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mour du bien (1). D'un autre côté, quoique étant devenu par le péché tout à fait inexcusable devant le tribunal de la justice divine, l'homme déchu n'était pas cependant indigne de la miséricorde de Dieu. Il viola de son plein gré le commandement de son Créateur, un commandement facile, bien qu'il eut toutes les raisons et tous les moyens de le remplir; mais il le viola tenté par le diable, et non point par obstination, ni par une résistance opiniâtre et préméditée à la volonté divine, comme était tombé Satan lui-même. Notre premier père pécha; mais ensuite il subit sans murmurer la punition que Dieu lui infligea, et il passa toute sa vie, de plusieurs siècles, dans la pénitence. L'histoire postérieure du genre humain nous montre que, à quelque distance que les hommes se soient éloignés insensiblement de la justice et de la vérité, le sentiment de la religion ne fit jamais complétement défaut en eux; ils cherchèrent Dieu, quoique sans Le trouver pour la plupart, par suite de leur aveuglement; ils cherchèrent à Le servir et à Lui plaire, quoique, par la même cause, d'une autre manière qu'il ne le fallait ; ils cherchèrent à L'apaiser sur leurs iniquités et à se réconcilier avec Lui par des sacrifices, des ablutions et d'autres moyens, mais ils manquèrent leur but. Saint Macaire d'Égypte établit une comparaison admirable entre l'homme déchu, incapable de se relever par ses propres forces, mais désireux et capable de le faire avec le secours d'en haut, et l'enfant à la recherche de sa mère. « Il en est] qui veulent, dit le saint athlète, que l'homme soit tout à fait mort et incapable de rien de bon. Cette façon de voir est injuste; l'enfant, bien qu'il ne puisse rien faire, pas même aller vers sa mère, se meut pourtant; il crie, il pleure en la cherchant. La mère a compassion de lui et se réjouit de ce qu'il la cherche avec tant d'efforts et de cris; et, comme l'enfant ne peut parvenir jusqu'à elle, elle s'approche ellemême de lui, poussée par l'amour qu'elle lui porte; elle le prend sur ses bras, le serre contre son sein et le nourrit avec une grande tendresse. Ainsi fait également le Père des miséri

(1) Voir ci-dessus § 93: Conséquences du péché de nos premiers parents en nous-mêmes.

cordes avec l'âme qui se tourne vers Lui et Le recherche (1). Ainsi Dieu fit-il, disons-le de notre côté, avec tout le genre humain, déchu, mais livré à sa recherche et ayant encore la faculté de se relever.

§ 125. Moyen que Dieu choisit pour le rétablissement ou la rédemption de l'homme, et signification de ce moyen.

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Pour le rétablissement de l'homme Dieu trouve un moyen dans lequel la miséricorde et la vérité se sont rencontrées, la justice et la paix se sont donné le baiser » (Ps. LXXXiv, 10), dans lequel ses perfections se sont montrées au plus haut point de grandeur et dans une parfaite harmonie. Ce moyen, le voici : La seconde personne de la très-sainte Trinité, le Fils unique de Dieu, daigna de son plein gré se faire homme, prendre sur Lui tous les péchés humains, souffrir pour ces péchés tout ce qu'avait résolu dans sa justice la volonté divine, et satisfaire ainsi pour nous la justice éternelle, effacer nos péchés, en détruire les suites mêmes en nous et dans la nature extérieure, c'est-à-dire recréer le monde. Dans la, Parole de Dieu, cette grande œuvre est présentée sous la forme d'une alliance entre Dieu le Père et Dieu le Fils, qui, en entrant dans le monde, disait au Père: « Vous n'avez point voulu d'hostie ni d'oblation, mais Vous m'avez formé un corps. Vous n'avez point. agréé les holocaustes ni les sacrifices pour le péché; alors j'ai dit : Me voici; je viens selon qu'il est écrit de moi dans le Livre pour faire, ô Dieu ! votre volonté. » (Hébr., x, 5-7; comp. Ps. XXXIX, 7-9.)

