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III.

Vers le même temps le peuple de Génes fe fouleva contro la noblesse avec tant de fureur, qu'ils en obligerent plufieurs du premier rang de fe retirer ailleurs. Ces féditieux fe voyant les maîtres, créérent auffi-tôt un nouveau corps de magistrats, & fe révolterent contre le roi de France. En vain le gouverneur essaya de ramener les rebelles par la douceur; ils n'en devinrent que plus infolens, s'affurerent de plufieurs places, & allerent même affiéger une forteresse. Louis XII. pour les réduire alla lui-même en Italie avec une armée d'environ cinquante mille hommes. Lorfqu'elle fut près de Génes, les féditieux firent une fortie, où ils furent repouffés & perdirent trois mille hommes. Ils crurent alors devoir demander grace; mais le cardinal d'Amboise dit à leurs députés, qu'il falloit fe remettre à la difcrétion du roi, ou voir leur ville au pillage. Les Génois irrités de cette réponse, fortirent au nombre de quarante mille combattans; mais ils furent taillés en pièces, & fe rendirent à difcrétion. Tristan de Salazar, archevêque de Sens, se trouva à cette bataille, & combattit armé de toutes piéces auprès du roi, qui fe mêla auffi fort avant dans le combat. Et ce qu'il y a de fingulier, c'est que cet archevêque entreprit férieusement de faire fon apologie devant ceux qui s'étonnoient avec raifon de le voir dans cet équipage. Le roi entra dans Génes l'épée nue à la main, & entouré d'un grand nombre de gens armés. La bourgeoifie à qui il avoit demandé une foumiffion aveugle, tenoit à la main des rameaux d'oliviers, & crioit: Miféricorde. Le roi leur donna la vie : mais il les

condamna à payer une fomme confidérable pour la conf
truction d'une nouvelle fortereffe entre la ville & le port;
& ordonna que les originaux des traités conclus avec la
France, & les autres qui regardoient leurs anciennes libertés,
fuffent apportés à fes pieds par le magiftrat pour y être
déchirés & brûlés: ce qui fut exécuté. Mais le roi leur ac-
corda fur le champ les mêmes priviléges, à condition néans

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moins qu'il les révoqueroit quand il le voudroit. On fit trancher la tête à un nommé de Noue, qui de teinturier étoit devenu doge pendant la révolte; & à un autre chef de la fédition nommé Juftiniani, qui déclara avant de mourir, que le pape étoit d'intelligence avec les rebelles. On prit des mefures pour contenir les Génois dans leur devoir, & on les obligea à entretenir dans leur port trois galeres pour la France, & à augmenter les fortifications de la citadelle.

Jules II. avoit pris l'allarme lorfqu'il fçut que Louis XII. venoit lui-même à la tête d'une armée confidérable pour l'affaire de Génes. Comme il favoit les grandes inquiétudes que Charles VIII. avoit données à Alexandre VI. il craignoit de le voir réduit à une pareille extrémité, s'il ne trouvoit dans fon artificieufe politique quelque moyen de prévenir le coup dont il fe croyoit menacé. Rien ne lui parut plus propre à fon deffein que d'allarmer l'empereur, en lui faifant regarder l'entreprise du roi de France, comme un prétexte pour troubler le repos de l'Italie, & pour rendre encore une fois la France maîtreffe de l'élection des papes. Il lui fit entendre que Louis XII. vouloit élever fur le faint fiége le cardinal d'Amboise, pour recevoir enfuite de sa main la couronne impériale, & fe mocquer de Maximilien & des électeurs, en s'emparant de tout ce qu'ils avoient de puiffance en Italie.

