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§ 128. Décret éternel de la Rédemption et raison pour laquelle le Rédempteur n'est pas venu plus tôt dans le monde.

I. De ce que Dieu daigna nous sauver uniquement par sa bonté éternelle et infinie, et, d'un autre côté, de ce que dans son omniscience Il prévit avant tous les siècles notre chute et le degré de cette chute, il est permis de conclure que notre Rédemption fut décrétée de toute éternité : la Parole de Dieu établit cette vérité en toute évidence. En embrassant par la pensée toute l'œuvre de notre rédemption, les saints Apôtres rendaient ce témoignage : « Nous prêchons la sagesse de Dieu, renfermée dans son mystère, cette sagesse cachée, qu'Il avait prédestinée et préparée avant tous les siècles pour notre gloire » (I Cor., II, 7); ou : « J'ai reçu cette grâce d'éclairer tous les hommes en leur annonçant quelle est l'économie du mystère caché dès le commencement des siècles en Dieu, qui a créé toutes choses, afin que les Principautés et les Puissances, qui sont dans les cieux, connaissent par l'Église la sagesse de Dieu diversifiée dans ses effets (Eph., II, 8-11), selon le dessein éternel qu'll a accompli par Jésus-Christ Notre-Seigneur. particulier, en parlant du Rédempteur, le Seigneur Jésus, ils le nomment l'Agneau sans tache et sans défaut, qui avait été prédestiné avant la création du monde, et qui a été manifesté dans les derniers temps pour l'amour de nous » (I Pierre, I, 19-20), « l'agneau livré à la mort par un ordre exprès de la volonté de Dieu et par décret de sa prescience (proμévy, Boudn καὶ προγνώσει τοῦ Θεοῦ ἔκδοτον) (Act. II, 23; comp. iv, 27, 28). l'Agneau qui a été immolé dès la création du monde.» (Ap., xí, 8.) Enfin, en parlant de nous, pour qui a souffert le Rédempteur, ils s'expriment ainsi : « Dieu nous a élus en Lui avant la création du monde, par l'amour qu'Il nous a porté, afin que

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cap. 3), cette opinion fut partagée par un bon nombre de scolastiques (Alex. Halens., P. 1, qu. 11, memb. 13; Albert. M. Sent. I, dist. xx, art. 4; dans Scot, Sent. I, dist. vii, quæst. 3; dist. xix, qu. 1), de calvinistes et de sociniens. Voir la réfutation détaillée de leurs arguments dans la Théologie de Théophane Procopowitsch, vol. III, p. 205-217.

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nous fussions saints et irrépréhensibles devant ses yeux » (Eph., I, 4); Il nous a élus « comme des prémices, pour nous sauver par la sanctification de l'Esprit et par la foi de la Vérité (II Thess., II, 13); « Il nous a sauvés et nous a appelés, par sa vocation sainte, non selon nos œuvres, mais selon le décret de sa volonté et selon la grâce qui nous a été donnée en JésusChrist avant tous les siècles.» (II Tim., I,

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II. S'il en est ainsi, que, dans son infinie bonté, déjà avant les siècles, avant notre chute, par conséquent, Dieu ait décrété notre rédemption, pourquoi n'a-t-Il pas daigné également mettre à exécution son décret aussitôt après notre chute ? Pourquoi n'a-t-Il envoyé son Fils dans le monde qu'« en ces derniers jours? » (Hébr., 1, 1.)

La réponse à cette question, c'est toute l'économie divine antérieure à la venue du Rédempteur. En approfondissant les plans de cette économie, les saints Pères et Docteurs de l'Église ont présenté les causes particulières de la tardive venue du Fils de Dieu dans le monde. Ces causes, les voici.

