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sophe, de l'inspiration des écrivains sacrés qui ont rédigé par écrit ce que leur dictait immédiatement l'esprit de Dieu. Cette distinction est essentielle dans le christianisme; les confondre l'une et l'autre, comme le font les rationalistes, c'est vouloir anéantir la révélation.

CHAPITRE II.

De la possibilité de la révélation.

491. La révélation, en général, est-elle possible? Dieu a-t-il pu nous révéler des mystères ? A-t-il pu donner aux hommes des préceptes positifs, compris ou non parmi les préceptes de la loi naturelle? Il y a longtemps que ces questions ont été résolues; elles le sont depuis six mille ans, c'est-à-dire, depuis la création de l'homme. Ce fait est constaté par les livres saints, dont on ne peut révoquer en doute l'autorité sans ébranler les fondements de l'histoire; par la croyance des patriarches, des Juifs et des chrétiens; par la croyance de tous les peuples, même des gentils, qui, en conservant dans leurs superstitions des fragments de la tradition primitive, s'accordent à reconnaître une révélation divine. Dans tous les temps et partout, la religion nous est représentée comme ayant été inspirée de Dieu, comme contenant des dogmes et des préceptes positifs. « Parcourez toutes les contrées, remontez aux temps les plus anciens, où trouverez-vous une nation qui n'ait « pas eu une religion positive; qui n'ait pas ajouté foi à des com«munications avec la Divinité; qui n'ait pas cru tenir directement « de Dieu une doctrine à professer, des pratiques à observer, des règles à suivre? Il faut que le besoin qu'a l'homme d'une révéla

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tion ait été bien vivement, bien universellement senti, pour réu

<< nir tout le genre humain dans une même croyance. Les peuples «< ont varié entre eux sur la révélation; ils se sont accordés sur la a nécessité; ils ont altéré, obscurci, défiguré les enseignements po"sitifs de la religion; mais la persuasion d'un enseignement positif «< est restée constamment parmi eux. Cet accord si absolument général de tous les pays et de tous les temps est un aveu solennel, prononcé par le genre humain entier, de l'insuffisance de la rai.

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« son à connaître toute la religion. Notre siècle est-il recevable à revenir contre une reconnaissance aussi formelle, aussi constante, « aussi universelle, de tous les siècles qui l'ont précédé (1)? » Non ; nous pouvons lui opposer une prescription aussi ancienne que le monde. Nous sommes donc dispensés de prouver la possibilité de la révélation. Cependant, voyons s'il est vraiment indigne de Dieu de parler à l'homme, indigne de l'homme d'obéir à Dieu; voyons si on peut supposer, comme le prétendent les rationalistes, qu'il eût été plus digne de celui qui est la vérité même, de permettre que le genre humain se fût trompé jusqu'ici, en admettant les principales vérités de la religion comme ayant été révélées de Dieu.

ARTICLE Ier.

La révélation en général est possible.

492. La révélation est possible, si elle ne répugne ni de la part de Dieu, ni de la part de l'homme, ni de la part des vérités qui peuvent en être l'objet. Or, la révélation ne répugne sous aucun de ces rapports. D'abord, elle ne répugne point de la part de Dieu, elle ne renferme rien évidemment qui soit contraire à ses perfections. Qu'est-ce qui pourrait, en effet, s'opposer à ce que Dieu se révélât aux hommes d'une manière extérieure et surnaturelle? Serait-ce le défaut de puissance? Mais sa puissance est infinie. Comment refuser à Dieu, par rapport à l'homme, le pouvoir que l'homme tient de Dieu même par rapport à ses semblables? Quoi! vous pouvez, quand il vous plaît et de la manière qu'il vous plaît, manifester vos pensées et vos volontés aux autres; et le Créateur ne pourrait manifester les siennes à la créature d'une manière quelconque ! Ne serait-ce pas le comble de l'absurdité ? Serait-ce le défaut de science en Dieu ? Mais sa science est également infinie; elle comprend tout, le passé, le présent et l'avenir; Dieu sait tout, ou plutôt il voit tout. Et qui a jamais osé dire que celui qui est le Dieu des sciences, Deus scientiarum Dominus (2), ne sait que ce que l'homme peut savoir ou connaître par les seules lumières de la raison? Serait-ce le défaut de sagesse? Direz-vous qu'en créant l'homme avec le monde, Dieu lui a donné comme au monde des lois générales et naturelles, et que ces lois-là seules sont dignes

