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il donne tous les fidèles à sa sainte mère; c'est là que nous devenons ses enfants.

Et d'où vient que notre Sauveur a voulu attendre cette heure dernière, pour nous donner à Marie comme ses enfants? En voici la véritable raison : c'est qu'il veut lui donner pour nous des entrailles et un cœur de mère. Et comment cela? direz-vous. Admirez, mes sœurs, le secret de Dieu : Marie était au pied de la croix; elle voyait ce cher fils tout couvert de plaies, étendant ses bras à un peuple incrédule et impitoyable; son sang qui débordait de tous côtés par ses veines cruellement déchirées qui pourrait vous dire quelle était l'émotion du sang maternel? Ah! jamais elle ne sentit mieux qu'elle était mère : toutes les souffrances de son fils le lui faisaient sentir au vif. Que fera ici le Sauveur? Vous allez voir, mes sœurs, qu'il sait parfaitement le secret d'émouvoir les affections.

Quand l'âme est prévenue de quelque passion violente, elle reçoit aisément les mêmes impressions pour tous les autres qui se présentent par exemple, vous êtes possédé d'un mouvement de colère; il sera difficile que ceux qui approchent de vous n'en ressentent quelques effets et de là vient que, dans les séditions populaires, un homme qui saura ménager avec art les esprits de la populace irritée, lui fera aisément tourner sa fureur contre ceux auxquels on pensait le moins. Il en est de même des autres passions; parce que l'âme étant déjà excitée, il ne reste plus qu'à l'appliquer sur d'autres objets : à quoi son propre mouvement la rend extrêmement disposée. C'est pourquoi le sauveur Jésus, qui voulait que sa mère fût aussi la nôtre, afin d'être notre frère en toute façon; considérant du haut de sa croix combien son âme était attendrie, comme si c'eût été là qu'il l'eût attendue, il prit son temps de lui dire, lui montrant saint Jean : « O femme, voilà <«< votre fils. » Ce sont ses mots, et voici son sens: O femme affligée, à qui un amour infortuné fait éprouver maintenant jusqu'où peut aller la tendresse et la compassion d'une mère! cette même affection maternelle, qui se réveille si vivement en votre âme pour moi, ayez-la pour Jean, mon disciple et mon bien-aimé; ayez-la pour tous mes fidèles, que je vous recommande en sa personne, parce qu'ils sont tous mes disciples et mes bien-aimés. Ce sont ces paroles, mes sœurs, qui imprimèrent au cœur de Marie une tendresse de mère pour tous les fidèles, comme pour ses véritables enfants car est-il rien de plus efficace sur le cœur de la sainte Vierge, que les paroles de Jésus mourant?

1 Joan. XIX, 26.

Doutez-vous après cela, chrétiens, quels sont les enfants de la sainte Vierge? qui ne voit que ses véritables enfants sont ceux qu'elle trouve au pied de la croix avec Jésus-Christ crucifié? Et qui sont ceux-là? Ce sont ceux qui mortifient en eux le vieil homme, qui crucifient le péché et ses convoitises par l'exercice de la pénitence. Voulezvous être enfants de Marie, prenez sur vous la croix de Jésus; c'est ce que vous avez déjà commencé lorsque vous avez renoncé au monde : mais persévérez dans votre vocation, retranchez tous les jours les mauvais désirs: et puisque vous avez méprisé le monde, qu'aucune partie de sa pompe ne soit capable de vous attirer, que le souvenir de ses vanités n'excite que du mépris en vos cœurs. Ainsi, mes sœurs, vous vous rendrez dignes du glorieux et divin emploi que la charité vous impose, de travailler au salut des âmes. Il les faut gagner par les mêmes voies que JésusChrist se les est acquises, par l'humiliation et par la bassesse, par la pauvreté et par les souffrances, par toutes sortes de contradictions. Voyez la bienheureuse Marie; elle engendre les fidèles parmi ses douleurs : de sorte qu'en méditant aujourd'hui la nativité de la sainte Vierge, songez que si elle doit être mère des fidèles, c'est par les afflictions et par les douleurs qu'elle les doit engendrer à Dieu; et croyez que travaillant au salut des âmes, c'est la mortification et la pénitence qui rendront vos soins fructueux.

