Page images
PDF
EPUB

nage, le paysan a-t-il du moins un salaire proportionné à ses besoins nouveaux? Non; l'augmentation des salaires n'a jamais marché de pair avec l'augmentation du prix des objets de première nécessité. »

:

<«< Alors on a imaginé de convertir en indigens tous les journaliers (1) la paroisse s'est chargée de leur donner le surplus de salaire indispensable pour les faire vivre ; une masse énorme de pauvres a chargé le sol de l'Angleterre les paroisses se sont renvoyé mutuellement les hommes qu'elles avaient à nourrir le clergé, en réclamant sa dime, n'a fait qu'aggraver le mal. Imaginez quel cahos d'iniquité, de mécontentement, de tyrannie et de privation devait résulter de cette combinaison détestable ! Les propriétaires forcés de payer la taxe des pauvres, les collecteurs des taxes accusés de malversations, les paysans dégradés et avilis, les hommes d'église décrédités et haïs ; toutes ces classes ont vécu dans une hostilité mutuelle, constante, et que chaque jour envenime davantage. »

« Telle a été la situation de notre population, rurale pendant la guerre de Napoléon contre l'Angleterre. La paix a rendu cette situation plus déplorable encore. Le licenciement des soldats et des matelots a peuplé les campagnes d'une foule affamée et oisive beaucoup d'artisans, que la guerre avait soutenus, n'ont plus d'ou-vrage; le monopole que les nations alliées avaient concédé à l'Angleterre fut détruit; mais ce ne furent pas là les seuls désastres que produisit la paix de 1815. »

« Par l'effet de la dépréciation des billets de banque dont on avait émis une quantité excessive, et qui remplaçaient le numéraire, les impôts de la Grande-Bretagne augmentèrent par le fait de 27 p. 00, car ils devaient être payés

(1) La loi relative à la taxe des pauvres remonte au règne d'Elisabeth; mais différens actes du parlement ont modifié la législation et aggravé les conséquences funestes de cette institution. Voir le chapitre III, livre LV tome III.

2

au prorata de la valeur nominale du papier-monnaie. Cette circonstance, qui s'étendait à toutes les transactions commerciales, entraîna la banqueroute d'une partie des fermiers, fit éprouver à l'agriculture des pertes immenses dont elle ne s'est pas relevée, et étendit nécessairement la plaie du paupérisme. »

« Les paroisses durent nourrir toute cette population nouvelle et misérable qui tombait sur elles et les écrasait: on aurait dû prévoir ce résultat et obvier à cet inconvénient; on ne le fit pas. Le paupérisme s'avança comme un géant. L'Irlande, à son tour, versa sur l'An- gleterre des flots de prolétaires misérables. C'est ainsi que se sont accumulées les causes de destruction et de ruine, et qui, plus tard, pourront renverser dans des torrens de sang l'édifice social. »

« Le clergé, en ne résidant pas dans les villages, achève de démoraliser les classes inférieures. Instruits dans les sciences humaines, bons hellénistes, bons latinistes, ces ministres, que l'on envoie dans les campagnes, n'ont aucun rapport intellectuel ou moral avec leurs ouailles ; ils ne daignent pas même étudier les besoins et la condition , réelle de leurs paroissiens. A quoi servent les dogmes qu'ils prêchent et la morale qu'ils voudraient inculquer? Toute influence leur est enlevée, parce que toute sympathie entre eux et le peuple se trouve détruite. Leur éducation lettrée, leur réserve habituelle, leur vanité mondaine les éloigne de tout ce qui les entoure. »

« Le maintien des lois sur les céréales et les augmentations excessives d'impôts ont continué d'aggraver la triste situation des classes agricoles. »

« Aujourd'hui le fermier, dans sa détresse, reçoit les secours de son propriétaire et du clergé décimateur; mais ces secours lui rendent-ils ces bienfaits plus chers? Des liens de reconnaissance et d'estime l'attachent-ils à ceux qui lui tendent la main? Non; c'est la dîme et le fermage

qui le ruinent. La dime tombe dans la caisse du prêtre et le fermage dans la poche du propriétaire. Si l'un et l'autre lui rendent une partie de l'argent qu'il leur donne, il ne se croit pas leur obligé. La compensation qu'on lui offre est insuffisante. Présentée à titre d'aumône, elle blesse leur amour-propre; elle brise le légitime sentiment d'indépendance et de dignité, sans lequel il n'y a plus de vertu. Ainsi, toutes les classes agricoles s'arment à la fois contre l'ordre social : le journalier qui manque de pain, le fermier qui lutte contre la misère. Dans les révoltes des populations rurales, en 1830 et 1831, les fermiers, au lieu de réprimer l'insurrection de leurs salariés, l'ont presque tous encouragée. En leur présentant le haut prix des fermages et la somme exorbitante des dîmes comme les causes de la détresse commune et du bas prix des salaires, ils les armaient à la fois contre le propriétaire et l'homme d'église. »

« La fortune du propriétaire rural a diminué; ses habitudes de luxe et de dépense n'ont pas changé. Comment soutiendra-t-il le rang factice qu'il occupe? »

Ces déplorables effets du système économique, reliligieux et politique de l'Angleterre, se font ressentir bien plus amèrement encore dans cette malheureuse Irlande, objet de l'intérêt et de la sympathie de tout l'univers catholique. Le même écrivain s'est chargé de les retracer.

