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Aussi trouve-t-on dans leurs écrits une politesse, nonseulement de paroles, mais de sentiments et de mœurs, qu'on ne trouve point dans les écrivains des siècles suivants. Cette politesse, qui s'accorde très-bien avec la simplicité, et qui les rendait gracieux et insinuants, faisait de grands effets pour la religion. C'est ce qu'on ne saurait trop étudier en eux. Ainsi, après l'Écriture, voilà les sources pures des bons sermons 1. »

Au xvin' siècle, la tradition s'en va de la chaire comme de tout le reste. Qu'a de commun Massillon avec ses prédécesseurs? Il cite encore les Écritures, mais non plus les Pères, quoiqu'il se pénètre de leurs maximes, et, après lui, évidemment l'abbé Poulle n'aura pas besoin de grands trésors d'érudition ecclésiastique pour prononcer avec agrément un sermon sur la bienséance. On ne saurait donc attendre des simples littérateurs, des gens du monde, une fréquentation dont les prédicateurs euxmêmes sont déshabitués. Aussi nous ne trouvons pas qu'au 'xvin siècle aucun écrivain ait mentionné les Pères, si ce n'est Voltaire, qui les injurie; car les doctes travaux de Dom Cellier ne devaient pas servir à ses contemporains 2.

Chose singulière ! C'est un laïque, un poëte, qui a restauré parmi nous le goût et l'étude des Pères. A une époque où la France épuisée cherchait où se prendre, et, lasse de superstitions, demandait des croyances, le Génie du

1. Dialogues sur l'éloquence. III.

2. Histoire générale des auteurs sacrés et ecclésiastiques, 1729

christianisme parut et fut accueilli avec une véritable reconnaissance. On eût dit que M. de Chateaubriand venait de signaler un continent sauveur à des naufragés longtemps battus par les flots. C'était plus qu'un nouveau continent; c'était la vieille terre de la foi ; c'était la patrie que l'on revoyait, avec je ne sais quelle séduction de nouveauté et tout le prestige attendrissant du souvenir. On crut sortir d'un mauvais rêve. La majesté des temples, les cérémonies saintes, les dogmes et leurs enseignements consolateurs frappèrent les imaginations en les guérissant. Ce qu'on avait outrageusement rejeté comme un fétichisme, on l'accepta comme le dernier mot de la raison humaine affermie par l'épreuve, et les instituteurs fastueux de l'Encyclopédie parurent bien pâlissants en présence des Docteurs, des Confesseurs, des Pères, dont la mémoire avait pu être calomniée et reléguée, mais non pas abolie.

Le poëme des Martyrs compléta le salutaire effet produit par le Génie du christianisme. Les générations du XIX siècle admirèrent le dramatique spectacle du paganisme, expirant malgré ses violences; aux prises avec une religion divine qui n'avait pour s'établir que sa douceur. Il leur sembla qu'elles assistaient au récit de leur propre histoire.

Sans doute M. de Chateaubriand n'avait convaincu personne; mais du moins il avait persuadé. Ces touches brillantes, ces notes harmonieuses, cette poésie mêlée d'encens suffisaient à gagner les cœurs et prévenaient les esprits, que plus de savoir eût rebutés. Il fallait aux yeux

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malades du grand nombre les teintes attiédies et le demijour de la fiction, afin de les accoutumer peu à peu à la pleine lumière. D'ailleurs, en même temps qu'on se laissait ravir à cette voix suave, écho mélancolique des savanes, des catacombes et du Thabor, n'entendait-on pas les accents plus vibrants et plus rudes de M. de Bonald et de M. de Maistre ? Et n'y avait-il pas dans la Législation primitive et les Soirées de Saint-Pétersbourg, un retour assez marqué vers la science ecclésiastique, presque une réaction?

