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parmi laquelle se trouvaient plusieurs femmes » de Jérusalem, qui, à la vue du Sauveur, « se lamentaient et pleuraient. » D'après une prescription du Thalmud, pas une larme de compassion ne devait être donnée au condamné qui marchait au dernier supplice; mais ces femmes courageuses ne se laissent arrêter ni par cette défense, ni par la coutume: elles forment, au milieu de cette foule impie et furieuse, le seul cortége qui prenne part aux douleurs de l'Homme-Dieu. La pitié, exilée du cœur de l'homme, s'est réfugiée dans le cœur de la femme. Mais Jésus, oubliant ses propres souffrances, ne pense qu'à la ruine de sa patrie. «Se retournant vers elles, il leur dit : Filles de Jérusalem, ne pleurez point sur moi, » réservez vos larmes pour un sujet qui les mérite davantage; « pleurez sur vousmêmes et sur vos enfants; » pleurez sur l'ingrate Jérusalem, qui aujourd'hui, en me condamnant à la mort, a consommé sa perte, et qui sentira bientôt le poids épouvantable de la justice divine; « car voici venir le jour où les femmes se désoleront d'être mères, » où elles s'écriront: Heureuses les stériles, heureuses les entrailles qui n'ont point enfanté; heureuses les mamelles qui n'ont pas allaité. »

« Alors, » cherchant en vain à se cacher dans les cavernes des montagnes qui entourent Jérusalem, pour échapper au glaive des ennemis, « ils crieront aux montagnes,» dans leur effroi et leur désespoir: « montagnes, tombez sur nous; et aux collines, écrasez-nous, » pour nous dérober aux maux qui nous menacent. « Car si le bois vert, » si le juste par excellence, « est ainsi traité, que sera-ce du bois sec? » Que deviendra cette nation corrompue, ingrate, endurcie, qui a rejeté son Sauveur, et l'a condamné à la mort de la croix? Près de [mourir, Jésus se retourne, pour jeter un dernier

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et mulierum, quæ plangebant, et lamentabantur eum. 28. Conver sus autem ad illas Jesus, dixit: Filiæ Jerusalem, nolite flere super me; sed super vos ipsas flete, et super filios vestros. 29. Quoniam ecce venient dies, in quibus dicent Beatæ steriles, et ventres qui non genuerunt, et ubera quæ non lactaverunt. 20. Tunc incipient dicere montibus: Cadite super nos; et collibus: Operite nos. - 31. Quia si in viridi ligno hæc faciunt, in arido quid fiet?

DEHAUT. L'Evang.-T. IV.

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regard sur la ville et le pays. Des larmes, il n'en a plus, car il les a toutes pleurées dans l'excès de sa douleur; mais, sa dernière parole est, à la fois, une prophétie et une plainte sur le sort qui attendait Jérusalem. Sepp.)

B. ON PRÉSENTE A JÉSUS LE VIN MÊLÉ DE FIEL; IL EST CRUCIFIÉ ET PRIE POUR SES BOURREAUX.

« Lorsque Jésus fut arrivé sur le Calvaire, on lui donna à boire du vin mêlé de myrrhe, qui avait l'amertume du fiel.» La tradition judaïque nous apprend que, quand quelqu'un allait être exécuté à mort, on lui donnait à boire quelques gouttes d'encens dans un verre de vin, afin qu'il ne sentit pas toute la violence de ses douleurs. C'étaient les principales dames de Jérusalem qui procuraient volontairement ce breuvage (a). La myrrhe produit le même effet que l'encens; seulement elle est plus cher. La myrrhe donnait au vin un goût d'amertume, que saint Matthieu voulut exprimer par ces mots : « Cum felle mistum. » Le Sauveur, après avoir effleuré le vase du bout des lèvres, refusa de boire ce breuvage artificiel; il ne voulait rien diminuer de ses souffrances, ni troubler en rien la parfaite clarté de son esprit. «Il était alors la sixième heure, » ou l'heure de midi (Voy. plus haut, p. 337). Avant de procéder au crucifiement, on dépouilla Jésus de ses vêtements, ne lui laisssant que le simple linge imposé par la décence. On distinguaít chez les Romains trois espèces différentes de croix. La première avait la forme d'un X, « crux decussata: » c'est celle que nous nommons maintenant la croix de saint André, parce que cet apôtre y souffrit le martyre; la seconde avait la forme d'un T, « crux commissa; la troisième ressemblait aux crucifix actuels, +, « crux immissa, » et avait quatre bras, le fût de la croix surmontant quelque peu la branche

Mt. XXVII. 33. Et venerunt in locum, qui dicitur Golgotha, que 1 est Calvariæ locus. - Mr. 23. Et dabant ei bibere myrrhatum vinu n Mt. cum felle mistum; et cùm gustasset, noluit bibere.

