Page images
PDF
EPUB

rer. C'est ainsi qu'imparfaitement et à sa manière, elle glorifie le Père céleste. Mais afin qu'elle consomme son adoration, l'homme doit être son médiateur: c'est à lui à prêter une voix, une intelligence, un cœur tout brûlant d'amour à toute la nature visible, afin qu'elle aime en lui et par lui la beauté invisible de son créateur. C'est pourquoi il est mis au milieu du monde, industrieux abrégé du monde, petit monde dans le grand monde; ou plutôt, dit saint Grégoire de Nazianze2, «grand monde dans le petit monde: » parce qu'encore que selon le corps il soit renfermé dans le monde, il a un esprit et un cœur qui est plus grand que le monde; afin que contemplant l'univers entier, et le ramassant en lui-même, il l'offre, il le sanctifie, il le consacre au Dieu vivant : si bien qu'il n'est le contemplateur et le mystérieux abrégé de la nature visible, qu'afin d'être pour elle, par un saint amour, le prêtre et l'adorateur de la nature invisible et intellectuelle.

Mais, ne nous perdons pas, chrétiens, dans ces hautes spéculations; et disons que l'homme, ce médiateur de la nature visible, avait lui-même besoin d'un médiateur. La nature visible ne pouvait aimer, et pour cela elle avait besoin d'un médiateur pour retourner à son Dieu. La nature humaine peut bien aimer, mais elle ne peut aimer dignement. Il fallait donc lui donner un médiateur aimant Dieu comme il est aimable, adorant Dieu autant qu'il est adorable; afin qu'en lui et par lui nous pussions rendre à Dieu notre Père un hommage, un culte, une adoration, un amour digne de sa majesté. C'est, messieurs, ce médiateur qui nous est formé aujourd'hui par le Saint-Esprit dans les entrailles de Marie. Réjouis-toi, ô nature humaine tu prêtes ton cœur au monde visible pour aimer son Créateur tout-puissant, et Jésus-Christ te prête le sien, pour aimer dignement celui qui ne peut ètre dignement aimé que par un autre lui-même. Laissons-nous donc gagner par ce Dieu aimant : aimons comme ce Dieu aimant : aimons par ce Dieu aimant.

Que croyez-vous, chrétiens, que fait aujourd'hui la divine vierge toute pleine de JésusChrist? Elle l'offre sans cesse au Père céleste : et après avoir épuisé son cœur, rougissant de la pauvreté de l'amour de la créature pour l'immense bonté de son Dieu; pour suppléer à ce défaut, pour compenser ce qui manque, elle offre au Père céleste toute l'immensité de l'amour et toute l'étendue du cœur d'un Dieu-Homme. Faisous ainsi, chrétiens unissons-nous à Jésus, ai

1 Orat. XLII, no 15, t. 1, p. 680.

[ocr errors]

mons en Jésus, aimons par Jésus. Mais, ô Dieu ! quelle pureté! ô Dieu, quel dégagement pour nous unir au cœur de Jésus! O créatures, idoles honteuses, retirez-vous de ce cœur qui veut aimer Dieu par Jésus-Christ: ombres, fantômes, dissipez-vous en présence de la vérité. Voici l'amour véritable qui veut entrer dans ce cœur : amour faux, amour trompeur, veux-tu tenir devant lui ?

