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XX. DE LA PROVIDENCE PROUVÉE PAR LES
ÉVÉNEMENTS.

PAULIN A JOVIEN.

Je croirais blesser toutes les règles de la bienséance et de l'amitié, si je ne vous écrivais par Posthumianus et Théridie, qui, de la Campanie, où ils étaient venus pour me voir, s'en retournent en leur pays. Ce n'est pas toutefois la seule crainte de manquer d'égards qui me porte à vous écrire, mais c'est particulièrement pour empêcher que l'on ne pense que je doute de la sincérité de votre religion; car si j'omettais de vous écrire dans une occasion si favorable, et qui m'est offerte par des personnes d'une éminente vertu, on pourrait s'imaginer que je crois que vous n'aimez pas les gens pieux, quoique vous fassiez connaitre le contraire, par l'estime où vous tenez le nom de chrétien et le nom de ceux qui tâchent, comme nous, d'observer la loi de l'Évangile.

Recevez donc honorablement ces deux visiteurs, non en considération de mes lettres, mais plutôt recevez avec plaisir mes lettres, qui vous seront rendues par des personnes, qui se sont fait conscience de retourner dans leur patrie, sans vous voir, et de vous aller rendre visite, sans vous porter un souvenir de moi.

J'ai cru même qu'il était à propos de me servir de ces messagers, pour répondre à la lettre que vous m'écrivites, il y a quelque temps, et par où vous répondiez vousmême à celle que je vous avais adressée, afin d'établir que Dieu a un pouvoir absolu sur les éléments, et que la Providence dispose souverainement de toutes choses en notre faveur.

Vous vous rappelez certainement, en effet, que je m'ef

forçai alors de vous persuader qu'il ne fallait jamais attribuer les bienfaits de Dieu au hasard, et ne pas croire que ce soit par un cas fortuit plutôt que par la grâce de la Providence que l'argent des pauvres ait échappé aux tempêtes de l'hiver et à la cupidité des matelots, même après la mort de celui qui en avait la garde, et qu'on ait vu le vaisseau sur lequel il était chargé échouer sain et sauf sur le rivage où je possède des terres, et vous un patrimoine.

Cet événement, qui devait vous porter à admirer la clémence du Seigneur, n'a servi cependant qu'à exciter vos plaintes et vos murmures contre les tempêtes et le trouble des éléments; et au lieu de bénir Dieu qui les maîtrise et les fait servir à notre utilité, de même qu'il dispose notre propre conduite, vous avez rapporté ces effets de sa toutepuissance à des divinités imaginaires que vous nommez le destin et la fortune, comme si elles partageaient le gouvernement du monde avec le Créateur. Or, ne pensez pas avoir honoré Dieu, mais plutôt lui avoir fait injure, en refusant de reconnaître que ces événements sont arrivés par sa permission, sous prétexte que Dieu étant la bonté même, il vaut mieux imputer le mal au hasard qu'à Dieu. Ainsi donc vous mettez au nombre des maux les tempêtes qui dévastent les campagnes et causent les naufrages. Et vous ne remarquez pas que cette maxime appartient aux philosophes qui, enflés de leur science et négligeant celle de Dieu, se trouvent exilés de la vérité, et, par attachement à leur sens, s'évanouissent, comme il est écrit, dans leurs pensées, jugeant, selon leur caprice, les œuvres et les desseins du Créateur. Ils s'imaginent que la terre et le ciel sont mus et gouvernés par le hasard; ils prétendent que ce monde, soit qu'il n'y ait point d'être souverain qui le dirige, soit que Dieu dédaigne de s'en occuper, est le jouet du destin; ou bien ils affirment que le monde n'a pas été créé, qu'il n'a pas eu de commencement, qu'il n'aura pas de fin; comme si les choses corporelles,

dont le monde est composé et dont nous sommes aussi une portion, n'étaient pas corruptibles par leur nature.

D'autres plus insensés encore veulent que l'univers se soit créé lui-même, comme s'il y avait rien qui pût se donner à soi-même la naissance, de telle sorte qu'un même être fût à la fois créateur et créature, œuvre et artisan, et qu'il n'y eût pas là une contradiction manifeste et dans les mots et dans les choses. Or, qui ne comprend, au contraire, que ce monde corporel est gouverné par une force incorporelle, et que c'est par la force infuse et toujours présente de l'Esprit divin qui l'a créée que cette masse énorme est animée, dirigée dans ses mouvements, maintenue dans son équilibre, perpétuée dans sa durée?