1° Il fallait que, durant des siècles, les hommes reconnussent par expérience, qu'ils sentissent aussi vivement que possible toute la profondeur de leur chute, comme leur impuissance morale, et qu'ainsi ils désirassent d'autant plus ardemment le secours divin et le reçussent avec d'autant plus de zèle, quand il serait donné (Rom., VIII, 3); car Dieu ne pouvait pas sauver les hommes contre leur volonté et leur désir. « Dans le cours des siècles, » écrit saint Grégoire le Théologien, « il y eut deux réformes remarquables de la vie humaine, appelées les deux alliances. L'une menait des idoles à la loi, et l'autre, de la loi à l'Évangile... Mais la même chose eut lieu pour les deux alliances. Laquelle nommément? C'est que l'une et l'autre, furent introduites à la longue, et non du premier abord. Et pourquoi cela? Il nous fallait savoir qu'on ne nous contraint pas, mais qu'on nous persuade. Car ce qui n'est pas volontaire n'est pas non plus solide, comme le torrent ou le végétal ne se retiennent pas longtemps par la force. Mais ce qui est volontaire est en même temps plus solide et plus sûr. Et l'un est le fait de celui qui contraint, l'autre est notre propre fait; l'un est le

propre d'un pouvoir violent, l'autre est celui de la justice divine. Aussi Dieu ordonne-t-Il qu'il faut faire le bien, non à ceux qui n'en veulent pas, mais à ceux qui le désirent (1).

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2o Il fallait que la contagion du péché, qui avait pénétré profondément la nature humaine, en sortît peu à peu tout entière, que cette maladie morale de l'humanité vint à maturité et atteignit le plus haut point de son développement, et qu'alors seulement parût le céleste Médecin des âmes et des corps pour sa guérison radicale et parfaite. « Où il y a eu abondance du péché, » dit l'Apôtre, il y a eu surabondance de grâce. » (Rom., v, 20.) « Celui qui, pour extirper le mal, voulut revêtir l'humanité, dit saint Grégoire de Nysse, attendait (comme il le fallait nécessairement) que le péché, semé par l'ennemi, eût poussé tous ses surgeons. Ce ne fut qu'après cela, suivant l'Évangile, qu'il appliqua la cognée à la racine même.» (Matth., III, 10.) « Et de même que, dans le temps où la fièvre fait déjà sentir au dedans ses ardeurs et s'accroît peu à peu par l'action des causes qui l'ont produite, les médecins les plus habiles cèdent au mal, ne permettent point au malade de puiser des forces dans l'alimentation tant que la maladie n'a pas encore atteint son point culminant, et ne commencent à mettre leur art à contribution que lorsque, s'étant pleinement manifestée, elle cesse de se progager, ainsi le Médecin de nos âmes malades attend que la maladie du péché, dont la nature humaine est infectée, se soit pleinement découverte, en sorte que rien ne reste caché et inguéri (2).

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3o Il fallait prévenir les hommes de la venue sur la terre d'un envoyé de Dieu aussi extraordinaire que le Rédempteur,

(1) Serm. sur la Théol., v; Œuvr. des saints Pères, ш, 125.

(2) Orat. in diem Natal., in Opp., t. III, p. 341, Paris, 1638. Après cela le saint Père continue ainsi : « Quand fut sortie de cette racine toute la puissance du péché, qu'elle se fut développée sous des formes différentes et manifestée dans les volontés des hommes fameux par leur perversité dans tous les siècles; alors, comme le dit l'Apôtre, Dieu, ayant laissé passer et comme dissimulé ces temps d'ignorance (Act., xvii, 20), arriva dans les derniers jours... Alors par le moyen de la chair humaine Il écrasa plusieurs têtes du serpent... » (Ibid., p. 342.) La même idée est développée par saint Grégoire le Théologien (Œuvr. des saints Pères, 111, 294-295) et par Théodoret (contra Græc. serm. vi, in Opp., t. IV, p. 579).

