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1° Débora et Barac affranchirent les tribus du nord de la Palestine de la servitude de Jabin, roi d'Azor, en taillant en pièces l'armée chananéenne, commandée par Sisara. Le général vaincu se réfugia dans la tente d'Haber le Cinéen, où il fut bien accueilli d'abord par Jahel, femme d'Haber, son allié, mais tué ensuite par elle, pendait qu'il dormait. - On a reproché à Jahel d'avoir commis une trahison et à l'Écriture d'avoir glorifié son action. Mais « il n'est pas aussi clair qu'on le suppose que [son acte], même en le considérant dans toutes ses circonstances fût illicite. -1° La mort de Sisara était juste, puisque c'était un ennemi déclaré du peuple juif, dont Jahel faisait partie. Or, d'après les lois de la guerre, il est permis de tuer un ennemi, même en fuite; et il est certain que si cette femme eût plongé un poignard dans le sein de Sisara lorsqu'il entrait dans sa maison, on ne trouverait rien à reprendre dans sa conduite... Sisara ne dut-il pas s'imputer à lui-même d'avoir pris refuge dans une famille qui faisait partie du peuple avec qui il était en guerre?- 2o En vain dirait-on que Jahel a indignement trompé Sisara en lui disant de se retirer dans sa tente sans aucune crainte; car ne se peut-il pas que Jahel ait parlé d'abord par un premier mouvement de compassion envers Sisara, et qu'elle eût effectivement l'intention de le cacher dans sa maison, mais qu'ensuite, venant à réfléchir que Sisara était l'ennemi de son peuple et que son devoir était de le livrer à la mort, elle ait pris la résolution de lui ôter la vie?... « Elle mérita ainsi des éloges, dit Jahn, non point » comme ayant fait une action sainte, mais comme ayant » montré un grand courage et un grand amour pour sa patrie. » —3o Ajoutez à cela que le droit de guerre de ces temps-là, la conduite qu'avaient pu tenir les Chananéens en de semblables rencontres, pouvaient bien légitimer aux yeux de cette femme tout ce que nous regarderions aujourd'hui comme une âche trahison (1).»— 4° Enfin il ne faut pas oublier que ces

(1) Glaire, Introduction aux livres de l'Ancien et du Nouveau Testa

événements se sont passés avant que Jésus-Christ eût apporté au monde une morale plus parfaite et des sentiments plus délicats.

2° De même qu'ils ont regardé les juges, sauveurs de leur peuple, comme des figures de Notre-Seigneur (1), « les Pères ont vu en Débora la synagogue qui fut la première à prendre les armes contre le royaume du démon; mais la victoire com plète sur cet ennemi du genre humain était réservée à Jahel, femme étrangère incorporée au peuple de Dieu, comme un rameau d'olivier sauvage enté sur l'olivier franc. La victoire complète sur le démon était réservée à l'Église des Gentils, qui, armée de la croix de Jésus-Christ, a abattu le démon et a détruit son royaume (2). »

3o Après la mort de Sisara, Débora chanta la victoire d'Israël dans un cantique d'une belle et forte poésie; c'est un des monuments littéraires les plus remarquables de l'antiquité, mais ce qui le caractérise surtout, c'est que la prophétesse le consacre à la louange du Dieu des combats qui a vaincu par Israël, et non à la glorification des vainqueurs : les chefs et les soldats ne paraissent qu'au second plan; c'est Dieu qui tient la première place (3).

ment, 3e édit., 1862, t. III, p. 117-158. Cf. Bergier, Dictionnaire de théo◄ logie, art. Jahel.

(1) S. Ephrem, dans son Commentatre sur les Juges, montre exclusivement comment ces personnages sont la figure de Notre-Seigneur, Opera syriaca, t. 1, p. 408 sq. Le V. Bède dit que les Juges succèdent à Josué comme les Apôtres à Jésus-Christ, mais il montre aussi dans la plupart des Juges une figure de Jésus-Christ, Quæst. super lib. Jud., t. CXII, col. 423 sq. Voir également S. Patère, De testimoniis in librum Judicum, t. LXXIX, col. 785-790.

