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lomon. On a également prétendu que le style des chapitres XL-LXVI est tout différent de celui des chapitres 1-XXXIX, et l'on en a conclu que ces deux parties ne peuvent être du même auteur. « Le style du vrai Isaïe, dit Gesenius, est plus serré, plus incisif, plein de pensées et d'images qui se pressent avec impétuosité sous sa plume, mais aussi plus dur et moins correct. Celui du pseudo-Isaïe est plus clair, plus abondant et plus facile. L'auteur aime à s'étendre et se répète volontiers. Ce style, plus limpide et plus coulant, est la marque d'un âge plus récent (1). »« Il est vrai, répond M. Le Hir, qu'on peut noter quelque diversité de style entre les diverses parties du même livre. Mais il ne faudrait ni l'exagérer ni oublier les causes qui l'expliquent... Est-ce que le style de Cicéron est parfaitement le même dans ses traités philosophiques et dans ses discours? L'invective a son langage et la consolation a le sien, plus doux, plus calme et moias impétueux. Si donc les promesses et les consolations dominent dans la seconde partie, doit-on s'étonner d'y trouver moins de fougue et d'élan que dans la première? Puis il faut distinguer une improvisation commandée par une émotion forte et passagère d'un traité écrit dans le calme du cabinet. Les oracles de la première partie sont pour la plupart assez courts, parce qu'ils répondent aux besoins du moment. La plupart ont été sans aucun doute prononcés, avant d'être recueillis par écrit. De tels discours, surtout dans le genre du reproche, ont quelque chose de brusque : semblables à l'orage, ils éclatent et durent peu. Dominé par une seule pensée, par un seul sentiment, l'orateur l'exprime et puis s'arrête. Qu'il y a loin de là aux derniers chapitres, qui, destinés aux âges futurs plus qu'à la génération présente, portent le cachet d'un discours écrit et non d'une improvisation orale! C'est un vaste horizon, ce sont des vues d'ensemble réunies comme dans un savant traité sur les vicissitudes et les grandeurs des siècles à venir. Tout s'y rattache à trois idées mères et fécondes, Dieu, Jésus-Christ

(1) Gesenius, Commentar über den Jesaia, zweiter Theil, p. 23.

et l'Église... Pour embrasser ce vaste sujet, pour le rendre intelligible à des esprits bornés, à des âmes vulgaires plongées dans la vie matérielle, ne fallait-il pas plus d'espace, plus de combinaisons et de développements que n'en demandaient les avertissements distribués au jour le jour, selon les occurrences des temps, des lieux et des personnes » (1)? Les différences s'expliquent donc par la différence du sujet et du but. Elles sont d'ailleurs beaucoup moindres que ne le prétendent les incrédules. Gesenius est obligé d'avouer que la seconde partie, « par la sublimité des descriptions, la fraî cheur des images, la vivacité et la force des exhortations, peut être placée à côté de l'Isaïe authentique » (2), c'est-àdire de la première partie. La comparaison minutieuse des chapitres XL-LXVI avec les chapitres 1-XXXIX, faite dans le texte original, a établi que la plupart des mots qu'Isaïe a employés seul ou plus fréquemment que les autres écrivains hébreux se lisent dans la seconde comme dans la première partie (3). L'examen du style des chapitres XL-LXVI, au lieu de prouver qu'ils ne sont pas authentiques, en confirme au contraire l'origine traditionnelle.

6° On objecte contre l'antiquité de la seconde partie d'Isaïe que l'auteur y parle de la captivité, non comme d'un événement futur, mais comme d'un fait présent, et qu'il écrit comme s'il était à Babylone, non en Palestine. Il est vrai qu'Isaïe voit l'avenir comme s'il était déjà, mais on ne peut rien en conclure contre l'authenticité de son œuvre, parce que le prophète voyait comme existant ce que Dieu lui révé lait, dans une vision présente et actuelle; c'est là un des caractères ordinaires de la prophétie; il n'est pas exclusivement propre aux chapitres XL-LXVI; on le retrouve dans les chapitres précédents et chez tous les autres prophètes. La seconde partie d'Isaïe renferme d'ailleurs des traces du lieu

(1) Le Hir, Études bibliques, t. 1, p. 106-108.

(2) Gesenius, Commentar über den Jesaia, zweiter Theil, p. 23. (3) Voir le Hir, Études bibliques, t. 1, p. 108-118. Aux auteurs qu'il indique, p. 116, note, on peut ajouter Nägelsbach, Der Prophet Jesaja, 1878, p. XXVIII-XXIX.

et de l'époque où vivait ce prophète, c'est-à-dire du temps de la prépondérance de l'Assyrie. Ce qui est dit, LVII, 9-11, « n'a pu être écrit qu'en Palestine [au siècle d'Isaïe]. Cette alliance qu'on va chercher si loin, avec tant de fatigue, ces présents de parfums et d'huile, productions qui comptent parmi les plus recherchées de la Judée, ces rebuts qu'on dévore en s'abaissant, pour ainsi dire, jusqu'aux enfers devant l'arrogance d'un maître dédaigneux qu'il faudrait dédaigner à son tour, tout cela nous rappelle les efforts [des rois de Juda] pour acheter l'appui [des Assyriens]. Tous ces traits, au contraire, sont sans application aux Juifs exilés à Babylone (1). »

