préférence que l'on donnoit en celle-ci à d'autres religieux. Ils chercherent des prétextes pour les décrier, & malheureusement les Dominicains leur en fournirent de trop réels dans leurs fermons & dans leur conduite. Ils exagéroient beaucoup la vertu des indulgences, & anéantifloient tous les travaux de la pénitence, en perfuadant au peuple ignorant, qu'on étoit affuré d'aller au ciel auffitôt qu'on auroit compté l'argent néceffaire pour gagner les indulgences. Ils en faifoient un trafic honteux; & tenoient leurs bureaux dans des cabarets, où chacun les voyoit confumer en débauches une partie de l'argent qu'ils recevoient. Les Auguf tins avoient alors pour vicaire général en Allemagne Jean Staupitz, des premieres familles du pays, & même allié à la maifon de Saxe. Il fit usage de fon crédit auprès de l'électeur Frédéric, pour l'indifpofer contre les prédicateurs des indulgences, & excita fes religieux à les attaquer vivement. Aucun n'entra avec plus d'ardeur dans ses vûes que Martin Luther, qui avoit alors beaucoup de réputation, & qui paffoit pour un des plus habiles docteurs de l'univerfité de Vittemberg. II. II. Luther s'éleve cette matiere. entre deux ex cès oppofés. Il étoit né à Iflebe, ville du comté de Mansfeld,l'an 1483. Ses parens quoique d'une condition affez médiocre, prirent contre les prébeaucoup de foin de lui, & le firent étudier. Il prit à Erford dicateurs des le dégré de maître-ès-arts en 1503. Comme il fe promenoit Doctrine de un jour aux environs de cette ville, le tonnerre tua fon l'Eglife fur compagnon à ses côtés: ce qui le toucha fi fort, qu'il fit Jufte milieu vœu dans le moment d'être religieux. Il entra peu de temps après chez les hermites de faint Augustin d'Erford, & fut ordonné prêtre en 1507. Enfuite il fut appellé à Vittemberg par Staupitz, vicaire général, qui lui fit prendre le bonnet de docteur dans cette univerfité, & le choifit pour être profeffeur. Il remplit cette place avec beaucoup de diftinction, & fe fit admirer de tout le monde par la vivacité de son efprit, fa grande mémoire, & fon éloquence naturelle. Ce fut alors que Staupitz le chargea de s'élever contre la maTome VIII. L Ibid. n. 32. & fuis. niere dont les Dominicains prêchoient les indulgences. Il n'auroit pas été difficile dans ces commencemens d'étouffer cette difpute & d'en prévenir les fuites; mais on la regardoit comme une querelle particuliere qu'il falloit méprifer. Le pape lui-même qui en fut informé, n'y fit pas beaucoup d'attention, & laiffa continuer de prêcher les indulgences comme auparavant. Cependant l'imprudence des prédicateurs, & en particulier de Tetzel faifoit beaucoup de mal, & donnoit occafion à Luther de fortifier fon parti. Les uns & les autres perdoient de vûe le jufte milieu, qui confifte à reconnoître que l'Eglife a le pouvoir d'accorder des indulgences, mais que c'est toujours fans préjudice des faintes régles de la pénitence. La peine éternelle n'eft remife par le facrement de pénitence qu'à ceux qui font véritablement convertis, & qui ont commencé à aimer Dieu par-dessus toutes chofes. A l'égard des peines temporelles que mérite le péché, les pénitens doivent faire toutes les fatisfactions qui font en leur pouvoir, & les indulgences n'en font que le fupplément. Celui qui veut gagner les indulgences, dit le cardinal Cajétan, doit premierement être en état de grace. Secondement accomplir les œuvres ordonnées pour cet effet par l'Eglife. Troifiemement avoir une réfolution fincere de fatisfaire à Dieu, autant qu'il pourra, par les travaux de la pénitence. Il ajoûte que les indulgences font abfolument inutiles à ceux qui ne veulent point fatisfaire eux-mêmes à Dieu pour leurs péchés quand ils le peuvent. D'où il tire cette conféquence, que dans la vérité il y en a très-peu qui reçoivent le fruit des indulgences, parmi un fi grand nombre de chrétiens qui vifitent les églifes, & font leurs ftations dans le temps d'un jubilé. I I I. Luther fit foutenir en 1517. une thèse fur les indulgences, qui contenoit quatre-vingt-quinze propofitions. Il l'envoya à Albert, archevêque de Maïence, & lui écrivit en mêmetemps pour le prier de remédier aux maux que caufoient les quêteurs d'indulgences, & de faire défabufer les peuples qui, féduits par les fermons qu'ils entendoient fur cette matiere, s'imaginoient qu'en donnant quelque argent, ils étoient affurés de leur falut, fans fe mettre en peine de faire de dignes fruits de pénitence. Il écrivit la même chose à l'évêque de Brandebourg. Dans la plûpart de fes propofitions il s'élevoit contre des erreurs & des abus manifeftes; & dans d'autres il parloit d'une maniere peu exacte fur cette matiere. Mais pour faire croire qu'il étoit très-éloigné de vouloir combattre les indulgences en elles-mêmes, il s'exprimoit ainsi dans la foixante-onzieme propofition: Si quelqu'un nie la vérité des indulgences du pape, qu'il foit anathême. De