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retirer, et descend du ciel en la terre pour chercher son épouse qui s'y est perdue: Venit quærere quod perierat 1. La manière dont il se sert pour nous délivrer montre assez, si nous l'entendons, que c'est la jalousie qui le fait agir: car il n'envoie ni ses anges, ni ses archanges, qui sont les ministres ordinaires de ses volontés. Il a peur que son épouse volage, devant sa liberté à d'autres qu'à lui, ne partage encore son cœur, au lieu de le conserver tout entier à son Époux légitime; c'est pourquoi il vient lui-même en personne : Deus ipse veniet, et salvabit nos 2. S'il faut des supplices, c'est lui qui les souffre; s'il faut du sang, c'est lui qui le donne; afin que nous comprenions que c'est à lui que nous devons tout, et que nous lui consacrions tout notre amour, comme nous tenons de lui seul tout notre salut.

De là vient que nous lisons, dans son Écriture, qu'il n'est pas moins jaloux de sa qualité de Sauveur que de celle de Seigneur et de Dieu. Écoutez de quelle sorte il en parle : Ego Dominus, et non est ultra Deus absque me : Deus justus, et sal- | vans non est præter me 3. Ne vous semble-t-il pas, chrétiens, que ce Dieu jaloux adresse sa voix à la nature humaine infidèle, ainsi qu'un amant passionné, mais dont on a méprisé l'amour. O volage! ô prostituée ! qui m'as quitté pour mon ennemi, regarde que c'est moi qui suis le Seigneur, et il n'y a point de Dieu que moi : mais considère encore, ô parjure, infidèle, qu'il n'y a que moi qui te sauve; et si tu m'as oublié après t'avoir créée, reviens du moins à moi quand je te délivre. Voyez comme il est jaloux de sa qualité de Sauveur. Et ailleurs, se glorifiant de l'ouvrage de notre salut: « C'est moi, c'est moi, dit-il, qui l'ai fait; ce ne sont ni mes anges, ni mes archanges, ni aucune des vertus célestes : c'est moi seul qui l'ai fait, c'est moi seul qui vous porterai sur mes épaules; enfin c'est moi seul «qui vous sauverai : » Ego feci : ego feram, ego portabo, ego salvabo 4: tant il est jaloux de cette gloire; et c'est, mes sœurs, cette jalousie qui l'attache sur cette croix, dont nous célébrons aujour d'hui la fête.

Car, dit excellemment saint Jean-Chrysostômes, comme un amant passionné, voyant celle qu'il recherche avec tant de soin gagnée par les présents de quelque autre, qui prétend à ses bonnes grâces, multiplie aussi sans mesure les marques de son amitié pour emporter le dessus; de même en est-il du Sauveur des âmes. Il voit que

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nous recevons à pleines mains les présents de son rival, qui nous amuse par une pomme, qui nous gagne par des biens trompeurs qui n'ont qu'une légère apparence: pour détourner nos yeux et nos cœurs de ses libéralités pernicieuses, il redouble ses dons jusqu'à l'infini; et son amour excessif voulant faire un dernier effort, le fait enfin monter sur la croix, où il nous donne non-seulement sa gloire et son trône, mais encore son corps et son sang, et sa personne et sa vie : enfin, se donnant lui-même, que ne nous donne-t-il pas ? Et nous faisant un si grand présent, il me semble qu'il nous dit à tous: Voyez si ce prétendant que vous écoutez pourra jamais égaler un tel amour et une telle munificence. C'est ainsi qu'il parle, c'est ainsi qu'il fait; et nous pourrions nous défendre d'une jalousie si obligeante !