Et vous, ô pécheurs mes semblables, venez au berceau de Marie implorer le secours de cette Princesse; invoquer, d'un cœur contrit et humilié, une mère si charitable! Mais si vous avez dessein de lui plaire, prenez sur vous la croix de Jésus; n'écoutez plus le monde qui vous avait précipités dans l'abîme, ni ses charmes qui vous avaient abusés. Déplorez vos erreurs passées; et qu'une douleur chrétienne efface les fautes que vous ont fait faire tant de complaisances mondaines. Si l'innocence a sa couronne, la pénitence a aussi la sienne. Jésus est venu chercher les pécheurs; et Marie, tout innocente qu'elle est, leur doit la plus grande partie de sa gloire; puisqu'elle n'aurait pas été la mère d'un Dieu, si le désir de délivrer les pécheurs n'avait invité sa miséricorde à se revêtir d'une chair mortelle. S'il reste encore quelque dureté, que les larmes de cet enfant l'amollissent.

TROISIÈME SERMON

POUR LA FÊTE

DE LA NATIVITÉ DE LA SAINTE VIERGE.
Marie, combien heureuse d'être mère de son Sauveur.
Amour dont elle a été transportée pour lui. A quel degré de
gloire elle doit être élevée dans le ciel. Quels étaient les sen-

timents d'affection de Jésus pour elle. Liaison étroite qu'elle
a avec nous par sa qualité de Mère des fidèles. Erreur de la
plupart de ceux qui se croient ses dévots. Qui sont ceux
qu'elle admet au nombre de ses enfants.

Qais, putas, puer iste erit?

Quel pensez-vous que sera cet enfant ? Luc. 1, 66.

maison l'exemple d'une vertu si rare, par lequel nous pouvons convaincre les esprits les plus libertins, qu'on peut conserver l'innocence parmi les plus grandes faveurs de la cour; et dans une prudente conduite, une simplicité chrétienne. Je dirais de plus, Monseigneur, que votre généreuse bonté vous a gagné pour jamais l'affection de ces peuples; et si peu que je voulusse m'étendre sur ce sujet, je le verrais confirmé par des acclamations publiques. Mais encore qu'il soit vrai que l'on vous puisse louer, vous et cette incomparable duchesse, sans aucun soupçon de flatterie; en la place où je suis, il faut que j'en évite jusqu'à la moindre apparence. Je sais que je dois ce discours, et vous vos attentions, à la très-heureuse Marie. Ce n'est donc plus à vous que je parle, sinon pour vous conjurer, Monseigneur, de joindre vos prières aux miennes et à celles de tout ce peuple: afin qu'il plaise à Dieu m'envoyer son Saint-Esprit par l'intercession de sa sainte épouse, que nous allons saluer par les paroles de l'ange: Ave.

mère de Jésus-Christ, vous aurez pour lui une affection sans égale; ce sera votre premier avantage. Aussi vous aimera-t-il d'un amour qui ne souffrira point de comparaison; c'est votre seconde prérogative. Cette sainte société que vous aurez avec lui, vous unira pour jamais trèsétroitement à son Père; voilà votre troisième excellence. Enfin, dans cette union avec le Père éternel, vous deviendrez la mère des fidèles qui sont ses enfants, et les frères de votre fils; c'est par ce dernier privilége que j'achèverai ce dis

