5o Les moyens que nous venons d'indiquer ne sont pas toujours suffisants pour reconnaître d'une manière infaillible la série des strophes. Il reste donc des incertitudes en plus d'un cas.

ARTICLE V.

De quelques particularités de la poésie hébraïque. Rime. -Assonance.- Allitération. Poèmes alphabétiques.

602. De la rime

Quelques hébraïsants ont cru que la rime jouait un rôle dans la poésie hébraïque. Elle s'y rencontre quelquefois, mais elle n'en est pas un élément essentiel. Les écrivains hébreux ne s'y sont jamais astreints d'une manière régulière et suivie (1).

Les poètes bibliques affectionnent l'assonance, c'est-àdire la reproduction fréquente d'une même syllabe dans la composition d'une pièce plus ou moins longue. Cette syllabe est d'ailleurs placée arbitrairement dans le vers. On peut citer comme exemples remarquables d'assonances le Ps. CXXIV (hébreu), et le cinquième chapitre des Lamentations, où la syllabe nou se rencontre trente-cinq fois dans les quarantequatre vers qui le composent.

milieu d'un verset. On a supposé que dans ces deux derniers exemples, comme dans la série précédente, le sélah était mal placé; mais les cas sont trop nombreux pour permettre d'accepter facilement cette hypothèse. De plus, les anciennes versions ont le sélah au même endroit. (1) Voici les principaux exemples de rimes dans la poésie biblique : Gen., IV, 23; XLIX, 5, 6, 7, 8; Num., XXIV, 5, 6; Deut., XXXII, 15, 16, 17; Ps. VIII, 3, 4, 5, 6, 7; XVIII, 2, 5, 6, 15, 17, 18, 20, 21, 27, 28, 34, 36, 37, 39, 41, 43, 44, 45, etc.; XX; XXIII, 2, 3, 4, 5; xxv, 4, 5; xxxiv, 5, 6; CXLIV, 11-15; Prov., XXXI, 17, 18; Cant., III, 11; Is., XXXIII, 22. etc. La rime est frappante dans la réponse de Samson aux Philistins qui ont deviné son énigme par la trahison de sa femme; Jud., XIV, 18: Loule' kharaschthem be'égláthi Si vous n'aviez pas labouré avec ma génisse, Lo' metsa'them khidathi. Vous n'auriez point deviné mon énigme. L'emploi régulier de la rime, dans la poésie rabbinique, paraf: avoir été introduit seulement vers le VIIe siècle de notre ère.

Outre leur goût pour l'assonance, les poètes hébreux avaient une prédilection marquée pour l'allitération, c'est-àdire la répétition des mêmes lettres ou des mêmes syllabes (1), l'annomination ou la répétition des mêmes mots sous des formes différentes (2), les jeux de mots (3). Ce sont là autant de traits du goût oriental. Ils ne sont pas d'ailleurs exclusivement propres à la poésie; ils se retrouvent aussi, mais beaucoup plus rarement, dans la prose.

605. Poèmes acrostiches ou alphabétiques.

1° Il existe en hébreu un poème d'une forme particulière, dont il nous reste à parler pour achever de faire connaître l'art poétique d'Israël; c'est le poème alphabétique, dans lequel chaque vers ou chaque série parallèle de vers commence par une lettre de l'alphabet, reproduit selon l'ordre reçu. C'est donc une sorte d'acrostiche. Ce genre de composition. paraît avoir été adopté, de préférence, pour aider la mémoire à retenir les vers, quand la suite des idées n'était pas très marquée (4).

(1) Ps. II, 8; XXII, 28; LXXII, 8; XCVIII, 3; 13., XLV, 22; XLIX, 2; Ps. XLVII, 5; Prov., V, 4; Is., XLIX, 2; Ez., v, 1 ; Ps. LXXIV, 6; LXXXVI, 15; cm, 8; CXI, 4; CXII, 4; CXLV, 8; Soph., 1, 15; Job, xxx, 3; xxxvIII, 27, etc., etc.

(2) Is., XXII, 17, 18; xxiv, 16; xxvII, 7; xxix, 14; xxxIII, 1, etc. (3) Gen., XLIX, 19 (voir no 357, la note sur ce passage); Ps. xxxvi, 10; XL, 4; LII, 8; Is., XXIX, 1, 2; Zach., 1x, 5, etc.

(4) Les Ps. cx et CXII sont composés chacun de vingt-deux vers, commençant par les vingt-deux lettres de l'alphabet. Les membres parallèles sont doubles dans les huit premiers versets, formés par les seize premières lettres. Le parallélisme a trois membres dans les deux derniers versets, et par conséquent six vers, commençant par les six dernières lettres. Dans le Ps. CXIX (Vulgate, CXVIII), il y a vingt-deux stances de seize vers chacune. Le premier membre parallèle de chaque stance commence par la même lettre. Ce sont là les seuls exemples de Psaumes alphabétiques parfaitement réguliers. L'éloge de la femme forte dans les Proverbes, XXXI, 10-31, est aussi un poème alphabétique tout à fait régulier, de même que les deux premiers chapitres et le quatrième des Lamentations. Dans le troisième chapitre, chaque lettre de l'alphabet est répétée trois fois et l'ordre est exactement suivi, excepté pour le phé, qui est placé avant l'aïn, au lieu de le suivre. Les

2o Les compositions alphabétiques régulières, où il est impossible de méconnaître une certaine mesure, servirent à Lowth de point de départ pour découvrir le parallélisme. Elles n'aidèrent pas moins Koester dans la découverte des strophes. En effet, dans le Ps. XXXVII, chaque lettre de l'alphabet indique le commencement d'une strophe.

CHAPITRE II.

LE LIVRE DE JOB.