7° Au fond, toutes les objections accumulées contre la seconde partie d'Isaïe proviennent, comme nous l'avons dit, de la nécessité où se trouvent les incrédules de nier les prophéties pour rejeter le Christianisme. Mais en reculant jusqu'à la captivité de Babylone la composition des chapitres XL-LXVI, ils ne réussissent pas à atteindre leur but, quelque illusion qu'ils se fassent à ce sujet. Pour établir que la seconde partie d'Isaïe renferme de véritables révélations surnaturelles et par conséquent est inspirée; pour renverser en un mot le principe sur lequel s'appuient les ennemis de la Bible, il suffit de remarquer que, quelle que soit la date des chapitres XL-LXVI, ils sont, de l'aveu de tous, de beaucoup antérieurs au Messie et qu'ils contiennent, sur sa vie et sur sa mort, des prédictions tout à fait claires et précises, dont le caractère divin est indiscutable. Nous en aurons la preuve plus loin, dans l'explication même des prophéties. Qu'il suffise de renvoyer ici au chapitre LIII (n° 960), le plus remarquable peut-être de l'Ancien Testament, par la clarté avec laquelle il annonce en détail la passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Nous avons donc le droit de conclure que non seulement la seconde partie d'Isaïe est authentique, mais aussi que ce prophète a été inspiré, puisque Dieu seul a pu lui révéler l'avenir.

(1) Le Hir, Études bibliques, t. 1, p. 97. Voir ibid., p. 89-100,

915.

État politique du monde oriental à l'époque d'Isaïe.

1° Plusieurs des prophéties d'Isaïe ont pour objet les peuples avec qui Juda était en rapport; la plupart de ses oracles contiennent des allusions directes ou indirectes à la situation politique de cette époque; pour comprendre le langage du prophète, il est donc nécessaire d'avoir une idée exacte de l'état du monde, au moment où il écrivait.

2o Il y avait alors deux grandes puissances, l'Assyrie et l'Égypte, Is., XIX, 24. Dans les oracles d'Isaïe, leurs noms réunis sont quelquefois synonymes du monde entier, xxvii, 13; xx, 23-25. Elles luttaient entre elles pour la prééminence, mais l'Assyrie était prépondérante. Tous les royaumes, petits ou grands, situés entre ces deux redoutables empires, étaient obligés de subir la domination de l'un ou le protectorat de l'autre; la plupart étaient courbés sous le joug de fer du premier, qui était le plus fort; ils se tournaient donc souvent vers le second (1), qui ne demandait pas mieux que de leur porter secours pour repousser un ennemi dont les agrandissements et le voisinage l'inquiétaient et menaçaient sa propre indépendance.

3o Isaïe fut contemporain des rois d'Assyrie Téglathphalasar, Salmanasar, Sargon et Sennacherib, probablement aussi d'Assaraddon. -1° Téglath phalasar est le premier monarque ninivite qui, d'après les monuments jusqu'ici connus, ait foulé le sol de la Palestine. Ses exploits l'avaient rendu fameux jusqu'à Jérusalem. Achaz, roi de Juda, pressé par Rasin de Damas et Phacée d'Israël, se déclara volontairement son tributaire, pour acheter son intervention contre ses ennemis. Isaïe vit clairement la faute que commettait ce prince, qui apprenait ainsi à l'Assyrien le chemin de ses États; mais les conseils qu'il fit entendre, Is., vIII, 6-8, ne furent pas écoutés. -2° Salmanasar, successeur de Téglathphalasar, voulut mettre fin au royaume d'Israël et fit le siège de Samarie. Le roi de cette ville, incapable de résister seul, s'allia à l'Égypte,

(1) Voir surtout Is., XXX-XXXI.

IV Reg., XVII, 4. Il donna ainsi l'exemple de cette politique fatale que devaient suivre plus ou moins tous les rois de Juda, jusqu'à la ruine de leur royaume. C'est aussi à cette occasion que commença entre l'Asie antérieure et la puissance des bords du Nil un duel à mort qui devait durer plusieurs siècles et se terminer par la perte de l'indépendance de l'Égypte. -3° Les armées des successeurs de Salmanasar, Sargon, Sennachérib et Assaraddon, traversèrent plusieurs fois la Palestine pour aller attaquer les Pharaons, soumettant sur leur route les peuples qui avaient essayé de se révolter contre eux. Les soldats des deux nations ennemies en vinrent plusieurs fois aux mains sur les confins de la Palestine. Quand Sennacherib ravagea le royaume de Juda, le but principal de sa campagne était l'asservissement de l'Égypte. L'Égypte se défendit vigoureusement contre les troupes assyriennes. Elle souffrait néanmoins d'un mal intérieur qui paralysait ses forces elle était divisée et soumise elle-même à une domination étrangère, celle de l'Éthiopie, qui favorisait, dans l'intérêt de sa politique, les discordes intestines. Isaïe était au courant des moindres détails de l'état intérieur de l'Égypte. Il nous parle de la multitude de petits princes qui se disputent ses lambeaux et n'ont qu'une ville pour royaume, et il nous montre, comme maître du pays, non un monarque indigène, mais un Éthiopien. Les rois Éthiopiens qui gouvernèrent l'Égypte à cette époque sont Sua (appelé par les Égyptiens Schabak, par les Grecs Sabacon) et Tahraka. Le premier fut l'allié d'Osée, roi d'Israël, mais il se mit trop tard en marche pour lui porter secours contre les Assyriens. Quand, après la reddition de Samarie, il arriva en Palestine, Sargon l'arrêta à Raphia, et lui infligea une sanglante défaite. Le fils de Sargon, Sennachérib, battit également l'armée égyptoéthiopienne à Altakou et plus tard, son fils et successeur, Assaraddon, devait porter la guerre contre Tahraka au sein même de l'Égypte.

4° Pendant que se livraient ces combats, tous les peuples. qui avoisinaient la Palestine, Phéniciens et Tyriens, Syriens de Damas et autres Araméens, Moabites, Ammonites, Arabes,

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