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foi, difoit-il, que nous fommes juftifiés. Et cette foi juftifiante ne confiftoit pas à croire en général au Sauveur, à fes myfteres & à fes promeffes, mais à croire très certainement chacun dans fon cœur que tous nos péchés nous étoient remis.

On eft justifié, difoit fans ceffe Luther, dès qu'on croit l'être avec certitude. Et cette certitude qu'il exigeoir n'étoit pas seulement une certitude morale, qui étant fondée fur des motifs raisonnables, exclut l'agitation & le trouble, mais une certitude abfolue & infaillible; enforte que le pécheur devoit croire qu'il étoit juftifié, par la même foi par laquelle on croit les mysteres de la religion : & cette foi s'appelloit la Foi fpéciale. Delà il s'enfuivoit néceffairement que pour être juftifié, il falloit être affûré de la fincérité de fa pénitence, puifque Dieu ne promet de juftifier que les vrais pénitens. Néanmoins Luther condamnoit de toutes les forces cette derniere certitude; & bien loin d'avouer que l'on fût affûré de la fincérité de fa pénitence, on n'étoit pas même affûré, difoit-il, de ne pas commettre plufieurs péchés mortels dans fes meilleures actions, à cause du vice très-caché de la vaine gloire ou de l'amour-propre. Il alloit encore plus loin, & il foutenoit que les œuvres des hommes, quelque bonnes qu'elles paruffent, étoient toutes des péchés mortels. Il avançoit tous les jours de nouvelles propofitions, qui renfermoient des erreurs groffieres & très-dangereufes. Comme on prenoit des mefures en Allemagne pour s'opposer aux Turcs, dont on étoit menacé, il établit & débita à cette occafion un principe qui révolta le peuple contre lui. Il faut, difoit-il, vouloir non-feulement tout ce que Dieu veut que nous voulions, mais abfolument tout ce que Dieu veut : confondant la volonté de Dieu confidérée comme loi, avec la volonté de Dieu confidérée comme cause des événemens. Il concluoit de fon principe, qu'en combattant contre les Turcs, on résisteroit à la volonté de Dieu, qui visitoit fon peuple par ce châtiment.

IV.

On attaque

Ibid. n. 40.

Jean Tetzel, ce dominicain dont nous avons parlé, pu- IV. blia contre Luther cent fix propofitions ou thefes fur les malles erreurs indulgences. Mais en voulant combattre la doctrine de Lu- de Luther. II ther, il tomba lui-même dans d'autres excès, & fit paroître héréfie de la beaucoup d'ignorance & de faux préjugés. Il n'en montra foi fpéciale. pas moins dans les thèses qu'il publia peu de temps après & fuiy. fur l'autorité du pape, Il y foutenoit, entre autres erreurs, que le fouverain pontife eft au-deffus du concile général & de l'église univerfelle; que fon jugement eft infaillible dans les caufes qui concernent la foi ; & que c'est au pape & non à l'églife, que la puiffance des clefs a été donnée. Ces thefes de Luther & de Tetzel furent le commencement de la querelle qui troubla bientôt l'Eglife, & caufa ce fchifme cruel dont elle fut déchirée. Tetzel, comme inquifiteur de la foi, fit brûler publiquement les thèses de Luther; & les difciples de Luther, pour venger leur maître, brûlerent auffi en public à Vittemberg celles du dominicain. L'année fuivante 1518, Eckius, profeffeur en théologie AN. 1518. dans l'univerfité d'Ingolftad, voyant que le nombre des partifans de Luther croiffoit tous les jours, fe joignit à Tet