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(2) Martini, Vecchio Testamento, note sur Jud., IV, 21. — Cf. Origène, In librum Judicum Hom. V, nos 5-5, t. XII, col, 972-973.

(3) Cet admirable cantique se compose de trois parties, chacune de trois strophes I. Introduction, v, 2-8; 1o Adresse du poème, 2-3; 2o Puissance de Jéhovah, gage de victoire pour les Hébreux fidèles, 4-5; 3° Malheurs d'Israël avant Débora, 6-8. II. Préparatifs du combat, 9-17; 1o Nouvelle adresse à tous ceux qui doivent chanter et bénir Jéhovah, 9-12; 2o Énumération des combattants, 12-15c; 3° Reproches aux tribus qui n'ont pas secouru leurs frères, 15d -17. III. Tableau du combat et de ses suites, 18-31; 1o Description de la bataille, 18-22; 2o Malédiction de Méroz, bénédiction de Jahe!, 23-27, 3o Inquiétude et

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455.

IV et Ve sections: Gédéon et Abimélech, VI-IX.

Gédéon fut miraculeusement appelé (1) à délivrer son peuple des invasions des Madianites nomades et des Arabes Bédouins, qui, depuis sept ans, venaient faire des razzias en Palestine, de Bethsan au nord-est, jusqu'à Gaza, au sudcuest, pillant et emportant tout ce qui leur tombait sous la main, ravageant ce qu'ils ne pouvaient prendre. Gédéon, avec ses trois cents hommes, remporta sur eux une victoire si complète, que la journée de Madian resta dans les souvenirs d'Israël comme l'idéal de la protection divine envers les enfants de Jacob; I Reg., XII, 11; Ps. LXXXII, 10, 12; Is., IX, 4; x, 26. De la part de butin qu'il reçut, le vainqueur des Amalécites fit exécuter un éphod, ornement sacré du grand-prêtre, qui devint malheureusement une occasion d'idolâtrie pour le peuple. Les Pères ont blamé cet acte de la vie de Gédéon (2); plusieurs commentateurs modernes ont essayé de le justifier. Quoi qu'il en soit, la faute plus ou moins volontaire qu'il avait commise fut sévèrement punie dans sa postérité : son fils Abimélech fit périr soixante-huit de ses frères; un seul lui échappa (3). Abimélech essaya ensuite de devenir roi; il ne put régner que sur Sichem et les environs, et au bout de trois ans, il succomba lui-même sous le poids de son ambition et de sa tyrannie.

Herder

illusions de la mère et des femmes de Sisara; finale, 28-31. appelle ce poème « le plus beau chant héroïque des Hébreux... Chez Débora, tout est présent, vivant, agissant, » dit-il, Histoire de la poésie des Hébreux, trad. de Mme de Carlowitz, 1845, p. 440. Cf. p. 447-448.

(1) Sur le sacrifice offert par Gédéon au moment où il est appelé à sa mission libératrice, on peut voir S. Augustin, In Jud.. XXXV-XXXVI t. xxxiv, col. 803-804; sur le miracle de la toison, le V. Bède, In Jud. c. IV, t. XCIII, col. 424-425.

(2) S. Augustin l'appelle illicitum peccatum, In Jud., XLI, t. XXXIV, col. S06-807. Théodoret condamne l'action, mais justifie l'intention: « Contra legem quidem erat quod factum fuit... Gedeonis tamen in tentio minime vergebat ad impietatem... At hoc populo conciliavit contagionem iniquitatis. » Quæst. XVII in Jud., t. LXXX, col. 503.

(3) Le ch. IX, 7-15, contient une fable de Joatham,, celui qui échappa au massacre. « Elle est d'une beauté et d'une grandeur admirables, » dit Saint-Marc Girardın, La Fontaine et les fabulistes, 1867, t. I, p. 239.

456. VIe section: Jephté, X-XII. Sa victoire.

Jephté remporta sur les Ammonites, qui opprimaient les tribus transjordaniques, une grande victoire, et fit périr, à cause de leur arrogance et de leurs menaces, 42,000 Éphraïmites au moment où ils arrivaient aux gués du Jourdain, les Galaadites leur faisaient prononcer le mot Schibboleth, « épi »; s'ils disaient : Sibboleth, on les reconnaissait comme habitants des montagnes d'Éphraïm et on les mettait à mort. On a reproché cet acte à Jephté comme une cruauté; s'il n'agit pas avec humanité en cette circonstance, on ne peut dire néanmoins qu'il ait violé les lois de la guerre, telles qu'elles existaient à cette époque.

