La timidité: étude psychologique et morale

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F. Alcan, 1910 - 199 pages
 

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Popular passages

Page 11 - Cette lenteur de penser jointe à cette vivacité de sentir, je ne l'ai pas seulement dans la conversation, je l'ai même seul et quand je travaille. Mes idées s'arrangent dans ma tête avec la plus incroyable difficulté: elles y circulent sourdement, elles y fermentent jusqu'à m'émouvoir, m'échauffer, me donner des palpitations; et, au milieu de toute cette émotion, je ne vois rien nettement, je ne saurais écrire un seul mot, il faut que j'attende. Insensiblement ce grand mouvement s'apaise,...
Page 10 - J'ai étudié les hommes, et je me crois assez bon observateur : cependant je ne sais rien voir de ce que je vois ; je ne vois bien que ce que je me rappelle, et je n'ai de l'esprit que dans mes souvenirs. De tout ce qu'on dit, de tout ce qu'on fait, de tout ce qui se passe en ma présence, je ne sens rien, je ne pénètre rien. Le signe extérieur est tout ce qui me frappe. Mais ensuite tout cela me revient : je me rappelle le lieu, le temps, le ton, le regard, le geste, la circonstance ; rien ne...
Page 87 - ... assujettir, je m'avisai d'en prendre un à moi qui m'en dispensât. Ma sotte et maussade timidité, que je ne pouvais vaincre, ayant pour principe la crainte de manquer aux bienséances, je pris, pour m'enhardir, le parti de les fouler aux pieds. Je me fis cynique et caustique par honte; j'affectai de mépriser la politesse que je ne savais pas pratiquer.
Page 54 - ... un autre, et elle me l'est davantage, à cause de mon excessive délicatesse, de cette délicatesse que l'inflexion d'un mot, un geste inaperçu met au comble du bonheur ou du désespoir.
Page 33 - Je ne me trouvais à mon aise que tout seul ; et tel est même à présent l'effet de cette disposition d'âme, que, dans les circonstances les moins importantes , quand je dois choisir entre, deux partis , la figure humaine me trouble , et mon mouvement naturel est de la fuir pour délibérer en paix.
Page 192 - ... faudrait les employer. Je ne me trouve jamais assez prêt pour agir, parler ou écrire; et, soit dans le monde, soit dans la solitude, un sentiment intime de méfiance, joint à l'idée exagérée des difficultés des choses les plus simples que je vais entreprendre, font que j'hésite sur tout, que je m'embarrasse quand il n'y aurait qu'à me laisser aller, que tout se complique et se hérisse à mes yeux prévenus, quand il n'y aurait qu'à voir les choses comme elles sont pour les trouver...
Page 79 - Le premier de mes besoins, le plus grand, le plus fort, le plus inextinguible, était tout entier dans mon cœur; c'était le besoin d'une société intime, et aussi intime qu'elle pouvait l'être; c'était surtout pour cela qu'il me fallait une femme plutôt qu'un homme, une amie plutôt qu'un ami. Ce besoin singulier était tel, que la plus étroite union des corps ne pouvait encore y suffire : il m'aurait fallu deux âmes dans le même corps; sans cela je sentais toujours du vide.
Page 197 - La raison serait-elle toujours impuissante contre l'influence du tempérament? La liberté ne serait-elle autre chose que la conscience d'un état de l'âme, tel que nous désirons qu'il soit, état qui dépend en réalité de la disposition du corps sur laquelle nous ne pouvons rien...
Page 143 - J'aimerais la société comme un autre, si je n'étais sûr de m'y montrer non seulement à mon désavantage, mais tout autre que je ne suis. Le parti que j'ai pris d'écrire et de me cacher est précisément celui qui me convenait.
Page 20 - Je ne me souviens pas, pendant mes dix-huit premières années, d'avoir eu jamais un entretien d'une heure avec lui. Ses lettres étaient affectueuses, pleines de conseils raisonnables et sensibles ; mais à peine étions-nous en présence l'un de l'autre, qu'il y avait en lui quelque chose de contraint que je ne pouvais m'expliquer, et qui réagissait sur moi d'une manière pénible.

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