Chrétiens, rejetterez-vous l'amour d'un DieuHomme, qui vous presse, qui veut remplir votre cœur, pour unir votre cœur au sien, et faire de tous les cœurs une même victime du saint amour? Vive l'Éternel, mes frères, je ne puis souffrir cette indignité je veux arracher ce cœur de tous les plaisirs qui l'enchantent, de toutes les créatures qui le captivent. O Dieu, quelle violence d'arracher un cœur de ce qu'il aime! il en gémit amèrement; mais quoique la victime se plaigne et se débatte devant les autels, il n'en faut pas moins achever le sacrifice du Dieu vivant. Que je t'égorge devant Dieu, ô cœur profane! pour mettre en ta place un cœur chrétien. Eh quoi! ne me permettrez-vous pas encore un soupir, encore une complaisance? Nul soupir, nulle complaisance que pour Jésus-Christ et par Jésus-Christ. Hé donc, faudra-t-il éteindre jusqu'à cette légère étincelle? Sans doute, puisque la flamme tout entière m'y paraît encore vivante. O dénûment d'un cœur chrétien! pourronsnous bien nous résoudre à ce sacrifice? Un DieuHomme, un Dieu incarné, un Dieu se donnant à nous dans l'eucharistie, en la vérité de sa chair et en la plénitude de son Esprit, le mérite bien.

Venez donc, ô divin Jésus! venez consumer ce cœur. Tirez-nous après vos parfums tirez les grands, tirez les petits; tirez les rois, tirez les sujets tirez surtout, ô Jésus! le cœur de notre monarque, lequel en se donnant tout à fait à vous, ferme comme il est, constant comme il est, est capable de vous entraîner toutes choses, et de vous faire régner par tout l'univers. Ainsi soit-il.

TROISIÈME SERMON

POUR

LA FÊTE DE L'ANNONCIATION. Combien admirables et extraordinaires les abaissements du Dieu-Homme. Pourquoi les moyens les plus efficaces que Dieu a d'établir sa gloire, se trouvent nécessairement joints avec la bassesse. Amour que Dieu a pour l'humilité : quelle part elle a dans le mystère de notre réparation. Antiquité de la promesse de notre salut. Rapports admirables de Marie avec Eve.

véritable modération est une nouveauté extraordinaire, et dont le monde voit si peu d'exemples, qu'il la pourrait justement compter parmi ses raretés les plus précieuses. Mais si c'est un spectacle si nouveau de voir les hommes se contenir dans leur naturelle bassesse, ce sera une nouveauté bien plus admirable de voir un Dieu se dépouiller de sa souveraine grandeur, et descendre du haut de son trône par un anéantissement volontaire. C'est, messieurs, cette nouveauté que l'Église nous représente dans le mystère

Creavit Dominus novum super terram: femina circumda- du Verbe fait chair, et c'est ce qui fait dire à bit virum.

Le Seigneur a créé une nouveauté sur la terre une femme concevra un homme. Jerem. xxx1, 22.

De ce grand et épouvantable débris, où la raison humaine, ayant fait naufrage, a perdu tout d'un coup toutes ses richesses, et particulièrement la vérité pour laquelle Dieu l'avait formée; il est resté dans l'esprit des hommes un désir vague et inquiet d'en découvrir quelque vestige, et c'est ce qui a fait naître dans tous les hommes un amour incroyable de la nouveauté. Cet amour de la nouveauté paraît au monde en plus d'une forme, exerce les esprits de plus d'une sorte. Il se contente de pousser les uns à ramasser dans un cabinet mille raretés étrangères; et les autres, qu'il trouve plus vifs et plus capables d'invention, il les épuise par de grands efforts pour trouver ou quelque adresse inconnue dans les ouvrages de l'art, ou quelque raffinement inusité dans la conduite des affaires, ou quelque secret inouï dans l'ordre de la nature: enfin, pour n'entrer pas plus avant dans cette matière infinie, je me contenterai de vous dire du désir de la nouveauté, qu'il n'est point dans le monde d'appât plus trompeur, ni d'amusement plus universel, ni de curiosité moins bornée que celle de la nouveauté. Pour guérir cette maladie, qui travaille si étrangement la nature humaine, Dieu nous présente aussi dans son Écriture des nouveautés saintes et des curiosités fructueuses: et le mystère de cette journée en est une preuve invincible. Le prophète nous en a parlé comme d'une nouveauté surprenante Creavit Dominus novum super terram : et comme il prépare nos attentions à quelque chose d'extraordinaire, il nous oblige plus que jamais à demander par la mère le secours du Fils; et d'ailleurs c'est aujourd'hui le jour véritable d'employer envers cette Vierge la salutation angélique, et de lui dire avec Gabriel : Ave.