zel

&

pour attaquer ses erreurs ; mais il le fit alors avec plus de fubtilité que de lumiere. Luther, pour répondre à ce docteur, publia d'autres thèfes fur la pénitence, où il développa fon héréfie de la foi fpéciale justifiante. Comme il n'y avoit, felon lui, que cette prétendue foi qui juftifioit, que la rémiffion des péchés ou la juftification ne dépendoit ni du pouvoir du prêtre, ni de nos difpofitions, il difoit au pécheur: Croyez fermement que vous êtes abfous & dès-là vous l'êtes, quoiqu'il puifje être de votre contrition. C'est-à-dire : Vous n'avez pas befoin de vous mettre en peine fi vous êtes pénitent ou non. Tout confifte, difoit-il perpétuellement, a croire fans hésiter que vous êtes abfous. D'où il concluoit qu'il n'importoit pas que le prêtre baptisât ou donnât l'absolution,férieufement ou en fe moc

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que nous

quant; parce que dans les facremens il n'y avoit qu'une
chofe à craindre, qui étoit de ne pas croire affez fortement
que tous nos péchés nous étoient pardonnés, dès
avons pû gagner fur nous de le croire. Dans des thèses
qu'il foutint au mois d'Avril dans le monaftere des auguf
tins d'Heidelberg, pendant qu'on y tenoit le chapitre, il
commença à attaquer le libre-arbitre, difant que c'étoit
un titre fans réalité; qu'il n'y avoit dans l'homme aucune
liberté pour le bien; que toutes les fois que le libre-arbitre
agit par lui-même, il pèche mortellement; qu'il n'eft point
une puiffance active à l'égard du bien; que le feul jufte est
celui qui croit en Jesus-Chrift fans œuvres; & qu'un hom-
me, par
par la feule foi, pouvoit être jufte indépendamment
des bonnes œuvres. Luther répandoit toutes ces erreurs un
an après qu'il eut commencé à attaquer les prédicateurs des
indulgences.

Cependant il faifoit encore paroître beaucoup de fou miffion, & déclaroit qu'il attendroit avec refpect le jugement de l'églife. Sachant qu'il avoit été déféré au pape comme hérétique par plufieurs théologiens, il écrivit à Léon X. des lettres fort foumifes, proteftant qu'il écouteroit fa voix comme celle de Jefus-Chrift même. Il fit les mêmes proteftations pendant plus de trois ans ; mais il y avoit dans fes écrits quelque chofe de fier & de véhément qui le trahiffoit. Il s'étendoit dans fa lettre au pape fur les propofitions scandaleufes que les prédicateurs des indulgences avoient débitées, fur leur avarice, & leurs autres excès. On m'accufe, difoit-il, de mettre le feu dans l'église; mais n'ai-je pas droit, en qualité de docteur, de difputer dans les écoles publiques? Eft-ce ma faute, fi mes thèses, qui n'étoient que pour ce pays-ci, ont été répandues dans tout l'univers ? Que faire à préfent? Je ne puis me rétracter; & je vois qu'on veut me rendre odieux. Il joignit à cette lettre une défense des quatre-vingt-quinze propofitions de fa premiere thèse, & une proteftation de fon attachement inviolable à la doctrine de l'écriture, des faints peres & des facrés canons.

V I.
On continue

fort mal la fe. Luther eft cité a Rome. fuiv.