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Sa victoire contre les Ammonites donne lieu à une difficulté beaucoup plus grave. Avant de livrer bataille, il fit vœu d'immoler à Dieu la première personne qui sortirait de sa maison, à son retour à Maspha. Cette personne fut sa fille unique. Jephté exécuta son vœu fecit ei sicut voverat, Jud., XI, 39. Que faut-il entendre par ces paroles? Les Pères pensaient qu'il l'avait offerte en sacrifice (1); cependant, comme il est dur d'admettre que Jephté a réellement immolé sa propre fille, beaucoup de modernes pensent qu'il se contenta de la vouer à la virginité. On voudrait pouvoir partager leur sentiment par humanité et pour justifier son père; mais le texte sacré permet-il de déclarer Jephté innocent? C'est ce qu'il faut rechercher.

(1) Voici ce que dit au sujet de ce vœu Procope de Gaza, qui sur ce point comme sur la plupart des autres, ne fait que résumer la pensée des Pères grecs : « Promissio hæc nimis est fervida, exque amore desperatæ victoriæ profecta. Suggessit vero ei Satanas gloriæ prætextu ut Deo victimam legi adversam immolaret... Quid enim hoc voto magis impium esse queat? Votum ejus temerarium est, pietatisque cadaver. » In Jud., t. LXXXVII, pars I, col. 1070. On peut voir les principaux témoignages des Pères à ce sujet dans La Bible et les découvertes modernes, t. III, p. 340-341.

457.

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Arguments contre l'immolation de la fille de Jephté.

1° Examinons d'abord les arguments de ceux qui soutiennent que la fille de Jephté n'a pas été immolée. 1o Les sacrifices humains sont proscrits dans la Bible. La loi les défend expressément : Dieu déclare qu'il a en abomination les sacrifices offerts à Moloch par les Chananéens (1), et s'il a voulu tenter Abraham en lui ordonnant d'immoler son fils, il l'a empêché de mettre son projet à exécution. On ne peut donc supposer que Jephté ait voulu faire un vou contraire à la loi; on peut encore moins admettre qu'il ait voué un sacrifice humain. 2° Mais, poursuit-on, supposé que Jephté eût réellement promis une victime humaine, il n'avait pas le droit de la sacrifier lui-même, parce que les prêtres seuls pouvaient offrir des sacrifices. Jephté n'était point prêtre, et nous ne voyons nulle part qu'il ait rempli des fonctions sacerdotales. - 3o La Bible ne renferme pas un seul mot de blâme contre Jephté. Loin de là, nous lisons son éloge dans l'Épître aux Hébreux, ce qui le justifie du crime qu'on veut lui imputer (2).

2o A ces premiers arguments, ceux qui soutiennent l'opinion contraire répondent de la manière suivante : -1° Personne ne conteste que Jephté n'ait commis un crime, s'il a immolé sa fille; aucun catholique ne prétend qu'il l'ait fait sans violer la loi; mais comme l'existence d'une loi ne prouve pas que cette loi ait été observée; comme, en particulier, la loi interdisant les sacrifices humains a été notoirement enfreinte par les Israélites (3), il ne faut point recourir à des preuves a priori, et, puisqu'il s'agit d'un fait historique, consigné dans un monument écrit, on doit interroger

(1) Deut., XVIII, 10-11; Lev., XVIII, 21; XX, 2 sq. Cf. III Reg., XI, 7-9. (2) Hebr., XI, 32. Cf. 1 Reg., XII, 11.

(3) Immolaverunt filios suos et filias suas dæmoniis, Ps. cv, 37. Les Chananéens offraient aussi des sacrifices humains; de même les Moabites, voisins de Jephté, IV Reg., III, 27. « Ritum gentilium secutus dit de ce juge Hugues de Saint-Victor, humanum sanguinem vovit sicut postea legimus regem Moab filium suum immolasse super muros. >> Adnot. in Jud., t. CLXXV, col. 92.

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