Avant la naissance du sauveur Jésus, tout ce qu'il y avait de gens de bien sur la terre, qui vivaient attendant la rédemption d'Israël, ne faisaient autre chose que soupirer après sa venue; et par des vœux ardents pressaient le Père éternel d'envoyer bientôt à son peuple son unique libérateur que si parmi leurs désirs il leur paraissait quelque signe que ce temps bienheureux approchât, il n'est pas croyable avec combien de transports toutes les puissances de leurs âmes Pour procéder avec ordre, réduisons tout cet éclataient en actions de graces. Si donc ils eus- entretien à quelques chefs principaux. Je dis, ô sent appris à la naissance de la sainte Vierge aimable Marie, que vous serez à jamais bienheuqu'elle devait être sa mère, combien l'auraient-reuse d'être mère de mon Sauveur : car, étant ils embrassée, et quel aurait été l'excès de leur ravissement, dans l'espérance qu'ils auraient conçue d'être présents à ce jour si beau, auquel le Désiré des nations commencerait à paraître au monde ! Ainsi ces peuples aveugles, qui, pour être trop passionnés admirateurs de cette lumière qui nous éclaire, défèrent des honneurs divins au soleil qui en est le père, commencent à se réjouir sitôt qu'ils découvrent au ciel son avant-courrière l'aurore. C'est pourquoi, ô heureuse Marie, nous qui leur avons succédé, nous prenons part à leurs sentiments: mus d'un pieux respect pour celui qui vous a choisie, nous venons honorer votre lumière naissante, et couronner votre berceau; non certes de lis et de roses, mais de ces fleurs sacrées que le Saint-Esprit fait éclore; je veux dire, de saints désirs et de sincères louanges. Monseigneur, c'est la seule chose que vous entendrez de moi aujourd'hui. L'histoire parlera assez de vos grandes et illustres journées, de vos siéges si mémorables, de vos fameuses expéditions, et de toute la suite de vos actions immortelles. Pour moi, je vous l'avoue, Monseigneur, si j'avais à louer quelque chose, je parlerais bien plutôt de cette piété véritable, qui vous fait humblement déposer au pied des autels cet air majestueux, et cette pompe qui vous environne. Je louerais hautement la sagesse de votre choix, qui vous a fait souhaiter d'avoir dans votre

cours.

Je vous vois surpris, ce me semble peut-être que vous jugez que ce sujet est trop vaste, et que mon discours sera trop long, ou du moins embarrassé d'une matière si ample; et toutefois il n'en sera pas ainsi, moyennant l'assistance divine. Nous avancerons pas à pas pour ne point confondre les choses, établissant par des raisons convaincantes la dignité de Marie sur sa maternité glorieuse et encore que je reconnaisse que ces vérités sont très-hautes, je ne désespère pas de les déduire aujourd'hui avec une méthode facile. J'avoue que c'est me promettre beaucoup; et à Dieu ne plaise, fidèles, que je l'attende de mes propres forces : j'espère que ce grand Dieu, qui inspire qui il lui plaît, me donnera la grâce aujourd'hui de glorifier son saint nom en la per sonne de la sainte Vierge. Le père s'intéressera

pour sa fille bien-aimée; le fils pour sa chère mère; le Saint-Esprit pour sa chaste épouse. Animé d'une si belle espérance, que puis-je craindre dans cette entreprise? J'entre donc en matière avec confiance; chrétiens, rendez-vous attentifs. PREMIER POINT*.

Dites-moi, je vous prie, chrétiens, après les choses que vous avez ouïes, quelle opinion avezvous de cet aimable enfant qui vient de naître? quel sera-t-il à votre avis dans le progrès de son age? Quis, putas, puer iste erit? Pour moi, je ne puis que je ne m'écrie: O fille mille et mille fois bienheureuse d'être prédestinée à un amour si excessif pour celui qui seul mérite nos affections!

