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à laquelle la virginité d'esprit et de corps et cette parfaite conformité avec Jésus-Christ a ôté, avec le foyer de la convoitise, tout le principe de la corruption?

«Car ne vous persuadez pas que nous devrions considérer la corruption, selon les raisonnements de la médecine, comme une suite naturelle de la composition et du mélange. Il faut élever plus haut nos pensées et croire, selon les principes du Christianisme, que ce qui engage la chair à la nécessité d'être corrompue, c'est qu'elle est un attrait au mal, une source de mauvais désirs, enfin « une chair de péché, » comme parle l'apôtre saint Paul (1) : Caro peccati. Une telle chair doit être détruite, je dis, même dans les élus; parce qu'en cet état de chair du péché, elle ne mérite pas d'être réunie à une âme bienheureuse, ni d'entrer dans le royaume de Dieu, « que la chair et le sang ne sauraient posséder: Caro et sanguis regnum Dei non possidebunt (2). » Il faut donc qu'elle change sa première forme, afin d'être renouvelée, et qu'elle perde tout son premier être, pour en recevoir un second de la main de Dieu. Comme un vieux bâtiment irrégulier qu'on laisse tomber pièce à pièce, afin de le dresser de nouveau dans un plus bel ordre d'architecture, il en est de même de cette chair toute déréglée par la convoitise. Dieu la laisse tomber en ruine, afin de la refaire à sa mode et selon le premier plan de sa création. C'est ainsi qu'il faut raisonner de la corruption de la chair selon les principes de l'Évangile : c'est de là que nous apprenons qu'il faut que notre chair soit rêduite en poudre, parce qu'elle a servi au péché ; et de là aussi nous devons entendre que celle de Marie étant toute pure, elle doit par conséquent être incorruptible. >>

VI

DÉMARCHES AVORTÉES.

Revenons à l'histoire de la bienheureuse Germaine.

Les actes de l'enquête de 1700 furent confiés à un religieux Minime, qu'une obédience appelait à Rome. En même temps, le titre de postulateur fut expédié dans cette même ville au curé de Saint-Louisdes-Français. Mais, d'une part, le religieux qui avait porté les pièces du procès reçut, dès le lendemain de son arrivée, l'ordre de partir pour les Missions du Levant; et, d'autre part, après la remise des pièces à la Congrégation des Rites et un commencement d'exécution, les travaux préparatoires furent bientôt arrêtés par défaut de ressources pour parer aux frais de la procédure. Dans les révolutions qui suivirent, ces premiers travaux se sont perdus.

Toutefois, la confiance des peuples aux prières de la bienheureuse Germaine et le concours à son cercueil allaient croissant, Dieu se plaisant toujours à récompenser la piété des fidèles par de nouvelles

(1) Rom., VIII, 3.

(2) I Cor., xv, 50.

grâces et de nombreux miracles. Les archives de Malte en ont conservé la mémoire. Les procès-verbaux de la visite générale du grandprieuré de Toulouse, auquel Pibrac appartenait, attestent unanimement ces faits. « Nous avons vu dans la sacristie, disent les Visiteurs, un petit monument où repose le corps de la dévote et bienheureuse Germaine, qui naquit et mourut à Pibrac, faisant des miracles, ce qui attire un grand concours de fidèles infirmes et estropiés, qui recouvrent instantanément la santé ou obtiennent une amélioration dans leur état par son intercession auprès du Dieu tout puissant. »

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VII

PROFANATION. LE PÈLERINAGE DE PIBRAC
PENDANT LA RÉVOLUTION.

On atteignit ainsi les funèbres jours de 1793. L'impiété régnant en souveraine s'appliquait à soustraire à la vénération des fidèles et à détruire tout ce qui avait un caractère religieux. Elle voulut anéantir le corps de la sainte Bergère, qui s'était conservé jusque-là dans une intégrité parfaite, tel qu'on l'avait trouvé cent cinquante ans auparavant, lors de sa miraculeuse exhumation.

Un fabricant de vases d'étain, membre du district révolutionnaire de Toulouse, le trop fameux Toulza, dont le nom est resté couvert de l'exécration publique, se chargea de cette opération sacrilège. Quatre hommes du village furent requis pour l'aider. L'un d'eux se sauva; les autres consentirent volontiers à l'ingratitude et à l'infamie qu'on leur demandait. Après avoir retiré le corps de la caisse en plomb, qui fut confisquée pour faire des balles, ils l'enfouirent dans la sacristie même et jetèrent dessus en abondance de l'eau et de la chaux vive, afin d'en assurer la prompte et complète dissolution. Un prompt châtiment frappa ces trois misérables : l'un fut paralysé d'un bras, l'autre devint difforme; son cou se raidit et lui tourna hideusement la tête vers l'une des épaules; le troisième fut atteint d'un mal aux reins qui le plia pour ainsi dire en deux, l'obligeant à marcher le corps entièrement vers la terre. Ce dernier porta son infirmité au tombeau. Les deux autres, plus de vingt ans après, recoururent humblement à l'innocente vierge dont ils avaient si indignement profané les précieux restes, et obtinrent leur guérison de ses prières et de la clémence de Dieu.