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Mais, ma sœur, si l'Époux céleste a l'ardeur et les transports des jaloux, il en a les regards et la vigilance. Il a des yeux de jaloux, toujours ouverts, toujours appliqués pour veiller sur vous, pour étudier tous vos pas, pour observer toutes vos démarches. J'ai remarqué dans le saint cantique deux regards de l'Époux céleste : il y a un regard qui admire, et c'est le regard de l'amant il y a un regard qui observe, et c'est le regard du jaloux. « Que vous êtes belle, ô fille << de prince! » dit l'Époux à la chaste épouse1. Cette ardente exclamation vient d'un regard qui admire, et il n'est pas indigne du divin Époux, dont il est dit dans son Évangile qu'il admira la foi du Centenier. Mais voulez-vous voir maintenant quel est le regard du jaloux ? « Il est venu, dit l'Épouse, le bien-aimé de mon cœur, regar« dant par les fenêtres, guettant par les treillis : » Dilectus meus venit, respiciens per fenestras, prospiciens per cancellos 3. Il vient en cette sorte pour vous observer, et c'est le regard de la jalousie de là naissent et ces grilles et cette clôture. Il vous renferme soigneusement, il rend de toutes parts l'abord difficile; il compte tous vos pas, il règle votre conduite jusqu'aux moindres choses: ne sont-ce pas des actions d'un amant jaloux? Il n'en fait pas ainsi au commun des hommes: mais c'est que s'il est jaloux des autres fidèles, il l'est beaucoup plus de ses épouses. Étant donc ainsi observée de près, pour vous garantir des effets d'une jalousie si délicate, il ne vous reste, ma sœur, qu'une obéissance toujours ponctuelle, et un entier abandonnement de vos volontés. C'est ce que je vous recommande en finissant ce discours; et afin que vous compreniez combien cette obéissance vous est néces

:

1 Cant. VII, 1, 6.

2 Matth. VIII, 10.

3 Cant. II, 9.

saire, je vous dirai la raison pour laquelle elle vous défend de la jalousie de votre Époux.

Ce qui excite Dieu à jalousie, c'est lorsque l'homme se veut faire Dieu, et entreprend de lui ressembler. Mais il ne s'offense pas de toute sorte de ressemblance: car il nous a faits à son image, et il y a de ses attributs dans lesquels il n'est pas jaloux que nous tâchions de lui ressembler; au contraire, il nous le commande. Par exemple, voyez sa miséricorde, combien riche, combien éclatante; il vous est ordonné de vous conformer à cet admirable modèle: Estote misericordes, sicut et Pater vester misericors est : « Soyez miséricordieux, comme l'est votre Père cé«<leste. » Ainsi, comme il est véritable, vous pou- | vez l'imiter dans sa vérité : il est juste, vous pouvez le suivre dans sa justice : il est saint; et encore que sa sainteté semble être entièrement incommunicable, il ne se fâche pas toutefois que vous osiez porter vos prétentions jusqu'à l'honneur de lui ressembler dans ce merveilleux attribut; lui-même vous y exhorte: « Soyez saints. «< parce que je suis saint: » Sancti estote, quoniam ego sanctus sum1.

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la sage abbesse qui vous gouverne vous doit faire trouver la soumission non-seulement fructueuse, mais encore douce et désirable. Mais quand vous auriez à souffrir une autre conduite; de quelle obéissance vous pourriez-vous plaindre, en voyant celle du Sauveur des âmes, et à la volonté de quels hommes l'a livré et abandonné son Père céleste? Ç'a été à la volonté de Judas, à celle de Pilate et des pontifes, à celle des soldats inhumains qui, ne gardant avec lui aucune mesure, ont fait de lui tout ce qu'ils ont voulu : Fecerunt in eo quæcumque voluerunt. Après cet exemple de soumission, vous ne sauriez descendre assez bas; et vous devez chérir les dernières places, qui, depuis l'abaissement du Dieu-Homme, s devenues désormais les plus honorables.

SERMON

POUR UNE PROFESSION.

SUR LA VIRGINITÉ.

sont

Sainte séparation et chaste union, deux choses dans les

quelles consiste la sainte virginité : combien elle est måle et généreuse. De quelle manière, en établissant son siége dans l'àme, rejaillit-elle sur le corps. Avec quel soin les vierges doivent garder tous leurs sens. D'où vient la sainte virginité a-t-elle tant d'attraits pour le Sauveur. Saint ravissement des vierges, et leurs priviléges. Précautions qui leur sont nécessaires, pour être saintement unies à leur Époux. Son amour et sa jalousie ses deux regards sur elles. Qu'est-ce qui cause sa retraite. Funestes effets de l'orgueil : avantages

de l'humilité.

Emulor vos Dei æmulatione : despondi enim vos uni

viro, virginem castam exhibere Christo.

