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CHAPITRE XIX.

DES MONTS-DE-PIÉTÉ.

Si vous prêtez de l'argent à ceux de mon peuple qui sont pauvres parmi vous, vous ne les pressurerez point comme un exacteur impitoyable et vous ne les accablerez point par les usures.

Si votre prochain vous a donné son manteau pour gage, et qu'il n'ait que cela pour se couvrir, vous le lui rendrez avant que le soleil soit couché. (Exode.)

Au nombre des causes qui ont aggravé de tous les temps le sort des ouvriers pauvres, on doit justement placer l'égoïsme avide de quelques mauvais riches toujours aux aguets pour spéculer sur leurs besoins les plus impérieux. L'usure, quelque innocente et légale qu'elle paraisse aux yeux de l'économie politique, a pour inévitable effet de plonger, dans le dernier degré de la misère, le malheureux qui a dû réclamer une fois ses infâmes et perfides secours.

Le spectacle des ravages que ces sangsues de l'infortune imprévoyante exerçaient dans la plupart des villes d'Italie, inspira à la charité religieuse la pensée de fonder des établissemens où, moyennant un nantissement suffisant et un modique intérêt, on prêterait de l'argent aux pauvres que de pressans besoins portaient à vendre leurs effets ou d'emprunter à usure: ces institutions prirent le nom de monts-de-piété.

ment

La plus ancienne dont il soit parlé dans les annales de la charité est celle qui fut fondée à Padoue en 1491, en même temps que l'on faisait fermer douze banques de juifs qui y exerçaient une usure excessive. On croit communéle que pape Léon X fut le premier qui autorisa, à Rome, cette charitable fondation. Cependant la bulle qu'il donna à cet égard, en 1331, fait mention de Paul II, qui déjà avait approuvé la création du mont-de-piété à Rome. Le mont-de-piété d'Avignon, alors sous la domination du saint-siége, fut établi en 1577. Les papes, et, à leur exemple, les cardinaux, accordèrent de puissans secours aux monts-de-piété d'Italie. Ces maisons recevaient en gage toutes sortes de bijoux, de meubles et d'effets. Il y avait des priseurs qui estimaient ces gages, et l'on prêtait jusqu'aux deux tiers du prix de l'estimation. S'il ne s'agissait que d'une valeur de trente écus, la somme était prêtée sans intérêt pendant dix-huit mois. Si l'on avait besoin d'une plus forte somme, on payait un intérêt de 2 pour 100 par an. Après dix-huit mois, les effets mis en gage étaient vendus à l'encan. Le mont-de-piété prélevait le montant de ses avances, et gardait le surplus pour être remis aux propriétaires lorsqu'ils viendraient le réclamer. Ceux qui ne voulaient pas que leurs effets fussent vendus, n'avaient qu'à demander un renouvellement de billets, ce qu'on obtenait facilement lorsque la somme ne dépassait pas trente écus. Lorsqu'elle était supérieure à ce taux, on devait contracter un nouvel engagement où les intérêts étaient ajoutés au principal.

L'exemple donné par l'Italie fut successivement suivi par les capitales et les principales villes de l'Europe.

Le gouvernement des Pays-Bas fut un des premiers à voir introduire dans son sein les monts-de-piété. Par lettres-patentes du 9 janvier 1618, l'archiduc Albert, alors gouverneur des Pays-Bas, dans le but de faire cesser les prêts usuraires qui ruinaient un grand nombre de particu

liers, autorisa l'établissement de plusieurs de ces institutions dans cette partie de l'empire autrichien. Ce fut en vertu de cet acte que des maisons de prêt sur gages furent ouvertes à Gand, à Anvers, à Bruxelles, etc. La Flandre française, qui faisait alors partie de la domination espagnole, posséda bientôt de semblables institutions : il s'en établit en 1625, 1628 et 1633 à Bergues, à Lille, à Cambrai, à Douai et à Valenciennes.

Joseph Ier, empereur d'Autriche, fonda un mont-depiété à Vienne en 1707: l'intérêt du prêt sur gages était de 8 pour 100.