Dans cet empressement universel de toutes les conditions et de tous les âges pour la gloire et pour la grandeur, il faut avouer, chrétiens, qu'une

notre prophète Creavit Dominus novum super terram. Dieu a fait dans le monde une nouveauté, lorsqu'il y a envoyé son Fils humilié et anéanti.

Et en effet je remarque dans cet abaissement du Dieu-Homme deux choses tout à fait extraordinaires. Dieu est le Seigneur des seigneurs, et ne voit rien au-dessus de lui: Dieu est unique dans sa grandeur, et ne voit rien autour de lui qui l'égale. Et voici, ô nouveauté surprenante! que celui qui n'a rien au-dessus de lui se fait sujet et se donne un maître; celui que rien ne peut égaler se fait homme et se donne des compagnons : ce Fils dans l'éternité égal à son père, s'engage à devenir sujet de son Père; ce Fils, relevé infiniment au-dessus des hommes, se met en égalité avec les hommes. Quelle nouveauté, chrétiens! et n'est-ce pas avec raison que le prophète s'écrie que Dieu a fait une nouveauté? O Père céleste! ô hommes mortels! vous recevez aujourd'hui un honneur nouveau dont je ne puis parler sans étonnement. Père, vous n'avez jamais eu un tel sujet : hommes, vous n'avez jamais eu un tel associé.

Venez, mes frères, venez tous ensemble com. templer cette nouveauté que le Seigneur a créée aujourd'hui ; mais en admirant ce nouveau mystère que nous annonce le saint prophète, n'oublions pas ce qu'il y ajoute : « qu'une femme con«< cevra un fils : » Femina circumdabit virum; et apprenant, de ces paroles mystiques, que la bienheureuse Marie a été appelée en société de cet ouvrage admirable: pour la comprendre dans cette fête à laquelle nous savons qu'elle a tant de part, disons que ce Dieu, qui se fait sujet, l'a choisie pour être le temple où il rend à son Pere son premier hommage; et que ce Dieu, qui s'unit aux hommes, l'a choisie comme le canal par lequel il se donne à eux. Et afin de nous expliquer en termes plus clairs, considérons attentivement combien Dieu honore cette sainte Vierge, en ce que c'est en elle qu'il s'anéantit et devient soumis à son Père: c'est ce que nous dirons dans le premier point; en ce que c'est par elle qu'il se com

munique et entre en société avec les hommes : c'est ce que nous verrons dans le second. Et voilà en peu de paroles le partage de ce discours, pour lequel je vous demande vos attentions.

PREMIER POINT.

Ne croyez pas, mes frères, que je vous prêche aujourd'hui cette nouveauté, pour repaître seulement vos esprits par une méditation vaine et curieuse loin de cette chaire de tels sentiments! Ce que je prétends, par tout ce discours, c'est de vous faire aimer l'humilité sainte, cette vertu fondamentale du christianisme; je prétends, dis-je, vous la faire aimer, en vous montrant l'amour que Dieu a pour elle. Il ne peut pas trouver l'humilité en lui-même : car sa souveraine grandeur ne lui permet pas de s'abaisser, demeurant en sa propre nature; il faut qu'il agisse toujours en Dieu, et par conséquent qu'il soit toujours grand. Mais ce qu'il ne peut pas trouver en lui-même, il le cherche dans une nature étrangère. Cette nature infiniment abondante ne refuse point d'aller à l'emprunt : pourquoi? Pour s'enrichir par l'humilité. C'est ce que le Fils de Dieu vient chercher au monde ; c'est pour cette raison qu'il se fait homme, afin que son Père voie en sa personne un Dieu soumis et obéissant.