Quelle est donc cette ressemblance qui lui cause tant de jalousie? C'est lorsque nous lui voulons ressembler dans l'autorité souveraine, lorsque nous voulons l'imiter dans l'honneur de l'indépendance, et prendre pour loi notre volonté, comme lui-même n'a point d'autre loi que sa volonté absolue. C'est là le point chatouilleux, c'est là l'endroit délicat ; c'est alors que sa jalousie repousse avec violence tous ceux qui veulent s'approcher ainsi de sa majesté souveraine. Par conséquent, si sa jalousie s'irrite seulement contre notre orgueil; qui ne voit que la soumission est l'unique moyen pour nous en défendre? Il est jaloux quand vous prenez pour loi votre volonté. Pour empêcher les effets de sa jalousie, abandonPuisque la sainte cérémonie par laquelle vous nez votre volonté. Soyons des dieux, il nous est vous consacrez au Sauveur avec la bénédiction permis, par l'imitation de sa justice, de sa bonté, de l'Église, vous met au nombre des vierges sade sa sainteté, de sa miséricorde toujours bien- crées, et vous joint à la troupe innocente de ces faisante. Quand il s'agira de puissance et d'auto-filles choisies et bien aimées, qui doivent être rité, tenons-nous dans les bornes d'une créature, et ne portons pas nos désirs à une ressemblance si dangereuse.

Mais si nous ne pouvons ressembler à Dieu dans cette souveraine indépendance, admirons, mes sœurs, sa bonté suprême, qui a voulu nous ressembler dans la soumission. Jetez les yeux de

la foi sur ce Dieu obéissant jusqu'à la mort, et à la

mort de la croix. A la vue d'un abaissement si

profond, qui pourrait refuser de se soumettre?

Vous vivez, ma sœur, dans un monastère, où

Luc. VI, 36.

2 Levit. XI, 44.

J'ai pour vous un amour de jalousie, et d'une jalousie de Dieu; parce que je vous ai fiancée à cet unique Époux, qui est Jésus-Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge toute pure. II. Cor. xi, 2.

conduites au Roi, selon la prophétie du Psalmiste2; pour vous faire connaître avec évidence quelle est la profession que vous faites, il est nécessaire que vous pénétriez ce que c'est que la virginité chrétienne, dont les anciens docteurs nous ont fait de si grands éloges. C'est aussi ce rant qu'il vous a unie, comme une vierge chaste que vous enseigne le divin apôtre, en vous assu

Christ; et il vous montre, par ces paroles, que la et pudique, à un seul homme, qui est Jésus

1 Matth. XVII, 12.
2 Ps. XLIV, 15.

sainte virginité consiste principalement en deux, de l'Église, dont tous les membres ont des dons choses. Mais pour entendre un si grand mystère, divers, selon que l'Esprit de Dieu les anime. C'est remontons jusqu'au principe, et supposons avant de là que nous apprenons cette belle et importoutes choses que cet Époux immortel, que votre tante leçon, que la perfection du christianisme virginité vous prépare, a deux qualités admira- consiste à nous acquitter de la fonction à laquelle bles. Il est infiniment séparé de tout par la pureté le Saint-Esprit nous destine. Car comme le corps de son être il est infiniment communicatif par humain est parfait lorsque l'œil discerne bien les un effet de sa bonté. objets, et l'ouïe, la différence des sons; lorsque l'estomac prépare au reste du corps la nourriture qui lui est propre, que le poumon rafraîchit le cœur, et que le cœur fomente le corps par cette chaleur douce et vivifiante qui réside en lui comme dans sa source; et enfin lorsque les organes exécutent fidèlement ce que la nature leur a commis ainsi la perfection du corps de l'Église, c'est que tous les membres de Jésus-Christ exercent constamment l'action qui leur est particulièrement destinée, et que chacun rapporte son opération à la fin du divin Esprit qui nous meut et qui nous gouverne. C'est sans doute pour cette raison, mes très-chères sœurs, que vous avez désiré de moi que je vous entretinsse aujourd'hui de la sainte profession à laquelle le SaintEsprit vous a appelées; et pour contenter ce pieux désir, considérons, avant toutes choses, pourquoi vous vous êtes retirées du monde à quoi vous avez été destinées; quel est votre nom, quel est votre titre, quelle est votre fonction dans l'Église.

Quand j'entends le Seigneur Jésus qui enseigne à Marthe empressée, qu'il n'y a qu'une chose qui soit nécessaire 1; je remarque en cette parole la condamnation infaillible de la vanité des enfants des hommes. Car si le Fils de Dieu nous apprend que nous n'avons tous qu'une même affaire, ne s'ensuit-il pas clairement que nous nous consumons de soins superflus, que nous ne concevons que de vains desseins, et que nous ne repaissons nos esprits que de creuses imaginations, nous qui sommes si étrangement partagés parmi tant d'occupations différentes? tellement que ce divin Maitre, nous rappelant à l'unité seule, condamne la folie et l'illusion de nos désirs inconsidérés, et de nos prétentions infinies: d'où il est aisé de conclure que la solitude que les hommes fuient, et les cloîtres qu'ils estiment autant de prisons, sont les écoles de la véritable sagesse; puisque tous les soins du monde en étant exclus avec leur empressante multiplicité, on n'y cherche que l'unité nécessaire, qui seule est capable d'établir les cœurs dans une tranquillité immuable.

