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CHAPITRE DOUZIÈME

DROIT FRANÇAIS

§ 1or. Ancien droit français.

Dans les Gaules, les chrétiens pratiquèrent la loi du divorce sous la domination romaine; plus tard, après l'invasion des Francs, ils continuèrent à jouir du bénéfice de cette loi morale. Le divorce a été pratiqué en France sous les rois de la première, de la seconde et même de la troisième race.

L'histoire nous apprend que Basine quitta le roi de Thuringe pour suivre Childéric qui l'épousa ; Caribert, roi de Paris, répudia sa femme légitime.

Charles Martel répudia Gertrude pour épouser Alpaïde, sans que l'histoire nous ait conservé les motifs de cette répudiation.

Non seulement les premiers rois francs usèrent du divorce, mais encore ils eurent un grand nombre de femmes. « Les mariages étaient moins un témoignage d'incontinence qu'un attribut de dignité. C'eût été

blesser ces rois dans un endroit bien tendre que de leur faire perdre une telle prérogative.» (Montesquieu, Esprit des lois, liv. 18. ch. 24.)

Théodebert, roi de Metz (Art de vérifier les dates), avait épousé du vivant de son père, Wisigarde, qu'il répudia en l'an 535, pour prendre Densérie, dame de Cabrières en Auvergne : il se sépara d'elle ensuite en 542, pour reprendre sa première femme, et rétracta par là son divorce.

Chilpéric répudia Andovère en 564, et se remaria trois ans après à Galasninte; mais on ne sait pas si Andovère mourut entre l'époque de sa répudiation et celle du second mariage de Chilpéric ce qu'il serait nécessaire de savoir pour établir la preuve d'un véritable divorce. Gontran, roi d'Orléans ayant répudié la reine sa femme, pour en épouser une autre, fut excommunié. L'histoire reproche à ce prince de grandes fautes, dont il fit pénitence les dernières années de sa vie. L'Eglise ne l'a pas mis au rang des saints; ce titre ne lui est donné que dans quelques lieux. Dagobert répudia Gomatrude, sous prétexte de stérilité.

Charlemagne, dont la mémoire et le génie recueillent plus que jamais des hommages, Charlemagne le conquérant de l'Europe et le premier législateur des Français, est mis au rang de ceux qui ont pratiqué le divorce. Il eut, dit-on, cinq femmes. (Eginhart, Vit. Car. Mag. Gest. Franc.)

1o Himiltrude, qui ne fut que sa maitresse.

2o Hermengarde, fille de Didier, roi des Lombards, qu'il répudia un an après son mariage,

3o Hildegarde, morte après deux ans de mariage, 4° Fastrade, morte l'an 794,

5o Lieutgarde, morte en 800.

Charlemagne fit-il réellement divorce avec Himiltrude et avec Hermengarde? Voilà la question. Quant à Himiltrude, il faut d'abord observer qu'elle n'était que sa maitresse; ainsi Charlemagne put légitimement épouser Hermengarde, fille du roi des Lombards, sans qu'il y eut divorce avec Himiltrude. Certains historiens infèrent d'une lettre du pape Etienne III à Charlemagne, qu'il était déjà marié, et ne pouvait épouser Hermengarde. La lettre d'Etienne III à ce prince, ne parait nullement décider qu'il fùt déjà marié : le pape se borne à le dissuader de prendre une femme chez les Lombards, peuple corrompu, infecté de la lèpre; et il l'invite à choisir plutôt une épouse dans la nation des Francs. Le nom d'Himiltrude n'est pas même prononcé dans

sa lettre et si elle eût été la femme de Charles, la reine des Francs, le pape n'eût pas ignoré son nom, ou n'eût pas hésité à la nommer.

D'ailleurs Eginhart, chancelier de Charlemagne et son historiographe, n'en dit pas un mot, et tous les historiens de la vie de ce prince, gardent le même silence. Il faut donc croire qu'Himiltrude n'eut jamais le titre de foame de Charlemagne, et ne fut que sa maîtresse. L'on pourrait peut-être même contester l'existence de cette Himiltrude, dont la plupart des

contemporains ne parlent point. Ainsi Charlemagne put légitimement épouser Hermengarde.

Quant à la répudiation d'Hermengarde, Eginhart dit qu'il ignore pourquoi Charlemagne la renvoya. Un écrivain (Monachus Sancti Galli, liv. 2, cap. 26. Ekard. Francia orient. t. 1) de ce temps-là, moins politique que le chancelier Eginhart, nous apprend qu'Hermengarde était incapable d'avoir des enfants.

Or cette incapacité rendait le divorce légitime, et Charlemagne a pu passer à un nouveau mariage.

Ce prince défendit le divorce dans ses Capitulaires (Capit. t. 1. I, 7, p. 1042). «Que personne, dit-il, ne se marie à un homme ou une femme déjà engagés dans le lien du mariage, quand leur conjoint vit encore ». Et dans un autre endroit «< qui interveniente repudio, alio se matrimonio copularunt, quos in utraque parte adulteros esse manifestum est ». (Capit. t. I, 1. 26). « Ceux qui, après s'être séparés, contractent un nouveau mariage, sont évidemment l'un et l'autre. adultères. » Comment donc penser que Charlemagne se permit deux divorces, lui qui le condamne si ouvertement dans ses lois ?

Un des plus curieux spectacles du neuvième siècle fut le procès de Lothaire, roi de Lorraine, avec Thietberge, sa femme.

Ce prince, descendant de Charlemagne, sentait pour Waldrade un de ces penchants auxquels on sacrifie tout; il voulait néanmoins le légitimer par le mariage, et la reine Thietberge, sa femme, y mettait obstacle.

Il commença par l'accuser d'inceste, à un premier concile tenu à Aix-la-Chapelle en 860 (Labbe, t. X). Thietberge avoue cet inceste; le concile la condamne à être enfermée dans un couvent, dont elle s'échappe. Un second concile tenu à Aix-la-Chapelle en 862 et composé de prélats des états de Lothaire, croyant, quoique sans fondement, qu'un inceste antérieur au mariage rendait incapable d'en contracter jamais, casse le mariage de Lothaire et de Thietberge. Le prince, à l'instant, répudie Thietberge, et épouse Waldrade. Le pape Nicolas Ier, sur les plaintes de Thietberge, envoie deux légats, qui assemblent à Metz un troisième concile en 863. Lothaire, outre le reproche d'inceste, prétend que son mariage avec Waldrade a précédé celui avec Thietberge. Le concile, ou séduit, ou trop faible, confirme de nouveau la nullité du mariage de Lothaire avec Thietberge.

Nicolas évoque à lui cette affaire, et dans un concile tenu à Rome en 863, il fait casser les décisions des conciles d'Aix-la-Chapelle et de Metz, confirme la validité du mariage de Lothaire et de Thietberge, lui ordonne de se séparer de Waldrade; et comme leur commerce continuait, il les excommunie. Lothaire se soumet, et reprend Thietberge. Nicolas meurt; le pape Adrien lui succède. Lothaire vole à Rome, sollicite son absolution, qui lui est accordée, et demande la permission de reprendre Waldrade, Adrien s'y refuse, mais lui promet la convocation prochaine d'un concile, pour juger son affaire en dernier ressort. Lothaire

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