Moyen admirable! moyen le plus digne de Dieu et de ses perfections! Ici se manifesta sa bonté infinie : « Car Dieu a tant aimé le monde qu'Il a donné son Fils unique, afin que tout homme qui croit en Lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle.» (Jean, III, 16.) Ici se manifesta sa justice infinie, puisque, pour Lui donner satisfaction, il fallait une victime si extraordinaire et si inouie, la mort de l'Homme-Dieu, « que Dieu a proposé pour être la victime de propitiation, par la foi

(1) Hom. XLVI.

qu'on aurait en son sang, pour faire paraître la justice qu'Il donne lui-même, en pardonnant les péchés passés. » (Rom., III, 25.) Ici se manifesta sa sagesse infinie, qui trouva ainsi le moyen de réconcilier, dans l'œuvre de la rédemption de l'homme, la justice éternelle avec la bonté éternelle, de satisfaire l'une et l'autre et de sauver celui qui était perdu; - moyen qu'aucun esprit créé n'eût jamais pu concevoir, et qui par là même est appelé par excellence « la sagesse de Dieu, renfermée dans son mystère» (I Cor., II, 7), « le mystère qui a été caché dans tous les siècles et tous les âges. » (Col., 1, 26.) Ici se manifesta l'omnipotence divine, qui pouvait réunir dans la même personne de l'Homme-Dieu deux natures infiniment distantes l'une de l'autre, la nature divine et la nature humaine, et les réunir sans les confondre, immuablement et inséparablement. Ou plutôt, écoutons sur ce sujet le raisonnement de saint Jean Damascène. « Ici, dit-il, se révèlent à la fois et la bonté, et la sagesse, et la justice et l'omnipotence de Dieu. On voit la bonté en ce que Dieu n'a pas dédaigné les infirmités de sa propre créature, mais en a eu compassion après sa chute et lui a tendu la main. On voit la justice en ce que, l'homme ayant été vaincu, ce n'est nul autre que l'homme que Dieu rend vainqueur de l'auteur de sa défaite. Ce n'est point par la force qu'Il dérobe l'homme à la mort; mais celui qui autrefois s'était attiré la mort par le péché, c'est celui-là même que l'Etre infiniment bon et juste a reconstitué vainqueur, et « Il a sauvé le semblable par le semblable, le semblable, chose qui paraissait si difficile. On voit la sagesse infinie en ce que Dieu a trouvé le meilleur moyen pour écarter le plus grand des obstacles. En effet, par la bienveillance du Dieu et Père, le Fils unique, le Verbe divin, Dieu, « qui est dans le sein du Père » (Jean, 1, 18), consubstantiel au père et au Saint-Esprit, éternel, sans commencement, Celui qui «< était au commencement » avec le Dieu et Père, Celui qui « était Dieu, ayant la forme et la nature de Dieu » (Phil., II, 6), fléchit le Ciel et descend, c'est-à-dire Il abaisse sans abaissement sa hauteur inabaissable, et descend vers ses serviteurs par une condescendance ineffable et incompréhensible (car tel est le sens du mot descente). Étant Dieu parfait, Il se fait homme parfait, et il arrive alors sous le soleil, et pour une

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seule fois, du tout nouveau (Eccl., 1, 10), où se manifeste l'omnipotence infinie de Dieu. En effet, quoi de plus important que cela - Dieu s'est fait homme? Et le Verbe a été fait chair immuablement du Saint-Esprit et de Marie, toujours sainte, vierge et mère de Dieu. Le Verbe se fait médiateur entre Dieu et les hommes. L'unique ami de l'homme est conçu dans le chaste sein de la sainte Vierge, non point de désir ou de concupiscence, ou de coït ou d'un acte charnel, mais du Saint-Esprit, et, à l'image d'Adam en son état primitif, reste obéissant au Père; en prenant sur Lui notre nature, Il remédie à notre désobéissance et est pour nous un modèle d'obéissance sans l'imitation duquel on ne peut se sauver (1).» Les mêmes réflexions se retrouvent dans saint Grégoire le Théologien (2), saint Basile le Grand (3), saint Grégoire de Nysse (4) et d'autres (5).

(1) Exp. de la foi orth., liv. III, chap. 1, p. 136-137.

(2) « Le Fils de Dieu daigne être et se nomme Fils de l'homme, sans changer ce qu'Il était (car Il aime les hommes), afin que l'infini devienne fini... Voilà pourquoi se réunit ce qui ne peut être réuni: non-seulement Dieu avec la naissance dans le temps, l'esprit avec la chair, l'éternité avec le temps, l'immensité avec la mesure; mais encore la naissance avec la virginité, le déshonneur avec ce qui est plus haut que tout honneur, l'impassibilité avec la souffrance, l'immortel avec le corruptible. » (Serm. Chandeleur; Œuvr. des saints Pères, 11, 263.)