(a) Sanh. fol. 34. « Prodeunti ad supplicium capitis potum dant aliquid thu ris in poculo vini, hác ratione ut turbaretur intellectus. »

transversale. D'après les témoignages les plus cons tants des saints Pères, ce fut sur cette dernière que Jésus-Christ fut crucifié, car ils la comparent avec les quatre parties du monde (S. Jérôme), avec un homme qui nage ou qui prie les bras étendus (Tertul., S. Just.), avec l'agneau pascal lorsqu'il est rôti, etc. On trouve également cette forme sur les plus anciens monuments de l'antiquité chrétienne (Voy. Aringhi, An. O. I, 31; II; 123, etc.; 184, etc.; Mazois, Les ruines de Pompei, II, 54, 1, p. 117 et 118, 1836). Le fût de la croix devait être plus haut que les branches transversales et même que la tête de Jésus-Christ, pour qu'on pût y placer une inscription. La croix était généralement peu élevée, de sorte que les pieds du crucifié touchaient presque à terre. Elle portait vers le milieu du fût une espèce de billot de bois, appelé sedile, qui servait d'appui au corps du condamné.

Jésus fut d'abord élevé et placé sur ce billot; puis les bourreaux lui étendirent les bras et les lièrent à chaque bras transversal de la croix, afin de pouvoir en maîtriser les convulsions involontaires, puis ils lui enfoncèrent de gros clous dans chaque main et dans chaque pied, à ce que nous apprennent les anciens Pères S. Justin et Tertullien, Cyprien (Serm. de Pass.), saint Grégoire de Tours (De glor. mart., c. 6). Hélène, la mère de Constantin, trouva quatre clous dans le voisinage du saint tombeau, d'après Théophane (Chronolog., p. 20 et 21), etc. Les peintres ont donc tort de représenter Notre Seigneur sur la croix ayant les deux pieds percés l'un sur l'autre. « C'est ainsi qu'ils crucifièrent JésusChrist, et avec lui les deux larrons, l'un à droite et l'autre à gauche, Jésus au milieu (b),» sur une croix plus haute, probablement, comme étant jugé le plus criminel. « Ainsi fut accomplie l'Ecriture, » la pro

Mr. Crucifixerunt eum, Jo. et cum eo alios duos Mr. latrones; unum à dextris, et alium à sinistris ejus; Jo. medium autem Jesum. Mr. Et impleta est Scriptura,

(6) Pas un cri d'indignation! Si le sceau divin est quelque part dans les Evangiles, c'est en cet endroit (Foisset).

phétie d'Isaïe, (LIII, 12), « qui dit: Il a été compté parmi les séditieux et les malfaiteurs.» Les deux larrons furent également cloués sur leurs croix, et non attachés avec des cordes, comme les peintres ont coutume de les représenter.

La première parole que Jésus-Christ prononça sur la croix ne fut pas une parole de résistance, de plainte, de colère; mais une parole d'amour et de pardon pour ses bourreaux. Il prie pour eux, il appelle sur eux la miséricorde céleste, il les excuse: «Omon Père, » s'écrie-t-il, « pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font; » ils ne connaissent pas celui qu'ils attachent à la croix, ils ne comprennent pas l'énormité de leur crime. Cette ignorance elle-même, il est vrai, est coupable de leur part; mais c'est du moins une circonstance atténuante.

C. INSCRIPTION PLACÉE SUR LA CROIX.

Cependant, Pilate, avait dressé un écriteau qu'il fit mettre au haut de la croix. Cet écriteau portait (a): JÉSUS DE NAZARETH, ROI DES JUIFS (8 ẞaches avec l'art.).

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quæ dicit: Et cum iniquis reputatus est. Jo. 19. Scripsit autem et titulum Pilatus; et posuit super crucem. Erat autem scriptum : JESUS NAZARENUS, Rex Judæorum.