C'est, madame, à cette unité que vous invite le divin apôtre, quand il vous assure aujourd'hui qu'il vous a unie pour toujours, comme une vierge chaste et pudique, à un seul homme qui est Jésus-Christ, Uni viro. C'est en effet à cet unique Époux que votre profession vous consacre; et la sainte virginité, que vous lui offrez en ce jour, vous sépare de toutes choses pour vous attacher à lui seul. Mais avant que de traiter un si grand mystère, recourons tous d'une même voix, à la mère et au modèle des vierges, et implorons sa bienheureuse assistance, en la saluant avec l'ange, et disant, Ave, Maria.

I importe infiniment au salut des âmes de considérer sérieusement un endroit admirable du divin apôtre 2, où cet excellent maître des Gentils nous représente l'économie de l'Église dans la diversité des opérations qui font l'harmonie de ce corps mystique. Il se fait, dit-il, en l'Église une certaine distribution de grâces; et comme nous voyons que le corps humain se conserve par les fonctions différentes de chacun des membres qui le composent, ainsi en est-il du corps

1 Luc. X, 42.

1 Rom. XII, 4 et seq.

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Vous êtes, mes sœurs, ces filles choisies qui devez être conduites au Roi, selon la prophétie du Psalmiste; vous êtes les vierges de JésusChrist et les chastes épouses du Sauveur des âmes de sorte que, pour connaître avec évidence quelle est la profession que vous faites, il est nécessaire que vous pénétriez ce que c'est que la virginité chrétienne à laquelle vous avez été consacrées. C'est aussi ce que vous enseignera le divin apôtre, en vous assurant qu'il vous a unies, comme une vierge chaste et pudique, à un seul homme, qui est Jésus-Christ. Mais pour entendre le sens de ce beau passage, disons que la virginité chrétienne consiste en une sainte séparation et en une chaste union. Cette séparation fait sa pureté, cette chaste et divine union est la cause des délices spirituelles que la grâce fait abonder dans les âmes vraiment virginales.

Que le principe de la pureté soit une séparation salutaire, vous le comprendrez aisément, si vous remarquez que nous appelons impur ce qui est mêlé, et que nous estimons pur et net ce qui, étant uni en soi-même, n'est gâté ni corrompu par aucun mélange. Par exemple, tant qu'une fontaine se conserve dans son canal, telle qu'elle est sortie de la roche qui lui a donné sa naissance, elle est nette, elle est pure; elle ne paraît point corrompue. Que si par l'impétuosité de son cours

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elle agite trop violemment la terre sur laquelle | Si nous étions faits pour nous-mêmes, nous pour elle passe, et qu'elle en détache quelque partie rions ne vivre aussi qu'en nous-mêmes; mais qu'elle entraîne avec elle parmi ses eaux; aussi-puisqu'il n'y a que notre grand Dieu qui puisse tôt vous lui voyez perdre toute sa netteté natu- être lui-même sa félicité, il faut que nos mouverelle; elle cesse visiblement d'être pure, sitôt ments tendent hors de nous, si nous voulons jouir qu'elle commence d'être mêlée. de quelque repos. Donc la vierge vraiment chrétienne, crainte que sa pureté perde son éclat, s'at tache uniquemement à celui dans lequel nous vous avons dit que la pureté prend son origine. Regardez, mes très-chères sœurs, regardez le Verbe divin votre époux; c'est à lui que vous devez vous unir, après vous être purifiées par le mépris général des biens de la terre: si bien que j'ai eu raison de vous dire que la virginité chrétienne, c'est une sainte séparation et une bienheureuse union. De là vient que l'apôtre saint Jean voulant décrire la gloire des vierges, les représente sur une montagne avec l'Agneau 1. D'où vient qu'elles sont sur une montagne élevée bien haut au-dessus du monde, si ce n'est que la virginité les sépare? et d'où vient qu'elles sont avec l'Agneau, si ce n'est que la virginité les unit? C'est aussi ce que nous enseigne l'apôtre, dans le passage que nous expliquons : « Je vous ai promises, dit-il, à un « seul. » Qui ne voit la séparation dans cette unité, puisque le propre de l'unité est d'exclure? Mais, ajoute le même saint Paul, « Je vous ai promises