(3) « Se peut-il que de tels soins qu'Il (Dieu) prend de nous rabaissent nos pensées? Au contraire ne nous porteront-ils pas à admirer la grande puissance et la miséricorde de Celui qui nous a sauvés, parce qu'Il voulut compatir à notre faiblesse et qu'Il put même s'abaisser jusqu'à elle? Car le ciel et la terre, l'étendue des mers, et les animaux qui habitent dans les eaux et sur la terre, les plantes, les étoiles, l'air, les saisons de l'année et les beautés infiniment variées de l'univers manifestent avec moins d'évidence la supériorité de sa force que ce fait que l'Être immense, infini, put par la chair entrer impassiblement en lutte avec la mort, pour nous donner l'impassibilité par sa souffrance. » (Sur le Saint-Esprit, chap. 8; Œuvr. des saints Pères, VII, 257.)

(4) « Que la nature toute-puissante ait pu descendre jusqu'à la faiblesse de la nature humaine, cela prouve la toute-puissance de Dieu bien plus que les nombreux et étonnants miracles qu'll opéra; car opérer quelque chose de grand et de supérieur, c'est le propre de la toute-puissance divine; descendre à ce qui est bas et méprisé, c'est là une sorte de surabondance de la toute-puissance, qui n'a pas rencontré de limites mème dans le surnaturel.» (Catéch., cap. 24.)

(5) Tertull. contr. Marcion., 11, cap. 3; Augustin. de Civit. Dei, x, cap. 29; Leo M., de Nat., serm. 1, et de Pass., serm. 3.

Mais, en envisageant le moyen que Dieu daigna choisir pour notre salut comme en parfait accord avec ses perfections, les saints Pères et Docteurs de l'Église ne prétendaient point que ce moyen extraordinaire fût indispensable pour le but et que le Tout-Puissant n'eût pas pu sauver l'homme d'une autre manière. Au contraire, selon eux, Il aurait fort bien pu le sauver autrement; mais entre tous les moyens possibles Il choisit le meilleur. Cette idée est développée par saint Athanase le Grand. « Même sans venir dans le monde, » dit-il, « Dieu n'avait qu'un mot à dire pour décharger de la malédiction; mais il faut voir ce qui est d'utilité pour les hommes, et non en général ce qui est possible à Dieu (1). »

Saint Grégoire le Théologien s'exprime ainsi : « Pour nous Il (le Fils de Dieu) fut homme et prit la forme de serviteur; pour nos iniquités Il fut conduit à la mort. Ainsi se conduisit le Sauveur, qui, comme Dieu, pouvait sauver par le seul acte de sa volonté. Mais Il fit ce qui est le plus important pour nous et nous fait le plus de honte, Il fut sujet aux mêmes passions que nous et notre égal (2).

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Nous lisons dans Augustin : « Pour réfuter ceux qui disent : Est-il bien possible que Dieu n'eût pas d'autre moyen de sauver les hommes de la mort, lorsqu'Il voulut que son Fils unique, Dieu coéternel avec Lui, devînt homme, qu'Il prît un corps et une âme d'homme, et que, s'étant fait mortel, Il goûtât la mort? pour réfuter de pareilles gens, il ne suffit pas de dire simplement que le moyen dont il plut à Dieu de se servir pour nous sauver, par le Médiateur entre Dieu et les hommes,

(1) Contra Arian., orat. 11, n. 68. Et après cela le saint Père développe cette idée que, si Dieu, par un acte de sa puissance, avait tranché d'un mot la malédiction et pardonné aux hommes leurs péchés, cela aurait sans doute manifesté sa puissance, mais aurait été funeste pour les hommes. Ils auraient appris par là à pécher et seraient bientôt retombés. Alors il eût fallu leur pardonner de nouveau et il n'y aurait pas eu de fin à ces pardons... et les hommes seraient devenus toujours pires. Péchant toujours, ils auraient toujours eu besoin de pardon et n'auraient jamais été affranchis des péchés et de leurs funestes suites.

(2) Serm. 19, Œuvr. des saints Pères, 11, 158. Saint Grég, de Nysse assure également que Dieu aurait pu nous sauver par sa seule volonté et sa parole. (Orat. Cat., cap. 15.)

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