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la juste récompense de son sacrifice; l'heure où sa gloire, sa divinité, son amour pour les hommes vont être manifestés à tout l'univers, l'heure où « Dieu va être glorifié en lui, » où l'œuvre de la rédemption du genre humain va faire briller avec éclat toutes les perfections divines, l'amour, la miséricorde, la sagesse, la sainteté, la justice, etc.; « aussi Dieu le glorifiera-t-il en lui-même, » en le ressuscitant d'entre les morts, en le faisant asseoir à sa droite dans le ciel, et l'établissant le Chef, le Roi de toute la création, le Juge suprême des anges et des hommes; « et ce sera bientôt. » C'est sous ces couleurs riantes que Jésus-Christ cherche à voiler, aux yeux de ses Apôtres, les douleurs de sa

Passion.

Après avoir pris part, pour la dernière fois, à la Pâque figurative de l'ancienne loi, Jésus voulut faire la Pâque de la loi nouvelle, substituer la réalité à la figure, et accomplir la promesse qu'il avait faite autrefois à ses disciples, lorsqu'il leur avait dit : « Je suis le pain vivant, descendu du ciel. Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement, et le pain que je donnerai, c'est ma chair pour la vie du monde» (Jo., VI, 31-34). Avant de quitter la terre et de mourir sur la croix pour le salut du genre humain, il veut, opérant le prodigieux miracle de sa puissance, de sa sagesse et de son amour, nous laisser, par un dernier testament, le don ineffable de son corps et de son sang, trouver ainsi le moyen de rester au milieu des hommes d'une manière permanente, et substituer aux sacrifices insuffisants de l'ancienne Loi une offrande sainte et pure, un sacrifice universel et perpétuel, qui doit donner à Dieu une gloire infinie, et réconcilier le ciel avec la terre. Ainsi devait s'accomplir la parole du prophète : « Tu es prêtre selon l'ordre de Melchisédech. »

« Tandis qu'ils étaient » encore « à table,» avant qu'il ait béni la cinquième et dernière coupe, qui devait servir de conclusion à l'acte religieux de la Pâque judaïque, « Jésus prit du pain » azyme, dans ses mains

et Deus clarificatus est in eo. 32. Si Deus clarificatus est in eo, et Deus clarificabit eum in semetipso; et continuo clarificabit eum.

saintes et vénérables, comme s'exprime le canon de la messe, et après avoir rendu grâces,» après avoir remercié son père céleste des bienfaits qu'il allait répandre sur tout le genre humain, et particulièrement du bienfait du sacrement de l'Eucharistie qu'il allait instituer, « il bénit » ce pain qu'il allait consacrer, pour signifier qu'il allait commencer une nouvelle Pâque où tout devait être saint et pur, « il le rompit, » selon l'usage des Juifs, les pains azymes étant ronds et plats, et se rompant avec les mains, et pour figurer par là, la mort violente qu'il allait subir; « et il le donna,» le distribua « à ses Apôtres en » prononçant les paroles de la consécration, qui opéraient ce qu'elles signifiaient (Verba operatoria,) et « disant: Prenez et mangez, ceci est mon corps; » ce que je tiens dans la main, ce qui vous paraît du pain, ce qui était réellement du pain jusqu'à ce moment, dès cet instant où je parle, et par la force toute-puissante de ma parole, qui a créé autrefois le ciel et la terre, ce n'est plus la substance du pain, bien qu'il en ait la forme et l'apparence, « c'est mon corps, » qui, demain, sera livré à la mort (pour le salut du genre humain), « qui, » dès maintenant, « est donné, » est livré en sacrifice « pour vous » et pour le salut du monde, et que je vous donne, maintenant, à vous-même, pour être la nourriture et le pain de vos âmes, et le gage de l'éternelle félicité. A l'instant même, le prodige s'opère, car Dieu ne parle pas en vain, et le pain est changé au corps de Jésus-Christ.