Vous n'ignorez pas que l'amour du Seigneur Jésus, c'est le plus beau présent dont Dieu honore les saints. Dès le commencement des siècles, il était, bien qu'absent, les délices des patriarches. Abraham, Isaac et Jacob ne pouvaient presque modérer leur joie, quand seulement ils songeaient qu'un jour il naitrait de leur race Vous donc, ô heureuse Marie, vous qui le verrez sortir de vos bénites entrailles; vous qui le contemplerez sommeillant entre vos bras, ou attaché à vos chastes mamelles, comment n'en serez-vous point transportée? En suçant votre lait virginal, ne coulera-t-il pas en votre âme l'ambroisie de son saint amour? et quand il commencera de vous appeler sa mère d'une parole encore bégayante; et quand vous l'entendrez payer à Dieu son Père le tribut des premières louanges, sitôt que sa langue enfantine se sera un peu dénouée; et quand vous le verrez dans le particulier de votre maison, souple et obéissant à vos ordres, combien grandes seront vos ardeurs !

I

Mais disons encore qu'une des plus grandes grâces de Dieu, c'est de penser souvent au Sauveur. Oui, certes, il le faut reconnaître, son nom est un miel à la bouche; c'est une lumière à nos yeux, c'est une flamme à nos cœurs : il y a je ne sais quelle grâce, que Dieu a répandue et dans toutes ses paroles et dans toutes ses actions; y penser, c'est la vie éternelle. Pensez-y souvent, fidèles; sans doute vous y trouverez une consolation incroyable. C'était toute la douceur de Marie: nous voyons dans les Évangiles que tout ce que lui disait son fils, tout ce qu'on lui disait de son fils, elle le conservait, elle le repassait mille et mille fois en son cœur : Maria autem conserva

* Bossuet, pour commencer son discours, renvoie ici à un sermon sur la Compassion de la sainte Vierge, imprimé dans ce volume, et il se proposait d'en prendre depuis l'alinéa, Je dis donc, jusqu'à l'alinéa, Et que dirai-je, etc. exclusivement.

'S. Bernard. Serm. XV in Cant. n° 6, , t. I, col. 1311.

bat omnia verba hæc in corde suo1. Il tenait si fort à son âme, qu'aucune force ni violence n'était capable de l'en distraire : car il eût fallu lui tirer de ses veines jusqu'à la dernière goutte de ce sang maternel, qui ne cessait de lui parler de son fils. Comme on voit que les mères prennent une part tout extraordinaire à toutes les actions de leurs fils, [ainsi Marie prenait le plus vif intérêt à tout ce qui regardait son cher fils.] Quelle admiration de sa vie! quels charmes dans ses paroles, quelle douleur dans sa passion! quel sentiment de sa charité ! quel contentement de sa gloire ! et après qu'il fut retourné à son père, quelle impatience de le rejoindre!

Le docte saint Thomas, traitant de l'inégalité qui est entre les bienheureux 2, dit que ceux-là jouiront plus abondamment de la présence divine, qui l'auront en ce monde le plus ardemment désirée ; parce que, comme dit ce grand homme, la douceur de la jouissance va à proportion des désirs. Comme une flèche qui part d'un arc bandé avec plus de violence, prenant son vol au milieu des airs avec une plus grande roideur, entre aussi plus profondément au but où elle est adressée; de même l'âme fidèle pénétrera plus avant dans l'abîme de l'essence divine, le seul terme de ses espérances, quand elle s'y sera élancée par une plus grande impétuosité de désirs. Que si le grand apôtre saint Paul, frappé au vif en son âme de l'amour de Notre-Seigneur, brûle d'une telle impatience de l'aller embrasser en sa gloire, qu'il voudrait voir bientôt ruinée cette vieille masure du corps qui le sépare de Jésus-Christ: Cupio dissolvi et esse cum Christo3; jugez des inquiétudes et des douces émotions que peut ressentir le cœur d'une mère. Le jeune Tobie, par une absence d'un an, perce celui de sa mère d'inconsolables douleurs 4 : quelle différence entre mon Sauveur et Tobie!