Les Vénitiens joignirent leurs plaintes à celles du pape, & témoignerent beaucoup plus d'inquiétude qu'ils n'en avoient en effet par rapport aux deffeins du roi de France fur les états 'd'Italie, & en particulier fur leur république. L'empereur convoqua promptement une diéte à Constance, où il lut les lettres du pape, & repréfenta combien il étoit important pour tous les princes de l'empire, de fe maintenir contre le roi de France, dans la poffeffion de leurs anciens établissemens en Italie, & de s'oppofer à l'ambition des François. Toutes les forces de l'empire fe réunirent auffi-tôt; & déja une armée très-nombreufe étoit prête à s'avancer vers l'Italie par le Tirol, lorfqu'on apprit que Louis XII.

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avoit licencié ses troupes. Ferdinand roi d'Espagne qui étoit
alors à Naples, fouhaita d'avoir une entrevue avec Louis XII.
Les deux rois se virent à Savone, & eurent de fréquentes
conférences. On répandit dans le public que Ferdinand
avoit paru fort irrité contre Jules II. que les deux rois avoient
pris des mefures pour faire dépofer un pape élu par des
voies fi peu canoniques, & que Ferdinand demandoit même
que l'on tînt pour cela un concile général. Mais ce qui
arriva l'année suivante fit voir que ce bruit étoit fans aucun
fondement,

IV.

VIII.
Le pape for-

d'attaquer

Li

brai.

Jules II. plein de zèle pour recouvrer les domaines da me le deffein l'état eccléfiaftique, qui étoient paffés en des mains étranVénitiens. Les geres, demanda aux Vénitiens un grand nombre de villes gue de Cam- dont ils s'étoient emparés. Il le fit d'abord avec modération; mais voyant qu'ils ne fe rendoient point, il réfolut de leur déclarer la guerre. On croit que le recouvrement des villes dont les Vénitiens étoient alors poffeffeurs ne fut qu'un prétexte, & que le pape vouloit le venger du refus que les Vénitiens avoient fait de fon neveu pour l'évêché de Vicenze, & de la retraite qu'ils avoient donnée aux Bentivoglio lorfqu'il les chaffa de Bologne. Comme il ne pouvoit foutenir feul la guerre contre des ennemis fi puiflans, il ménagea une alliance avec l'empereur Maximilien Louis XII, roi de France, & Ferdinand roi d'Arragon, II s'adreffa d'abord à la France, fachant que le cardinal d'Amboife, premier miniftre, étoit ennemi déclaré des Vénitiens! La propofition du pape fut acceptée dans le confeil, malgré les représentations d'Etienne Poncher, évêque de Paris. Ce prélat foutint que la France ne pouvoit avoir en Italie de meilleurs alliés que les Vénitiens. Il regardoit le confentement que le confeil venoit de donner, comme l'effet d'une baffe complaifance pour le premier miniftre; ou comme une obéiflance servile aux volontés du roi, qui, disoit ce prélat, n'a un confeil établi que pour lui remontrer ce que la justice demande, & l'empêcher de former de mauvaises

entreprises,

Contin. de

Fl. to. XXV. 1. cxxj. n. 1.

&

AN. 1508.

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entreprises. On voit bien que l'évêque avoit raison; mais
l'autorité l'emporta. L'empereur & le roi d'Arragon entre-
rent pour divers intérêts dans cette fameufe ligue, qui eft
connue fous le nom de ligue de Cambrai, parce qu'on choisit
cette ville pour le lieu du congrès. On follicita la plupart
des autres fouverains d'y entrer. Quelques-uns fe rendirent,
& d'autres garderent la neutralité. Les Vénitiens s'étoient
toujours flattés de voir échouer les grands projets que l'on
formoit contre eux; & ils furent confternés lorfqu'ils appri-
rent au mois de Mars 1509. que tous les princes qui avoient
figné le traité de la ligue fe mettoient en devoir de l'exé-
cuter. Ils envoyerent offrir au pape des conditions qu'il
avoit lui-même auparavant propofées, & qu'ils n'avoient
point voulu accepter: mais il fut fourd à leurs propofitions,
auffi-bien que l'empereur & le roi d'Arragon, qu'ils avoient
effayé par toutes fortes de voies de détacher du roi de
France. Les inftances des Vénitiens auprès des autres puif-
fances furent également inutiles, & ne leur procurerent
des fouhaits obligeans ou de vaines promeffes. Voyant
donc qu'il ne leur reftoit d'autre ressource que leur valeur
& leurs richeffes, ils ne fongerent plus qu'à fe mettre en état
de se bien défendre; & en peu de temps ils affemblerent
fe
une nombreuse armée.