(1) De la Luzerne, Dissertation sur la révélation en général, c. 11, no iv.— (2) Liv. 1 des Rois, ch. 11, v. 3.

de sa sagesse ? Mais comment prouverez-vous qu'il n'est pas digne de la sagesse de Dieu d'accorder à l'homme ce qu'il ne lui doit point, ou que Dieu n'a pu le destiner à une fin surnaturelle, en lui donnant les moyens analogues de parvenir à cette fin? Comment prouverez-vous qu'il soit contraire à la sagesse divine que l'homme ait été créé pour être en société avec Dieu, avec la famille et avec ses semblables? Et s'il n'est point contraire à la sagesse de Dieu que les rapports de l'enfant avec la famille et du citoyen avec la société civile soient réglés par des lois spéciales et positives, pourquoi ne pourrait-il pas en être de même des rapports de l'homme avec Dieu ? En quoi serait-il contraire à cette même sagesse que les rapports de la créature avec le Créateur eussent été réglés par des lois positives? Non, il n'est point indigne de Dieu de s'occuper de l'homme, qu'il a fait à son image; il n'est pas indigne de sa sagesse, non plus que de sa bonté, de l'avoir créé pour un bonheur auquel nous ne pouvons prétendre naturellement, ni de lui avoir révélé, comme se rapportant à cette fin, des vérités d'un ordre surnaturel. La révélation n'est donc point impossible du côté de Dieu.

493. Elle n'est point non plus impossible du côté de l'homme : l'homme est fait pour se soumettre à l'ordre établi de Dieu. Abandonné à lui-même, l'homme n'aurait jamais pu connaître la fin surnaturelle pour laquelle il a été créé; il ne pourrait même connaitre que très-imparfaitement, si tant est qu'il pût les connaître, les obligations que lui impose la loi naturelle envers Dieu et envers ses semblables. Ainsi donc, loin de lui être contraire, la révélation est tout à fait conforme à la nature de l'homme. Qu'on ne dise pas que l'ordre surnaturel est impossible pour l'homme, par cela même qu'il ne peut l'atteindre par les seules forces de sa nature : il est impossible sans doute sans le secours de la révélation; mais les moyens qu'elle nous présente nous mettent en rapport avec cet ordre supérieur, et le rendent par là même évidemment possible. Il serait bien étonnant que l'homme se plaignît d'avoir reçu de Dieu quelque chose de plus que ne réclame l'exigence de sa nature. Admirez la philosophie: tantôt elle trouve que Dieu n'a pas assez fait pour l'homme; tantôt elle lui refuse le droit de s'occuper de l'homme.

494. Enfin, la révélation ne répugne point en ce qui concerne les vérités qui peuvent en être l'objet. Dieu, qui est souverainement vrai, souverainement juste, souverainement saint, ne peut révéler que ce qui est conforme à la vérité, à la justice, à la sainteté,

que ce qui est vraiment utile à l'homme et à la société, eu égard à la fin qu'il se propose et aux desseins qu'il a sur nous. Aussi, quand il s'agit d'un point qui appartient à la révélation, soit que nous puissions, soit que nous ne puissions pas le connaître par les seules lumières de la raison, nous n'avons qu'une chose à faire, c'est de nous assurer s'il est véritablement révélé. La révélation étant une fois constatée, nous devons nous soumettre : Dieu n'enseigne point l'erreur. Concluons donc que la révélation divine, en général, est possible. De quelque côté qu'on l'envisage, soit qu'on la considère par rapport à Dieu, soit qu'on la considère par rapport à l'homme ou aux vérités qui en sont l'objet, elle ne peut offrir aucune difficulté sérieuse.

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ARTICLE II.

La révélation des mystères est possible.