C'est une verité assez surprenante et néanmoins très-indubitable que dans les moyens infinis que Dieu a d'établir sa gloire, le plus effi- | cace de tous se trouve joint nécessairement avec la bassesse. Il peut renverser toute la nature, il peut faire voir sa puissance aux hommes par mille nouveaux miracles; mais, par un secret merveilleux, il ne peut jamais porter sa grandeur plus haut, que lorsqu'il s'abaisse et s'humilie. Voici une nouveauté bien étrange : je ne sais si tout le monde entend ma pensée; mais la preuve de ce que j'avance paraît bien évidemment dans notre mystère. Saint Thomas a trèsbien prouvé que le plus grand ouvrage de Dieu, c'est de s'unir personnellement à la créature comme il a fait dans l'incarnation. Et sans m'arrêter à toutes ses preuves, qu'il vaut mieux laisser à l'école, parce qu'elles nous emporteraient ici trop de temps, il n'y a personne qui n'entende assez que Dieu, dans toute l'étendue de sa puissance qui n'a point de bornes, ne pouvait rien faire de plus relevé que de donner au monde un Dieu-Homme, un Dieu incarné. Domine, opus tuum : « C'est là, Seigneur, votre grand ouvrage, » et je ne crains point d'assurer que vous ne pouvez rien faire de plus admirable. Que si c'est là son plus grand ouvrage, c'est aussi par conséquent sa plus grande gloire. Cette conséquence est certaine, parce que Dieu ne se glorifie que dans ses ouvrages: Lætabitur Dominus in operibus suis: « Le Seigneur se réjouira dans « ses œuvres. Or ce miracle si grand et si magni fique, Dieu ne le pouvait faire qu'en se rabaissant; selon ce que dit l'apôtre saint Paul 4: Exinanirit semetipsum : « Il s'est lui-même épuisé ⚫et anéanti, en prenant la forme d'esclave. » Disons donc avec le prophète : Dieu a fait une nouveauté. Quelle nouveauté a-t-il faite? Il a voulu porter sa grandeur en son plus haut point; pour cela il s'est rabaissé : il a voulu nous montrer sa gloire dans sa plus grande lumière, vidimus gloriam ejus; et pour cela il s'est revêtu de notre faiblesse : Et habitavit in nobis; et vidimus gloriam ejus 5. Jamais il ne s'est vu plus de gloire, parce qu'il ne s'est jamais vu plus de

bassesse.

[blocks in formation]

Et que ce soit là son dessein, mes frères, vous le pouvez aisément juger par le premier acte qu'il fit en venant au monde au moment de sa bienheureuse incarnation. Peut-être serez-vous bien aises d'apprendre aujourd'hui quel fut le premier acte de cet Dieu-Homme, quelle fut sa première pensée et le premier mouvement de sa volonté? Je réponds, et je ne crains point de vous assurer que ce fut un acte d'obéissance. Par où ai-je appris ce secret, qui m'a découvert ce mystère? C'est le grand apôtre, c'est saint Paul lui-même, dans la divine épître aux Hébreux, où il parle ainsi du Fils de Dieu : « Entrant au << monde il a dit : » Ingrediens; voilà, mes frères, ce que nous cherchons, ce qu'a dit le Fils de Dieu en entrant au monde; et par ce qu'il a dit nous savons ce qu'il pense. Donc entrant au monde, il a dit : Père, « les holocaustes et les sa« crifices pour le péché ne vous ont pas plu: » Holocautomata pro peccato non tibi placuerunt; « alors j'ai dit : J'irai moi-même; » pourquoi? << pour accomplir, ô Dieu! votre volonté : » Tunc dixi, Ecce venio; in capite libri scriptum est de me, ut faciam, Deus, voluntatem tuam 1. N'est-ce pas nous dire en termes formels que le premier acte du Fils de Dieu c'est un acte de soumission et d'humilité, et qu'il est descendu du ciel en la terre pour pratiquer l'obéissance: Ecce venio, ut faciam, Deus, voluntatem tuam?

