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là de la charité, c'est toujours de l'usure, c'est l'usure autorisée, légale, régularisée, et par conséquent bien plus dangereuse. Peu importe au profit de qui elle s'exerce; le nom de celui qui profite, quelque sacré qu'il soit, ne lui ôte pas son caractère et sa nature destructive. Prétendre la faire tourner au bénéfice des pauvres est une dérision, puisque ce sont les pauvres qui la supportent, et que ces pauvres, tôt ou tard, tombent à la charge de la charité publique. Ainsi ce qui est une grande faute en morale devient une grossière erreur sous le rapport purement économique.

Nous avons cité des exemples frappans des améliorations dont les monts-de-piété sont susceptibles. Quant à la loterie, c'est une question aujourd'hui jugée. Déjà, par les soins du gouvernement de la restauration, le nombre des bureaux a été considérablement réduit dès l'année 1899. Le taux des mises a été élevé (1); il n'existe plus de bureaux que dans les villes importantes, et ils doivent être graduellement supprimés.

(1) Le gouvernement des Etats-Unis d'Amérique a donné l'idée de cette

réforme.

CHAPITRE XX.

DES INDIGENS QUI SE REFUSENT AU TRAVAIL, OU MENDIANS.

La pitié se retire alors qu'on l'importune.

(DELILLE.)

Il n'y a pas au monde de contraste moral plus prononcé que celui qui existe entre le faux pauvre qui mendie par calcul, et le véritable indigent qui est réduit à mendier.

(DÉGÉRANDO, Visiteur du pauvre.)

Nous l'avons déjà dit plusieurs fois, la charité religieuse a toujours proscrit l'oisiveté, et l'aumône, dans son principe et dans son but, n'a jamais été recommandée qu'en faveur de la pauvreté véritable. Mais un des caractères de la charité, c'est le devoir, c'est le besoin de faire le bien au moment même où l'occasion s'en présente. De même que la loi ne présume pas le crime dans un accusé, la charité ne doit pas présumer la fraude dans le mendiant : elle préfère la légère humiliation d'avoir été trompée, à la douleur de n'avoir pas secouru l'homme qui se présente à elle avec l'accent et l'image de la misère.

Ici, nous revenons encore sur les reproches adressés au christianisme, d'encourager l'ignorance et la misère, la fainéantise et la mendicité condamnable. Ces reproches

ont été si opiniâtres, qu'il faut en prouver l'injustice et prévoir toutes les objections. Il en est auxquelles nous chercherons à répondre de nouveau.

1o Le législateur des chrétiens considère les pauvres d'esprit comme bienheureux et devant avoir part à son royaume.

2o Le christanisme tend à détacher de la possession et de la recherche des biens de la terre.

5o L'église a autorisé la formation d'ordres religieux mendians.

La première de ces difficultés est facile à résoudre, et, il faut le dire, elle n'est élevée que par des hommes qui n'ont jamais pris la peine d'étudier la doctrine évangélique. Jésus-Christ, en accordant aux apôtres les dons les plus sublimes de l'intelligence, le pouvoir de parler toutes les langues de la terre et une éloquence propre à convaincre et à toucher les cœurs, a donné la mesure du prix qu'il attachait aux lumières et à l'instruction. Personne, parmi les pères de l'église et les membres du clergé, n'a interprété autrement ces mots, pauvres d'esprit, que par ceux-ci, pauvres en esprit, pauvres volontaires, c'està-dire les riches qui vivent dans les privations ou se dépouillent en faveur des malheureux, ou les savans humbles, modestes et religieux. C'est une vérité vulgaire que nous avons déjà retracée, et sur laquelle nous ne nous arrêterons pas davantage.