S'il est donc vrai, sainte enfant qui nous fournissez aujourd'hui un sujet de méditation si pieux; s'il est vrai que votre grandeur doive croître selon la mesure de vos désirs, quelle place assez auguste vous pourra-t-on trouver dans le ciel? ne faudra-t-il pas que vous passiez toutes les hiérarchies angéliques pour courir à notre Sauveur? C'est là qu'ayant laissé bien loin au-dessous de vous tous les ordres des prédestinés; tout éclatante de gloire, et attirant sur vous les regards de toute la cour céleste, vous irez prendre place près du trône de votre cher fils, pour jouir à jamais de ses plus secrètes faveurs. C'est là qu'étant

Luc. II, 19.

2 I part. Quæst. XII, Art. XI. 3 Phil. 1, 23.

Tob. V, 23 et seqq.

charmée d'une ravissante douceur dans ses embrassements si ardemment désirés, vous parlerez à son cœur avec une efficacité merveilleuse. Eh! quel autre que vous aura plus de pouvoir sur ce cœur, puisque vous y trouverez une si fidèle correspondance; je veux dire l'amour filial qui sera d'intelligence avec l'amour maternel, qui s'avancera pour le recevoir, et qui préviendra ses désirs?

Nous voilà tombés insensiblement sur l'amour dont le Fils de Dieu honore la sainte Vierge. Fidèles, que vous en dirai-je? si je n'ai pu dépeindre l'affection de la mère selon son mérite, je pourrai encore moins vous représenter celle du fils; parce que je suis assuré qu'autant que NotreSeigneur surpasse la sainte Vierge en toute autre chose, d'autant est-il meilleur fils qu'elle était bonne mère. Mais en demeurerons-nous là, chrétiens? cherchons, cherchons encore quelque puissante considération dans la doctrine des Évangiles; c'est la seule qui touche les cœurs : une seule parole de l'Évangile a plus de pouvoir sur nos âmes, que toute la véhémence et toutes les inventions de l'éloquence profane. Disons donc, avec l'aide de Dieu, quelque chose de l'Évangile : et qu'y pou vons-nous voir de plus beau, que ces admirables transports avec lesquels le Seigneur Jésus a aimé la nature humaine? Permettez-moi en ce lieu une briève digression : elle ne déplaira pas à Marie, et ne sera pas inutile à votre instruction ni à mon sujet.

Certes, ce nous doit être une grande joie de voir que notre Sauveur n'a rien du tout dédaigné de ce qui était de l'homme : il a tout pris, excepté le péché; je dis tout jusqu'aux moindres choses, tout jusqu'aux plus grandes infirmités. Je ne le puis pardonner à ces hérétiques qui ayant osé nier la vérité de sa chair, ont nié par conséquent que ses souffrances et ses passions fussent véritables. Ils se privaient eux-mêmes d'une douce consolation: au lieu que reconnaissant que toutes ces choses sont effectives, quelque affliction qui me puisse arriver, je serai toujours honoré de la compagnie de mou Maître. Si je souffre quelque nécessité, je me souviens de sa faim et de sa soif, et de son extrême indigence: si l'on fait tort à ma réputation, « il a été rassasié d'opprobres, » comme il est dit de lui si je me sens abattu par quelques infirmités, il en a souffert jusqu'à la mort si je suis accablé d'ennuis, que je m'en aille au jardin des Olives; je le verrai dans la crainte, dans la tristesse, dans une telle consternation, qu'il sue sang et eau dans la seule appréhension de son supplice. Je n'ai jamais ouï dire

1 Thren. III, 30.

que cet accident fût arrivé à d'autres personnes qu'à lui; ce qui me fait dire que jamais homme n'a eu les passions ni si tendres, ni si délicates, ni si fortes que mon Sauveur, bien qu'elles aient toujours été extrêmement modérées : parce qu'elles étaient parfaitement soumises à la volonté de son Père.