« De même, prenant la coupe, après qu'il eût soupé, » après la manducation de l'Agneau pascal, « il rendit grâces, la bénit, et la présenta à ses disciples, en disant : Buvez tous de ceci, car ceci,» ce qui est dans cette coupe, dès ce moment, ce n'est plus du vin, « c'est mon sang, le sang de la nouvelle alliance que Dieu va contracter

Mt. 26. Cœnantibus autem eis, accepit Jesus panem, et L, gratias egit, Mt. benedixit ac fregit, deditque discipulis suis, et ait: Accipite et comedite, L. Hoc est corpus meum quod pro vobis datur : L. 20. Similiter. Mt. 27. Et accipiens calicem, L. postquam cœnavit, Mt. gratias egit, et dedit illis, dicens: Bibite ex hoc omnes. 27. Hic est enim sanguis meus novi testamenti,

avec les hommes, et qui,» non-seulement « sera répandu » demain, mais dès ce moment, en vertu de la consécration sous les deux espèces, « est répandu (exxuvóμevov, effunditur), d'une manière mystique, sur l'autel du sacrifice, « pour vous et pour un grand nombre (a) en rémission des péchés,» pour réconcilier les hommes avec Dieu (b).

L'ancienne alliance avait été scellée, confirmée, par le sacrifice des animaux et l'aspersion du sang de la victime sur le peuple; et dans toute l'antiquité aucune alliance ne se contractait sans ce rit essentiel (Voy. Ex. XXIV, 5-8). Le sacrifice du corps et du sang de Jésus-Christ, anticipation mystique de son sacrifice de la croix, comme la transfiguration avait été l'anticipation de la glorification du Fils de Dieu, devait donc aussi consacrer la nouvelle alliance de Dieu avec les hommes.

Jésus termina cette grande action par ces remarquables paroles : « Faites ceci en mémoire de moi; » dès ce moment, je vous établis prêtres de la nouvelle alliance, et vous donne l'étonnant pouvoir de renouveler, de per

qui pro multis (L. pro vobis) effundetur in remissionem peccatorum. L. XXII, 19; I. Cor. II. 25. Hoc facite in meam commemora

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tionem.

(a) Pro multis équivaut ici à pro omnibus, comme dans ce passage de saint Paul: «Per inobedientiam unius hominis peccatores constituti sunt multi »> (Rom., v, 19). On lit dans le canon de la messe du jeudi-saint : « Qui pridiè quám pro nostrâ omniumque salute pateretur. » On pourrait encore entendre cette expression de ceux-là seulement qui, par leur foi, et leur conduite vraiment chrétienne, ont une part réelle au mérite du Sauveur, mérite que les autres ont volontairement refusé de s'appliquer.

(b) Deux questions se présentent Jésus-Christ communia-t-il les Apôtres de sa main? Se communia-t-il lui-même ?... Sur la première question, le doute n'est possible qu'en ce qui touche le pain consacré; quant au calice, il est certain que chacun le prit lui-même. Maldonat pense que le Seigneur mit le pain eucharistique non dans la bouche, mais dans la main de chacun des Apôtres. On sait que, dans les premiers temps de l'Eglise, les fidèles qui devaient communier recevaient la sainte hostie dans la main nue, s'il s'agissait des hommes, ou couverte d'un linge blanc, s'il s'agissait des femmes. Saint Thomas pense, pour ce qui concerne la deuxième question, en s'appuyant sur l'autorité de saint Jérôme, que Jésus commença par se communier lui-même. Benoit XIV se prononce dans le même sens. D'autres exégètes, Schegg, par exemple, pensent que cette dernière hypothèse est en contradiction avec l'idée de la communion. On communie avec les autres, disent-ils. on ne communie pas avec soi-même, on ne s'unit pas à soi-même. Je ne prétends pas décider cette question.

pétuer, jusqu'à la fin des temps, le prodige que je viens d'opérer moi-même; vous prendrez aussi, dans l'assemblée des fidèles, du pain et du vin, vous prononcerez sur eux, en mon nom, les paroles que vous venez d'entendre, et ma parole toute-puissante, toujours féconde et toujours efficace, comme celle qui a dit autrefois : « Croissez et multipliez, » changera le pain en mon corps et le vin en mon sang, et ce sacrifice non sanglant, perpétué sur les autels jusqu'à la fin du monde, renouvellera et perpétuera le souvenir de mon amour pour les hommes, et le sacrifice sanglant que demain j'offrirai sur la croix.

