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CHAPITRE XVI.

DES PAUVRES HONTEUX.

Le malheur a sa honte et sa noble pudeur. (DELILLE.)

IL est, parmi les indigens hors d'état de travailler, des malheureux que l'éducation, un sentiment de dignité ou le souvenir d'une condition sociale meilleure et perdue, empêchent de recourir à la clarité publique ou particulière; d'autant plus à plaindre, qu'ils sentent plus profondément l'amertume de leur triste destinée !

C'était à la charité religieuse qu'il appartenait exclusivement de découvrir cette classe d'infortunés, et d'être pour elle les ministres d'une bienfaisance délicate. L'administration publique devait, en effet, s'interdire la recherche et la protection officielle de ces pauvres qui préfèrent les plus dures privations à la honte de les révéler. Elle a donc abandonné aux prêtres et à des personnes pieuses le soin de visiter dans leurs réduits les pauvres honteux. La religion, à juste titre, réclamait cette tutelle, parce qu'elle seule a le don de secourir efficacement la misère en respectant sa pudeur.

Dans le royaume des Pays-Bas, il s'est formé des sociétés qui fournissent des secours aux pauvres honteux, et qui ont pris pour base de leur association le précepte religieux du secret des œuvres charitables. Aussi, le mys

tère dont s'entoure leur bienfaisance s'est opposé à ce que le gouvernement obtînt des renseignemens sur le nombre des individus secourus, et même sur les ressources dont on dispose et sur le montant des secours distribués, dont il n'est rendu compte qu'à la société. C'est bien comprendre le caractère de la charité véritable. En France et dans les pays catholiques, les secours sont confiés ordinairement aux curés et aux sœurs hospitalières. On ne peut avoir de plus sûrs intermédiaires. Néanmoins, des associations religieuses conçues dans le même but que les sociétés des Pays-Bas, ne pourraient que multiplier l'efficacité de cette bienfaisance mystérieuse, et l'on doit exprimer le vœu d'en voir se former de semblables parmi nous (1).

(1) Nous apprenons, en ce moment, qu'une société de personnes distinguées par leur rang et leur pieuse charité, s'est formée à Paris, dans le but spécial de soulager les pauvres honteux et leurs familles. Des secours sont donnés aux vieillards et aux infirmes, par l'intermédiaire de MM. les curés; on procure aux jeunes personnes du travail et les moyens de se placer comme institutrices; on pourvoit à l'éducation des enfans, et tous ces bienfaits s'accomplissent avec une délicatesse qui en augmente le prix et l'efficacité. Déjà cette société a produit les plus heureux résultats, et tout porte à croire qu'elle comptera de nombreux souscripteurs dans la capitale, comme elle trouvera des imitateurs dans les provinces.

CHAPITRE XVII.

DES INDIGENS HORS D'ÉTAT DE TRAVAILLER, QUI N'ONT PU ÊTRE ADMIS DANS LES ÉTABLISSEMENS DE CHARITÉ.

Votre pitié, voilà leur unique partage.
(DELILLE.)

AINSI qu'on l'a fait remarquer, les asiles, offerts par la charité religieuse, aux malheureux réduits par leurs infirmités à l'impuissance de soutenir leur existence par le travail, n'ont pu toujours suffire à recueillir ces tristes victimes du malheur répandu sur la race humaine. Il en est un grand nombre qui, en attendant leur place dans les hôpitaux et dans les hospices, n'ont d'autre espoir que dans la charité publique ou privée. On présume que ce nombre s'élève actuellement en France à environ 220,000 parmi lesquels 128,000 sont secourus à domicile, et 92,000 sollicitent habituellement l'aumône. Nous nous occuperons ailleurs et d'une manière plus spéciale de ces derniers. La charité religieuse s'est efforcée de soulager la misère des uns et des autres. Ils sont l'objet spécial de la sollicitude des ecclésiastiques, des congrégations religieuses et des administrations charitables, et inscrits les premiers pour occuper les places qui vaquent dans les établissemens de charité. Ceux qui mendient, sont tolérés malgré la rigueur des lois qui proscrivent la mendicité; et, en effet, on ne saurait sans injustice les punir de l'insuffisance des asiles créés pour eux.

CHAPITRE XVIII.

DES INDIGENS QUI MANQUENT DE TRAVAIL OU D'UN

SALAIRE SUFFISANT.

Offrir du travail aux indigens valides qui en manquent est certainement, de tous les secours, le plus utile. Il profite à la société entière. Il économise les fonds destinés au soulagement du malheur : mais ce qui est bien plus important, il accoutume l'indigent à s'assister lui-même par ses propres efforts. Il entretient l'activité morale et physique. Il protège en lui la dignité de caractère.

(DEGÉRANDO.)

Nous avons vu, par ce qui précède, que la charité religieuse avait cherché à soulager toutes les misères que la destinée de l'homme ordonne de subir comme expiation et comme épreuve. Mais il est une nature d'infortune qu'il ne lui appartenait pas de prévoir, parce qu'elle découle d'une origine évidemment contraire à l'organisation sociale fondée par le christianisme. La religion avait tout réglé dans la société évangélique. En prêchant une morale pure, en recommandant le travail, la modération, la sobriété, la tempérance, les vertus et surtout la charité ; en faisant connaître aux hommes leurs devoirs réciproques; en leur offrant l'agriculture comme une mine inépuisable de richesses et d'aisance, en instituant la sainteté du mariage, et enfin en conseillant le célibat, elle ne leur

montrait pas seulement le bonheur dans une autre vie; elle leur offrait aussi les moyens d'en conserver l'image durant leur rapide passage sur la terre. La civilisation chrétienne tendait évidemment à ce que l'univers ne présentât d'autre misère que celle que la Providence a permis d'y paraître comme souvenir et expiation de la première faute; elle tendait encore à ce que cette misère pût être adoucie matériellement de manière à ne produire aucun désordre grave. Mais une civilisation, basée sur d'autres lois, a introduit de nouvelles et fécondes ressources d'indigence et de malheur.

Nous avons essayé de montrer dans la première partie de cet ouvrage, combien l'égoïsme cupide des entrepreneurs d'industrie, combien le développement et l'emploi irréfléchis des procédés économiques dans les manufactures, combien, enfin, la démoralisation, les mariages prématurés et imprévoyans, et l'excitation inhumaine à de nouveaux besoins, multipliaient le nombre des ouvriers qui manquent de travail ou dont le salaire est insuffisant pour faire subsister leurs familles.

On sait que, dans l'organisation moderne de l'industrie, les grandes fabriques, les machines et le bas prix des produits et des salaires sont les premiers élémens de la production. Des populations entières d'ouvriers sont placées sous la dépendance absolue de quelques spéculateurs devenus maîtres et régulateurs de leur existence. De plus, depuis l'établissement des fabriques de coton, l'industric analogue qui s'exerçait sur les produits du sol national a été négligée, sinon abandonnée.

Il résulte, de cet état de choses, que lorsqu'une concurrence universelle fait diminuer la demande du travail, le travail et les salaires baissent dans une proportion dont le chef de la manufacture est le seul arbitre. Or, comme ces vicissitudes sont fréquentes, il arrive que beaucoup d'ouvriers demeurent saus emploi, et par conséquent sans pain,

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