Mais de là, me direz-vous, que s'ensuit-il pour le sujet que nous traitons? C'est ce qu'il m'est aisé de vous faire voir. Quoi donc, notre maître se sera si franchement revêtu de ces sentiments de faiblesse qui semblaient en quelque façon être indignes de sa personne; ces langueurs extrêmes, ces vives appréhensions, il les aura prises si pures, si entières, si sincères : et que sera-ce après cela de l'affection envers les parents; étant très-certain que dans la nature même il n'y a rien de plus naturel, de plus équitable, de plus nécessaire, particulièrement à l'égard d'une mère telle qu'était l'heureuse Marie : car, enfin, elle était la seule en ce monde à qui il eût obligation de la vie ; et j'ose dire de plus qu'en recevant d'elle la vie il lui est redevable et d'une partie de sa gloire, et même en quelque façon de la pureté de sa chair: de sorte que cet avantage, qui ne peut convenir à aucune autre mère qu'à celle dont nous parlons, l'obligeait d'autant plus à redoubler ses affections!

Et n'appréhendez pas, chrétiens, que je veuille déroger à la grandeur de mon Maître par cette proposition, qui n'en est pas moins véritable; bien qu'elle paraisse peut-être un peu extraordinaire, du moins au premier abord : mais je prétends l'établir sur une doctrine si indubitable de l'admirable saint Augustin, que les esprits les plus contentieux seront contraints d'en demeurer d'accord. Ce grand homme considérant que la concupiscence se mêle dans toutes les générations ordinaires, ce qui n'est que trop véritable pour notre malheur, en tire cette conséquence : que cette maudite concupiscence, qui corrompt tout ce qu'elle touche, infecte tellement la matière qui se ramasse pour former nos corps, que la chair qui en est composée en contracte aussi une corruption nécessaire. C'est pourquoi dans la résurrection, où nos corps seront tout nouveaux, c'est-à-dire, tout éclatants et tout purs, ils renaîtront, non de la volonté de l'homme ni de la volonté de la chair, mais du souffle de l'Esprit de Dieu, qui prendra plaisir de les animer quand ils auront laissé à la terre les ordures de leur première génération. Or, comme ce n'est pas ici le lieu d'éclaircir cette vérité, je me contenterai de vous dire, comme pour une preuve infaillible, que c'est la doctrine de saint Augustin, que vous trouverez merveilleusement expliquée en mille beaux en

droits de ses excellents écrits particulièrement | éternel des affections de Dieu et des hommes? dans ses savants livres contre Julien.

Cela étant ainsi, remarquez exactement, s'il vous plaît, ce que j'infère de cette doctrine. Je dis que si ce commerce ordinaire, parce qu'il a quelque chose d'impur, fait passer en nos corps un mélange d'impureté; nous pouvons assurer au contraire, que le fruit d'une chair virginale tirera d'une racine si pure une pureté merveilleuse. Cette conséquence est certaine, et c'est une doctrine constante que le saint évêque Augustin a prise dans les Écritures': et d'autant que le corps du Sauveur, je vous prie, suivez sa pensée; d'autant, dis-je, que le corps du Sauveur devait être plus pur que les rayons du soleil, de là vient, dit ce grand personnage, qu'il s'est choisi dès l'éternité une mère vierge, qu'elle l'engendrât sans aucune concupiscence par la seule vertu de la foi: Ideo virginem matrem, pia fide sanctum germen in se fieri promerentem, de qua crearetur elegit *.

