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dans lequel il vivait, ainsi que nous le verrons plus loin. C'est principalement de là que provient l'obscurité de son langage. «Ezechiel, dit S. Jérôme, principia et finem tantis habet obscuritatibus involuta, ut apud Hebræos istæ partes cum exordio Genesis ante annos triginta non legantur. »> Mais si son langage est peu clair, la faute en est beaucoup plus à notre ignorance qu'à sa manière de parler; les images qui lui étaient familières, ainsi qu'à ceux qui vivaient avec lui en captivitė, nous sont inconnues, et par suite fort peu intelligibles. «En soi, sa prose est toujours simple et sans recherche;... mais ses vers perdent beaucoup dans les traductions,... le lecteur... y trouvera de la sublimité, de la tendresse, une beauté et une mélodie qui lui sont tout à fait propres (1). » Il n'a pas, du reste, l'éclat d'Isaïe, mais il surpasse en élégance Jérémie. Sermo ejus nec satis disertus, nec admodum rusticus est, sed ex utroque medio temperatus, dit S. Jérôme dans sa Préface in Ezech. Une qualité précieuse de son livre, au point de vue littéraire, c'est qu'il se distingue par une grande variété (2).

(1) Voir Ez., XIX, xxvIII, xxxII. Sutherland Black, Encyclopædia Bri tannica, t. VIII, 1878, p. 830. Tous les critiques sont à peu près unanimes à reconnaître qu'Ézéchiel était un poète supérieur. « In cæteris, dit Lowth, a plerisque vatibus fortasse superatus, sed in eo genere ad quod unice videtur a natura comparatus, nimirum vi, impetu, pondere, granditate, nemo ex omni scriptorum numero eum unquam æquavit. De sacra poesi Hebræorum, édit. Michaelis, 1770, p. 431.

(2) Il contient des visions, VIII-XI; XXVII; XL; des actions symboliques, III, 25; IV; v; des similitudes, XII; XV, xxxIII, xxxiv; des paraboles, XVII; des proverbes, XII, 22; XVIII, 2; des poèmes lyriques, VII, 5-27; XIX; des allégories, XXIII; XXIV; des prophéties directes et expresses, VI; VII; x1; XIV; XVI; XX-XXII. « Tanta ubertate et figurarum variatione floret, ut unus omnes prophetici sermonis numeros ac modos explevisse, jure suo sit dicendus. » Carpzow, Introductio ad libros Veteris Testamenti, t. III, p. 211. S. Grégoire de Nazianze appelle Ezechiel ὁ προφητῶν θαυμασιώτατος καὶ ὑψηλότατος, et ὁ τῶν μεγάλων ἐποπο TỶs xaι ¿ÉNYÚTNs μvotηpiwv, Orat. XXV, 14, et II, 64, t. xxxv, col. 1217 et 473. S. Jérôme ne fait que traduire la pensée du saint docteur, qu'il regardait comme son maître dans les lettres sacrées, quand il appelle Ézéchiel: Oceanus Scripturarum mysteriorumque Dei labyrinthus. Comm, in Ezech., 1. XIV, init., t. xxv, col. 448.

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L'authenticité des prophéties d'Ézéchiel n'a jamais été sérieusement contestée.

ARTICLE II.

Analyse et explication des prophéties d'Ézéchiel.

1026. Division générale des prophéties d'Ézéchiel.

1° Les prophéties d'Ézéchiel forment un tout bien ordonné. Elles se partagent en deux parties très distinctes : la première, I-XXXII, antérieure à la prise de Jérusalem, a pour objet les jugements de Dieu contre son peuple et les peuples étrangers; et la seconde, XXXIII-XLVIII, postérieure à la ruine de Jérusalem et du temple, l'accomplissement des promesses messianiques faites à Israël.

2o La destruction de la capitale de la Judée est donc le point central de tout le livre. Avant la catastrophe, le but d'Ézéchiel est d'exciter au repentir de leurs fautes ceux qui vivent dans une fausse sécurité, de les prémunir contre la confiance aveugle qu'ils mettent dans les secours de l'Égypte, XVII, 15-17; cf. Jer., xxxvII, 6, car elle ne pourra les sauver des mains des Babyloniens, et de les assurer que le siège de la cité sainte est proche et leur malheur inévitable. Après ce terrible événemeut, il s'occupe surtout de consoler les captifs par la promesse de la délivrance future et du retour dans la patrie; il les encourage en même temps par l'assurance des bénédictions messianiques.