« L'Irlande, dit-il, tombe et s'enfonce de plus en plus dans l'abîme ouvert par une politique imprévoyante. Le gouvernement britannique a toujours considéré cette terre comme maudite : il n'a jamais songé à encourager l'agriculture et l'industrie de ce malheureux pays. Des gendarmes et une garnison oppressive ont été le seul témoignage de sa sollicitude. Par suite de cette conduite hostile, le caractère du peuple irlandais s'est aigri. Le viol, le meurtre, l'incendie ont désolé les campagnes, ont tari les sources de la prospérité, et ont éloigné de ce

beau pays tous ceux qui, par leurs capitaux, auraient pu le rendre florissant. Une partie de la population est réduite å mourir de faim. »

<< Les philantropes de l'Angleterre, qui envoient des missionnaires en orient et en occident pour améliorer le sort des étrangers, soumettent l'Irlande aux exactions du clergé anglican richement doté et non résidant, qui, loin de ses ouailles, vit dans les plaisirs et la mollesse avec les sommes que ses agens perçoivent sur les sueurs du malheureux cultivateur. On compte tout au plus en Irlande un million de protestans sur 7,534,524 habitans. Eh bien ! l'administration des secours spirituels, pour cette faible fraction de l'Irlande, coûte annuellement à tout le pays une somme de 35,664,675 fr. (1), tandis que les prêtres catholiques résidans ne vivent que de leur casuel, et ne reçoivent aucune espèce de subvention. >>

<< Faut-il s'étonner, à la vue de ces tortures sans nombre, que, tous les ans, l'Irlande vomisse sur nos côtes des flots d'émigrans (2)? L'Angleterre subit ainsi le châtiment que mérite sa conduite marâtre envers un pays que son véritable intérêt la porte à tant ménager; et, bon gré, mal gré, elle est obligée de recevoir dans son sein ceux à qui elle a ôté même le nécessaire. C'est à tort que se livre entre les deux pays une lutte acharnée et odieuse. »

<«< Les administrateurs des paroisses d'Angleterre se dé

(1) En 1829, le clergé catholique français figurait dans le budget de l'état, pour 35,551,500 fr., c'est-à-dire pour 113,175 fr. de moins que le clergé anglican de l'Irlande, tandis qu'il a à pourvoir aux besoins spirituels de 30,620,000 catholiques, et que l'Irlande compte à peine un million de protestans. Le budget du clergé catholique de la France est réduit aujourd'hui à 27,589,700 fr., c'est-à-dire à 8,074,995 fr. de moins que celui du clergé anglican d'Irlande; il est vrai que les revenus de celui-ci vont être désormais fort diminués, par une réforme que la crainte, bien plus que la pudeur et la justice, ont arrachée au gouvernement anglais.

(2) Le nombre des Irlandais que la misère force d'émigrer en Angleterre a depassé 900,000 depuis vingt ans.

barrassent de ces hôtes incommodes, en les faisant arrêter comme vagabonds et en payant les frais de transport en Irlande. Le seul comité de Lancastre a ainsi dépensé en une seule année 112,000 fr. ; mais souvent ces malheureux sont à peine débarqués dans leur patrie, que les propriétaires irlandais associés les font déposer de nouveau sur les côtes de la Grande-Bretagne. Aussi, quelque précaution que l'on prenne contre cette espèce d'invasion, le nombre des Irlandais, en Angleterre, augmente d'une manière effrayante. A la fin de 1826, la société, pour la répression de la mendicité, secourait, à Londres, 3,811 Irlandais. En 1829, le nombre des Irlandais, résidant à Londres et dans les environs, était de 71,442 ; et, en 1852, de 119,779 (1). »

Un autre écrivain anglais confirme ainsi ces notions désolantes :

«Que n'a-t-on pas dit sur l'Irlande, sur ses pauvres, sur sa misère? Eh bien! chaque nouvel auteur qui étudie ce malheureux pays a toujours quelque révélation nouvelle à nous faire, car tous n'envisagent pas la question sous le même point de vue. Celui-ci attribue le paupérisme de l'Irlande au morcellement des terres; celui-là, à l'agglomération des propriétés; un autre, à l'âpreté des grands fermiers et à l'exigence des propriétaires; un autre encore à l'exaction des gens d'église et à la rapacité du fisc. Enfin il en est qui ne voient d'autre cause à tant de maux que le caractère insouciant du peuple irlandais. M. Norton, dans le nouvel ouvrage qu'il vient de publier, attribue toutes les souffrances de l'Irlande à l'absentéisme; selon lui, l'absentéisme est l'unique cause des mille lèpres qui la dévorent. On conçoit, il est vrai, que l'absence des riches propriétaires qui dépensent sur une terre étrangère les revenus que la pénible industrie du cultivateur

(1) Revue de Westminster.

« PreviousContinue »