En France, l'introduction de ces maisons de prêt a été plus tardive. Les fonds nécessaires à leur service, à Paris et dans les villes principales, furent créés par la voie des emprunts: l'intérêt, d'abord fixé à 15 pour 100, fut réduit à 10 pour 100 par un arrêt du conseil rendu en

1777.

La dotation des monts-de-piété avait été considérablement réduite dans le cours de la révolution par l'effet de la remise gratuite d'un grand nombre de gages ordonnée par les lois des 4 pluviôse an 2 et 1er pluviôse an 3, et surtout par la dépréciation du papier-monnaie qu'il avait fallu recevoir en remboursement des sommes prêtées. Il n'est donc pas étonnant que ces établissemens fussent forcés bientôt après de cesser leur service. En l'an 11, ils furent rétablis sur les nouvelles bases d'après lesquelles ils sont actuellement régis.

L'administration de ces établissemens est confiée aux commissions administratives des hospices des lieux où ils sont situés. Le service est fait par un directeur comptable qui a, sous ses ordres, des employés chargés de l'évaluation ́des objets, de l'engagement et du dégagement, du classement et de la recherche des gages, etc. Un contrôleur est chargé de surveiller les opérations. Tous les employés sont assujettis à un cautionnement dont ils reçoivent l'in

térêt. Les fonds affectés au service des monts-de-piété, sont les cautionnemens des employés, ceux des receveurs des hospices et des bureaux de bienfaisance, les capitaux et les revenus disponibles de ces mêmes établissemens, enfin, les capitaux appartenant aux enfans mineurs à la charge des administrations charitables.

Les monts-de-piété paient l'intérêt de ces fonds à raison de 4 pour 100 sur les cautionnemens, et de 5 pour 100 pour les autres capitaux : les bénéfices des monts-de-piété appartiennent aux hospices des villes où ils sont établis : leurs comptes et leurs budgets sont réglés dans la même forme que ceux des hospices.

On voit, par cet exposé, combien les monts-de-piété ont graduellement dégénéré de la pensée toute désintéressée qui avait présidé à leur création. Jadis, les prêts étaient à peu près gratuits; aujourd'hui le taux en est généralement très élevé.

A Paris, le mont-de-piété prête à 12 pour 100; le nombre des gages s'élève annuellement à environ 600,000, qui représentent à peu près une valeur de 30,000,000 fr., et sur lesquels il prête 20 à 22 millions. Les bénéfices en faveur des hospices s'élèvent à près de 400,000 fr. par an; mais combien il est douloureux de penser que cette somme employée, à la vérité, à secourir des pauvres, soit prélevée sur les besoins de la classe la plus malheureuse de la population (1)! Le taux de l'intérêt est de 12 pour 100 à

(1) M. le baron Baron (beau-frère de M. le marquis de Pastoret, dernier chancelier de France), chevalier de l'ordre du Roi et de la Légion d'Honneur, et long-temps député du département du Var à la Chambre des Députés, n'a cessé, pendant la durée de ses fonctions de directeur du Montde-Piété de Paris, de déployer les efforts les plus soutenus pour arriver à une diminution notable du taux de l'intérêt. Mais les besoins toujours re naissans des hospices ont mis obstacle à l'accomplissement de ses vues généreuses. On doit à cet habile administrateur (auquel la ville de Paris a des obligations de plus d'un genre, notamment pour son heureuse coopération dans la mission d'assurer l'approvisionnement de subsistances de la capi

Lille, de 15 pour 100 à Cambrai, à Douai et à Valenciennes ; il n'est que de 10 pour 100 à Bergues. Le tableau suivant présente les résultats de ces établissemens en 1827, et donnera une idée de l'importance de leur service.

tale, dans des circonstances difficiles) les améliorations que le Mont-dePiété a successivement reçues, et qui en avaient fait un modèle admirable d'ordre, de régularité et de bonne administration. Plusieurs gouvernemens ont demandé à M. le baron Baron communication des réglemens qu'il avait établis, et la plupart des étrangers instruits ont visité cet établissement qui les a frappés, comme l'un des plus remarquables de la capitale. M. Baron a cessé ses fonctions, après les événemens de Juillet 1830.

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