afin

Après ces grands avantages qui sont préparés à Marie, ô Dieu, quel sera un jour cet enfant? Quis, putas, puer iste erit? Heureuse mille et mille fois d'aimer si fort le Sauveur, d'être si fort aimée du Sauveur! aimer le Fils de Dieu, c'est une grâce que les hommes ne reçoivent que de luimême; et parce que Marie est sa mère, et qu'une mère aime naturellement ses enfants : ce qui est grâce pour tous les autres, lui est comme passé en nature. D'autre part, être aimé du Fils de Dieu est une pure libéralité dont il daigne honorer les hommes; et parce qu'il est fils de Marie, et qu'il n'y a point de fils qui ne soit obligé de chérir sa mère : ce qui est libéralité pour les autres, à l'égard de la sainte Vierge devient une obligation. S'il l'aime de cette sorte, il faudra par nécessité qu'il lui donne il ne lui pourra donner autre chose que ses propres biens. Les biens du Fils de Dieu sont les vertus et les grâces; c'est son sang innocent qui les fait inonder sur les hommes : et à quel autre pensez-vous qu'il donnerait plus de part à son sang, qu'à celle dont il a tiré tout son sang? Pour moi, il me semble que ce sang précieux prenait plaisir de ruisseler pour elle à gros bouillons sur la croix, sentant bien qu'en elle était la source de laquelle il était premièrement découlé. Bien plus, ne savons-nous pas que le Père éternel ne peut s'empêcher d'aimer tout ce qui touche de près à son Fils? N'estce pas en sa personne que le ciel et la terre s'embrassent et se réconcilient? n'est-il pas le nœud

1 De Pecc. merit. lib. II, no 38, t. x, col. 61.

* L'auteur renvoie encore ici au second sermon sur la Compassion de la sainte Vierge, déjà cité.

n'est-ce pas là toute notre gloire, et le seul fondement de nos espérances? Comment n'aimerat-il donc pas la très-heureuse Marie, qui vivra avec son Fils dans une société si parfaite? Tout cela semble établi sur des maximes inébranla bles. Mais d'autant que quelques-uns pourraient se persuader que cette sainte société n'a point d'autres liens que ceux de la chair et du sang, mettons la dernière main à l'ouvrage que nous avons commencé : faisons voir en ce lieu, comme nous l'avons promis, avec quels avantages la sainte Vierge est entrée dans l'alliance du Père éternel par sa maternité glorieuse.

SECOND POINT.

C'est ici le point le plus haut et le plus difficile de tout le discours d'aujourd'hui, pour lequel tou tefois il ne sera pas besoin de beaucoup de parofacilitent l'entrée, et que ce ne sera que comme les; parce que nos raisonnements précédents en une suite de nos premières considérations. Or, pour vous expliquer ma pensée, j'ai à vous proposer une doctrine sur laquelle il est nécessaire d'aller avec retenue, de peur de tomber dans l'erreur; et plût à Dieu que je pusse la déduire aussi nettement qu'elle me semble solide. Voici donc de quelle façon je raisonne: cet amour de la Vierge, dont je vous parlais tout à l'heure, ne s'arrêtait pas à la seule humanité de son fils. Non, certes, il allait plus avant; et par l'humanité, comme par un moyen d'union, il passait à la nature divine, qui en est inséparable. C'est une haute théologie qu'il nous faut tâcher d'éclaircir par quelque chose de plus intelligible. N'est-il pas vrai qu'une bonne mère aime tout ce qui touche à la personne de son fils? J'ai déjà dit cela bien des fois, et je ne le recommence pas sans raison. Je sais bien qu'elle va quelquefois plus avant, qu'elle porte son amitié jusqu'à ses amis, et généralement à toutes les choses qui lui appartiennent; mais particulièrement pour ce qui regarde la propre personne de son fils : vous savez qu'elle y est sensible au dernier point. Je vous de Marie: comment touchait-elle à sa personne? demande maintenant, qu'était la divinité au fils lui était-elle étrangère? Je ne veux point ici vous faire de questions extraordinaires; j'interpelle seulement votre foi qu'elle me réponde. Vous dites tous les jours, en récitant le Symbole, que vous croyez en Jésus-Christ, Fils de Dieu, qui est né de la vierge Marie: celui que vous reconnaissez pour le Fils de Dieu tout-puissant, et celui qui est né de la Vierge, sont-ce deux personnes. Sans doute ce n'est pas ainsi que vous l'entendez. C'est le même qui, étant Dieu et homme selon

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