3° Tous les oracles d'Ézéchiel sont disposés par ordre chronologique, excepté ceux qui concernent les nations étrangères, XXV-XXXII. Ces derniers sont rangés d'après la nature des sujets; ils portent leur date, et elle montre qu'ils appartiennent à la première partie du livre, non à la seconde. Ils ont été la plupart composés dans l'intervalle qui sépare l'annonce du siège de Jérusalem, xxiv, 2, et l'arrivée de la nouvelle de la prise de cette ville, xxxIII, 21. On admet généralement que les prophéties d'Ézéchiel ont été

rangées dans leur ordre actuel par leur auteur luimême (1).

1027.

Vocation du prophète Ézéchiel, 1-111, 21.

1o Le livre d'Ézéchiel s'ouvre par le récit de sa vocation au ministère prophétique; ce récit en forme comme l'introduction.

2o Les trois premiers grands prophètes reçurent chacun leur mission dans une vision qui en marque le caractère spécial, Is., vi; Jer., 1; Éz., I-III, 21. Éloigné du temple et de la cité sainte, Ézéchiel vit en exil, près du fleuve Chobar, en Chaldée, 1, 3 (2). Là se trouvaient une partie des Juifs qui avaient été déportés en même temps que le roi Jéchonias, par Nabuchodonosor, lors de son second siège contre Jérusalem, IV Reg., xxiv, 11-16. Le but que s'était proposé la Providence, en condamnant son peuple à la captivité, avait été, non pas de l'abandonner, mais de le convertir et de le purifier. Elle suscita donc un prophète destiné à rappeler aux captifs que le Dieu de leurs pères ne les délaisserait point, mais qu'il tiendrait fidèlement toutes

(1) Commentateurs catholiques: Origène, In Ezechielem homiliæ, t. XIII, col. 663-767 (et dans les œuvres de S. Jérôme, t. xxv, col. 691786); Selecta in Ezechielem, t. XIII, col. 767-826; Théodoret de Cyr, In Ezechielis prophetiam interpretatio, t. LXXXI, col. 807-1255; S. Ephrem, In Ezechielem explanatio, Opera Syriaca, t. II, p. 165-202; S. Jérôme, Commentariorum in Ezechielem libri XIV, t. xxv, col. 15-490; Maldonat, In Ezechielem Commentarium, dans Migne, Cursus completus Scripturæ Sacræ, t. xIx; Prado et Villalpand, S. J., In Ezechielem explanationes et apparatus urbis ac templi Hierosolymitani, 3 in-fo, Rome, 1596; Trochon, Ézéchiel, 1880 (dans la Bible de M. Lethielleux); etc.

(2) Il est assez difficile de savoir au juste quel est ce fleuve Chobar, 133, Kebar. Ce n'est pas le Chaboras, 112, Khâbor, de Gozan, qui se jette dans le Tigre, IV Reg., XVII, 6, puisque ce nom est écrit différemment; c'est, d'après la plupart des anciens interprètes, le Khabour actuel, le 'A6oppaç de Strabon, XVI, 748; le Xx6wpaç de Ptolémée, v, 8, 13, qui arrose la haute Mésopotamie et se jette dans l'Euphrate; il est cependant plus vraisemblable que ce nom désigne ici un des canaux de l'Euphrate, dans les environs de Babylone, parce que le texte ajoute, 1, 3, in terra Chaldæorum, désignation qu'on ne peut appliquer au Khabour, qui coule au nord de Babylone, tandis que la Chaldée était située au sud de cette ville.

les promesses qu'il leur avait faites, et enverrait un jour à leurs enfants le libérateur qu'il leur avait annoncé.

3° Aux enfants de Jacob, transplantés sur une terre étrangère, Dieu fait parler par son prophète un nouveau langage. C'est en hébreu qu'il s'adresse encore aux captifs; mais les images dont il va se servir sont empruntées en grand nombre au spectacle nouveau qu'ils ont sous les yeux, aux monuments de l'art assyro-chaldéen en particulier.