495. On entend par mystères les vérités que nous ne pouvons connaître sans la révélation, et que nous ne pouvons comprendre, même lorsqu'elles sont révélées. Ces vérités sont l'objet de notre foi. « La foi, dit l'apôtre, nous rend présentes les choses que l'on espère, et nous convaine de celles qu'on ne voit point: Est autem « fides sperandarum substantia rerum, argumentum non appa« rentium (1). » C'est la foi qui nous apprend que le monde a été fait de rien par la parole de Dieu; c'est par la foi que nous savons que l'homme a été créé de Dieu, et pourquoi il été créé ; c'est la foi qui nous instruit de la dégradation du genre humain par suite de la chute de notre premier père, et comment les hommes peuvent se réconcilier avec Dieu; c'est par la foi que nous connaissons les mystères ineffables de la Trinité et de l'Incarnation, les mystères de la grâce et des sacrements, l'éternité des récompenses pour le juste, et l'éternité des peines pour le pécheur qui aura bravé la justice divine. Nous sommes instruits de ces choses par la foi; nous les concevons par la foi, comme le dit saint Paul, fide intelligimus; mais nous ne les comprenons pas. Il y a une grande différence entre concevoir et comprendre. Concevoir un objet, c'est <«< en avoir une connaissance qui suffit pour le distinguer de tout « autre objet avec lequel on pourrait le confondre, et ne connaître << pourtant pas tellement tout ce qui est en lui, qu'on puisse s'assu«rer de connaître distinctement toutes ses perfections, autant

(1) Epist. ad Hebræos, c. xi, v. 1.

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qu'elles sont en elles-mêmes intelligibles. Comprendre signitie « connaître distinctement et avec évidence toutes les perfections de l'objet, autant qu'elles sont intelligibles. Il n'y a que Dieu qui << connaisse infiniment l'infini nous ne connaissons l'infini que « d'une manière finie (1). » Nous ne le comprenons point par conséquent, quoique nous le connaissions. Après avoir dit ce que sont les mystères, nous avons à examiner si la révélation en est vraiment impossible, ainsi que le prétend l'incrédule.

496. Nous l'avons dit, les mystères dont nous venons de parler ont été révélés de Dieu; il n'est aucun fait dans l'antiquité qui soit mieux établi que cette révélation; donc la révélation des mystères est possible. Et comment en prouverait-on l'impossibilité? On ne peut démontrer que la révélation des mystères est impossible qu'en démontrant, ou qu'il ne peut y avoir aucune vérité, dans l'ordre de la religion, que l'homme ne puisse connaître par lui-même sans aucun secours surnaturel; ou que Dieu ne peut rien révéler à l'homme, sans lui expliquer en même temps ce qu'il lui fait connaître; ou que l'homme ne peut admettre ce qu'il ne comprend pas, sans renoncer à l'usage de sa raison; ou que les mystères de la religion sont contraires à la raison même. Or, c'est ce qu'on n'a jamais démontré et ce qu'on ne démontrera jamais.

497. Il n'est pas démontré qu'il ne puisse y avoir aucune vérité, aucun dogme, en matière de religion, que l'homme ne puisse connaître par lui-même, sans aucun secours extérieur et surnaturel. Quel est même l'homme sensé qui ose dire que l'homme peut connaître naturellement tout ce que Dieu connait, savoir tout ce qu'il sait, voir tout ce qu'il voit, comprendre tout ce qu'il comprend, comprendre l'infini, comme l'infini se comprend lui-même? Quel est celui qui prétendrait s'égaler au Très-Haut et lui dérober ses secrets? Qui, au contraire, ne s'écriera avec l'apôtre : « O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu! Que «< ses jugements sont impénétrables et ses voies incompréhensi«bles! Qui a connu la pensée du Seigneur, ou qui lui a donné a conseil? O altitudo divitiarum sapientiæ et scientiæ Dei! Quam incomprehensibilia sunt judicia ejus, et investigabiles viæ ejus (2)1 »

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498. Il n'est pas démontré que Dieu n'ait pu parler à l'homme, sans lui faire comprendre les choses qu'il a bien voulu lui ré

(1) Fénelon, De l'existence et des attributs de Dieu, part. II, c. v, art. 5, no 110. — (2) Epist. ad Romanos, c. xi, v. 33.

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