Dès que les temps devinrent meilleurs, le maire de Pibrac, Jean Cabriforce, et l'abbé Montastruc, tout administrateur intrus qu'il était de la paroisse, cédant aux vœux de la population, firent ouvrir la fosse. Ils eurent la consolation de voir que le complot scélérat des révolutionnaires n'avait pas entièrement réussi. Sauf les chairs, que la chaux vive avait dévoré, le reste du corps s'était conservé miraculeusement.

Le suaire de soie qui entourait la tête, des fleurs, plusieurs autres

objets, précipitamment enfouis avec la vénérable relique, par les violateurs de 1793, furent retrouvés intacts. Le tout, soigneusement recueilli et enveloppé d'un très beau suaire,don de la piété du peuple, reprit place dans la sacristie, au même endroit que les fidèles de Pibrac et les pèlerins du dehors connaissaient depuis si longtemps. Du reste, les malheurs de l'époque ne purent interrompre le concours des affligés qui venaient auprès du cercueil de Germaine, la prier d'intercéder pour eux. Il fallut même que l'autorité diocésaine mît des bornes à cette dévotion; car, dans le désir de vénérer de plus près les reliques de la servante de Dieu, les catholiques entraient dans l'église de Pibrac, desservie, comme nous venons de le dire, par un schismatique, et y prenaient part à son culte réprouvé. A cette occasion, le vénérable administrateur catholique de l'Église toulousaine, Mgr du Bourg, mort évêque de Limoges, leur adressait cette instruction :

« Les canons de l'Église, leur disait-il, défendaient aux fidèles de se prosterner devant les sépulcres des martyrs pour implorer leur secours, afin d'obtenir la santé, quand ils étaient au pouvoir des hérétiques; et notre Souverain Pontife nous défend d'entrer dans les églises des constitutionnels, comme Paul V, dont il cite le Bref, le défendait aux Anglais. Une pareille défense a été renouvelée par les supérieurs ecclésiastiques. Ces règlements doivent être rappelés au souvenir des fidèles qui habitent la campagne, et qui, dans leurs infirmités, vont présenter leurs vœux aux pieds des précieuses cendres de cette sainte fille, connue sous le nom de sainte Germaine. Il n'est jamais permis de faire un mal pour un bien, quel qu'il soit ; on n'honore point les Saints, on ne mérite pas leurs bienfaits par un acte contraire à la fidélité due à l'Église. »

Ces avis étaient imprimés dans un journal religieux, le Catholique du pays, que le pieux administrateur faisait publier chaque mois, afin de suppléer au défaut d'instructions, dont le malheur des temps privait alors les chrétiens. Les évangiles et les épîtres du dimanche y étaient reproduits avec quelques explications. On y exposait différents points de doctrine; on y rapportait les nouvelles religieuses; on y donnait des avertissements aux fidèles; on y annonçait les bonnes œuvres ; on y proposait jusqu'à un sujet d'oraison. Enfin, cette feuille périodique était consacrée à la gloire du Sacré-Cœur de Jésus, dévotion alors très répandue et à laquelle tout porte à croire que la France dut le terme de ses malheurs.

Un aveugle était le distributeur du journal, et le portait secrètement aux familles catholiques de Toulouse. Sans autre guide que son bâton, il allait dans toutes les rues, montait à tous les étages, et déjouait ainsi la police révolutionnaire, si minutieuse et si tyrannique à l'endroit de la religion.

Soumis aux ordonnances de l'autorité légitime, les catholiques n'entrèrent plus dans l'église de Pibrac. Ils se contentaient d'aller

prier en dehors du cimetière, du côté correspondant à la sacristie où reposait le corps de la Bienheureuse. Le Seigneur, récompensant la dévotion et surtout l'obéissance de ces fervents chrétiens, leur accordait des grâces extraordinaires, dont ces années de douloureuse mémoire n'ont pu interrompre la chaîne ni étouffer le retentissement.

VIII

GERMAINE EST INTERCÉDÉE EN FAVEUR DU

SOUVERAIN PONTIFE.

Enfin le schisme disparut ; la paix, en rendant à l'Église l'unité, lui rendit aussi ses temples. Dès lors, les fidèles purent avoir la consolation de s'approcher du cercueil de la pieuse Bergère, de le toucher, de contempler de leurs yeux ses vénérables restes. Le pèlerinage de Pibrac reprit une splendeur nouvelle.