caufe de l'Egli

&

Ibid. n. 75

Silveftre de Prierio, dominicain, maître du facré palais, & auteur de la Somme des cas de confcience, qu'on appelle de défendre Silvestrine, dédiée à Léon X. compofa la même année i518. un écrit contre Luther, dans lequel il qualifia très-fortement plufieurs de fes propofitions. Il donnoit au pape, dans cet ouvrage, la fouveraineté de la puiffance temporelle & fpirituelle, & employoit des expreffions qui paroîtroient exceffives aux plus zèlés ultramontains. Jacques Hochstrat, autre dominicain, attaqua auffi Luther, qui n'eut pas d'adverfaire plus ardent. Il exhortoit le pape à ne plus employer contre Luther que le fer & le feu, pour en délivrer au plutôt le monde. Luther fit contre lui une espece de manifefte, & lui reprocha fes emportemens & fon ignorance. Il étoit fâcheux que la caufe de l'église ne fût point en de meilleures mains. L'empereur Maximilien, qui tenoit la même année une diete à Aufbourg pour les affaires de l'empire, y ayant appris les troubles que Luther excitoit dans la Saxe, en écrivit au pape pour le prier d'arrêter ces difputes. Mais le pape avoit déja pris des mefures avant qu'il reçu la lettre de l'empereur. Il avoit cité Luther pour comparoître dans foixante jours à Rome. Il écrivit en même-temps à Frédéric électeur de Saxe, pour le prier de ne point accorder fa protection à Luther, & de le remettre entre les mains du cardinal Cajetan fon légat. Il menaça même d'excommunication & de peines temporelles ceux qui le protégeroient.

eût

V.

:

VII.
L'électeur de

Saxe favorable
Luther.

&

Malgré ces menaces, l'électeur de Saxe & l'université de Vittemberg écrivirent fi fortement au pape en faveur de Luther, & lui demanderent fi inftamment de faire exami- à ner l'affaire en Allemagne, que le pape y confentit : à condition néanmoins que Luther,au lieu de demeurer en Saxe, fe rendroit en Souabe pour y comparoître devant le légat, ce que l'électeur accorda volontiers. Luther écrivit auffitôt au cardinal Cajétan, pour lui témoigner le regret qu'il avoit de s'être laiffé emporter trop loin dans la difpute, &

Ibid. n. 78.

fuiv.

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d'avoir manqué au refpect qu'il devoit au pape. Quoique mes adversaires me pouffaffent, difoit-il, je ne devois pas répondre au fou felon fa folie. Il demandoit enfuite qu'on le difpensât d'aller à Rome, parce que cette citation devant le pape étoit inutile, à l'égard d'un homme qui n'attendoit que fon jugement pour s'y foumettre.

Quoique Luther ne fût pas fort content d'avoir pour jugé le cardinal Cajétan, qui étoit de lordre des dominicains; néanmoins, ne voulant point encore paffer pour réfractaire, il réfolut de comparoître devant lui, & d'aller le trouver à Aufbourg. Il se munit de lettres de recommandation de l'électeur de Saxe fon protecteur, & fe rendit en cette ville le douzieme d'Octobre 1518. Il comparut avec confiance devant le légat, qui le reçut fort bien, mais qui lui déclara qu'il ne vouloit point entrer en difpute avec lui. Dans la premiere conférence le légat lui propofa de rétracter toutes les erreurs contenues dans fes écrits & dans fes fermons, & d'éviter tout ce qui pourroit causer du trouble dans l'églife. Luther demanda qu'on lui fit connoître en quoi confiftoient fes erreurs. Le légat l'accufa d'avoir établi fur ce qui regarde le tréfor des indulgences, une doctrine contraire à la conftitution de Clément VI, & d'avoir enfeigné que pour recevoir l'effet du facrement de pénitence, il falloit croire d'une ferme foi que nos péchés étoient remis, ce qui eft contraire à l'écriture. Luther entreprit de fe juftifier fur le premier article, en difant que la bulle de Clément VI. n'avoit pas affez d'autorité pour l'obliger de changer de fentiment. Il alloit répondre fur le fecond chef; mais le légat ne voulut pas l'entendre, & fe jetta fur l'autorité du pape, qu'il exagéra beaucoup felon fa coutume. Luther répondit qu'il n'étoit pas vrai vrai que pape fût au-deffus du concile, comme le prétendoit le cardinal, & il allégua l'autorité de l'université de Paris, On n'alla pas plus loin dans cette premiere conférence,

le

Lorfqu'elle fut finie, comme le légat infiftoit beaucoup fur une rétractation, Luther lui demanda du temps pour délibérer, & fe retira. Le lendemain il comparut une fe

conde

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