Ce que le Sauveur commanda à ses Apôtres de faire, « en mémoire de lui, » et ce qu'il fit lui-même (a), après sa résurrection, en présence des deux disciples d'Emmaüs (Luc, xxvi, 30), les Apôtres, obéissant à l'ordre de leur divin Maître, le firent à leur tour, et c'est ce que les premiers fidèles désignent sous le nom de fraction du pain (Act. Ap., 1, 22). Ce même mystère a continué jusqu'à ce jour, et continuera à s'accomplir jusqu'à la fin des siècles, sur les autels de l'Eglise catholique. C'est à la fois un sacrifice et un sacrement; c'est le sacrifice du pain et du vin, dont celui de Melchisédech était la figure; c'est l'oblation pure, dont parle Malachie (1, 2), qui « sera offerte en tous lieux, depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher, » c'est aussi un banquet spirituel, où l'âme se nourrira du pain de vie et d'immortalité. « Celui qui mange ma chair, et boit mon sang, aura la vie éternelle. » «< O festin sacré, nous écrions-nous ici avec saint Thomas d'Aquin, dont Jésus est la nourriture, qui nous renouvelle le souvenir de la Passion, où l'âme est remplie de grâces, où nous recevons le gage de la gloire à venir, Alleluia. »

« Les Apôtres ne pouvaient, au reste, remarque Sepp, se méprendre sur la véritable signification des paroles par lesquelles Notre-Seigneur institua la sainte Eucharistie, en leur donnant son corps à manger et son sang à boire; car, c'était une croyance commune, parmi les

(a) Vraisemblablement, du moins; comme nous le dirons plus tard, les interprètes sont divisés sur cette question.

Israélites que, lorsque le Messie viendrait, tous les sacrifices cesseraient, mais que le sacrifice du pain et du vin, d'après l'ordre de Melchisédech, durerait éternellement, comme on peut le voir dans les livres des Rabbins (Bammobar rabba in numeros (ch. 28). Midrach coheleth, fol. 90, 2): « De même que le premier libérateur a apporté la manne du ciel, selon ces paroles : Voici que je fais pleuvoir le pain du ciel; aussi le dernier libérateur apportera la manne; car il est écrit: Il y aura sur la terre une poignée de blé. » (Osée, XIV, 8), Isa. 70); ce que le Thalmud chaldaïque traduit ainsi : « Il y aura un sacrifice de froment dans le pays, sur les hauteurs des montagnes de l'Eglise. » Ou, suivant le rabbin Kimchi, «Quelques-uns entendent par ces paroles: ils vivront de froment, que, dans l'avenir, quand le Sauveur paraîtra, il y aura un changement, une transubstantiation, dans la levure du froment. »

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Le rabbin Eliezer (fol. XXVIII, 3), à propos de la supériorité de la manne du Messie sur la manne mosaïque, s'exprime ainsi : « Les justes sont destinés à manger de cette manne dans l'époque qui arrive. Et si tu demandes Sera-ce de la même manière que la manne du désert? La réponse est : Non, mais d'une manière plus élevée; si bien qu'il n'y a jamais rien eu de comparable. »

« Ces épouvantables sacrifices, où l'on immolait des enfants à Dieu, où des pères allaient quelquefois jusqu'à sacrifier leur premier-né; cette coutume abominable de manger de la chair des enfants immolés, coutume que nous retrouvons chez les Massagètes scythes, les lssedons, les Tauriens, et même en Arcadie, jusqu'au temps de Porphyre; tout cela n'est que l'expression d'une vérité profondément sentie, à savoir, que le Fils de Dieu, le premier-né du Père, devait un jour répandre son sang pour nous, et se donner aux hommes comme victime et nourriture dans le sacrifice de l'autel. Mais déjà les païens, prévoyant l'abolition future de ces horribles sacrifices, avaient trouvé une substitution ou un moyen de les remplacer. C'est pour cela que, dans les mystères de Dionysius et de Cérès, on offrait le pain et le vin comme les seules offrandes agréables à Dieu... Les

DEHAUT. L'Evang. - T. IV.

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