la matiere des indulgences, Luther passa à celle de la juftification & de l'efficace des facremens, & cette nouvelle difpute devint bientôt la plus importante. La justification n'est autre chose que la grace qui nous remettant nos péchés, nous rend en même-temps agréables à Dieu. On avoit cru jufqu'alors que ce qui produifoit cet effet, devoit à la vérité venir de Dieu, mais enfin devoit être en nous; & que pour être juftifié, c'est-à-dire, de pécheur être fait juste, il falloit avoir en foi la juftice; comme pour être favant & vertueux, il faut avoir en foi la fcience & la vertu. Mais Luther n'avoit pas fuivi une idée fi fimple. Il vouloit qui nous juftifie & ce qui nous rend agréables aux ieux de Dieu, ne fût rien en nous: mais que nous fuffions juftifiés, parce que Dieu nous imputoit la justice de Jesus-Christ comme fi elle cût été la nôtre propre, & parce qu'en effet nous pouvions nous l'approprier par la foi. C'est par cette que ce foi, difoit-il, que nous fommes juftifiés. Et cette foi jufti- On est justifié, difoit fans ceffe Luther, dès qu'on croit l'être avec certitude. Et cette certitude qu'il exigeoir n'étoit pas feulement une certitude morale, qui étant fondée fur des motifs raisonnables, exclut l'agitation & le trouble, mais une certitude abfolue & infaillible; enforte que le pécheur devoit croire qu'il étoit justifié, par la même foi par laquelle on croit les myfteres de la religion : & cette foi s'appelloit la Foi fpéciale. Delà il s'enfuivoit néceffairement que pour être juftifié, il falloit être affûré de la fincérité de fa pénitence, puifque Dieu ne promet de juftifier que les vrais pénitens. Néanmoins Luther condamnoit de toutes fes forces cette derniere certitude; & bien loin d'avouer que l'on fût affûré de la fincérité de fa pénitence, on n'étoit pas même affûré, difoit-il, de ne pas commettre plufieurs péchés mortels dans fes meilleures actions, à cause du vice très-caché de la vaine gloire ou de l'amour-propre. Il alloit encore plus loin, & il foutenoit que les œuvres des hommes, quelque bonnes qu'elles paruffent, étoient toutes des péchés mortels. Il avançoit tous les jours de nouvelles propofitions, qui renfermoient des erreurs groffieres & très-dangereuses. Comme on prenoit des mefures en Allemagne pour s'oppofer aux Turcs, dont on étoit menacé, il établit & débita à cette occafion un principe qui révolta le peuple contre lui. Il faut, difoit-il, vouloir non-feulement tout ce que Dieu veut que nous voulions, mais abfolument tout ce que Dieu veut : confondant la volonté de Dieu confidérée comme loi, avec la volonté de Dieu confidérée comme caufe des événemens. Il concluoit de fon principe, qu'en combattant contre les Turcs, on réfifteroit à la volonté de Dieu, qui vifitoit fon peuple par ce châtiment. IV. Jean Tetzel, ce dominicain dont nous avons parlé, publia contre Luther cent fix propofitions ou thefes fur les indulgences. Mais en voulant combattre la doctrine de Luther, il tomba lui-même dans d'autres excès, & fit paroître beaucoup d'ignorance & de faux préjugés. Il n'en montra pas moins dans les thèfes qu'il publia peu de temps après fur l'autorité du pape, Il y foutenoit, entre autres erreurs, que le fouverain pontife eft au-deffus du concile général & de l'églife univerfelle ; que fon jugement eft infaillible dans les caufes qui concernent la foi; & que c'est au pape & non à l'églife, que la puiffance des clefs a été donnée. Ces thefes de Luther & de Tetzel furent le commencement de la querelle qui troubla bientôt l'Eglife, & caufa ce fchifme cruel dont elle fut déchirée. Tetzel, comme inquifiteur de la foi, fit brûler publiquement les thèses de Luther; & les difciples de Luther, pour venger leur maître, brûlerent auffi en publicà Vittemberg celles du dominicain. L'année fuivante 1518, Eckius, profeffeur en théologie AN. 1518. dans l'université d'Ingolftad, voyant que le nombre des partisans de Luther croiffoit tous les jours, fe joignit à Tetzel pour attaquer ses erreurs ; mais il le fit alors avec plus de fubtilité que de lumiere. Luther, pour répondre à ce docteur, publia d'autres thèfes fur la pénitence, où il développa fon héréfie de la foi spéciale justifiante. Comme il n'y avoit, felon lui, que cette prétendue foi qui juftifioit, & que la rémiffion des péchés ou la juftification ne dépendoit ni du pouvoir du prêtre, ni de nos difpofitions, il difoit au pécheur : Croyez fermement que vous êtes abfous, & dès-là vous l'êtes, quoiqu'il puifje être de votre contrition. C'est-à-dire : Vous n'avez pas befoin de vous mettre en peine fi vous êtes pénitent ou non. Tout confifte, difoit-il perpétuellement, à croire fans heftter que vous êtes abfous. D'où il concluoit qu'il n'importoit pas que le prêtre baptisât ou donnât l'absolution,férieufement ou en fe moc IV. malles erreurs de Luther. II développe fon héréfie de la foi fpéciale. Ibid. n. 40. fuiy. & |