Dans les derniers jours de l'année 1813, la confrérie de la SainteÉpine, établie à Toulouse, après la révolution, par un saint prêtre, et composée des catholiques les plus fervents, amèrement affligée de voir se prolonger la captivité du Souverain Pontife Pie VII, demandait à Dieu sa délivrance. Confiants au crédit de la bienheureuse Germaine, les Confrères, dans cette douloureuse circonstance, implorèrent son appui auprès de Dieu, et firent vœu d'aller tous les ans en pèlerinage à son tombeau, si le Seigneur daignait exaucer leur prière.

Quelque temps après, le Saint Père, quittant sa prison, sans avoir néanmoins encore reconquis sa liberté, prenait la route d'Italie à travers le midi de la France. Le 2 février 1814, il longeait tristement les murs de Toulouse, dans une voiture fermée à clef. Une population immense, accourue de tous côtés, se pressait sur son passage. A genoux, et les larmes aux yeux, elle implorait avec amour la bénédiction de l'illustre et saint captif. On distinguait surtout les nombreux Confrères de la Sainte-Épine, levant les mains au ciel, conjurant le Seigneur d'achever son œuvre et de rendre enfin à son siège le Chef de l'Église.

On raconte que le Saint Père, se voyant près de Toulouse, avait témoigné le désir d'y entrer, enfin d'aller vénérer le corps du Docteur angélique, religieusement gardé dans la basilique de SaintSernin; mais les officiers de l'escorte s'y refusèrent, n'osant pas confier un pareil hôte à la catholique cité. Ils avaient craint, dit-on alors, une sédition et un enlèvement. Après avoir laissé à peine le temps à l'archevêque de Toulouse de complimenter le Saint Père, le commandant donna ses ordres, et la prison mouvante reprit sa course rapide en dehors des remparts.

Dès cette année, la Confrérie de a Sainte-Épine accomplit son vœu, et n'a cessé, depuis quarante ans, de se rendre à Pibrac le jour

de Saint-Pierre. La messe et les vêpres sont chantées dans l'église du village avec la plus grande solennité. Il est ordinaire d'y voir ce jour-là jusqu'à huit à neuf cents personnes s'approcher de la Table sainte.

Le pape Léon XII a favorisé ce pieux pèlerinage d'une indulgence plénière.

Pour la Saint-Pierre de 1849, l'affluence au tombeau de la bienheureuse Germaine fut plus considérable que jamais. Les Confrères venaient encore prier cette fois pour la fin de l'exil et le retour dans son siège du Vicaire de Jésus-Christ, l'illustre successeur et ami du Pontife qui avait été l'objet de leur premier vœu (1).

Présentées au Seigneur par la pieuse Bergère, leurs prières furent exaucées. La nuit suivante, l'armée française prenait d'assaut la ville sainte, occupée et profanée par des hordes d'impies venus de tous les coins du monde, et replaçait sur son trône l'immortel Pie IX. On raconte que depuis le commencement du siège (aux premiers jours de juin), un des Confrères, homme grave, d'une piété reconnue et honorée, était poursuivi nuit et jour, surtout dans ses prières, par la pensée que Rome serait prise sitôt après le pèlerinage de la Congrégation au tombeau de la bienheureuse Germaine, et qu'en conséquence il devait en demander aux supérieurs l'anticipation, afin que la capitale du monde chrétien fût plus tôt délivrée. Après avoir résisté plusieurs jours à cette pensée, il ne put s'empêcher davantage de la communiquer au directeur de la Confrérie, qui ne voulut rien changer à l'usage ordinaire. Néanmoins le siège se prolongea et n'eut réellement sa fin que la nuit qui suivit le jour du pèlerinage.

IX

CONTINUATION DES MIRACLES.

Plus on approchait de l'époque marquée par la divine Providence pour l'exaltation et la glorification de son humble servante, plus on voyait s'accroître le nombre des fidèles qui venaient implorer sa protection ou attester leur reconnaissance.

L'hiver comme l'été, les pèlerins affluaient à Pibrac, non-seulement des cantons voisins, mais même des provinces de la France les plus éloignées. Ils se tenaient dans l'église avec respect et recueillement et la plupart y communiaient. On remarquait parmi eux des personnes de la plus haute classe de la société, des prêtres en grand nombre; on y vit aussi quelques évêques. Deux illustres princesses qui, l'une et l'autre, connurent longtemps les douleurs de l'exil, regrettant de ne pouvoir visiter elles-mêmes le tombeau de Germaine, y firent porter leur offrande. Les congrégations religieuses établies

(1) On sait qu'en 1848, Pie IX, chassé de Rome par une insurrection, dut se réfugier à Gaëte; il ne put rentrer dans sa capitale délivrée par les troupes françaises, qu'au mois d'avril 1850.

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