Sans doute, la religion chrétienne porte au détachement des biens temporels; mais elle n'en interdit pas l'usage modéré, sage, et surtout charitable. L'homme, destiné à une vie de bonheur éternel, après un court passage sur la terre; l'homme, condamné à des épreuves et obligé à expier sa faute originelle par des vertus, ne devait pas être excité à placer dans les richesses son bonheur et ses espérances. Le divin législateur savait que les passions ne l'entraînent que trop vivement vers la cupidité et la vo

lupté. Il fallait dès lors un contre-poids puissant : de là, l'obligation de la charité et le conseil de la pauvreté volontaire, qui consiste, non à se rendre indigent, mais à donner à la fortune un bon et généreux emploi. Or, même en économie politique, ce principe est plus fécond, pour le bonheur de tous, que celui qui excite incessamment à acquérir et à produire des richesses.

Enfin des ordres religieux de mendians ont été autorisés dans le douzième siècle. Cela est vrai; mais il faut se rappeler dans quel but et dans quelles circonstances.

Lorsque les premiers moines eurent embrassé une vie pauvre, loin de se livrer à l'oisiveté et à la mendicité, ils trouvèrent, dans le travail de leurs mains, non seulement leur subsistance, mais encore de quoi faire l'aumône. Après la dévastation de l'Europe par les barbares, ces moines (qui conservèrent aussi le dépôt des arts et des sciences) défrichèrent des lieux incultes, et donnèrent les premiers exemples d'une agriculture raisonnée. La continuité de ce travail ne pouvait manquer de les enrichir et ce fut là l'origine première de l'opulence des couvens : alors les monastères devinrent l'asile et la ressource des peuples dépouillés, esclaves et malheureux. Après la chute du clergé séculier, ils furent obligés de renoncer au travail manuel pour prendre le soin des paroisses abandonnées et du salut des âmes. Ce n'était pas là sans doute se dévouer à l'oisiveté et à la mendicité.

Au douzième siècle, lorsqu'il fallut travailler à la conversion des Albigeois et des autres hérétiques, multipliés, alors, sur quelques points de l'Europe, les hommes égarés, qui s'étaient séparés de l'unité religieuse, ne voulaient écouter que des prédicateurs aussi pauvres que les premicrs apôtres, comme aujourd'hui, encore, les missionnaires, qui veulent répandre le christianisme chez les Siamois, sont obligés d'imiter la pauvreté absolue de leurs talapoins. Ce fut là le but de l'institution des ordres

mendians, parmi lesquels s'élevèrent plus tard des disputes scolastiques, dont les partisans de la réforme s'emparèrent pour condamner le vœu de pauvreté, oubliant qu'il s'était trouvé des circonstances où la pratique d'une pauvreté absolue était nécessaire pour exercer avec fruit les fonctions de l'apostolat. Les abus qui ont pu naître des ordres mendians tiennent aux homines; on ne peut les attribuer aux principes du christianisme.

Quant au reproche d'encourager la mendicité chez les pauvres, même valides, il n'est pas mieux fondé que les autres. Nous l'avons démontré, et nous chercherons à le prouver encore.

Au moment où le christianisme apparut au monde, il existait sans doute un grand nombre d'infortunés dans les sociétés païennes pour aucun d'eux, il n'avait été créé des asiles et des secours publics. Ils devaient donc recourir à cette charité instituée par la religion nouvelle qui leur tendait les bras. C'était pour eux, en effet, que le précepte de l'aumône avait été créé. Peu à peu, les efforts du clergé, des fidèles et des rois chrétiens fondèrent des hôpitaux et des hospices pour les malades et pour les infirmes; mais ces établissemens se bornèrent aux principales villes. Tous les pauvres ne purent y être admis : ceux-là et les indigens des campagnes, privés également de ces secours, durent continuer de demander l'aumône; ils la sollicitèrent naturellement de préférence partout où la charité devait être la plus active et la plus abondante, aux portes des couvens, des églises, des maisons riches, et dans les villes. Les aumônes devinrent un usage général et consacré : dans le principe, sans doute, elles n'avaient qu'une destination légitime; mais l'immoralité voulut, à son tour, profiter des bienfaits de la charité religieuse. Des hommes débauchés et paresseux envoyaient leurs femmes et leurs enfans solliciter des secours dus uniquement à l'indigence provenant de l'impuissance de travailler. Pour

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