Puis donc qu'il est constant que ce qui se voit ou se sent a besoin, pour avoir consistance et subsistance, d'un secours étranger, on ne peut contester qu'un tel secours ne soit également nécessaire pour qu'une chose soit créée. Et ainsi, nous devons nécessairement avouer que tout provient de Dieu. Il n'y a par conséquent que des profanes qui puissent douter que le monde ait Dieu pour auteur. C'est de même à lui seul qu'il convient de rapporter le gouvernement des vents et de toutes les forces accumulées qui s'agitent dans les profondeurs et comme dans les entrailles de la terre. Car les puissances qui se manifestent dans les ouvrages de Dieu ne sauraient être contenues, c'est-à-dire les substances qui composent l'univers ne pourraient coexister dans l'opposition de leurs natures diverses, si elles n'étaient dominées par une nature et une puissance souveraine, qui est Dieu, seul créateur de tout ce qui est, qui seul a pu les faire et les ordonner, et qui seul, par les lois qu'il leur impose, assure leur état. Mais il est encore beaucoup plus insensé d'incriminer aucune nature quelle qu'elle soit et de la déclarer mauvaise : car si tout vient de Dieu et si Dieu est bon, assurément tout ce que Dieu fait est bon. Que si dans les secrets de ses desseins il y a des profondeurs qui échappent à nos sens et à nos

pensées, quoique nous n'en puissions pénétrer le mystère ni dissiper l'obscurité, il est plus sûr néanmoins de supposer que Dieu a eu des motifs cachés d'agir, que de croire qu'il n'en a eu aucun. On ne peut en effet mettre en doute que toutes les œuvres de Dieu, bien qu'elles ne soient pas toutes intelligibles, ne soient cependant toutes raisonnables.

C'est pourquoi si Dieu qui a créé le monde entier, aussi le gouverne, en quel lieu ou sur quelles créatures le hasard aura-t-il prise, ou le destin, ou la fortune? Si le hasard, le destin, la fortune dépendent, comme le veulent quelques-uns, du mouvement et de la série des astres, c'est donc d'atomes de feu, atomes non-seulement plus petits que Dieu, mais que le monde lui-même, puisqu'ils n'en éclairent guère que la troisième partie, que le hasard, le destin, la fortune, tirent une puissance qu'on fait l'égale de celle de Dieu? Car certainement il n'appartient qu'à une puissance divine d'exciter tour à tour la violence des vents et de l'enchaîner, d'abandonner ou d'arracher les mortels aux fureurs des tempêtes. Et comme c'est en vertu de cette puissance que toute créature obéit à Dieu, seul créateur de toutes choses, comment départir ce pouvoir divin et cette efficace à des choses qui, non-seulement ne pourraient recevoir le nom de créateur, mais qui n'ont pas même l'apparence de créature, et dont les dénominations vagues ne signifient rien distinctement de spirituel ni de corporel? En effet, quand même le hasard serait l'expression du doute, le destin l'expression de la prévision, l'accident l'expression de ce qui tombe ou de ce qui arrive; cependant, n'est-ce point par un étrange abus et une grossière ignorance de Dieu que les hommes, dans leur égarement, ont érigé en divinités des mots vides de sens, leur ont donné un corps, des attributs, et, ce qui est encore plus pitoyable, décerné des hommages divins? De là sont venus et l'Espérance, et Némésis, et l'Amour, et aussi la Fureur dont on adore les images, et l'Occasion

qui est chauve, et la Fortune qui s'appuie sur un globe glissant. Par un mensonge non moins bizarre, on a feint que les Destinées filent les jours des hommes, ou les pèsent dans des balances. Et cet incroyable délire a été partagé par les philosophes aussi bien que par le vulgaire, témoin Platon qui met entre les mains d'une vieille femme le fuseau de la Nécessité, lui adjoignant trois filles, dont l'emploi est de filer, comme si les événements et la vie des hommes résultaient du travail de ces filandières. Ce philosophe sublime a, de la sorte, abusé de sa vaine et harmonieuse éloquence, jusqu'à ne pas rougir d'insérer d'aussi absurdes fables dans des écrits où il ose traiter de la nature divine comme s'il la connaissait. Pour nous donc, ce qu'il nous faut estimer chez Platon, c'est la beauté de son langage, non la frivolité de ses fictions, sans toutefois que la musique des mots qui charme l'oreille nous fasse perdre de vue le fond des choses.

Il y a plus comme la raison et la vérité l'enseignent, toutes les œuvres de Dieu, dont nous sommes nous-mêmes l'ouvrage, tous les événements heureux par lesquels nous sommes dirigés et conservés au milieu des incertitudes de cette vie fragile et caduque, tout cela rapportons-le à Dieu même, et ne commettons point l'erreur de retrancher quoi que ce soit de sa puissance, parce que Dieu, que nous le voulions ou que nous ne le voulions pas, est notre créateur et notre Dieu comme il est le créateur et le Dieu de toutes choses. Et parce qu'il est la bonté et la sagesse même, et l'origine de la raison, il n'a rien établi que par raison, et a communiqué à tout sa bonté. Rapportons-lui donc tout ce que nous sommes; appliquons-nous à connaître, efforçons-nous de faire ce qui lui plaît. Alors, l'esprit dégagé des nuages qui l'obscurcissent, nous apercevrons clairement cette vérité, que c'est pour Dieu qu'est tout ce qui est; et aussi cette conséquence, que toutes les œuvres de Dieu sont excellentes, et que rien ne peut être mauvais

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