, de promettre indulgence pléniere à ceux qui attaqueroient les François, & de former contre eux la ligue la plus puiffante. En même temps il convoqua le concile de Latran, dans le deffein de décréditer celui de Pise qui l'avoit déclaré fufpens. Au lieu de le faire fervir au bien de l'Eglife, il employa l'autorité de ce concile, pour venger les injures qu'il croyoit avoir reçues de Louis XII. Il y fit approuver la bulle qui mettoit fon royaume en interdit, & dreffer un monitoire contre la France, pour l'obliger à abolir la pragmatique-fanction. Qui fe feroit attendu à ce nouveau fcandale? Tourner contre l'Eglife le feul remede qui lui refte pour guérir ses maux, c'est un excès qui paroiffoit réservé pour le fiecle dont nous déplorons les malheurs. Dieu punit ce pape d'une maniere terrible, en l'abandonnant de plus en plus à son inquiétude & à fon ambition. Jamais il ne forma plus de projets, & ne fe donna plus de mouvemens, que depuis qu'il eut médité tout le plan de fon concile. Six femaines avant fa mort il imagina une croifade contre les Turcs, qu'il vouloit faire fervir à chaffer d'Italie les Allemands & les Efpagnols; & en même temps il entreprit de transférer à Henri VIII. roi d'Angleterre, le royaume de France, en haine de Louis XII. qu'il regardoit toujours comme fon plus mortel ennemi. L'exemple de Jules II. prouve qu'on n'étoit point encore entiérement défabusé au fujet des croisades. Ĉe. pape avoit une idée fort extraordinaire de la puiffance eccléfiaftique. prétendoit que le chef de l'Eglife devoit au moins être maître abfolu de toute l'Italie, & qu'il devoit donner la loi à tous les fouverains. Il lui paroifloit honteux qu'il y eût,

Il

en cela

que

fur-tout parmi les chrétiens, aucune puiffance temporelle fupérieure à la puiffance temporelle de l'Eglife. Il ne faifoit fuivre les maximes de Gregoire VII. qu'il pouvoit regarder comme déja fort anciennes : & s'il les poufla plus loin qu'aucun de fes prédéceffeurs, c'eft qu'il avoit plus d'ambition, & plus d'inclination pour les exploits militaires. Le pontificat tumultueux de Jules II. fut le prélude de cet ébranlement univerfel, qui dans le cours du même fiecle détacha de l'Eglise de fi grandes portions de fon corps.

I V.

V I. Pontificat de

Léos X. également funefte pape abolit la dans le concile

à l'Eglife. Ce

pragmatique

de Latran.

Ce fut fous Léon X, fuccefleur immédiat de Jules II. que commença ce grand scandale. Mais avant que de l'envifager, il eft naturel de rappeller les principaux traits du caractère de ce pape. Auffi-tôt après fon élection, il déclara qu'il vouloit être traité en grand prince, & il fut fatisfait. Les fommes les plus confidérables ne lui paroiffoient rien, dès qu'elles étoient employées à le faire briller & à relever fa magnificence. Son orgueil & fon ambition n'eurent point de bornes; & pour l'en punir, Dieu l'abandonna aux paffions les plus honteufes & les plus criminelles. Sa cour étoit peut-être la plus mondaine de l'Univers, & la peinture qu'en font les historiens eft aftreuse. Quelle affliction pour I'Eglife, de voir fur le faint fiége un pape d'un tel caractère, & dont la jeuneffe faifoit craindre une longue fuite de défordres On fent combien ce fouverain pontife, plongé dans les délices, devoit être éloigné de fonger à la réformation. On continuoit néanmoins d'en parler avec force, & de dire dans toutes les occafions, que jamais le befoin n'en avoit été plus preffant. Léon X. pour ne point paroître infenfible à ce voru fi général, voulut bien continuer le concile de Latran ; mais il n'avoit point en cela des vûes plus pures que celles de fon prédéceffeur. Ainfi, malgré les efforts de quelques cardinaux & de plufieurs prélats bien intentionnés, il ne fe fit rien de folide pour la réforme. On reconnut encore très-folemnellement la grandeur & l'éten

duo

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