4o Dieu se révèle à son prophète sous une forme humaine assez semblable à celle par laquelle les Assyro-Chaldéens représentaient le Dieu suprême. Il était porté sur ce qu'on a appelé improprement char, d'où le nom de merkábáh ou vision du char que les rabbins donnent à cette théophanie ou manifestation divine. Des anges, d'une forme extraordinaire (1), apparaissent à Ézéchiel, comme les ministres des volontés du Seigneur. Il les décrit, 1, 5-14, comme des animaux symboliques, sans les désigner par un nom particulier; il apprit plus tard, x, 20, qu'ils s'appelaient chérubins. On a découvert ces dernières années, dans les ruines des palais de l'Assyrie, des animaux sculptés qui portent précisément le même nom et ressemblent d'une manière frappante aux ani. maux décrits par le prophète, ce qui nous permet de mieux comprendre aujourd'hui ce passage, au sujet duquel S. Jérôme écrivait, In Ezech., 1: In cujus interpretatione omnes synagogæ Judæorum mutæ sunt, ultra hominem esse dicentium de hoc, c'est-à-dire, des chérubins. Les chérubins avaient la forme de quatre animaux distincts (2). Ils avaient un corps

(1) Un savant exégète catholique allemand, M. Bisping, nie que les chérubins fussent des anges et les regarde comme « la représentation idéale de toutes les créatures vivantes; » mais la tradition catholique est unanime à voir en eux de vrais ministres de Dieu, des anges véritables. Knabenbauer, Stimmen aus Maria-Laach, septembre 1879, p. 280; Zschokke, Theologie der Propheten, p. 252. La forme corporelle sous laquelle Ézéchiel les voit et nous les dépeint est incontestablement symbolique, puisque les anges sont de purs esprits, mais les chérubins n'en sont pas moins des êtres réels. Cf. dans La Bible et les découvertes modernes, la « Vision des chérubins, » t. IV, p. 324-369.

(2) Ils n'avaient pas quatre visages différents, comme on l'explique d'ordinaire; mais, par leur ensemble, ils représentaient quatre ani

ANAL. ET EXPL. DES PROPH. D'ÉZÉCH. 583 de lion à droite et un corps de taureau à gauche, avec des pieds droits, 1, 7; une figure d'homme et des ailes d'aigle; cf. I et x. Ils se regardaient deux à deux, face à face, comme dans les palais royaux et les temples, et ils produisaient ainsi l'impression que décrit le prophète : Non revertebantur cum incederent, sed unumquodque ante faciem suam gradiebatur, 1, 9, 12. En réunissant en eux les caractères des quatre rois de la création animée, ils nous apparaissent comme l'emblème de toutes les qualités physiques et morales.

5o Dieu, en appelant Ézéchiel à être son prophète, c'est-àdire l'interprète de ses volontés auprès de son peuple, se manifeste donc à lui, comme il l'avait fait à Moïse dans le buisson ardent, Ex., II, no 367; à Isaïe, Is., vi, no 923, en ui dévoilant sa nature et sa grandeur. A Moïse, il avait revélé son essence; à Isaïe, sa sainteté; à Ézéchiel, il révèle sa puissance.

6o Le premier chapitre raconte à grands traits la manifestation de Dieu à son prophète; les ch. II-II, 1-22, expliquent plus en détail quelle sera la mission d'Ézéchiel et le rôle qu'il devra remplir: « Fili hominis, mitto ego te ad filios. Israel... Ne timeas eos... quoniam increduli et subversores sunt tecum,... loqueris verba mea ad eos, 11, 3-7. » Il lui fait manger un livre dans lequel est contenue sa parole, afin que le prophète puisse en nourrir ses frères après s'en être nourri ui-même, II, 8-9; III, 1-3. Les contradictions, qui sont toujours réservées au ministre de Dieu, 11, 7; cf. Matth., x, 24-26, ne lui manqueront pas, mais le Seigneur le rendra plus fort que le diamant, III, 8-9 (1). La scène de la vocation

maux distincts. Le mot hébreu paním, que la Vulgate traduit par facies, ne signifie pas seulement visage, mais aussi apparence, forme extérieure. C'est dans ce dernier sens que paraît l'avoir compris S. Jean dans l'Apocalypse, iv, 6-7; c'est ainsi que l'a expliqué avec raison Prado dans son grand commentaire In Ezechielem explanationes, 3 infol., Rome, 1596-1604. On sait que les quatre animaux d'Ézéchiel sont regardés comme les symboles des quatre évangélistes, et on ne leur a jamais attribué comme tels qu'un seul visage.

(1) Tout ce que Dieu dit à Ézéchiel, comme à ses autres prophètes, au moment de leur vocation, s'applique parfaitement aux prêtres de la loi nouvelle, qui doivent être les interprètes de la volonté de Dieu

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