(a) Dans les exécutions capitales, on inscrivait toujours sur une planche le nom du criminel, et le crime pour lequel il était condamné. Cet usage du droit romain s'était perpétué chez nous dans le pilori. La tablette de l'inscription s'appelait titre, ou bien tabula dealbata, parce que les sentences des condamnations, de même que les lois, étaient inscrites sur une tablette blanche. Il était ordonné aux Juifs d'ensevelir avec le supplicié les instruments de sa mort. «< Lapis quo quis lapidatur, lignum in quo suspenditur, gladius quo decollatur, et sudarium quo strangulatur, simul cum eo vel propè eum sepeliuntur. » (Sanh., fol. 45. 11). Cette prescription du Thalmud nous fait comprendre comment l'impératrice Hélène retrouva le bois de la vraie croix, les clous et le titre enfouis sous le Calvaire. Les Juifs qui n'avaient pu enterrer le corps de l'auguste victime avaient, suivant leur usage, enterré les instruments de son supplice. Le titre de la croix est aujourd'hui conservé à Rome, dans la basilique de SainteCroix de Jérusalem, où il a été déposé par sainte Hélène, en même temps que le fragment de la vraie croix et le clou, lors de la construction de ce sanctuaire, au IVe siècle. Enfermé dans une caisse de plomb, il fut anciennement placé audessus du grand arc de la basilique. En 1402, sous le pontificat d'Innocent VIII, lors des réparations faites à l'édifice, on trouva que la planche du titre portait encore des traces de sang. Mais elle était rongée par le temps, et avait perdu les deux dernières lettres du mot Judæorum; elle avait alors une longueur de 36 centimètres; en 1648, le mot Jésus avait disparu.

L'inscription hébraïque, placée au haut de la planche, est presque entièrement

Sans Louir Pilate avait écrit ces mots dans une intention sarcastique et méprisante envers les Juifs; mais il prophétisait, lui aussi, comme Caïphe, sans le vouloir. «Beaucoup de Juifs lurent cette inscription, car le lieu où fut crucifié Jésus était près de la ville, et l'inscription était écrite en hébreu, en grec et en latin; » en latin, pour marquer la domination des Romains; en hébreu, qui était la langue du pays; et en grec à cause du grand nombre de Grecs que la solennité de Pâques avait attirés à Jérusalem; dans la langue sacrée, la langue littéraire et la langue politique. « Les Pontifes, » dont cette inscription choquait l'orgueil, « dirent à Pilate : Il ne faut point écrire le Roi des Juifs, mais se disant le Roi des Juifs. Mais Pilate,» secrètement irrité contre les Juifs, qui l'avaient conduit plus loin qu'il n'aurait voulu, leur répondit » avec humeur: Ce qui est écrit, est écrit (b). » — « Que la royauté de Jésus soit donc écrite en la langue hébraïque, qui est langue du peuple de Dieu; en la langue grecque, qui est la langue des philosophes, et en la langue romaine, qui est celle de l'empire et du monde. Et vous, ô Grecs inventeurs des arts; vous, ô Juifs héritiers des promesses; vous, Romains, maîtres de la terre, venez lire! Bientôt vous

20. Hunc ergo titulum multi Judæorum legerunt, quia propè civitatem erat locus, ubi crucifixus est Jesus. Et erat scriptum hebraïcè, græcè et latině. 24. Dicebant ergo Pilato pontifices Judæorum: Noli scribere Rex Judæorum : sed quia ipse dixit: Rex sum Judæorum. 22. Respondit Pilatus ; Quod scripsi, scripsi.

effacée. Le R. Drach a cru cependant pouvoir en rétablir, ainsi qu'il suit, les caractères : Jeschouah Nôstri Meleck Jehoudaia. Jesus Nazarenus, Rex Judæorum. Il ne reste, de l'inscription grecque que le mot Nazarenous; enfin, de la ligne inférieure, le mot latin Nazarenus et les deux premières lettres de Rex. Ces deux inscriptions, grecques et latines, sont écrites de droite à gauche, de telle sorte qu'elles correspondent mot pour mot à la ligne hébraïque (d'après l'abbé Darras et autres auteurs). L'abbé Michon, dans sa Vie de Jesus, conteste l'authenticité de cette précieuse relique, par la raison qu'elle est gravée en creux sur une planchette, et qu'il n'est pas croyable que Pilate ait eu le temps de faire graver cette inscription sur bois. Nous lui laissons la responsabilité de cette assertion, que nous ne sommes pas en mesure de discuter.

(b) Pilate fut ainsi, sans le savoir, l'instrument de la Providence, qui voulait qu'au milieu des humiliations et des ignominies de la croix, la royauté de Jésus fut proclamée et resplendit à tous les yeux. « Ideo enim Pilatus quod scripsit, scripsit, quia Dominus quod dixit, dixit. » (S. Aug.)

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