bien il étoit dangereux d'avoir un tel pape pour ennemi dans les guerres d'Italie, il prit le parti de diffimuler. Il combla même fon infidéle allié de nouveaux bienfaits. Il l'aida à fe mettre en poffeffion du duché d'Urbin: il lui rendit l'acte par lequel il s'étoit obligé de reftituer Reggio & Modéne au duc de Ferrare; il procura à fon neveu Laurent de Médicis une alliance confidérable, de laquelle vint Catherine de Médicis qui fut depuis reine de France; & il le choisit préférablement à tous les fouverains de l'Europe pour être parrain de fon premier fils. Tout fut inutile: il ne put fixer cet efprit inconftant, que la moindre lueur d'efpérance & la crainte du moindre danger attachoient à tous les partis, fans que jamais il ait été véritablement d'aucun. Au reste l'envie démesurée d'élever fa famille eut auffi une très-grande part à fes honteuses variations. Ce fut-là toujours l'article effentiel de ses traités, & les motifs de fes négociations. Puifque nous avons commencé à donner une idée du caractère de ce pape, on nous permettra de placer ici plufieurs autres traits, capables de le bien faire connoître. X. XV. Tant qu'il ne fut que cardinal de Médicis, fa vie parut Caractere de affez réguliere; du moins aucun vice groffier ne la deshonoroit. Il étoit très-coupable aux ieux de Dieu; mais les hon nêtes gens du monde le préconifoient, parce qu'il ne donnoit dans aucun excès fcandaleux. Il aimoit le luxe & le fafte, joignoit à l'amour du travail & de l'application, celui des bagatelles & de l'amusement. Il avoit du goût pour les fciences; mais il s'occupoit beaucoup plus de la belle littérature que de l'étude de la religion. Tout ce qui étoit grave & férieux le gênoit, & il n'étoit à fon aife, que quand on lui propofoit des chofes frivoles, & capables d'entretenir l'enjouement & la gaieté de fon humeur. Ces défauts fi confidérables parurent bien davantage quand il fut élevé fur le faint fiége, & furent dans la fuite une fource de malheurs & de défordres. Nous avons vû que quand il fut arrivé à ce terme de fes defirs, le premier ordre qu'il donna fut qu'on le traitât en grand prince. Il fut obéi, & il eut la malheureuse gloire de l'emporter en ce genre de magnificence, fur tous les princes de fon temps. L'orgueil & l'ambition de ce pontife méritoient d'être punis, & ils le furent d'une maniere terrible, Dieu l'ayant abandonné aux paffions les plus criminelles. Il aimoit à fatisfaire la délicateffe de fon goût. Ses repas étoient longs, toujours fuperbes & exquis, par la quantité & le choix des viandes & du vin. Un nouveau ragoût étoit pour lui le fujet d'une joie fenfible. Quiconque avoit l'adreffe d'en inventer, étoit sûr d'avoir part à sa faveur & à fes libéralités. Le plaifir de la bonne-chere étoit affaifonné d'entretiens enjoués, qui fouvent dégénéroient en bouffonneries. Il avoit à fes gages des plaifans en titre d'office, qu'il favoit mettre en humeur, & avec qui il ne dédaignoit pas d'entrer quelquefois en lice. Beau talent pour un chef de l'Eglife! Ceux qui l'approchoient, fe conformoient à fon inclination. Tout ce qui étoit un peu férieux déplaifoit en cette cour toute mondaine; on n'y aimoit que ceux qui pouvoient contribuer au plaifir & à l'amusement. Cet efprit de badinage, fi contraire non-feulement au chriftianisme, mais même à la raison, poflédoit tellement Léon X. qu'il n'y avoit que les affaires éclatantes qui puffent le rappeller au férieux. Toutes celles qui n'avoient rien de frappant & qui n'intéreffoient que des particuliers, le trouvoient inacceffible. On dit que pour avoir un moment d'audience, un honnête homme fut obligé de fe faire annoncer fous le titre de poëte divertiffant. C'eft de ce même efprit que venoit fa paffion pour la chaffe. De fon fuccès dépendoit sa bonne ou fa mauvaise humeur. Il n'étoit pas sûr de l'aborder, quand elle n'avoit pas été heureuse, & il accordoit tout quand il en revenoit content. Une vie fi voluptueuse ne fut pas exempte de crimes groffiers & fcandaleux. Dieu permit, comme nous l'avons dit, que Léon X. devînt esclave des paffions les plus humiliantes. Nous n'avons garde de rapporter ce que l'histoire nous apprend des défordres de ce pape. Nous aimons mieux mettre un voile fur de pareilles les La vie mondaine & criminelle que menoit ce pape, n'éteignit point en lui l'eftime