Mais poussons encore plus loin, et voyons combien Dieu aime l'humilité. O divin acte d'obéissance, par lequel Jésus-Christ commence sa

1 Hebr. x, 5, 6, 7.

vie; nouveau sacrifice d'un Dieu soumis, en quel | dez, attendez; son heure n'est pas encore arritemple serez-vous offert au Père éternel? où vée, et son temple n'a pas reçu sa dernière disest-ce qu'on verra la première fois cet auguste, position. cet admirable spectacle d'un Dieu humilié et obéissant? Ah! ce sera dans les entrailles de la sainte Vierge; ce sera le temple, ce sera l'autel où Jésus consacrera à son Père les premiers vœux de l'obéissance. Et d'où vient, ô divin Sauveur! que vous choisissez cette Vierge pour être le temple sacré où vous rendrez à votre Père céleste vos premières adorations avec une humilité si profonde? C'est l'amour de l'humilité qui l'y oblige; c'est à cause que ce divin temple est bâti sur l'humilité, sanctifié par l'humilité. Le Verbe abaissé et humilié a voulu que l'humilité préparât son temple, et il n'y a point pour lui de demeure au monde, sinon celle que l'humilité aura consacrée.

[ocr errors]

Le voulez-vous voir par l'Écriture, renouvelez, messieurs, vos attentions pour y voir que l'humilité de Marie a mis la dernière disposition que le Fils de Dieu attendait pour établir sa demeure en ce nouveau temple. Je remarque, dans | l'Évangile de ce jour, que dans cet admirable entretien de la sainte Vierge avec l'ange; elle ne lui parle que deux fois. Mais, ô admirables paroles! Dieu a voulu qu'en ces deux réponses nous vissions paraître dans un grand éclat deux vertus d'une beauté souveraine, et capables de charmer le cœur de Dieu même®: l'une est la pureté virginale; l'autre, une humilité très-profonde.

"

L'ange Gabriel annonce à Marie qu'elle concevra le Fils du Très-Haut, le roi et le libérateur d'Israël. Qui pourrait s'imaginer, chrétiens, qu'une femme pût être troublée d'une si heureuse nouvelle? Quelle espérance plus glorieuse lui peut-on donner? quelle promesse plus magnifique? mais quelle assurance plus grande, puisque c'est un ange qui lui parle de la part de Dieu? Et néanmoins Marie est troublée; elle craint, elle hésite: peu s'en faut qu'elle ne réponde que la chose ne se peut faire : « Comment cela se pourrait-il faire, puisque j'ai résolu de demeuarer vierge? Quomodo? Voyez, mes frères, qu'elle s'inquiète pour sa pureté virginale. Si je conçois le Fils du Très-Haut, ce me sera, vérité, une grande gloire; mais, ô sainte virginité! que deviendrez-vous? je ne puis consentir à vous perdre. O pureté admirable, qui n'est pas seulement à l'épreuve de toutes les promesses des hommes; mais encore, et voici bien plus, de toutes les promesses de Dieu! Qu'attendezvous, ô Verbe divin, chaste amateur des âmes pudiques? qu'est-ce qui vous fera venir sur la terre, si cette pureté ne vous y attire? Atten

1 Luc. 1, 34.

[ocr errors]

à la

[ocr errors]

:

2

En effet, l'ange répond à Marie : « Le SaintEsprit surviendra en vous: » Spiritus sanctus surperveniet in te . Il surviendra, dit-il; il n'était donc pas encore venu. Telle est la première parole de la sainte Vierge, qui a été prononcée par la pureté. Écoutez maintenant la seconde : Ecce ancilla Domini, fiat mihi secundum verbum tuum : « Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon ta parole. » Vous voyez assez de vous-même, sans qu'il soit nécessaire que je vous le dise, que c'est l'humilité qui parle en ce lieu; voilà le langage de l'obéissance. Marie ne s'élève pas par sa nouvelle dignité de mère de Dieu; et sans se laisser emporter aux transports d'une joie si juste, elle déclare seulement sa soumission. Et aussitôt les cieux sont ouverts, tous les torrents des grâces tombent sur Marie, l'inondation du Saint-Esprit la pénètre toute le Verbe se fait un corps de son sang trèspur; « le Père la couvre de sa vertu : » Virtus Allissimi obumbrabit tibi 3; et ce Fils qu'il engendre toujours dans son sein, parce qu'il est si grand, si immense, si je puis parler de la sorte, qu'il n'y a que l'infinité du sein paternel qui soit capable de le contenir, il l'engendre dans le sein de la sainte Vierge. Comment s'est pu faire un si grand miracle? C'est que l'humilité l'a rendue capable de contenir l'immensité même. C'est à cause de l'humilité, ô heureuse Vierge! que vous recevez en vous, la première, celui qui est des tiné pour tout le monde, qui a été promis et attendu tant de siècles: Ecce Domini mei per tanta retro sæcula promissum, prima suscipere mereris adventum. Vous devenez le temple d'un Dieu incarné, et l'humilité qui vous a remplie lui rend cette demeure si agréable, que par une grâce particulière il veut que vous possédiez toute seule, durant l'espace de neuf mois « entiers, l'espérance de la terre, la gloire des siècles, le bien commun de tout l'univers : Spem terrarum, decus sæculorum, commune omnium gaudium peculiari munere sola possi des 5. Tant il est vrai que l'humilité est la source de toutes les grâces, et qu'elle seule peut attirer Jésus-Christ en nous.

a

[ocr errors]

Ah! je ne m'étonne pas, chrétiens, si Dieu paraît, si fort éloigné des hommes, ni s'il retire le nous ses miséricordes : c'est que l'humilité est

[blocks in formation]

:

bannie du monde. Un homme humble je l'ai
déjà dit, mais il faut le redire encore; un homme
retenu et modeste, c'est une rareté presque
inouïe. Hé bien, néant superbe, que faut-il pour
te rabaisser, si un Dieu anéanti n'y suffit pas?
Il n'a rien au-dessus de lui, et il se donne un
maître en se faisant homme : et toi, resserré de
toutes parts dans les chaînes de ta dépendance,
tu ne peux prendre un esprit soumis! Mais peut-
être que vous me direz: Je suis si souple, je suis
si soumis; je fais ma cour si adroitement,
et je
sais si bien m'abaisser.... Ah! ne croyez pas m'im-
poser par cette apparence modeste. Est-ce que je
ne vois pas clairement que tu ne te soumets que
par un principe d'orgueil? est-ce que je ne lis pas
dans ton cœur que tu ne t'abaisses sous ceux que
l'on nomme les tout-puissants, tant la vanité est
aveugle! qu'afin de dominer sur les autres? I!
faut que l'orgueil soit enraciné bien profondément
dans vos âmes, puisque même vous ne pouvez
vous humilier que par un sentiment d'arrogance.
Mais cette arrogance que vous nous cachez, parce
qu'elle nuirait à votre fortune; s'il vient à luire
sur vous un petit rayon de faveur, paraîtra bien-
tôt dans toute sa force.

le seul sage, le seul bienheureux, Roi des rois, Seigneur des seigneurs, unique en sa majesté, inaccessible en son trône, incomparable en sa puissance. Les hommes n'ont point de termes assez énergiques pour parler dignement de cette unité; et voici néanmoins, messieurs, des paroles de Tertullien qui nous en donnent, ce me semble, une grande idée, autant que le peut permettre la faiblesse humaine. Il appelle Dieu « le souverain « grand, » summum magnum : « mais il n'est souverain, dit-il qu'à cause qu'il surmonte tout le reste,» summum victoria sua constat1. « Et ainsi, ne souffrant rien qui l'égale, il laisse tel«<lement au-dessous de soi tout ce qu'on pourrait << mettre à l'égal de lui, qu'il se fait lui-même une solitude par la singularité de son excellence : » atque ex defectione æmuli solitudinem quamdam de singularitate præstantiæ suæ possidens, unicum est.