Mais élevons plus haut nos pensées, et considérons en Dieu même la preuve de la vérité que j'avance. La théologie nous enseigne que Dieu est un être infiniment pur elle dit qu'il est la pureté même. En quoi est-ce que nous remarquons cette pureté incompréhensible de l'Etre divin, sinon en ce que Dieu est d'une nature entièrement dégagée, libre de toute altération étrangère, sans mélange, sans changement, sans corruption? et s'il nous est permis de parler, en bégayant, de si grands mystères, nous pouvons dire que son essence n'est qu'une indivisible unité, qui ne reçoit rien de dehors; parce qu'elle est infiniment riche, et qu'elle enferme toutes choses en elle-même, dans sa vaste et immense simplicité. C'est pour cette raison, mes très-chères sœurs, autant que notre faiblesse le peut comprendre, que l'être de notre Dieu est si pur; parce qu'il est infiniment séparé, et qu'il ne souffre rien en lui-même que ses propres perfections, qui ne sont autre chose que son essence. Cette première pureté, de laquelle toute pureté prend son origine, se répandant par degrés sur les créatures, ne trouve rien de plus proche d'elle que les intelligences célestes, qui sans doute sont d'autant plus pures qu'elles sont plus éloignées du mélange, étant séparées de toute matière; et de là vient que nous les appelons esprits purs.

Selon ces principes, mes très-chères sœurs, il faut que vous soyez séparées; et quoique vos âmes se trouvent liées à un corps mortel, par leur condition naturelle, il faut nécessairement vous en détacher en purifiant vos affections. C'est pourquoi le prophète Isaïe, voulant exhorter à la pureté les enfants de la nouvelle alliance, il les invite à une sainte séparation : « Retirez-vous, retirez-vous, leur dit-il, sortez de là, ne touchez « point aux choses souillées, soyez purs1. » Par où vous voyez, sans difficulté, que c'est le détachement qui nous purifie : de sorte que, la virginité chrétienne étant la perfection de la pureté, il s'ensuit que pour être vierge, selon la discipline de l'Évangile, il faut une séparation très-entière,

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et un détachement sans réserve.

Mais faudra-t-il donc, direz-vous, que les vierges, pour être pures, demeurent éternellement séparées, sans attacher leur affection à aucun objet? Nullement, ce n'est pas là ma pensée.

1 Is. LII.

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à un seul mari. » Qui ne voit, dans ce mariage divin et spirituel, la chaste union que je vous propose? Parlons donc de cette séparation salutaire qui établit votre pureté, et de cette mystérieuse union qui vous fera goûter les plaisirs cé lestes dans les chastes embrassements du Sauveur. Chères sœurs, c'est en ces deux choses que consiste la virginité chrétienne, et ce sont aussi ces deux choses que je traiterai aujourd'hui, avec le secours de la grâce.

PREMIER POINT.

Si nous entendons bien ce que c'est que l'homme, nous trouverons que nous sommes comme suspendus entre le ciel et la terre, sans qu'on puisse bien décider auquel des deux nous appartenons. Il n'y a point au monde une si étrange composition que la nôtre : une partie de nous est bêtes; l'autre est si haute et si relevée, qu'elle tellement brute, qu'elle n'a rien au-dessus des semble nous égaler aux intelligences. Qui pourrait lire, sans s'étonner, de quelle sorte Dieu forme l'homme? Premièrement il prend de la boue; est-il une matière plus vile? après il y inspire un souffle de vie, il y grave son image et sa res semblance; est-il rien de plus admirable? C'est Pourquoi je vous disais, chrétiens, que nous sommes entre le ciel et la terre, et qu'il semble

Apoc. XIV, 1 et seq.

que l'un et l'autre puissent disputer à qui nous appartenons à plus juste titre. Notre mortalité nous donne à la terre, l'image de Dieu nous adjuge au ciel ; et nous sommes tellement partagés, qu'il semble qu'on ne puisse faire justice sur ce différend, sans nous ruiner et sans nous détruire par une distraction violente : toutefois il n'en est pas de la sorte. La sage providence de Dieu ne laisse pas notre condition si fort incertaine, que cette importante difficulté ne puisse être facilement terminée.