IX.
Le pape ex-

communie la
Venife. Elle en
appelle au fu-

république de

tur concile. Ibid. n. 25.

AN. 1509

Le roi de France devoit, felon un des articles de la ligue, commencer la guerre & entrer en campagne le premier d'Avril. Mais il ne put paffer les Alpes aufli promptement que le fouhaitoit le pape, qui fembloit ne pas voir affez-tôt l'Italie en feu. On ne tarda pas à lui procurer cette malheureufe fatisfaction: car vers la fin de ce même mois on com- & fuiv. mença à affiéger des villes & à ravager le pays. Cette conduite du pape répondoit parfaitement à la maniere dont il étoit monté fur le faint fiége. Quand il eut appris que les François & fes autres alliés attaquoient les Vénitiens, il employa en même temps contre eux les armes fpirituelles. Il publia un monitoire terrible en forme de bulle, par lequel il leur ordonnoit de reftituer tous les domaines qu'ils avoient afurpés & les fruits qu'ils en avoient retirés, les menaçant, Tome VIII

B

s'ils y manquoient, de mettre en interdit la ville de Venife
& toutes les terres qui en dépendoient, & de donner
pou-
voir à quiconque le voudroit, de s'emparer de leurs biens
& de leurs perfonnes. Le fénat, felon l'ancienne coutume,
appella de cette bulle au futur concile; & Venise en fut
quitte pour la désertion de quelques religieux, que l'igno
rance ou l'intérêt attachoit aux préventions de la cour de
Rome. Ils emporterent avec eux à Ferrare un petit butin,
compofé du pillage des facrifties, apparemment pour com-
mencer à exécuter la bulle du pape. Le refte du clergé fé-
culier & régulier demeura dans l'obéiffance dûe au fouve-
rain. Le fénat dans fon acte d'appel réfutoit les raisons allé-
guées dans la bulle, & s'y plaignoit fortement de la con-
duite du fouverain pontife.

X.

Nouvelles

Dès que Jules eut connoiffance de cet appel, il donna bulles du pape le premier de Juillet une autre bulle par laquelle il précontre les Vetendoit l'annuller. On y voit l'animofité dont il étoit plein,

nitiens.

entiérement. Jugemens de Dieu fur ce peuple.

& fuiy.

XII. les défait & les efforts qu'il fait à cette occafion pour réprouver à jamais les appels dans tous les états catholiques, quoiqu'ils ayent été autorisés de tout temps dans l'Eglife. Pendant Ibid. n. 29. que le pape faifoit un fi étrange abus contre les Vénitiens, des armes fpirituelles de l'Eglife, Louis XII. fans attendre les troupes de l'empereur, en employoit d'autres contre eux, qu'ils craignoient davantage. Il fit avancer fon armée, qui étoit d'environ quarante mille hommes, & la fit camper à une demi-lieue de celle des Vénitiens. Le combat s'engagea infenfiblement, & le quatorzieme de Mai il devint général. On se battit des deux côtés avec fureur. Le fuccès fut longtemps incertain; mais les François furent enfin victorieux, & ne perdirent qu'environ cinq cens hommes. La déroute des Vénitiens fut entiere. Il refta fur la place huit mille hommes de leur infanterie ; toute leur artillerie & tous leurs bagages furent pris, & leurs plus braves officiers furent tués ou faits prifonniers. Cette fameuse action eft connue parmi les François fous le nom de la bataille d'Aignadel, ainfi appellée parce qu'elle fe donna près d'un village de ce nom. Dès que Louis XII. eut remporté cette victoire, il defcendig

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