qu'il avoit pour les fciences. Une trifte expérience n'apprend que trop, que la corruption des mœurs n'eft point abfolument incompatible avec le goût pour la belle littérature. Léon X. protégea toujours gens de lettres, & leur donna une très-grande part à fes libéralités. Il n'épargna ni foin ni argent pour recueillir les anciens manufcrits, & pour en procurer des éditions exactes: mais en cela même il montroit fon caractere peu folide & fon inclination à la bagatelle, qui contre la bienséance qu'exigeoit de lui le rang qu'il tenoit dans l'église, lui firent donner aux poëtes la préférence fur tous les autres beaux efprits. Au refte il mérite une forte de louange d'avoir banni la barbarie du langage, qu'on fembloit avoir affecté fous ses prédéceffeurs dans les expéditions de la cour de Rome. Il ne pouvoit manquer de remédier à ce défaut, puisqu'il avoit pris en qualité de fes premiers fecrétaires, Bembe & Sadolet, qui étoient alors ceux qui écrivoient le plus purement en latin. XI. XVI. Le luxe de Léon X. ses libéralités exceffives, les dépenses Le dérange auxquelles l'obligerent les guerres où l'amour de fa fami le nances le porte l'engagea, épuiserent absolument fes finances. Il fallut donc ment de les fi des indulgen ces. penfer aux moyens de fe procurer de l'argent. Ses uniques à faire publier reffources étoient la foumiffion du clergé, & la dévotion du peuple, toujours libéral quand on fait l'intéreffer. La premiere lui manqua : lui-même fe l'étoit ôtée du côté de la France & de l'Allemagne, en accordant aux fouverains de ces états par reconnoiffance ou par des vûes d'intérêt, la dîme des biens eccléfiaftiques. L'Efpagne à laquelle il s'adreffa, fous prétexte de lever une armée pour s'opposer aux Turcs, n'eut point égard à fes demandes. Le célebre Ximenes qui gouvernoit alors la Caftille, traita cette affaire avec beaucoup de fermeté, & avec un certain air de grandeur & de générosité qui dut couvrir de confufion Léon X. & le faire repentir des ordres qu'il avoit envoyés. Ce cardinal commença par défendre en Caftille la levée de l'impofition exigée par le nonce : enfuite il donna ordre à fon agent à Rome de s'inftruire exactement de ce que le concile de Latran avoit prefcrit à ce fujet; car le nonce citoit ce concile en Espagne & s'appuyoit de fon autorité. L'agent de Ximenès étoit encore chargé d'aller offrir au pape toutes les richeffes des églises d'Espagne; mais en lui faifant entendre qu'on le fupplioit avant toutes chofes, de déclarer nettement ce que c'étoit que cette guerre fainte dont on ne voyoit aucun préparatif; & que fi les befoins n'étoient ni preffans ni raisonnables, on ne fouffriroit point que les églifes d'Espagne devinffent tributaires. Le pape déconcerté défayoua fon nonce, & dit qu'il n'avoit point encore impofé de décimes; ajoutant qu'il ne feroit rien à cet égard en Espagne, que de concert avec Ximénès, dont il connoiffoit la fageffe & l'autorité. Ce premier moyen ayant eu un fi mauvais fuccès, Léon X. employa le fecond, c'eft-à-dire, qu'il intéreffa la dévotion des peuples. Il avoit entrepris d'achever le fuperbe édifice de la bafilique de faint Pierre que fon prédéceffeur avoit commencé. Cette entreprise fut le prétexte dont il se fervit pour tirer des fidéles beaucoup plus que ce qu'elle pouvoit lui coûter. On annonça par-tout ce grand deffein, dont on exagéra l'importance; & furtout on fit monter bien haut la dépenfe, & on releva le zèle du fouverain pontife. On fup- AN. 1517. ARTICLE IV. Héréfie de Luther. I. ALBERT de Brandebourg, archevêque de Maïence & de I. Publication des indulgen- Magdebourg, & depuis cardinal, avoit été chargé par Léon X. ces en Allema de nommer en Allemagne les prédicateurs qui devoient pu gne. Divers ex cent. Fl. to. XXV. 1. cxxy.. 30. cès de ceux blier les indulgences. Če prélat affigna la Saxe aux Domiqui les annon- nicains, à la tête defquels il mit Jean Tetzel, religieux du Contin. de même ordre, & inquifiteur de la foi. Il avoit déja été choisi par les chevaliers Teutoniques pour la même commiffion dans la guerre qu'on fit aux Mofcovites, & il y avoit amaffé beaucoup d'argent. Les hermites de faint Augustin qui étoient depuis long-temps en poffeffion de publier les indulgences dans les grandes occafions, ne virent pas tranquillement la & 31. préférence ( t S 1 |