ARTICLE I.

Introduction au livre de Job.

Caractère historique du livre. A quelle époque Job a-t-il vécu? - En quel lieu ? Date de la composition du livre. littéraire.

606.

-

But. Authenticité et intégrité.

Forme poétique. — Job, figure de Notre-Seigneur.

- Beauté

Opinions diverses sur le caractère historique du livre de Job. On a soutenu trois opinions diverses sur le caractère du livre de Job: 1° d'après les uns, c'est une pure fiction; 2o d'après les autres c'est un mélange de fiction et de vérité; 3° d'après le plus grand nombre et la croyance traditionnelle, il est complètement historique. -1° Samuel Bar Nachman dit, dans le Talmud, Baba Bathra, 15 a: « Job n'a pas existé; il n'a pas été un homme créé, mais une parabole. » Ce sentiment était si contraire aux idées des Juifs que Hai Gaon, en l'an 1000, altéra ainsi ce passage : « Job a existé et il a été créé pour devenir une parabole. » J. D. Michaelis a fait revivre le premier l'opinion de Bar Nachman. 2o Luther est l'inventeur de l'opinion mixte qui prétend que, dans le livre de Job, le roman s'allie à l'histoire. Il fut si solidement combattu par Bellarmin et d'autres théologiens

Ps. XXV, XXXIV, XXXVII, CXLV et surtout IX-X, sont des poèmes alphabétiques irréguliers.

catholiques, que la plupart des luthériens se rangèrent à l'avis de ces derniers. 3° L'existence réelle de Job ne fait aucun doute pour les Juifs et les chrétiens.

607.

Preuves du caractère historique du livre de Job.

1° L'existence de Job est attestée par les écrivains sacrés, ĚZ., XIV, 14, 20; Tob., II, 12; Jac., v, 11.2° Les Pères rangent ce livre parmi les livres historiques (1).—3o Le martyrologe romain marque la fête de Job, laquelle est aussi célébrée par l'Église grecque. -4° Si l'on considère cet écrit en lui-même, on remarque que le ton est celui d'une histoire réelle et le langage celui d'un homme qui croit à la réalité des faits qu'il raconte. Les caractères de tous les personnages sont parfaitement soutenus, non seulement dans les grands traits, mais jusque dans les plus petits détails. 5° La seule objection qu'on puisse faire contre le caractère historique du livre, c'est sa forme littéraire si parfaite. Mais, << on peut croire avec le plus grand nombre des interprètes, dit M. Le Hir, que Job et ses amis n'ont prononcé que le fond des discours qu'on leur met à la bouche et que la diction appartient à l'auteur sacré, sans être autorisé pour cela à ne voir dans tout l'ouvrage qu'une fiction poétique (2). »

1o Le patriarche Job est postérieur à Abraham et à Ésaü, puisque deux de ses amis, Eliphaz et Baldad, descendent d'Abraham, le premier par Théman, fils d'Ésaü, le second par Suah, fils d'Abraham et de Cétura. -2° Il y a lieu de croire qu'il est, au contraire, antérieur à Moïse, parce que dans son histoire, il n'est fait aucune allusion aux faits qui se sont passés pendant ou après l'Exode, tandis qu'on y trouve des allusions à tous les grands événements précédents, à la

(1) S. August., De doctrina christiana, 1. II,c. VIII, 13. — Le cinquième concile général condamna l'erreur de Théodore de Mopsueste, enseignant qu'il y avait des récits fabuleux dans Job. Conc. Constantinop. II, col. iv, art. 67, édit. Mansi, t. Ix, col. 224-225.

(2) Le Hir, Le livre de Job, p. 232-233.

213 création, à la chute de l'homme, aux géants, au déluge, à la ruine de Sodome. La longueur de sa vie, - qui atteint ou dépasse deux cents ans, puisqu'il devait avoir au moins soixante ou soixante-dix ans quand il fut frappé, et qu'il vécut encore après, cent quarante ans, XLII, 16, -nous reporte aussi à la période de la servitude d'Égypte; de même que la mention du gesitáh, sorte de monnaie ancienne, non frappée, dont le nom ne se trouve que dans la Genèse, XXXIII, 19, et Job, XLII, 11.3° Une addition qu'on lit dans les Septante, porte qu'il descendait d'Abraham à la cinquième génération, et qu'il est le même que Jobab, XLII, 17; mais l'authenticité de ce passage est douteuse.

Job vivait dans la terre de Hus, 1, 1. Il y a deux opinions principales sur la situation de ce pays : 1° d'après les uns, il était sur les confins de l'Idumée, comme le disent expressément les Septante, probablement au sud-est de Juda, cf. Jér., xxv, 20; Lam., Iv, 21. Tous les amis de Job étaient Arabes ou Iduméens. Il devait habiter près de l'Arabie et de l'Idumée. Cela est incontestable, mais ne sert pas à fixer exactement le lieu de la scène. -2° D'après S. Jérome et la plupart des modernes, la terre de Hus se trouvait dans la partie septentrionale du désert d'Arabie, parce que la Genèse, x, 23, en fait une terre araméenne et que Job est appelé Ben-Qédem, mot qui désigne proprement les Arabes (1). La tradition syrienne et la tradition musulmane placent, avec raison, ce semble, Hus dans le Hauran, non loin de Damas, dans le pays fertile appelé Él-Bethenijé, où se trouve le monastère de Deïr Ejjub, élevé en l'honneur du saint patriarche.

610. Date de la composition du livre de Job; son auteur.

La question la plus difficile concernant le livre de Job est celle qui regarde la date de sa composition et son auteur.

(1) Cf. Jer., XLIX, 28; Josèphe, Ant. jud., I, vI, 4; Ptolémée, v, 19, 2.