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et leur communiquer peu à peu des données sur toutes les circonstances de sa venue miraculeuse, de sa vie et de sa mort, afin que, lorsqu'Il paraîtrait, ils pussent le reconnaître d'autant plus sûrement; il fallait aussi les préparer graduellement à s'approprier une doctrine aussi sublime que celle que devait apporter le Rédempteur, et qu'ils n'auraient pu s'approprier sans ce secours préalable. « Le Seigneur savait, » dit Augustin, quand Il devait venir. Auparavant il fallait qu'Il fût annoncé pendant une longue suite de siècles: car ce n'était pas un sujet de peu d'importance qui devait paraître. Il fallait bien longtemps l'annoncer, toujours l'attendre. Plus le juge se montra grand, plus nombreuse fut la suite des prophètes, ses avantcoureurs (1). » Et saint Basile fait ce raisonnement : « Semblable à l'œil d'un homme qui aurait grandi dans l'obscurité, l'Économe de notre salut ne nous introduit pas dans la grande lumière de la vérité avant de nous y avoir graduellement formés, parce qu'll ménage notre faiblesse. Dans l'inépuisable trésor de sa sagesse et les insondables jugements de son intelligence, Il nous traça d'avance cette conduite facile et conforme à notre nature, en nous apprenant d'abord à voir les ombres des objets et à regarder le soleil dans l'eau, afin que nous ne fussions pas éblouis en arrivant tout à coup à la contemplation de la pure lumière. C'est dans un tel but que furent conçues et la loi, « n'ayant que l'ombre des biens à venir »> (Hébr., x, 1), et les images présentées par les prophètes, ces anticipations énigmatiques de la vérité, destinées à former les yeux du cœur et à nous amener plus aisément à la sagesse renfermée dans le mystère (2).

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4o Il fallait que l'humanité pécheresse passât au préalable par une longue suite de purifications et de consécrations dans la foule des patriarches et de tous les saints de l'Ancien Testament, pour se montrer enfin dans la Vierge Marie à ce degré de pureté et de sainteté où elle pût devenir le réceptacle du

(1) In Joann. Tract. xxxi, n. 5.

(2) Sur le Saint-Esprit, chap. 14; Euvr. des saints Pères, vii, 280-281. Voyez aussi saint Grég. le Théol., Serm. de Pâques; ibid., IV, 164-165.

Très-Saint des saints, du Verbe-Dieu. « Dès longtemps,» dit l'un des Docteurs de l'Église, « déjà avant la création du monde la Rédemption était décrétée; mais jusqu'à la très-sainte Vierge Marie, il ne se trouva point de réceptacle (épyacтýpov) vraiment digne pour l'Incarnation; mais, dès qu'il se fut trouvé, le Seigneur s'incarna (1). » « Qui peut s'étonner, » écrit aussi l'un des Docteurs modernes de l'orthodoxie, » qu'après la chute d'Adam le Verbe-Dieu ait tardé à venir sur la terre, s'incarner et sauver le genre humain déchu, même jusqu'à trois mille ans? Il ne se trouvait pas sur la terre une vierge qui fût pure non-seulcment de corps, mais aussi d'esprit. Elle seule, première et dernière, grâce à sa double pureté de corps et d'esprit, s'est trouvée digne de devenir l'Église et le temple du Saint-Esprit (2).

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En deux mots, il fallait d'abord, par différents moyens et sous différents rapports, préparer le genre humain à recevoir le Rédempteur décrété avant les siècles; après quoi seulement devait paraitre ce Rédempteur.

Et voilà précisément ce qu'a fait l'Etre infiniment sage.

§ 129. Préparation divine du genre humain à recevoir le Rédempteur et foi en Lui dans tous les temps.

Cette préparation divine du genre humain à recevoir le Rédempteur présente deux grandes périodes: la première depuis Adam jusqu'au Père des croyants, Abraham (environ 3448 ans); la seconde depuis Abraham jusqu'à la venue même du Rédempteur (environ 2,060 ans).

Dans la première période, la plus longue des deux, Dieu prépara le genre humain entier d'une seule et même manière. I. Aussitôt que nos premiers parents furent tombés, séduits par le serpent, Dieu leur fit la promesse que « la race » de la femme « briserait la tête » de ce serpent (Gen., III, 15), c'est-à-dire que le Rédempteur, qui devait naître de la femme (Gal., Iv, 4), « détruirait les œuvres du diable » (I Jean, III, 8), et délivrerait le genre humain de toutes les suites funestcs

(1) Vid. apud Ethym. Zygaben. Panopl., part. ì, tit. 7, p. 142. (2) Saint Démétrius de Rostow, Ouer., 1, p. 101; Lect. chr., 1842, IV, 395.

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