[ocr errors]
[ocr errors]

Voilà une manière de parler étrange : mais cet homme, accoutumé aux expressions fortes, semble chercher des termes nouveaux, pour parler d'une grandeur qui n'a point d'exemple. Est-il rien de plus majestueux ni de plus auguste que cette solitude de Dieu ? Pour moi je me représente, messieurs, cette Majesté infinie toute resserrée en elle-même, cachée dans ses propres lumières, séparée de toutes choses par sa propre étendue, qui ne ressemble pas les grandeurs humaines, où il y a toujours quelque faible, où ce qui s'élève d'un côté s'abaisse de l'autre ; mais qui est de tous côtés également forte et également inaccessible. Qui ne s'étonnerait donc, chrétiens, de voir cet Unique, cet Incomparable, qui sort de cette auguste solitude pour se faire des compagnons; nouveauté admirable! et encore quels compagnons des hommes mortels et pécheurs? Non

O cœur plus léger que la paille! cette prospérité inopinée t'emporte jusqu'à ne pouvoir plus te reconnaître. Et comment as-tu si fort oublié et la boue dont tu sors peut-être, et toutes les faiblesses qui t'environnent! Rentre, ô superbe, dans ton néant; et apprends de la sainte Vierge à ne te pas laisser éblouir par l'éclat et par la douceur d'une grandeur nouvelle et imprévue. Cette haute dignité de mère de Dieu ne fait que l'abaisser davantage; mais cet abaissement fait sa gloire. Dieu ravi d'une humilité si profonde, vient lui-même s'humilier dans ses entrailles; mais ce n'est pas encore toute sa grandeur. Si ceangelos apprehendit3: « Il ne s'est point arrêté Dieu résolu de s'anéantir, veut s'anéantir dans Marie; ce même Dieu qui veut se donner aux hommes, leur fait ce présent par Marie: c'est ce que j'ai à vous dire dans ce second point, qui finira bientôt ce discours.

SECOND POINT.

« aux anges, » quoiqu'ils fussent pour ainsi dire les plus proches de son voisinage. Il est venu à pas de géant, « sautant, dit l'Écriture, toutes les « montagnes, »> c'est-à-dire, passant tous les chœurs des anges; il a cherché la nature humaine, que sa mortalité avait reléguée au plus bas étage de l'univers, et qui avait encore ajouté l'éloignement Voici, messieurs, une nouveauté qui n'est du péché à l'inégalité de la condition : néanmoins pas moins surprenante que la première ; et si vous il se l'est unie, Apprehendit; il l'a saisie en l'âme avez été étonnés de voir un Souverain qui se fait et au corps, il s'est fait une chair semblable à la sujet, je crois que vous ne le serez pas moins de nôtre. Enfin, ô bonté! ô miséricorde! enfin ce voir l'Unique et l'Incomparable qui se donne des Dieu en devenant homme, « afin que nous entrions compagnons, et qui entre en société avec les hom- « en société avec lui,» ut et nos societatem hames: Et habitavit in nobis : c'est le mystère debeamus cum eo est venu traiter d'égal avec cette journée. Pour bien entendre cette nouveauté, formez-vous en votre esprit une forte idée de cette parfaite unité de Dieu qui le rend infini, incommunicable, et unique en tout ce qu'il est. Il est

[ocr errors]

1 Advers. Marcion. lib. 1, no 3.
2 Ibid. n° 4.

3 Hebr. II, 16.

4 Cant. II,

8.

5 I. Joan. 1, 3, 6.

« PreviousContinue »