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Mais qui jugera donc un si grand procès? Qui décidera cette question, qui met toute la nature en dispute? Chrétien, n'en doute pas, ce sera toi-même. L'homme est la matière de tout le procès, et il en est lui-même le juge. Oui, nous pouvons prononcer souverainement si nous sommes de la terre ou du ciel : selon que nous tournerons nos inclinations, ou nous serons des animaux bruts, ou nous serons des anges célestes. C'est pourquoi, dit saint Augustin, Dieu a formé l'homme avec l'usage de son libre arbitre; animal terrestre, mais digne du ciel, s'il sait s'attacher à son Créateur: » Terrenum animal, sed cœlo dignum, si suo cohæreret Auctori1. Ne nous plaignons pas, chrétiens, si cet esprit, d'une nature immortelle, est lié à une chair corruptible. Dieu, qui par un très-sage conseil a trouvé bon de le mêler à cette matière, lui a inspiré une secrète vertu, par laquelle il s'en peut aussi détacher avec le secours de sa grâce; et si nous conservons à l'image de Dieu, c'est-à-dire, à la raison qu'il nous a donnée, la prééminence qui lui est due, ce corps même (qui n'en serait étonné?), oui, ce corps, tout pesant, tout mortel qu'il est, passera au rang des choses célestes; parce que l'âme, qui est la partie principale, à laquelle appartient le domaine, attirera son corps avec elle, non-seulement comme un serviteur très-obéissant, mais encore comme un compagnon très-fidèle.

Ainsi je vous exhorte, mes frères, par les paroles d'un saint apôtre, que vous vous dépouilliez de l'homme animal. Défaites-vous de l'homme terrestre, qui n'a que des désirs corrompus3: déclarez-vous, par une juste sentence, venus du ciel, et faits pour le ciel en rejetant les affections corporelles qui vous tiennent attachés à la terre. • Retirez-vous, retirez-vous; soyez purs, ne touchez point aux choses immondes, et je vous recevrai, dit le Seigneur 4. » Mais c'est à vous, vierges sacrées, chastes épouses du Sauveur des

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âmes, c'est à vous que cette séparation salutaire est particulièrement commandée : car s'il est vrai que la pureté n'est autre chose qu'un détachement, comme nous l'avons très-bien établi, considérez sérieusement en vous-mêmes combien vous devez être détachées, puisque la profession que vous faites de la sainte virginité vous oblige à la pureté la plus éminente.

L'Ange de l'école m'apprend une belle et solide doctrine, qui confirme bien cette vérité. Nous voyons que, parmi les vertus morales, il y en a, si je le puis dire, de moins vigoureuses, qui se contiennent en certaines bornes : mais il y a des vertus généreuses, qui ne sont jamais satisfaites, jusqu'à ce qu'elles soient parvenues à ce qu'il y a de plus relevé. Par exemple, le courageux est assuré contre les périls dans les entreprises considérables; mais le magnanime va plus loin encore car à peine peut-il trouver ni des entreprises assez hardies, ni aucun péril assez grand qui mérite d'exercer toute sa vertu. Le libéral use de ses biens, et sait les employer honorablement, selon que la droite raison l'ordonne; mais il y a une certaine libéralité plus étendue et plus généreuse, qui affecte, ce semble, la profusion; et c'est ce que nous appelons la magnificence. Le grand saint Thomas nous enseigne que cette belle et admirable vertu que la philosophie n'a jamais connue, je veux dire la virginité chrétienne, est à l'égard de la tempérance ce qu'est la magnificence à l'égard des libéralités ordinaires. La tempérance modère les plaisirs du corps, la virginité les méprise; la tempérance, en les goûtant, se met au-dessus à la vérité; mais la virginité, plus mâle et plus forte, ne daigne pas même y tourner les yeux la tempérance porte ses liens d'un courage ferme; la virginité les rompt d'une main hardie: la tempérance se contente de la liberté ; la virginité veut l'empire et la souveraineté absolue : ou plutôt, la tempérance gouverne le corps; vous diriez que la virginité s'en sépare ; elle s'élève jusqu'au ciel presque entièrement dégagée; et bien qu'elle soit dans un corps mortel, elle ne laisse pas de prendre sa place parmi les esprits bienheureux, parce qu'elle ne se nourrit, non plus qu'eux, que de délices spirituelles. De là vient que saint Augustin parle ainsi des vierges: Hubent ali uidjam non carnis in carne : « Elles ont, dit-il, en la chair « quelque chose qui n'est point de la chair, quel« que chose qui tient de l'ange plutôt que de l'homme. » Et c'est encore ce qui fait dire au grand saint Basile3, que la virginité n'est pas

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12. 2. Quæst. CLII, art. 3.

2 De sancta Virginit. n° 12, t. VI, col. 346. • Lib. de Virginit. no 2, t. III, p. 589.

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