Enfin un homme se rencontra, dont la jeunesse fait envie autant que sa vieillesse fait peur, âme ardente qui ne connut pas de mesure, trop forte pour céder, trop faible pour obéir, irrémissiblement condamnée à errer d'excès en excès. Chacun sait avec quel éclat M. l'abbé de Lamennais commença par les emportements du dogmatisme théologique. L'Essai sur l'indifférence fut plus qu'un livre; ce fut un manifeste. L'auteur n'était pas seulement le disciple et l'imitateur des Pères, on le regardait comme leur successeur. Et en réalité, sa mauvaise destinée a permis qu'il rappelât, de tout point, l'un d'entre eux, l'infortuné Tertullien. Mais ses débuts n'en ont pas moins été considérables pour la renaissance des études sacrées.

L'impulsion une fois donnée, le mouvement a suivi, sans être fort accéléré, mais aussi sans être interrompu. M. l'abbé de Frayssinous a reproduit, dans ses conférences, les habitudes et la noble manière des orateurs du XVIIe siècle. M. l'abbé Guillon, en publiant une Biblio

thèque choisie des Pères grecs et latins1, a contribué à mettre en circulation leurs pensées. M. Villemain, en traçant son vivant Tableau de l'Éloquence chrétienne au IVe siècle, leur a ouvert les écoles et les salons.

Nous voudrions insister dans cette voie; instituer, s'il est possible, un plus fréquent commerce des séculiers avec les Pères.

Mais, dès lors, n'est-il pas clair que nous réussirions mal à rendre familiers les écrits des Pères, en nous bornant à offrir les textes grecs ou latins de leurs ouvrages? Ces textes, en effet, inintelligibles au grand nombre, ne seraient-ils pas, en outre, plus propres à corrompre le goût qu'à le perfectionner? Et n'y aurait-il pas là un obstacle plutôt qu'un secours pour ceux qui s'appliquent à l'étude des langues anciennes? Il suffit, pour s'en convaincre, de jeter un rapide regard sur l'histoire de la langue grecque et de la langue latine. Car il ressort, sans conteste, d'un semblable examen, que les Pères sont trèsloin, et même qu'il leur a été impossible, malgré leur génie, d'exceller par le langage.

« La langue grecque a été anciennement fort universelle. Elle se répandit, du temps du grand Alexandre, dans toutes les provinces d'Orient qui plièrent sous ses armes et demeurèrent dans son empire. On parla grec dans l'Égypte, et surtout à Alexandrie, où les juifs qui prirent ce langage s'appelèrent Hellénistes, à la distinction des juifs de la Palestine, qui parlaient le syriaque ou le chaldéen. Le grec se parlait dans toute l'étendue de 1. Paris, 1826-28.

l'empire romain, et les Romains envoyaient leurs enfants à Athènes étudier la pureté de la langue grecque avec la philosophie et les autres sciences. Suétone dit que les Romains étaient demi-grecs, et que Cicéron avait déclamé en grec jusqu'au temps de sa préture. On parlait grec dans l'Afrique et dans la Gaule.... Les premiers évêques de Rome ont écrit en grec. Les canons, attribués aux apôtres, les constitutions apostoliques, et enfin tout ce qu'il y a de plus ancien et de plus vénérable dans la religion chrétienne, se trouve écrit en cette langue. Les plus polis des Pères se sont formés sur les auteurs grecs1. »

Aussi, ouvrez saint Basile, saint Chrysostome, saint Grégoire de Nazianze. Sans doute vous reconnaîtrez encore, dans les pages qu'ils ont laissées,

Ce langage sonore, aux douceurs souveraines,

Le plus beau qui soit né sur des lèvres humaines 2.

Et pourtant qui oserait prétendre que ce soit là, dans sa pureté première, avec ses tours, sa naïveté, ses délicatesses, l'idiome enchanteur d'Hérodote, d'Isocrate, de Platon? La comparaison surtout n'est pas supportable lorsqu'on rapproche du latin de Tertullien, de saint Augustin, de saint Jérôme, celui de Tite Live, de Salluste, ou de Tacite.

« La langue latine, après être demeurée durant cinq ou six siècles dans des bornes assez étroites, se répandit bien loin dans l'Occident par le moyen du commerce et des

1. D'Argonne, page 122.

2. André Chénier.

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